Fragment #191
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Fragment #191
Lundi 26 Mars 2007
Il n'y a pas d'âge pour aimer la vodka
Julian
« Ressers moi un whisky. »
Je récupère le verre de Jack car il n’en veut pas d’autre, et y verse le liquide ambré. Je visualise à peu près où se situe chaque bouteille, du moins celles qui sont demandées le plus fréquemment. Pour la première fois, Louis m’a laissé seul au comptoir depuis plus de dix minutes, et tout mon être sous tension espère qu’il ne se passera rien, que je n’aurai pas à faire face à une situation inconnue et devant laquelle je manquerai fort de perdre mes moyens. Les quatre joueurs de cartes se font un poker en fumant et Jack vide son verre en regardant dans le vide. J’aimerais lui parler, creuser en lui pour apercevoir son monde, celui auquel il accède à travers la contemplation de son fond de whisky. Mais je n’ose pas. Et je reste là, debout derrière le comptoir du Dionysos. A travers les fenêtres, le soleil printanier apporte un peu de lumière à l’intérieur du bar. Je souris. Ce matin même, en me réveillant, j’ai oublié que j’étais seul dans mon lit pour la première fois depuis longtemps. J’ai étendu mes jambes et mes bras sous les draps, en me laissant caresser par les rais de l’aube que filtraient les stores vénitiens. Aucun battement de cœur obsédant. Le son infernal est désormais étouffé par des kilo-tonnes de terre noire en mon cerveau. Puis j’ai noté dans mon petit carnet à rêve des bribes de songe en compagnie de la jolie argentine, croisée dans un bar samedi soir, son corps fantasme hiéroglyphe gravé dans mon esprit. Et j’ai souri.
J’écoute la conversation des joueurs de poker. Amusante coïncidence, ils ressemblent aux quatre valets, cœur, carreau, trèfle et pique. En cet instant, le valet de carreau, avec son air pincé, annonce que c’est aujourd’hui la fin du mandat de Sarkozy au ministère de l’Intérieur et que, enfin, il pourra se consacrer entièrement à sa candidature pour la présidence. Les trois autres ne l’écoutent qu’à moitié. Le valet de trèfle fait tomber sa pièce par terre, ce qui agace son voisin.
« Moi, dit le valet de pique, il me fait peur ce type. Si il est élu, je sais pas ce que je ferai. Mais ça me fait peur. »
Une petite fille entre dans le Dionysos, les sourcils froncés, elle semble chercher quelque chose. Soudain son regard se pose sur moi et elle s’approche du comptoir, duquel le haut de sa tête dépasse tout juste. Agée d’une douzaine d’année, à peine plus, avec ses cheveux blonds clairs et son petit air propret dans son habit rose, elle me toise avec sérieux et sans timidité.
« Une bouteille de vodka, me demande-t-elle. »
Je hausse les sourcils et adresse un regard surpris à Jack, qui ne daigne pas tourner les yeux vers moi. La gamine reste fixée sur moi, attendant que j’obéisse à sa requête délirante. Un sourire se trace sur mes lèvres.
« C’est une blague ? Tu as quel âge ?
- Mes copines attendent dehors, j’ai treize ans et demi et je vous achète une bouteille de vodka. »
Avec insolence, je la vois déposer un billet de vingt euro sur le comptoir. Dehors, j’entends les cris stridents d’une troupe de petites filles de son âge, postées devant le Dionysos en attendant le retour de leur ambassadrice. Merde, où est passé Louis ?
Ne sachant pas quoi faire, je jette des regards un peu partout, cherchant un soutien qui ne viendra pas. La gamine se met à taper du pied. Alors, dépité, je dépose une bouteille de vodka sur le comptoir, qu’elle s’empresse de saisir entre ses petits doigts d’enfant. Je prends le billet en échange et le glisse dans la caisse avant de lui rendre la monnaie. La fillette murmure un vague merci, un peu rauque, et sort du Dionysos. Durant un court laps de temps, la porte restée ouverte me laisse discerner sa voix criant à l’adresse de ses camarades :
« Voilà la bibine, mes chéries ! »
En rentrant le soir même dans mon temple du sommeil, cette anecdote me laisse errer dans une certaine perplexité.
Il n'y a pas d'âge pour aimer la vodka
Dijon
Julian
« Ressers moi un whisky. »
Je récupère le verre de Jack car il n’en veut pas d’autre, et y verse le liquide ambré. Je visualise à peu près où se situe chaque bouteille, du moins celles qui sont demandées le plus fréquemment. Pour la première fois, Louis m’a laissé seul au comptoir depuis plus de dix minutes, et tout mon être sous tension espère qu’il ne se passera rien, que je n’aurai pas à faire face à une situation inconnue et devant laquelle je manquerai fort de perdre mes moyens. Les quatre joueurs de cartes se font un poker en fumant et Jack vide son verre en regardant dans le vide. J’aimerais lui parler, creuser en lui pour apercevoir son monde, celui auquel il accède à travers la contemplation de son fond de whisky. Mais je n’ose pas. Et je reste là, debout derrière le comptoir du Dionysos. A travers les fenêtres, le soleil printanier apporte un peu de lumière à l’intérieur du bar. Je souris. Ce matin même, en me réveillant, j’ai oublié que j’étais seul dans mon lit pour la première fois depuis longtemps. J’ai étendu mes jambes et mes bras sous les draps, en me laissant caresser par les rais de l’aube que filtraient les stores vénitiens. Aucun battement de cœur obsédant. Le son infernal est désormais étouffé par des kilo-tonnes de terre noire en mon cerveau. Puis j’ai noté dans mon petit carnet à rêve des bribes de songe en compagnie de la jolie argentine, croisée dans un bar samedi soir, son corps fantasme hiéroglyphe gravé dans mon esprit. Et j’ai souri.
