Fragment #193

[Altair]

Mercredi 28 Mars 2007
Pustule et chant chinois

Dijon

Julian

Hier Maman a sauté de joie en reconnaissant ma voix. Et puis j’ai calmé ses inquiétudes quant à mon avenir en lui parlant du Dionysos. Ce n’est pas ce qu’elle aurait voulu pour moi, je le sais bien, et je devine aussi qu’elle n’en touchera pas un mot à Papa, mais la curiosité finira par se saisir d’elle et je ne tarderai pas, d’ici quelques jours, à la voir débarquer pour me découvrir dans ce rôle de garçon de café. J’ignore combien de temps je resterai dans ce bar, et pour être honnête, je ne me pose même pas la question. Le matin je me lève sans regarder le Miroir, et le soir je m’endors sans penser à rien, épuisé. Au cours de la journée, je n’ai guère le temps de songer à moi-même, entre le petit déjeuner et le déjeuner (qu’une vieille dame apporte à Louis chaque jour vers onze heure), le café et diverses pauses boissons d’une après-midi, puis enfin la soirée et le défilé des clients aux multiples visages. Lorsque le bar est calme, je vais à la plonge, et après la fermeture, il faut passer la serpillière et nettoyer les tables. Quelques rares instants de répit me permettent de laisser reposer mon esprit, mais bien que j’amène toujours mon ordinateur dans l’espoir d’écrire un peu si l’occasion venait à se présenter, il ne sort jamais de sa sacoche. Mon activité favorite consiste alors à détailler le physique des clients, sublimes ou grotesques, pour imaginer les âmes qu’ils renferment.
Tenez, cet homme qui parle à Jack, par exemple. Depuis le comptoir, je suis au poste d’observation le plus rapproché. Trapu et de petite taille, faciès de pékinois écrasé, absence totale de cou. Cheveux mi-longs grisâtres plaqués sur le pourtour crânien malgré une sévère calvitie centrale. Une pustule charnue confère une touche de relief à son menton. Un vieux tatouage sur le dos de sa main gauche à laquelle il manque une moitié d’index reproduit le motif d’une tête de lion qu’on retrouve sur une massive bague en or glissée à son majeur. Voix forte et abrutie, il parle en sous-articulant, en projetant alentour une pluie de postillons. Veste marron abîmée, comme sa peau. A côté de lui, Jack fait tourner son œil dans son orbite pour manifester à mon intention le profond ennui qu’il éprouve à écouter ce type.
« J’voulais m’y faire enlever ce machin là qu’j’ai sur l’menton t’sais qu’j’avais essayé tout seul l’aut’jour avec une pince à épiler même qu’y pissait le sang et qu’j’ai dit vaut mieux y laisser faire l’docteur. »
Je m’éloigne pour aller servir une vieille dame corpulente à la coiffure blonde claire soignée, enrobée d’un manteau bleu pervenche, qui me commande un grand verre de coca et sort un livre qu’elle pose devant elle pour lire un peu. En revenant derrière le comptoir, je reprends mon écoute.
« … not’ p’tit Johnny, on l’aime bien ce p’tit gars là, ah ça oui ! Pas comme ces jeunes chanteurs d’aujourd’hui p’tits pédés d’merde p’tites taffioles d’enculés à la con, j’vais t’dire ces trucs là c’est comme les racailles, on s’ra bien contents quand Sarko y nous aura dégagé tout ça. »
Un jeune gars plutôt grand, vêtu d’une veste kaki, d’un pantalon beige, portant des chaussures rouges et traînant avec lui un vieux xylophone africain, lève les yeux de son chocolat chaud pour échanger avec moi un regard surpris. Je voudrais dire quelque chose, faire taire cet homme immonde, cette petite boursouflure abjecte, la crever comme un vilain abcès. Il en est des centaines, des milliers, de boutons purulents comme toi, de grosses pustules humaines moisies à force de s’encrasser d’idées basses et pourries. France profonde et arriérée qui semble avoir oublié les horizons de la xénophobie et les dangers de la haine des autres. Si seulement j’avais le courage de parler, de lui dire ce que j’ai sur le cœur en attendant son discours… mais comme à l’habitude, pas un mot ne sort de ma bouche.

Il est tard. Je commence à passer la serpillière. Louis m’a laissé les clefs et je dois fermer tout seul ce soir. Soudain, un son s’élève au fond du bar, un murmure musical, comme si on psalmodiait une chanson aux paroles incompréhensibles. Un vieillard chinois est assis à une table, les yeux fermés il se balance d’avant en arrière, et de sa bouche s’échappe un air traditionnel de son pays. Je m’assieds quelques instants pour écouter. Dehors, la douceur d’un soir de printemps. Et ce souffle prodigieux, magique. Il est de ces instants qu’on ne peut décrire avec des mots, mais qui s’inscrivent en nous à jamais et y gravent un sentiment d’immortalité.

[Sahkti]

Autre scène, autres visages, autres destins. je continue à apprécier cette exploration des âmes et cette atmosphère particulière.

