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PEEA : Des oliviers, un hêtre et le vent

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Krystelle
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Charles
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Message  Charles Lun 2 Oct 2006 - 13:42

(Spinoza, Éthique III, déf. aff. 30 et 31) “La gloire est une joie qu’accompagne l’idée de certaine action nôtre, dont nous imaginons qu’elle est louée par d’autres.”

Avant de commencer la lecture, histoire de se mettre dans l’ambiance, un peu de musique
http://www.madredeus.com/flash.asp?primeiro=false&linguagem=EN
en haut, sélectionner une des chansons 1 ou 2 ou 6

Des oliviers, un hêtre et le vent

La ferme adossée à la colline regardait fièrement la vallée du Rio Alva. Sa maison principale aux murs blanchis à la chaux se présentait rustique et chaleureuse. Elle ne semblait pas vivre dans le souvenir de ses jours de joie où des rires d’enfants la traversaient et des bouffées de sirocco claquaient ses portes et fenêtres. Elle paraissait toujours croire que ses jours reviendraient.

Il ne restait plus que mon vieil oncle pour la faire vivre. Au milieu des meubles poussiéreux, des candélabres et des pierres froides, il était heureux. Du moins, il l’affirmait à ses visiteurs. Ou plus exactement, il me l’affirmait puisque je ne crois pas qu’il ait eu d’autres visites depuis des années. Non pas qu’il ne fut pas aimé ! Tout juste oublié, isolé volontaire, vivant quasiment en autarcie. Quelques chèvres lui offraient le lait, quelques lapins et quelques poules la viande, sa vigne lui donnait son vin et le reste n’était que littérature.

Même s’il ne m’en disait rien, je crois qu’il appréciait ma venue autant que j’aimais sa compagnie. J’avais toujours l’impression de rencontrer un vieux sage, peut être aussi enviais je sa liberté, ce petit coin de calme balayé de toute haine, de tout bruit, baigné des odeurs de vignes, de chèvrefeuille et des soirées d’été. Ces soirées d’été que je savourais parfois avec lui, le silence d’une petite brise dans les branches des pêchers, les lumières de la vallée, une boisson fraîche en main, assis dans l’herbe, le dos contre la pierre. La douceur d’une mélodie de Madredeus en tête. Et la discussion commençait pour le vieillard philosophe. Je me souviens d’une seule.

- tu sais Joao, tu as compris beaucoup de choses mais il te manque la plus importante !
- Laquelle, ô grand maître !
- Moque toi, moque toi ! Je sais que ton cœur écoute malgré le sourire que me renvoie ton visage ! Il te manque un but, une ligne de vie ! Que fais tu, que veux tu ? Tu va travailler, tu te reposes, tu viens me voir, tu dors, tu manges et puis …
- C’est déjà beaucoup, non ?
- Oui, tu vis ! Mais tu laisses passer le temps, tu attends le hasard, tu ne sers à rien !
- Que veux tu que je fasse ? Que je me fasse connaître, recherche les honneurs, l’argent, la gloire ?
- La gloire, pourquoi pas ? Mais pas ta gloire. Celle que tu sais, c’est la célébrité, celle qui te fait passer à la télévision, dans les journaux, celle qui repose sur une imposture plutôt que sur des mérites. La gloire, c’est faire le bien, donner le bonheur. Sentir que l’on est utile, aimé, c’est se sentir glorieux, admiré, ému de dispenser la joie. Tu comprends ?
- Je crois, oui.
- Te souviens tu t’être senti fier d’avoir donné du bonheur par tes actes ? Et là, je ne te parle pas d’un quart d’heure par ci, par là, je parle d’une vraie quête du bonheur, d’une envie viscérale de voir des visages heureux, de gommer les grimaces, de remplir les ventres vides, de panser les douleurs …


Comme souvent, je n’avais pas réfléchi à tout ça. Des années plus tard, une rencontre, un mariage, un enfant m’avait éloigné de ce jardin de Babylone, quelques centaines de kilomètres vers l’ouest. D’embouteillage en heures supplémentaires, de varicelle en visite chez le pédiatre, peu à peu, mes visites s’espacèrent et les années commencèrent à peser lourd sur mon oncle. Puis un soir, un coup de fil étrange, une vieille femme inconnue s’inquiète, mon oncle a disparu. Plus de trace de lui depuis une semaine. Il était bien malade et alité la majeure partie de la journée, elle s’occupait de lui et un matin, sa visite journalière, plus personne dans la maison. Après quelques temps, elle s’alarme, fouille dans les papiers et trouve mon nom, m’appelle au secours. S’en suit une discussion assez courte avec ma femme, je m’arrange pour quitter Lisbonne pour quelques jours, le temps d’éclaircir le mystère, le temps aussi de m’évader un peu vers la quiétude de ma vie d’avant.

