IL FAISAIT CHAUD : "Le morpion"

"Il faisait chaud, bouillant, humide et je savais que ça allait être une journée très longue..."

Je repose le livre, retire mes lunettes et souris.
Ces paroles pourraient être celles d’un morpion.
Un morpion au bout du rouleau.
Ca doit bien arriver, non ? Un morpion qui a envie de vacances et pas le ressort de se tirer tout seul.
Lui faut lotion, médication et friction pour se faire la belle, le morpion. Et si l’hôte est un peu mou côté entretien et bien c’est foutu, les journées sont effectivement longues et l’horizon bouché une fois qu’on en a fait le tour.
Finalement, c’est un peu mon cas.
Des années que je ne trouve plus aucun attrait à mon épouse, que les enfants n’en trouvent plus à la maison et que moi je ne trouve pas le courage de me tirer.

- Jacques, tu penses pouvoir prendre tes congés en juillet ou en
août ?
- Chantal ! Nous sommes en octobre ! C’est pas un peu prématuré comme question ? Et puis de toute façon, tu ne t’embarasses jamais plus de savoir quand j’ai congé. Ca fait des années que nous ne partons plus.
- Ben, je me disais que l’année prochaine, on pourrait partir ensemble.
- Chantal, je rêve ? Tu es tombée sur la tête ?
- Ben non mais si tu le prends comme ça…
- Non, non, c’est juste que je suis…Comment dire ? Etonné, oui c’est ça, j’en reviens pas
- OK, on en reparlera alors, mais ça me dirait que l’on parte ensemble.

Et bien ça alors, je suis sur le cul ! Banal pour un morpion, mais quand même !
Ceci dit, je ne me fais pas d’illusions non plus. L’été est encore loin.

Je replonge dans ma lecture mais mon esprit flotte à la surface des pages.

"Il faisait chaud, bouillant, humide et je savais que ça allait être une journée très longue..."

Je nous revois Chantal et moi en Crète à l’occasion de notre voyage de noces.
Elle, posant tout en décolleté assise sur l’une des grosses pierres ocres jalonant les ruines du Palais de Knossos. Moi amoureux comme un fou la mitraillant de mon reflex le jour et la pressant de mes étreintes la nuit.
C’est vrai que les journées étaient trop longues et les nuits trop courtes à cette époque.
Puis les années ont passé, le reflex n’est plus guère sorti de son étui, mes étreintes se sont détournées.
Mes bras ont enserré d’autres tailles restées plus fines et mes mains ont carressé d’autres peaux parfois moins blanches.


"Il faisait chaud, bouillant, humide et je savais que ça allait être une journée très longue..."

Jacques, je t’en prie rentre vite, avait-elle sangloté. La rareté de ses appels et les larmes que je devinais baignant son visage m’avaient arraché au bureau. Pas le temps de passer par la pointeuse. Lorsque je suis rentré, je n’ai vu que le morceau de papier blanc posé sur la tablette du hall.
« Stéphanie a été renversée par une voiture, nous sommes au centre hospitalier ».
C’était le premier jour des vacances scolaires.
Les couloirs de l’hôpital avaient dèjà l’air d’être en congé. Les médecins se faisaient rares et peu de choses nous distrayait de l’angoisse que nous avions vissée au ventre.
Les infirmières avaient l’air de flotter, voiles blanches sur vinyl bleu. Nous étions prostrés dans la touffeur de la salle d’attente. Stéphanie était au bloc depuis des heures maintenant. Seuls les chirurgiens en sortirent. Ma petite chenille, comme je l’appelais, ne deviendrait jamais papillon.


"Il faisait chaud, bouillant, humide et je savais que ça allait être une journée très longue..."