Un passage me plaît moins, celui-ci "Quelques rares instants de répit me permettent de laisser reposer mon esprit, mais bien que j’amène toujours mon ordinateur dans l’espoir d’écrire un peu si l’occasion venait à se présenter, il ne sort jamais de sa sacoche. Mon activité favorite consiste alors à détailler le physique des clients, sublimes ou grotesques, pour imaginer les âmes qu’ils renferment."
Je trouve que ça sonne un peu trop figé et emprunté par rapport au reste, notamment aux pensées et réflexions habituelles de Julian.
Sinon, j'aime bien ce sens de l'observation et ces petits détails, comme le chant chinois, qui apportent toute leur saveur à tes fragments.
Mince... je deviens fan on dirait...

[Krystelle]

J'ai eu un peu de mal à rentrer dans ce texte. Le côté enumératif de l'emploi du temps ne m'a pas vraiment emballée et puis tu reviens à la description de personnages et j'accroche davantage.
Le type à la pustule n'est pas désintéressant, j'ai l'impression que tu touches à quelque chose de vrai et la peinture que tu esquisses pourrait raconter beaucoup mais il me manque toujours quelque chose, un je ne sais quoi, pour être vraiment emballée. On pourrait imaginer toute une histoire autour de tes personnages mais ils ne parviennent pourtant pas à exister pleinement.
Et puis là encore, le jugement de ton protagoniste est exprimé d'une manière que je trouve fade, lisse presque facile. Ici par exemple :
France profonde et arriérée qui semble avoir oublié les horizons de la xénophobie et les dangers de la haine des autres. Si seulement j’avais le courage de parler, de lui dire ce que j’ai sur le cœur en attendant son discours.
La fin du texte me plait, j'aime bien cette chute musicale qui clot le texte avec une tonalité plaisante.
Jusqu'ici, sur l'ensemble de ces fragments, je trouve qu'il y a quelque chose d'accrocheur dans tes lignes, la lecture est agréable, certaines images sont efficaces et on sent que tu es à l'aise avec l'écriture. J'ai quand même l'impression que tu ne sais pas trop où tu vas et je le regrette un peu.

[Altair]

Je sais très bien où je vais, je ne trouve pas que les phrases que tu trouves malhabiles le soient effectivement, ni qu'il manque quelque chose. Les personnages et les dialogues sont souvent rapportés de scènes réelles, donc si tu dis qu'elles manquent de réalisme, ça m'étonne un peu. Quant au jugement de Julian, je doute qu'il soit vraiment fade. Encore une fois, je pense que mes fragments n'ont pas grand chose à faire ici, détachés du site où ils vivent.

[Krystelle]

Je sais très bien où je vais, je ne trouve pas que les phrases que tu trouves malhabiles le soient effectivement, ni qu'il manque quelque chose. Les personnages et les dialogues sont souvent rapportés de scènes réelles, donc si tu dis qu'elles manquent de réalisme, ça m'étonne un peu. Quant au jugement de Julian, je doute qu'il soit vraiment fade. Encore une fois, je pense que mes fragments n'ont pas grand chose à faire ici, détachés du site où ils vivent.

Tu sais peut-être où tu vas mais le fait de poster des petits morceaux de textes qui ne peuvent, par leur taille, s’apparenter à des chapitres donne l’impression, quand on relit le tout, d’un ensemble plutôt morcelé qui manque d’unité : on va au bar, on revient chez Julian, on y retourne sans avoir le temps de se poser quelque part. S’il y a une intrigue pour l’instant elle m’échappe, et si l’idée c’est juste d’écrire des « fragments » de vie alors rien d’étonnant à ce qu’on ait parfois l’impression d’aller nulle part. Tu me répondras que c’est lié à la forme que vous avez choisie sur le site « Etoile d’Encre » et au rythme d’écriture que vous vous êtes imposés, alors peut-être qu’effectivement le fait que tes textes soient détachés de leur contexte nuit à la lecture et à la compréhension de l’ensemble. Mais tu comprends bien qu’il y a déjà beaucoup à lire sur ce site et qu’il ne nous est difficile de suivre les péripéties des 9 étoiles qui croisent la vie de ton personnage.
Quant au jugement de Julian, relis ce que j’ai écrit, je n’ai pas dit qu’il était fade mais que la manière dont il était exprimé l’était. La nuance me semble avoir son importance.
Pour le reste, oui je trouve certaines de tes tournures maladroites, si je le signale, c’est qu’elle m’ont heurté l’oreille, ce n’est que mon point de vue tu n’es bien évidemment pas obligé de le partager il n’empêche qu’à partir du moment où tu nous soumets tes textes il faut bien t’attendre à ce qu’on ne soit pas nécessairement d’accord avec la manière dont tu perçois tes propres lignes.
Et pour finir sur le manque de réalisme, c’est vrai que d’une manière générale je trouve que certains de tes dialogues ont tendance à sonner faux. Qu’importe que tu te sois inspiré de scènes réelles, écrire, c’est aussi transposer la réalité et réussir à la faire vivre sous ta plume.
Et pour finir, je redis qu’il y a des choses vraiment bien vues dans tes lignes, je l’ai déjà souligné mais commenter c’est aussi mettre en évidence ce qui ne va pas, ce qui plait moins et je crois que quand on soumet ses textes au grand public il faut être prêt à l’entendre sans réfuter en bloc l’ensemble des remarques négatives qui peuvent être faites.