****

Aux rues pavées de Covilha succédaient les chemins de terre menant à la quinta da Canhoso. Les ornières poussiéreuses trimballaient ma voiture en tous sens et j’arrivais à la propriété, mon dos de néo-citadin fatigué. La vieille femme était là, devant l’entrée, sur une chaise de bois et de paille, les cheveux aussi noirs que son regard malgré son âge avancé. Je ne me souvenais pas l’avoir déjà rencontré. Elle m’accueillit avec soulagement, me fit entrer et m’expliqua à nouveau sa surprise devant le lit vide.

- Depuis plus de dix jours, il ne quittait plus du tout son lit, je venais le matin, le midi et le soir pour le nourrir et le soigner. Il ne pouvait plus se lever. Je ne sais pas quelle bizarrerie s’est passée ici mais ce n’est pas possible qu’il soit parti seul et pour aller où ?
- Et vous avez regardé partout dans la maison et dans les bâtiments attenants ?
- Evidemment ! Il m’avait donné toutes les clés pour que je puisse nourrir les quelques bêtes qui lui restaient. Quel malheur est passé par ici … Un homme si bon.
- Depuis quand était il malade ?
- A peine trois mois. Un mardi qu’il venait nous aider à l’hôpital comme à l’habitude, il a eu un malaise…
- Il venait vous aider à Covilha ?
- Hé oui, il n’a jamais raté un rendez vous ! Tous les mardis et jeudis. Il ne vous l’avais pas dit ?
- Non ! Je croyais qu’il ne descendait jamais à la ville.
- Il était très secret. Il ne nous avait pas parlé de vous, non plus.
- Mais que faisait il à l’hôpital ?
- Tout et rien à la fois ! Il suffisait que je lui demande de venir pour qu’il me réponde invariablement : « Ce que femme veut Dieu le veut ». Certains jours, il emmenait des vieillards en promenade, d’autres, il allait distraire les enfants malades. Parfois, il leur amenait des cadeaux. Il ne supportait pas de voir la souffrance ou la tristesse. Il gesticulait, parlait, agissait jusqu’à la faire disparaître de tous les visages. Il absorbait le malheur partout où il pouvait. Mais on ne prend pas la douleur des autres sans revers et la fatigue l’a rattrapé ce maudit mardi.
- Que s’est il passé ?
- Oh rien d’extraordinaire, un malaise banal. On s’est inquiété, on l’a forcé à faire des examens et puis, ils ont découvert qu’il était condamné.

Ainsi, dans la même matinée, j’apprenais que mon oncle avait un jardin secret et qu’il allait nous quitter, à moins que ce ne fut déjà le cas. Je décidais de rester dormir à la quinta da Canhoso et d’explorer les alentours pendant les jours suivants. En vain. Mes recherches à l’intérieur de la maison eurent plus de résultats, j’allais de surprise en surprise. Je découvrais que je ne le connaissais pas. Il avait aménagé le grenier pour en faire une sorte de bibliothèque rustique où s’entassait sans trop de soins des centaines de livres jaunis. Il avait également noirci des dizaines de cahiers d’écoliers dans lesquels je découvrais des sortes de lettres qui m’étaient adressées. Je passais d’ailleurs la nuit suivant cette découverte à déchiffrer les lignes de cet homme qui avait la calligraphie hésitante de ceux qui n’ont pas appris à l’école. Dans la plupart, il me parlait comme on le ferait dans un testament, comme un ange gardien s’adresserait à son protégé. Il m’enjoignait à ouvrir les yeux, à m’installer à Canhoso, à changer de vie.


