L'Eléphant

[Mériam]

(Un ptit clin d'oeil à mon copain Platon dans sa caverne ;-) )



- As-tu déjà vu, au cirque, le numéro des éléphants ?
Tu sais, cet énorme pachiderme qui doit peser pas bien loin de plusieurs tonnes ?
On peut le voir, souvent, qui d'un gracieux mouvement de trompe, élève dans les airs, une jeune et jolie acrobate toute en paillettes, afin de la poser délicatement sur son dos.
As-tu déjà vu ce tour ?
Ah! Alors tu as sans doute remarqué comme ce mouvement souple et tranquille lui semble aisé, à notre gros mammifère.
Comme s'il ne sagissait pas d'une jeune femme qu'il soulève, mais plutôt d'une toute petite brindille pas plus lourde qu'une plume.
C'est dire, si sa force est collossale n'est-ce pas ? Quel drôle d'animal tout de même ! Tout en force et pourtant si docile.

On dit d'eux, qu'ils ont une excellente mémoire. Qu'un éléphant n'oublie jamais rien, le savais-tu ?
Oh oui, je vois bien à ton air que tu le sais déjà, ne te fâche pas !
Et toi-qui-sais-tout, je suppose que si tu as réussi à me débusquer ici, alors que tout le monde regarde le spectacle, c'est que tu dois être plutôt curieux hein ? et que tu as aussi jeté un coup d'oeil derrière le grand rideau rouge, je me trompe ?
Dans ce cas, tu as dû apercevoir le deuxième ?
Oui, celui, qui n'est pas en ce moment même tout concentré à ne pas faire tomber notre étincelante acrobate au sourire professionnel, mais qui est placidement immobile, au milieu de toute la ménagerie.

Laisse moi te poser une petite question alors, Mr-Je-Sais-Tout.
As-tu poussé ton investigation jusqu'à remarquer cet énorme bracelet de fer qui enserre le pied de notre gros éléphant qui somnole là derrière le rideau ?
Mais oui, un gros bracelet de fer muni d'une non moins grosse chaîne toute en maillon d'acier.
Non ?
Ahah, pas si curieux que ça en fin de compte hein.
Bah, ce n'est pas grave, tu n'auras qu'à l'imaginer dans ce cas. Enfin, si tu veux bien faire confiance à un vieux clown comme moi qui a perdu toutes ses dents.
Alors, dis moi, maintenant que tu peux te la représenter cette grosse chaîne au pied de notre éléphant, peut-être peux-tu deviner, à quoi elle est attachée à son autre extrémité ?
Forcémment, rien de difficile là dedans, à l'autre bout, il ne peut y avoir qu'une grosse caravane, ou même une grosse structure... Bref, quelque chose de plus gros et surtout plus lourd que notre ami aux grandes oreilles.
Quelque chose qui l'empêcherait à coup sûr, si jamais l'idée subite lui prenait, de se libèrer.
Bien sûr, ça paraît logique, après tout.
On ne sait pas trop ce qui se passe dans la tête d'un éléphant en captivité.
Avec sa si grande mémoire, qui sait s'il ne se souvient pas de ses longues ballades dans la savane ?
Du goût de l'air ou de celui des feuilles les plus hautes, qu'il arrachait sur l'arbre... De leur goût sucré et tendre... Qui sait s'il ne désire pas retrouver ce goût là, tu sais, celui de la liberté ?

Donc, comme on ne sait pas trop ce qu'il pense et que nous, nous devons le retenir ici parce que c'est bientôt son tour d'entrer en piste pour notre plus grand divertissement, il y a forcémment, au bout de cette grosse chaîne, quelque chose de très résistant.

Mais, et si moi, je te disais, qu'en fait, cette grosse chaîne n'est reliée qu'à un tout petit arbre, frèle et minuscule. Autant le dire, à presque rien en somme, rien, en tout cas, que notre éléphant ne puisse déraciner sans même une crispation d'effort.
Aha ! Je vois à ta tête que tu n'es pas loin de passer ton chemin, en te disant que je ne suis pas seulement édenté, mais aussi complètement sénile.
Parce que si je disais vrai, pourquoi donc, ne se servirait-il pas de sa collossale force, pour s'enfuir tout simplement et retourner aux goûts suaves des feuilles sur l'arbre et de la terre qui l'a vu naître ?

