Fragment #188

[Altair]

Lundi 19 Mars 2007

Sous le vent aigre de cette fin d'hiver, l'Idée salvatrice germa en mon Esprit, et fut mise à exécution

Dijon

Julian

<img width="100" height="100" src="http://idata.over-blog.com/0/25/72/06/julian_r__el___talement-1.jpg" alt="" class="GcheTexte" />
Accélération du temps. Je passe devant le Miroir pour me brosser les dents. Enfile un manteau ; il n’a pas l’air de faire chaud aujourd’hui. Lola est partie à la fac déjà. Je ferme la porte à clé et descends les escaliers de l’immeuble. C’est étrange, en deux ans j’ai l’impression de n’avoir jamais croisé un seul de mes voisins, alors qu’en habitant dans les combles, et devant ainsi traverser chaque étage pour rentrer chez moi, j’aurais cru les rencontrer un jour.
Place Grangier. Evaporé le soleil, l’astre lion et son printemps prématuré ! Des grains blancs, couscous neigeux, tombent sur le sol mouillé et se dissolvent à son contact. Des pétales évanescents portés par un vent glacé. Le Froid est mon Amant, mais il est en colère. Serais-tu jaloux, beau Froid de mes nuits enivrées ? De toute façon je n’ai guère de temps à te consacrer, et mes pieds me portent jusqu’à la porte du Dionysos.
Tintement de clochette en entrant. Louis redresse la tête derrière son comptoir, et mon regard heurte violemment ses yeux bleu marine. Je me précipite jusqu’à lui en bousculant deux jeunes vietnamiens bruyants qui se lèvent pour partir, et m’assieds sur mon habituel tabouret, à côté du vieux pirate, toujours en contemplation devant son verre de whisky.
« Comment ça va Jack ? lui demandé-je. »
L’homme tourne vaguement son visage dur dans ma direction. Souvent les vieilles personnes me paraissent ne rien être de plus que de vieux fruits en phase de pourrissement. Chez Jack, malgré l’état pathétique de sa condition d’alcoolique dépressif, la beauté n’a pas été ravagée par les années. Au contraire, il semblerait que les cataclysmes du temps aient rehaussé de gloire le contour travaillé de ce visage émacié et dur, aux longs cheveux blancs plaqués derrière ses oreilles. Son habit de marin confère à son apparence un surplus d’élégance, souvenir de ses voyages en mer. Il plante dans mon regard son unique œil valide, non pas vitreux mais perçant, car Jack le Navigateur, qui semble tout droit sortir d’un roman d’aventure, n’a rien perdu de sa fierté de naguère.
« Tu as oublié ta machine aujourd’hui ? me demande Louis en me serrant la main.
- Je l’ai laissée à l’appart’, dis-je, je venais pas pour ça. »
Louis sort son torchon pour essuyer le comptoir, tout en me regardant. Je reste quelques secondes stupéfait par sa capacité à reproduire des gestes précis tout en se concentrant sur autre chose ; jamais je ne m’y ferai.
« Louis, j’ai eu une idée. »
Les sourcils se froncent au dessus de ses yeux, et sur son front se forment des rides d’inquiétude. Une vague d’appréhension traverse son visage en réaction à mon excitation enthousiaste.
« Il faut que tu m’embauches au Dionysos, annoncé-je fièrement. »
Depuis le samedi au soir, l’idée m’avait hanté et, à présent, je regarde Louis soupirer de soulagement devant la nature de ma proposition.
« T’embaucher ? répète-t-il en souriant. »
Je me mords la lèvre en attendant son verdict, afin de lui montrer que ma demande n’a rien d’une vulgaire plaisanterie. Son sourire s’efface alors peu à peu.
« Tu n’es pas sérieux là Julian, si ?
- Je cherche un job depuis deux mois et demi Louis, tu le sais, c’est pas en écrivant que je vais gagner ma vie, et puis avec Lola qui est enceinte, mon père malade qui pourra peut-être bientôt plus me payer l’appart’… »
Le barman se renfrogne et se met à frotter plus durement son comptoir. Pour la première fois, ses yeux me lâchent et se fixent dans le vide.
« Je peux prendre les commandes, faire la plonge, n’importe quoi. J’aime beaucoup ce bar tu sais et… je m’y sens déjà comme chez moi…
- T’aurais jamais dû quitter la fac, grogne Louis en guise de réponse.
- Je sais. Tu me fais pas confiance ? demandé-je alors sur un ton de défi. »
Le regard de Louis se recolle dans le mien. Il me semble plus dur que d’habitude.
« C’est pas une question de confiance, monsieur-je-sais-tout, c’est juste que ça se fait pas comme ça et…
- Louis je sais bien que tu as besoin de quelqu’un pour t’aider de toute façon, continué-je avec véhémence. Dis pas le contraire. »
Quelle est cette fougue qui se développe en moi et me fait cracher ces mots dont je ne me croyais pas capable ? C’est le feu qui m’anime, ce feu qui toujours sait me sortir de ma coquille de timidité. Louis me fixe toujours sans bouger.
« Ok, votre seigneurie. Rendez-vous ici vendredi matin à 9h. »

