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Fragment #192

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Message  Altair Ven 30 Mar 2007 - 11:37

Mardi 27 Mars 2007
Mères et fils

Dijon

Julian

« Tu as vendu une bouteille de vodka à une gamine de treize ans et demi ? »
Je jette un regard accusateur à Jack, qui détourne son œil unique. Qui aurait pu tout cafter à Louis, à part lui ?
« Le regarde pas comme ça Julian, je suis pas stupide, j’ai bien vu qu’il manquait une bouteille. Jack est mon troisième œil quand je suis pas là. Qu’est-ce qui t’a pris bon dieu ?
- C’est fait de toute façon, dis-je avec mépris, l’important c’est de vendre non ? Elle fait ce qu’elle veut !
- Non, c’est pas ça l’important Julian, et pas seulement parce qu’on a pas le droit de vendre de l’alcool à des mineurs et que, dans cette histoire, tu es coupable au regard de la Loi, mais tout simplement parce qu’on peut juger soi-même de ce qui est bien et de ce qui est mal. Tu as besoin que je te donne des cours de bon sens peut-être ? »
Je n’aime pas me faire réprimander par un adulte. Parce qu’alors je ne me sens plus adulte. Il me semble que sous ses yeux bleu marine je redeviens ce que je suis, un gamin de vingt ans qui s’y croit un peu trop.
« Les gens qui viennent ici, on cherche pas à leur vendre quelque chose à tout prix, on cherche à ce qu’ils se sentent bien chez nous. Tu aurais dû aider cette enfant.
- Désolé Louis, je réponds sèchement, ça je sais pas faire. »
Et puis quoi ? Je n’allais pas lui courir après à cette sale gamine, elle voulait se saouler, grand bien lui fasse ! Moi, je ne la reverrai sûrement jamais.
Pour couper court à la discussion et échapper aux yeux sans rochers de mon patron, je file en direction des deux clients qui viennent de s’installer à une table. Une petite femme au teint hâlé, replète, avec des cheveux noirs touffus, vêtue de manière peu élégante, voire misérable, s’assied face au garçon de quatorze ou quinze ans qui doit être son fils et tire sa chaise en raclant le sol. Je détaille un instant le visage à la peau bronzée de l’enfant, son air débile, les cheveux noirs bouclés et humides, les yeux vifs et dorés, les traits parfaits et incomparables à ceux biscornus de sa mère. Est-ce que nous devenons nécessairement laids avec le temps ? Le garçon sait-il qu’il lui ressemblera dans vingt ans, et que sa fraîcheur basanée se fripera, comme un fruit pourri ?
« Je peux vous servir quelque chose ? je demande poliment.
- Deux thés, répond aussitôt la mère sans laisser le temps à son fils de parler. »
Je hoche la tête avec un sourire, m’éloigne, et passe derrière le comptoir où Louis discute avec une vieille dame, elle-même installée à la droite de Jack.
« I-am-in-the-living-room, lit-elle en sur-articulant les lignes d’un petit livre d’anglais pour enfant.
- Très bien Léonie, tu as l’air d’avoir fait des progrès depuis mardi dernier, l’encourage Louis en lui servant un thé. J’en prépare deux autres pour les Cohen ? continue-t-il à mon intention en désignant la mère et son fils auprès desquels je viens de prendre la commande. »
J’acquiesce sans oser le regarder. Une femme noire, dont la coiffure indescriptible, entrelacée de tresses, de perles blanches et de boucles, conférant à sa figure un air de majesté digne d’une déesse africaine, se lève et quitte le bar en me lançant un sourire timide. Je me dirige vers sa table pour récupérer son verre et la monnaie, que je ramène au comptoir. Là, une jeune femme portant un bébé vient s’asseoir à son tour sur un haut tabouret. Elle me sourit. Elle ne doit pas avoir plus de vingt-deux ou vingt-trois ans. Est-ce à cela que tu ressembleras Lola, dans un an ou deux ? Je ne veux pas y penser.
Nous commençons à discuter. Elle s’appelle Elise. De longs cheveux châtains-roux ondulés tombent jusqu’à ses maigres seins comme des cordes torsadées. Elle a besoin d’un café pour tenir le coup. C’est dur, toute seule. Son petit garçon me regarde niaisement.
« Il est mignon, dis-je. On dirait qu’il a un bleu sur le nez, qu’est-ce qui lui est arrivé ?
- Rien, répond Elise, brusquement fermée comme une pierre. »
Soudain, la main de la mère ramène la manche du petit pull de son garçon sur le bras de celui-ci pour masquer un hématome noirâtre. Le bébé semble tout à coup me regarder d’un air mélancolique. Elise se lève, sa tasse de café encore pleine, empoigne son enfant et quitte le Dionysos avec lui. Je me retourne vers Louis, désemparé. Il hausse les épaules. Qu’aurais-je dû faire, cette fois ?

En rentrant chez moi, je compose un numéro sur mon portable. Il fait bon dans les rues de Dijon, sous le vent printanier de la saison nouvelle. Le sol est légèrement humide, il a dû pleuvoir un peu. On décroche. Une voix pleine d’inquiétude et d’angoisse.
« Allô ?
- Maman, c’est Julian. Je pensais à toi aujourd’hui, comment ça va ? »
Altair
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Message  Sahkti Lun 2 Avr 2007 - 12:28

A part un petit bémol sur les descriptions des Cohen, que je trouve un peu longues et superflues, j'aime bien ce texte, parce qu'il est habité de divers personnages derrière lesquels on devine des histoires, des destinées mouvementées. Tu n'en dis pas trop, juste ce qu'il faut. J'aime aussi comment, à la fin, lorsque Julian aperçois les bleus sur l'enfant, il n'y a pas révolte ou questions un tensions. Non, l'histoire se poursuit à sa façon, il appelle sa mère, il y a plein de non-dits qui me plaisent là-derrière.
J'aime bien ton texte Altair!
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Message  Krystelle Dim 15 Avr 2007 - 18:53

Là encore, les dialogues me semblent sonner un peu faux, principalement celui entre Julian et Louis. Si tu prends cette phrase par exemple: "Tu aurais dû aider cette enfant" je l'magine mal sortir de la bouche d'un patron de bar.
J'aime bien l'idée de la galerie de portrait et la manière dont tu passes d'une âme à l'autre, sans t'attarder, ça rend plutôt bien l'impression du va et vient qu'il peut y avoir dans ce genre d'endroit.
Les jugements de Julian me semblent parfois évoqués d'une façon un peu abrupte et pas toujours très adroite.
Dans l'ensemble, j'aime l'idée cette scène mais je crois que tu aurais pu en faire quelque chose de plus percutant.

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