J’écoute la conversation des joueurs de poker. Amusante coïncidence, ils ressemblent aux quatre valets, cœur, carreau, trèfle et pique. En cet instant, le valet de carreau, avec son air pincé, annonce que c’est aujourd’hui la fin du mandat de Sarkozy au ministère de l’Intérieur et que, enfin, il pourra se consacrer entièrement à sa candidature pour la présidence. Les trois autres ne l’écoutent qu’à moitié. Le valet de trèfle fait tomber sa pièce par terre, ce qui agace son voisin.
« Moi, dit le valet de pique, il me fait peur ce type. Si il est élu, je sais pas ce que je ferai. Mais ça me fait peur. »
Une petite fille entre dans le Dionysos, les sourcils froncés, elle semble chercher quelque chose. Soudain son regard se pose sur moi et elle s’approche du comptoir, duquel le haut de sa tête dépasse tout juste. Agée d’une douzaine d’année, à peine plus, avec ses cheveux blonds clairs et son petit air propret dans son habit rose, elle me toise avec sérieux et sans timidité.
« Une bouteille de vodka, me demande-t-elle. »
Je hausse les sourcils et adresse un regard surpris à Jack, qui ne daigne pas tourner les yeux vers moi. La gamine reste fixée sur moi, attendant que j’obéisse à sa requête délirante. Un sourire se trace sur mes lèvres.
« C’est une blague ? Tu as quel âge ?
- Mes copines attendent dehors, j’ai treize ans et demi et je vous achète une bouteille de vodka. »
Avec insolence, je la vois déposer un billet de vingt euro sur le comptoir. Dehors, j’entends les cris stridents d’une troupe de petites filles de son âge, postées devant le Dionysos en attendant le retour de leur ambassadrice. Merde, où est passé Louis ?
Ne sachant pas quoi faire, je jette des regards un peu partout, cherchant un soutien qui ne viendra pas. La gamine se met à taper du pied. Alors, dépité, je dépose une bouteille de vodka sur le comptoir, qu’elle s’empresse de saisir entre ses petits doigts d’enfant. Je prends le billet en échange et le glisse dans la caisse avant de lui rendre la monnaie. La fillette murmure un vague merci, un peu rauque, et sort du Dionysos. Durant un court laps de temps, la porte restée ouverte me laisse discerner sa voix criant à l’adresse de ses camarades :
« Voilà la bibine, mes chéries ! »
En rentrant le soir même dans mon temple du sommeil, cette anecdote me laisse errer dans une certaine perplexité.
Re: Fragment #191
Ha ben voilà, je retrouve ici mon confort de lecture :-))
Plus sérieusement, j'aime beaucoup cette scène de bar. Pas vraiment différente des autres pourtant, mais je trouve que tu y a mis (peut-être sans t'en rendre compte) un supplément d'âme avec ce verre de whisky dont on aimerait contempler le fond et les joueurs de cartes. C'est une ambiance un peu envoûtante, il y a une torpeur apaisante et agréable qui se dégage de tout cela je trouve. J'aime aussi le fait qu'il ait vendu la bouteille de vodka à la gamine (même si c'est pas moral et blablabla), ça maintient la linéarité de l'ensemble, pas de rupture dans l'atmosphère, la vie se poursuit et ça fait du bien.
Plus sérieusement, j'aime beaucoup cette scène de bar. Pas vraiment différente des autres pourtant, mais je trouve que tu y a mis (peut-être sans t'en rendre compte) un supplément d'âme avec ce verre de whisky dont on aimerait contempler le fond et les joueurs de cartes. C'est une ambiance un peu envoûtante, il y a une torpeur apaisante et agréable qui se dégage de tout cela je trouve. J'aime aussi le fait qu'il ait vendu la bouteille de vodka à la gamine (même si c'est pas moral et blablabla), ça maintient la linéarité de l'ensemble, pas de rupture dans l'atmosphère, la vie se poursuit et ça fait du bien.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Fragment #191
Certaines choses me plaisent dans ce texte, notamment la comparaison des joueurs avec les valets des quatre couleurs.
D'autres me semblent moins convaincantes, la conversation entre les joueurs en question par exemple. Elle manque de vie, de réalisme. j'ai l'impression que cette scène aurait pu respirer davantage, dégager un peu plus d'âme.
Et puis le titre de la scène me semble un peu plat aussi, mais ça c'est un détail.
D'autres me semblent moins convaincantes, la conversation entre les joueurs en question par exemple. Elle manque de vie, de réalisme. j'ai l'impression que cette scène aurait pu respirer davantage, dégager un peu plus d'âme.
Et puis le titre de la scène me semble un peu plat aussi, mais ça c'est un détail.
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