Ceci est un fragment extrait du site des Etoiles d'Encre.[u]

[Zou]

Altair, j'espère que ce n'est pas parce que vous avez trouvé une nouvelle plume ce dont je suis contente pour vous parce que votre forum d'écriture est original, que tu ne passeras plus nous voir.

[Altair]

Ah bah non eh, je reste moi !

[Zou]

Ah bah non eh, je reste moi !

Cool !;-)

[Krystelle]

J’imagine que ceci est le début ou fait partie de quelque chose de plus vaste (d'où le titre). Difficile donc de donner un avis sur le fond.
Ce petit morceau de vie se lit facilement et suscite de l’intérêt. Néanmoins, il me semble que l’écriture manque un peu de maturité, quelques maladresses (cf. « demandé-je » « continué-je"), des formulations pas toujours très heureuses et parfois redondantes (« à mon excitation enthousiaste »).
Tes images me semblent manquer de force, tu les poses telles quelles sans suggérer davantage. Deux exemples : « Le Froid est mon Amant, mais il est en colère », j’aurais préféré que l’image de la relation amoureuse soit amenée et filée plus implicitement. De même cette phrase « Souvent les vieilles personnes me paraissent ne rien être de plus que de vieux fruits en phase de pourrissement » : elle sort de nulle part, ne s’appuie sur rien elle est juste posée là de façon un peu artificielle et facile (répétition vieux/vieille)
Les personnages présentés, Jack notamment, ne sont pas dénués d’intérêt, seulement il leur manque quelque chose pour exister pleinement et dégager autour d’eux un réel univers.
Malgré tout, je continue de penser qu’il faut recadrer ce texte dans quelque chose de plus long, peut-être as-tu une suite à nous proposer ?
Si oui, je la lirai avec plaisir.

[Altair]

Ben oui Krystelle, il y a sur mon site 187 textes précédents celui ci... Et ça recadre pas mal les choses. Donc en fait dans le contexte il n'y a rien qui "sort" comme ça de "nulle part", les métaphores choisies ont déjà été filées (l'amant, la vieillesse, etc), et les personnages déjà présentés.
Quant au manque de maturité ben... je sais pas quoi dire, j'ai que 19 ans, j'espère avoir de longues années devant moi pour progresser encore...

[mentor]

Alors voilà, j’ai trouvé ça assez prenant comme entame même si tu es super descriptif dans ta prose, genre : je dis tout ce que je fais, quitte à mettre des pointillés en annonçant que tu va pisser avant de sortir… :-))))) T’inquiète Altaïr, je me venge : on me dit toujours aussi à moi que je décris trop ! Donc…
Pour les trucs qui ne vont pas sur la forme, j’ai trouvé moche « mes pieds me portent jusqu’à la porte ». Les « deux jeunes vietnamiens », comment tu peux savoir d’où ils viennent ? Les yeux bridés ? :-))). Et puis le bar « Le barman … se met à frotter plus durement son comptoir », plus durement avec un torchon, je trouve que ça va pas bien.
Pour le reste je trouve que c’est bien écrit, facile à suivre, avec des dialogues qui se tiennent.
On sent que tu aimes écrire, c’est sûr.
Reste à savoir ce que tu vas faire de tout ça. Moi je veux bien lire la suite. Mais ici. ;-)