Mais vois-tu, je ne suis pas sénile et à l'extrémité de cette grosse chaîne, il y a bel et bien un tout petit arbre.
Car la captivité des éléphants, en fait, repose sur un secret.
Oh ! C'est un secret bien gardé crois moi. Un secret qui ne se transmet en général que de père dompteur à fils dompteur.
Tiens tiens... Ton oeil brille tout à coup. Tu n'as plus l'air de vouloir passer ton chemin.
Allez, assieds-toi va, je vais te le raconter ce secret.

Lorsque tu veux capturer un éléphant, vois-tu, surtout s'il est destiné à tourner en rond sur une piste étoilée, avec un chapeau ridicule et une acrobate grimaçante sur le dos, tu dois le capturer très jeune.
Bien sûr, tu dois savoir qu'au début, il fera tout pour s'échapper.
Aussi, tu devras lui enchaîner une patte dont tu attacheras l'autre extrémité, cette fois à un très gros arbre... De préférence un arbre centenaire même, afin qu'il résiste aux tentatives musclées de ton éléphanteau pour se libérer.

Une fois bien attaché, disons que tu n'auras plus qu'à faire preuve de patience et veiller à bien nourir ton animal.
Pendant des jours et des jours, il va se débattre et tirer de toutes ses forces sur sa chaîne, tenter même de déraciner l'arbre qui le retient.
Mais que peut faire un jeune éléphanteau contre un arbre centenaire !? RIEN mon ptit ! Absolument rien !
Les chances sont inégales car tu y as veillé personnellement.

Cela va durer longtemps.
Chaque jour, il rassemblera ses forces pour se libérer, son courage pour briser ses chaînes et sa captivité...
C'est tétu un éléphant, d'autant que ça n'oublie jamais rien, tu le savais ? Et c'est un combat qu'il renouvelera chaque jour, inlassablement, parfois même jusqu'à l'épuisement..
Mais bien sûr, rien n'y fera, car que peut faire un éléphateau contre une arbre centenaire ?
Tout à fait mon ptit, rien !

Puis, un matin, ou peut-être même un de ces beau soir, tu sais où le ciel s'embrase, tu trouveras ton éléphant parfaitement calme et placide, comme celui que tu as vu dans la ménagerie.
C'est que vois-tu, après avoir tenté de se libérer pendant des jours et des mois, notre jeune ami aura appris la première leçon de sa nouvelle vie : il n'est pas assez fort pour briser sa chaîne !

En ce jour précis, où il va graver cette sentence en lui même et l'accepter comme une évidence, toi, qui es dompteur, tu sauras que tu viens de gagner un nouvel animal à faire tourner en rond.
Plus encore, un éléphant qui ne tentera jamais de s'enfuir.

Car le secret, le voici.
Par la suite, ton éléphant va grandir, prendre en force et en puissance. Une puissance qui pourrait bien lui servir à briser sa chaine en fin de compte, voir même à déraciner n'importe quel arbre quand on y pense. Et pourtant, il ne fera jamais une seule tentative en ce sens.
Plus jamais d'ailleurs il ne s'y risquera, sais-tu pourquoi ?
Il n'est tout simplement pas assez fort.
C'est ainsi qu'il se verra désormais et pour toujours.
Pas assez fort pour déraciner l'arbre ou briser sa chaîne...

Alors, toi, si tu es jeune dompteur, peut-être même que ce sera ton premier éléphant qui sait, à ce moment là, tu sauras.
Tu sauras, parce que tu le tiens de ton père, que désormais, tu pourras attacher ton éléphant où tu veux. Qu'un petit arbre fera tout aussi bien l'affaire qu'un gros en fait, car à partir de ce jour maudit, et ce quelque soit sa force à l'âge adulte, vois-tu, ce n'est plus l'arbre ou la chaîne qui le retiendront captif.

Tu sauras à partir de ce jour maudit oui, que la seule chose qui le retiendra captif sa vie durant, c'est ce qu'il croit de lui.

