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Fragment #197

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Message  Altair Lun 2 Avr 2007 - 17:10

Dimanche 01 Avril 2007
Poissons d'Avril
Dijon
Julian

Maman aurait souhaité que je vienne manger à la maison pour les Rameaux, mais je n’aime pas ces fêtes, et puis il y a le boulot, et puis il y a Papa. Le Seigneur du Papier est un vieux chirurgien renommé, vous savez, c’est lui qui dirige la Clinique Saint Lucas à Dijon. En découvrant que j’avais arrêté la fac pour m’adonner à ce petit job de garçon de café, son sang a viré au blanc le plus pâle et terni sa face rigide, à en devenir diaphane. Je suis désolé Papa, je ne suis pas celui que tu aurais voulu, et même malade, tu n’as pas le droit de m’imposer une vie que je ne désire pas, même à coup de drogue-honte, cette angoisse liquide que tu instilles en moi depuis des années. Alors tu as changé de stratégie : couper les vivres. Cet argent qui paye mon appartement et ma nourriture depuis deux ans, tu le garderas pour Lilian. Après tout, lui se destine à la médecine, c’est ça que tu aimes, hein Papa ? Mais regarde l’ironie du sort, cher Père, contemple l’étendue du désastre. Toi qui a réparé tant de vies au cours de ta longue carrière, c’est toi qui désormais est victime d’un mal incurable. Car ce cancer qui te pourrit le cerveau, personne ne le guérira, et il sonne en toi le glas d’une mort proche à venir.
Pour la quatrième fois, j’ôte le poulpe en papier scotché dans mon dos. Ce petit jeu commence à devenir pénible. Je ne sais pas si Louis a réalisé qu’un poisson porc-épic s’est glissé sur sa veste. Jack n’a pas l’air plus au courant de cet hippocampe hagard qui bulle entre ses omoplates. Raies et murènes, poissons en tout genre, la faune aquatique en papier prolifère au Dionysos aujourd’hui. Mon regard balaie le bar pour discerner la source de la blague parmi les clients peu nombreux.
« Rentre et va voir ta mère, me lance Louis, amusé, je peux m’en sortir tout seul aujourd’hui. Ca lui fera plaisir.
- Je préfère être ici, dis-je en poursuivant ma recherche. »
Louis hausse les épaules et retourne dans sa « cabine », derrière le bar, cette pièce réservée au personnel du bar, c’est à dire lui et moi, ainsi que Michelle lorsqu’elle nous apporte les repas du midi.
Un garçon tout rond est assis à une table, sirote son ice tea en lisant un magasine. Il n’a pas l’air âgé de plus de dix ou onze ans. Je m’approche et m’installe à sa table, sans trop savoir pourquoi, mais déjà le feu a terrassé le lâche en moi.
« Qu’est-ce que tu fais ? je lui demande.
- Je fais des sudokus. Mais j’ai pas de crayon pour cocher les numéros, alors je dois tout mémoriser.
- Tu aurais pu m’en demander un, dis-je en sortant un vieux bic de ma poche.
- Vous n’aviez pas l’air sympathique, me répond-il aussitôt, en acceptant mon stylo. »
J’ouvre la bouche sans savoir quoi répondre. Mon visage sans sourire et chargé de glace est il réellement si antipathique ?… Le gamin joufflu, avec sa coupe en brosse, essaye le stylo dans le coin gauche en haut de son magasine, puis me le rend.
« Il ne marche pas.
- Ah. Désolé, je vais t’en chercher un autre.
- Non, laissez tomber. J’aime bien mémoriser les chiffres. Et vous avez toujours une seiche dans le dos, au fait.
- Une quoi ?
- Une seiche. C’est un petit animal qui ressemble à une pieuvre, d’ailleurs je pense que la personne qui l’a dessinée cherchait à ce que ç’en soit une, mais le résultat ressemble plutôt à une seiche.
- Tu es incollable toi, tu as quel âge ?
- Onze ans et demi. Je m’appelle Vincent, et vous ?
- Julian, moi j’ai vingt ans et un quart. Tu fêtes pas le premier avril avec tes amis Vincent ?
- Non, je trouve ce rituel vraiment stupide. Je préfère mes sudokus. »
Alors c’est ça, on peut être blasé à l’âge où l’on devrait s’émerveiller de tout ? Bien sûr, je n’aime pas cette fête non plus, mais à onze ans, il me semble que j’aimais ça encore. Et ce désenchantement précoce me chagrine un peu pour lui. En relevant la tête, j’aperçois Louis qui colle un requin marteau en papier, soigneusement découpé, dans le dos de la vieille Léonie.
Et si c’était moi, le jeune désabusé ?
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Message  Charles Mer 4 Avr 2007 - 7:03

Allez, je me suis lancé dans les fragments, et je commence par le dernier posté.

J'aime beaucoup celui-ci. On sent une vrai sensibilité dans ce texte, une vraie histoire, un peu triste, un peu drôle, un peu d'espoir, un peu de désenchantement ... Bref, la vie bien rendue sur papier ... bon, je m'en vais lire celui d'avant.
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Message  Sahkti Mer 4 Avr 2007 - 8:40

J'aime bien cette rencontre entre Julian et Vincent, ça reflète la fragilité de Julian qui joue les durs sans être très sûr de lui malgré tout. J'aime aussi le côté sobre de tes poissons collés dans le dos, ça ne tourne pas à grosse farce, tant mieux.
La sobriété est d'ailleurs une des qualités que j'apprécie le plus dans tes textes, c'est épuré, j'aime bien ça.
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