[Altair]

Je verrai si je publie ici mes fragments suivants
Puis je me permettre de défendre ce que tu trouves moche? Non juste à propos des vietnamiens, il y a quand même un "type" reconnaissable, de la même manière que je ne confonds pas des espagnols avec des italiens (ma famille italienne en serait folle, d'imaginer qu'on puisse la confondre avec des grecs ou des portugais...). Quant à mon style d'écriture, disons qu'il est travaillé en fonction des attentes de mon site. Pour ce qui est d'aimer écrire, pas de doute, c'est une passion sentimentale et charnelle

[mentor]

Je verrai si je publie ici mes fragments suivants
Puis je me permettre de défendre ce que tu trouves moche?

J'ai trouvé "moche" juste le premier bout de phrase, le reste c'est pas une question de laideur d'écriture ! ;-) C'est le coup des 2 mots PORTENT et PORTE trop rapprochés, c'est tout.

[mentor]

Pour le coup des Vietnamiens j'en reste baba ! A ton âge tu as dû beaucoup voyager pour pouvoir distinguer à coup sûr des Asiatiques entre eux. Mais je veux bien te croire ! ;-)

[Altair]

Mais c'est fait exprèèès le rapprochement des deux mots homonymes
Et puis pour les vietnamiens heu, non pas voyagé jusque là bas. J'ai eu l'occasion de parler avec un homme qui avait pas mal voyagé, lui, et m'a dis qu'il y avait des signes distinctifs. C'est rigolo

[mentor]

Mais c'est fait exprèèès le rapprochement des deux mots homonymes

Ben c'est moche de chez moche ! Voilà ! Ffff, ça fait du bien ! ;-)

[mentor]

Mais c'est fait exprèèès le rapprochement des deux mots homonymes

Ben c'est moche de chez moche ! Voilà ! Ffff, ça fait du bien ! ;-)

et puis c'est pas du tout des homonymes en plus, mais des homophones ! Et toc ! :-)))))

[Loupbleu]

J'ai vraiment apprécié ce texte auquel je trouve beaucoup de qualités !

Je trouve que tu as un très bon sens pour observer et une belle façon de restituer la vie. J'ai beaucoup apprécié ce genre de passage :

"Louis sort son torchon pour essuyer le comptoir, tout en me regardant. Je reste quelques secondes stupéfait par sa capacité à reproduire des gestes précis tout en se concentrant sur autre chose ; jamais je ne m’y ferai"

Je trouve également que la relation entre le narrateur et le patron de bistrot est très bien vue. La description de Jack n'est pas mauvaise mais elle m'a paru un brin en dessous. Peut-être parce que tu le décris plus que tu ne le fais vivre. Cependant, c'est un personnage très intéressant (intriguant même !).

La critique principale que je ferai concerne la pensée du narrateur. j'ai apprécié la sobriété, le non-étalement des états d'âme, ça c'est très bon je trouve. Cependant, le point de vue n'est pas tout à fait clair à mon avis : Le narrateur fait des remarques ironiques (Serais-tu jaloux, beau Froid de mes nuits enivrées ?), lance une façon qu'il a de voir (Souvent les vieilles personnes me paraissent ne rien être de plus que de vieux fruits en phase de pourrissement.) mais se tait avec le barman, et on le voit de l'extérieur (Je me mords la lèvre).

Finalement, on n'est pas sûr de savoir où se placer, par quel bout tu veux nous faire voir les choses. C'est peut-être (suggestion) en travaillant cet aspect que tu peux donner plus de force au texte, qui finalement nous donne à voir, mais ne nous donne pas une vision cohérente. Je ne sais pas si c'est clair, si c'est pertinent, mais je te soumets cette réflexion, à toi de voir...