[mentor]

Dommage pour le « Tout à fait mon ptit, rien ! », ça dénote, ça fait tâche.
Parce que ce texte est superbe. Un vrai conte avec une vraie « morale ». Et une morale qui tient la route.
Au lieu du vieux clown édenté, tout au long du récit j’entendais plutôt la voix d’un sage tibétain par exemple, qui parlerait à un jeune étudiant d’une lamaserie perdue.
Deux pages pour en arriver là, eh bien ce n’était pas de trop même si parfois ça n’avance pas très vite. Mais c’est le fond qui veut ça.
Bravo Mériam

[Krystelle]

Ce texte a des allures de conte philosophique et cette idée là me plaît. L'écriture est posée, fluide et rend la lecture agréable. Je regrette juste la dimension peut-être trop didactique de ce texte, ses redites qui ralentissent beaucoup le rythme.
Enfin, je parlais plus haut de conte philosophique, j'aurais peut-être aimé qu'il soit traité avec davantage d'humour et de second degré, un peu à la Voltaire pour donner plus de force au message.
Un bon moment de lecture malgré tout. Au plaisir de te relire !

[Loupbleu]

J'aime beaucoup ce texte !
J'aime beaucoup le contenu, philosophique, un peu cruel, mais surtout la façon dont tu le fais passer : la "mise en scène", le lieu, le monologue dans un style oral, tout ça se sont d'excellentes idées. Ce qui fonctionne très bien c'est aussi de présenter a du côté du dresseur et pas du côté d'un éléphant victime. J'ai pensé à "la chute" de Camus qui utilise la même forme monologuée pour un texte aussi à portée philosophique.

Un petit reproche, il y a peut-être un peu trop de "je te disais", "en te disant", "laisse moi poser une question", "tu sais", "n'est-ce pas", etc. bref toutes ces incises du langage oral qui sont très bien vue mais un peu trop nombreuses et parfois redondantes.

Un petit mot sur la construction très organisée du texte ( la force / la mémoire / l'éléphant attaché / la méthode de dressage (mettant en jeu force + mémoire). Et c'est bien pensé et architecturé pour qu'on ne sente pas trop cette construction.

Une suggestion (à essayer) : raconter l'histoire un tout petit peu plus vite.

Une seconde suggestion : l'histoire est très bien, l'idée d'un clown édenté narrateur est bonne, mais je suis un peu frustré de ne pas en savoir un peu plus sur ce clown. Il pourrait parler de lui d'une façon qui fasse résonance avec l'histoire (bon, c'est plus facile à dire qu'à faire !).

En tous cas, un fort bon moment de lecture !

[Charles]

Lecture très sympa, un joli conte. Rien à redire, je me lui laissé embarqué avec grand plaisir.

[Mériam]

Merci à tous pour vos commentaires et remarques

C'est vrai que ce petit texte je le voulais un peu comme un "enseignement", à la manière de Platon, la façon dont il amène son sujet et la conclusion qui s'impose, du coup effectivement ça a les défauts du didactique je dirais : point d'humour, des répétitions voulues mais qui peuvent paraitre un peu lourdes.

Mentor : oups ! le "Mon ptit" j'y tenais parce que ça me semblait coller avec ce que pourait dire ce clown, mais effectivement à la relecture, j'ai surtout vu que deux phrases plus haut il y a exactement la même phrase ! à corriger donc héhé

Loupbleu : comme toujours, des conseils bien avisés, merci
J'avoue que lorsque je l'ai corrigé, je l'avais déjà pas mal réduit en longueur, et que j'ai tenté de suprimer le plus de "n'est-ce pas" 'tu sais" "vois-tu" ... pfffiu pas facile en fait, j'ai peut-être parfois manqué de solutions pour remédier à ça mais il est forcémment possible de le rendre encore plus fluide, faudra que j'essaie ;-)

Deux petites choses rigolotes, "La chute" est un de mes livre préféré et précisémment pour ce monologue unique qui moi me fait toujours rêver ! quelle maîtrise !
Pour le clown, j'ai eu le même regret que toi, je me suis demandé si je construisait un peu plus autour de lui, mais j'ai eu peur que ça me fasse partir dans 2 directions et qu'au final ça nuise au message qu'il veut transmettre.
Mais peut-être que c'est faisable aussi surement d'ailleurs.

Voilà en tout cas merci pour toute ces nouvelles pistes ;-)

[Sahkti]

Bon... ben... suis désolée hein, déformation professionnelle si on veut, mais j'ai pas vraiment trouvé que c'était à la manière de Platon.
Tout d'abord parce qu'il n'y a pas le côté professoral doctrinal cher aux platoniciens et puis parce que ce n'est pas une démonstration sous forme de dialogue que tu proposes ici mais un questionnement qui sert de base à quelques réflexions.
Ceci n'est évidemment qu'une parenthèse et ça n'enlève rien à la qualité de ton texte, c'est juste que quand on parle philo, je chipote toujours un peu :-)

J'ai bien aimé ce texte qui ressemble à un conte mais aussi à autre chose, une leçon de vie un peu indéfinissable. Le ton est plaisant et le rythme agréable. Je déplore cependant de temps en temps une certaine familiarité entre le narrateur et son interlocuteur, qui ne cadre pas vraiment avec ce ton de vieux sage qu'il emploie.
L'histoire est en tout cas très belle et la dernière phrase superbe!