****

Le soir suivant, le vent s’était levé et venait s’écraser sur les flancs de la Serra da Estrela. La ferme grinçait sous les rafales sifflantes et derrière une fenêtre, je contemplais les champs d’oliviers ébouriffés et joyeux. Les arbres semblaient vivre et s’animer. Je n’avais jamais remarqué auparavant ce majestueux hêtre, un peu courbé. Pourtant, il devait avoir un bel âge. Il me regardait lui aussi, il savait que je voulais rester, il l’avait deviné. Il ne me restait plus qu’à convaincre ma femme et mon fils de quitter Lisbonne mais le vent me chuchotait que se serait chose facile.
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Message  Zou Lun 2 Oct 2006 - 15:35

Une douce ambiance teintée de sagesse et d'humanité.
J'aurais aimé une fin moins abrupte et savoir ce qu'il en était advenu de ce vieux monsieur.
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Message  Krystelle Mar 3 Oct 2006 - 7:51

Les mots coulent, tu nous offres une jolie ballade parmi les hêtres, les oliviers et les âmes que tu esquisses. La fin est arrivée sans que je l'ai vraiment vue venir, peut-être parce qu'elle n'en est pas vraiment une, peut-être aussi parce que j'aurais aimé que le texte nous bouscule davantage, qu'il nous offre autre chose que cette force tranquille, cette sage sérénité qui ressort de tes lignes.

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Message  Yali Mar 3 Oct 2006 - 8:30

Un texte bien écrit, doux et sage et plein de qualités narratives. Trop sage peut-être ?

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Message  Charles Mar 3 Oct 2006 - 9:36

Zou a écrit:J'aurais aimé une fin moins abrupte et savoir ce qu'il en était advenu de ce vieux monsieur.

j'avoue avoir été un peu pris par le temps et le nombre de signe. J'avais en tête une fin plus longue où peu à peu, le narrateur se poseraient des question sur ce hêtre, apparu depuis peu, jusqu'à s'interroger : ce hêtre ne serait il pas mon oncle ... bref, une fin un peu fantastique...
Mais par manque de temps et de place, j'ai conclus très vite (trop vite ?) en suggérant à peine, entre les lignes, que le hêtre et l'oncle puisse ne faire qu'un.


Yali a écrit:Trop sage peut-être ?

pas de ma faute, depuis l'école, j'ai toujours été sage comme une image ;-)
promis, Krys et Yali, si je le reprends pour en faire une version longue, je serai moins sage :-)
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Message  mentor Mer 4 Oct 2006 - 15:51

« Il absorbait le malheur partout où il pouvait. Mais on ne prend pas la douleur des autres sans revers ». Belle phrase qui en dit long. Le texte est grave et profond. Ecriture parfaite cela va sans dire. Guère plus à ajouter, merci Charles.

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Message  Sahkti Mar 10 Oct 2006 - 12:26

Il y a de très jolis passages dans ton texte Charles, des mots touchants et une noblesse d'émotion. On sent que ce récit a été écrit en grande partie avec la coeur, il y a beaucoup d'âme. peut-être un peu trop de narration pour le cadre de cet exo, ça serait mieux dans un texte "à part", sans contrainte, mais sinon c'est bien et c'est beau.
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Message  Loupbleu Mar 10 Oct 2006 - 12:47

Je trouve moi aussi que c'est vraiment bien écrit (des phrases bien construites, variées, bref, réussi).

J'aime la fin où tu esquisses le fantastique, et si tu as envie de continuer ce texte, ça me semble une très bonne idée. Tel quel, le texte est un peu sage, manque peut-être d'un peu de substance, et l'idée de poursuivre en faisant monter cette intrigue, un peu de stress, ça peut donner encore plus de corps.

Allez, je résiste pas, j'ai souvent l'idée en lisant les textes de véliens, mais paf, ça tombe sur toi : pourquoi ne pas te fixer un petit challenge ?
Tu pourrais continuer ce texte selon ton idée de départ et puis par exemple le présenter à un concours de nouvelles (pas trop pour le concours, mais histoire d'avoir un objectif auquel se tenir...) ?

En tous cas bravo pour ce texte !
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Message  Charles Mar 10 Oct 2006 - 12:55

Et ben, merci les amis ! ça fait plaisir ! Loup, je vais tenter de relever le défi ! Enfin, dès que j'aurais terminé le Loiseau avec Mentor ...
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