Ton écriture a des qualités (la variété des phrases, les dialogues, ...), mais comme Krystelle je trouve qu'elle manque par moment de maturité (mais tu as 19 ans, alors c'est probablement normal et ça devrait venir !). Pour ajouter à ses remarques, je vais un peu pinailler (et ce ne sont que quelques suggestions) :

- Il y a peut-être une utilisation un peu systématique de phrases pronominales au début

- Par ailleurs, j'aime beaucoup ceci : C’est étrange, en deux ans j’ai l’impression de n’avoir jamais croisé un seul de mes voisins, alors qu’en habitant dans les combles, et devant ainsi traverser chaque étage pour rentrer chez moi, j’aurais cru les rencontrer un jour., mais la phrase semble trop longue, trop construite par rapport au reste, je pense que tu peux rendre la (bonne) idée plus percutante.

- [color:6a96=#00008b:6a96]lui demandé-je, en effet n'est pas heureux, la formule simple "je lui demande" est possible, et même peut-être ne rien mettre quand il n'y a pas ambiguïté peut être une bonne idée ?
.
Malgré ces remarques, que j'espère tu prendras bien, qui j'espère pourront t'aider (?), je te dis vraiment bravo pour ce texte que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire.
.
En espérant bien lire prochainement d'autres textes de toi, qu'ils soient sur ton site, ou pas, ça sera avec grand plaisir !

[Altair]

Eh ben ! Merci loupbleu pour ces remarques constructives, pour avoir apprécié mon travail, et pour avoir su critiquer en prenant d'énormes pincettes (avec moi, c'est ce qu'il faut :D). Donc merci avant tout.

Je vais essayer de penser à tout ça en écrivant mon prochain fragment. Pour ce qui est de la pensée de Julian... C'est compliqué, ce personnage "vit" (oui, même pas besoin de guillemets je crois) depuis plus d'un an sur le site, et c'est vrai que je pense que les habitués des Etoiles d'Encre connaissent bien sa façon de raisonner, donc je ne fais plus gaffe. Ses mécanismes de pensées sont complexes et variés en fonctions des circonstances (qui peuvent changer d'une ligne à l'autre), mais textes après textes, j'ai veillé à me répéter, parfois à l'excès, pour que les lecteurs ingèrent ces réflexes de pensée propres au personnage. Tu apprendras vite à le connaitre, à le comprendre, et qui sait, à l'aimer !

[Sahkti]

Altair, j'aime bien ton texte, même beaucoup par moments, mais je lui reprocherai tout de même une certaine inégalité que je vais tenter d'expliquer.
Tu es plutôt doué pour décrire les ambiances, la lenteur d'une action, un instantané de vie pris sur le vif... bref, ces éléments que beaucoup ont du mal à capter et restituer sans être trop descriptifs ou narratifs. Toi, tu y arrives et j'aime bien ça (en plus, j'aime bien les scènes de bistrot).
Où je suis plus réservée, c'est que tu gâches par moments cette aptitude avec des formules lyriques (relevées par Krystelle, par exemple), quelques répétitions ou détails inutiles. C'est dommage.
Un peu l'impression que tu veux peaufiner ou que tu penses qu'ajouter des détails ou certaines phrases un peu bateau va rendre ton texte plus élégant ou plus travaillé (j'extrapole ici, bien sûr). Je crois (mais ce n'est qu'un avis perso) que plus de sobriété, des phrases de temps en temps courtes, davantage de ces instantanés que tu maîtrises bien... tout cela rendrait ton texte encore plus agréable à lire.

[Altair]

Ok Sahkti, je vais essayer de travailler ça :-D

[Mériam]

J'ai bien peur de ne pas dire grand chose de constructif, parce que j'ai tout simplement beaucoup aimé ton texte.

Certes, c'est le fragment de qqch de plus long, mais justement je trouve que pour un fragment on ne se sent pas du tout perdu.
On est instantanémment dans l'histoire, les personnages m'ont paru tout de suite vivants, bref ça donne envie de lire la suite, d'en savoir plus.

Vraiment c'est très agréable à lire, et l'interêt est tout de suite au rendez-vous :-)

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