[Altair]

Je suis bien d'accord.
Non, nous ne développons pas d'intrigue, mis à part celle d'une existence qui s'écoule. C'est ainsi. Ceux qui auront été séduit par Julian pourront tout de même continuer à le lire sur notre site. Ici je me contenterai de poster des textes qui n'auront rien à voir avec les Etoiles d'Encre (ben oui j'vous abandonne pas non plus quand meme hein).

[Bételgeuse]

oh comme ça fait plaisir de tomber sur une Etoile dès mon arrivée sur ce forum !!! (oui oui je passe par la case présentation avant de continuer...)

[Krystelle]

Je suis bien d'accord.
Non, nous ne développons pas d'intrigue, mis à part celle d'une existence qui s'écoule. C'est ainsi. Ceux qui auront été séduit par Julian pourront tout de même continuer à le lire sur notre site. Ici je me contenterai de poster des textes qui n'auront rien à voir avec les Etoiles d'Encre (ben oui j'vous abandonne pas non plus quand meme hein).

Ben non, ne nous abandonne pas ! Et puis tu peux continuer à poster les fragments, même si on ne peut pas les savourer pleinement...
En tout cas, si tu as d'autres textes à proposer, oui ce serait une bonne idée de les poster, on les lira avec plaisir !

Et bienvenue Bételgeuse !

[Bételgeuse]

merci merci !!
je vais faire simple, je crois que mon premier texte publié ici sera un texte des Etoiles....

[Altair]

Oh non, Bétel est parmi nous maintenant ! C'est l'invasion stellaire qui commence...

[Bételgeuse]

hey oui, nous allons prendre le contrôle de toute la sphère littéraire d'Internet.. hehe......

préparez-vous... :p

[Loupbleu]

Je me permets de poster ici mes commentaires de 4 fragments, pour ne pas me répéter, j'espère que tu ne m'en voudras pas.

Fragment #190 :
- Peut-être un peu trop de phrases pronominales, un ton lyrique, parfois trop abstrait pour un rêve. Quelques tournures hasardeuses aussi... Je ne suis pas fan de ce ton en rupture, reste que l'épisode du rêve prend de l'ampleur imbriqué au milieu des #189 et #191, et ça j'ai beaucoup aimé, je tire même mon chapeau.

Fragment #191 :
- Tu dois pouvoir améliorer le passage des "valets", surtout le dialogue. Je trouve cet épisode plein d'idées EXCELLENTES, bien développées, et l'écriture a de la qualité. J'aime le côté incorrect qui dit sans juger. Bref, bravo !

Fragment #192
L'ensemble est encore très intéressant, de bonne qualité, plein de bonnes idées.
- Une petite réserve par rapport à #191 sur les propos moralistes du patron. Comme Krys, je trouve que tu peux améliorer les dialogues, les rendre plus "vrais" (donc peut-être une syntaxe plus relachée). Je trouve que tu peux encore affiner les passages où tu dévoiles les jugements de Julian :
Une piste (peut-être pas la bonne ?) est que les réflexions nous sortent parfois de l'action en devenant trop "générales", par exemple :
"Je n’aime pas me faire réprimander par un adulte.", tu peux peut-être remplacer par "Louis m'a parlé parle comme un adulte".

Concernant les dialogues, une autre piste de réflexion pour toi (à mon humble avis, quoi que tu le fasses par moment) : peut être explorer la différence entre ce que disent les gens et ce qu'ils pensent ou veulent dire, en ponctuant leur propos par des attitudes, des tons de voix, etc... A toi de voir !

Fragment #193
- Toujours les mêmes qualités, portrait bien vu, ton particulier. A titre personnel, j'aurais donné un aspect sympathique ou digne de pitié de ce vieux débris à pustule, créer ce petit décalage, ce doute; mais bon, là c'est pas moi qui écrit non plus !

"je voudrais dire ... haine des autres" : dans ce passage (très en verve), peut-être des phrases plus courtes pourraient avoir un effet plus percutant, et peut-être, qui suivent mieux le cheminement de pensée ?

Un petit clin d'oeil pour la façon dont tu réussis à parler de "Sarko", ça j'adore :-)


* * *

D'un point de vue général, concernant ses épisodes, j'ai noté et je redis que j'ai trouvé ça vraiment très bien, j'ai pris beucoup de plaisir à te lire. J'ai noté à titre perso principalement deux voies que tu peux explorer et peut-être améliorer sur la forme : les dialogues que tu dois pouvoir rendre plus réalistes, et les avis intérieurs du narrateur que je crois tu gagnerais à ne pas sortir de l'action.

Bravo, et au plaisir de te lire à nouveau très bientôt !

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