[Zou]

Je ne vais pas redire ce qui l'a déjà été et auquel j'adhère si ce n'est que comme toi, je ne pense pas en effet qu'il eut fallu s'attarder d'avantage au clown si ce n'est peut -être pour le décrire un peu.
Par contre quelques mots sur Mr "Je sais tout" auraient peut-être été utiles, justement pour comprendre pourquoi il est appelé comme ça.
Sinon au delà du texte, je me demandais si ce conte était basé sur les méthodes utilisées réellement pour "apprivoiser" les éléphants ou si le tout était pure fiction. Voilà.

[Lyra will]

Je me suis posée des question aussi sur ce Mr-je-sais-tout, et je trouve que ça fait drôle au milieu de tout, tu n'en dis pas assez, et je trouve que la situation et la relation entre les interlocuteurs n'est pas assez claire dès le départ
Sinon quelques maladresses dans le style parfois, mais dans l'ensemble ça me plait, on rentre facilement dans l'histoire, on s'attache à cet éléphant, c'est à la fois très curieux et original... ça retient notre attention tout du long
Un regard sur la captivité des animaux sauvages très intéressant, franchement j'aime beaucoup!
L'image de l'arbre est bien trouvée
ça donne envie d'en lire d'avantage!

[Loupbleu]

Bon, en philo, je sors un peu de ma caverne, mais question Platon, c'est plus dialogue que monologue. L'impression que j'en ai eue : Socrate explique tout un truc, après il demande : Et toi t'es d'accord ? Et l'autre mec, il répond que ben oui, il est d'accord (bon, à ce moment, on soupçonne un peu quand même qu'il en a marre de l'autre qui le saoûle, c'est pour ça qu'il répond oui). Après on raconte que c'est c'est l'autre mec qui a accouché de la vérité, même que ça s'appelle la maieutique, pour faire savant. (Pardon Sahkti :-, et les enfants qui passez une épreuve de philo, surtout n'écoutez pas les délires de tonton loupbleu !).

Bon.

Finalement, tu as raison je crois Mériam : c'est exact que ton message est clair. L'idée de développer l'histoire du clown, ça aura sans doute pour effet - pour objectif - de brouiller ce message, pour que le texte multiplie les interrogations. Ca peut rendre le texte moins philosophique, mais ça peut être aussi intéressant. [Une idée que j'ai eue en passant, pas géniale ni très originale, mais bon, je la dis : le clown pourrait conclure que pour lui c'est plus difficile, parce qu'il ne sait pas à quoi il est attaché.]

[Mériam]

oula oula riiiiiilaaaax ;-)

Je n'ai pas cherché à faire exactement "à la manière de Platon", même si c'est vrai qu'au départ, j'avais envisagé qqch sous forme de question réponses... Mais bon heuuu je suis pas Platon hein et j'ai tout de suite vu que ça ne donnerait pas grand chose.

Toutefois, une petite question, j'en profite héhé puisque je tiens des experts, La Caverne, est aussi sous forme de question/réponse ?
Je croyais me souvenir que justement là ça n'était pas le cas... Qu'il y avait bien des questions, mais pas de réponses. Qu'il parlait effectivement à qqn, mais que ce quelqu'un restait silencieux ?

En tout cas merci pour toute ces précisions

[benedicte]

j'ai adoré ce texte, je peux vous donner une petite précision sur les animaux dans les cirques, mon compagnon est acrobate de cirque et en général, il y a toujours des exceptions, les numéros avec des animaux sont à la limite de la maltraitance malheureusement

[Loupbleu]

T'inquiète pas Mériam, c'est "rilax" ici, et généralement on est plus branché mythe de la taverne que de la caverne :-) [bon, je sais, je me répéte un peu d'un fil à l'autre...]
Pour les questions philos, je conseille Sahkti qui est (pour de vrai) une véritable experte en la matière !

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