Comme celle où Chantal n’a téléphoné au bureau pour me dire qu’elle me quittait. Qu’elle en avait marre de m’entendre psalmodier d’autres prénoms féminins durant mon sommeil, marre des réunions de travail qui se terminaient régulièrement aux petites heures, marre que je partage mon petit déjeuner avec le journal en l’ignorant sciemment et patati et patata.
J’ai cru qu’effectivement elle ne reviendrait pas.
La journée fut longue, la nuit aussi pour le coup.
Mais au petit matin, elle était là sur le seuil, blafarde, le regard hébété et notre chat blanc dans les bras. Elle était plus en colère contre elle même d’avoir renoncé à sa fugue que contre moi.
On en n’a jamais reparlé.
A partir de ce moment là, elle s’est définitivement transformée en robot conjugal.
Excellant dans les tâches d’exécution, ne prenant plus aucune initiative et désormais privée de la capacité d’éprouver la moindre émotion. Elle brillait toujours autant en société mais d’un éclat métallique, froid. Elle n’aurait plus pu séduire qu’Asimov.


"Il faisait chaud, bouillant, humide et je savais que ça allait être une journée très longue..."

Dans la boîte, ça faisait des semaines que les syndicats négociaient avec les patrons. Ce jour là jusqu’au finish. Il faisait nuit depuis longtemps. On voyait au travers des vitres de la salle de réunion, sous les néons blancs, les nôtres en bras de chemise qui s’épongeaient le front. Les boss avaient aussi tombé la veste mais ils étaient toujours en retard d’une cravate. Eux ils essayaient d’éponger la dette d’une entreprise trop longtemps mal gérée.
La nuit n’avait pas plus rafraichi l’athmosphère que les esprits.
Le lendemain, mon nom figurait sur la liste des sacrifiés.
Chantal n’a toujours rien remarqué, ça fait deux ans.


"Il faisait chaud, bouillant, humide et je savais que ça allait être une journée très longue..."

Ils ont de ces sujets dans ces bouquins pour apprentis écrivains !
Mais bon il faut bien entretenir son imagination et sa plume.
C’est elle qui nous fait vivre maintenant.
Voyons, où ais je mis mon cahier ?
- Chantal, tu n’as pas vu mon cahier ? Le blanc !
- Si. Le voici. Quand tu auras terminé ton rapport, on se fait un morpion ?

De la dérision pour un sujet délicat. Bien trouvé, écrit, traité. Touché. 5 croix alignées ;-)

Très beau texte. Je me demande si tu regardes Desperate Housewives? Enfin passons, la rémanence de la phrase crée une atmosphère assez oppressante et une montée de panique qui s'efface à la fin. J'aurais peut-être préféré que tu laisses tomber le jeu de mot de fin sur le morpion, ton texte aurait été plus fort.

Idem que Giny pour la fin avec le morpion, ça ne me paraît pas indispensable. Et la tournure de la phrase avec Asimov n'est pas très heureuse.
Sinon, belle atmosphère, pleine de gravité et de cynisme. La répétition de la phrase apporte un "plus" au texte, ça le renforce.

...Et Beh!...ça commence doucement, se poursui dans le sordide, passe par le tragique, le tragi-comique...la vie quoi!...et des portraits bien sentis...

...Le style est trés agréable, la construction au cordeaux....j'aime!...

Un très beau texte très émouvant. J'ai remonté l'index pour m'assurer qu'il était bien de Zou !
Zou, d'habitude tu es d'humeur légère dans tes petits poèmes rigolos mais ici, c'est un beau texte, très dense, très émouvant, certaines images sont très évocatrices.
J'aime beaucoup le refrains qui revient entre chaque épisode : c'est très bien construit.
Oui, vraiment, c'est un texte de grande qualité.

La reprise de la phrase initiale scande le texte et te permet d’éparpiller les souvenirs d’une manière originale.
J’aime bien aussi le mélange d’humour et d’amertume.
Je crois pourtant que tu aurais pu donner davantage de profondeur à ce texte et ce type. L’image du morpion, par exemple, est intéressante et aurais mérité, je crois, d’être filée d’une manière un peu plus poussée et recherchée.
Me manque à ce texte une dimension personnelle, une âme un peu particulière pour que le personnage ne s’apparente pas uniquement au prototype du raté.

Il y a beaucoup de qualité dans ce texte, dans l'écriture, des trouvailles, il passe aussi de l'émotion, mais l'ensemble, notamment la façon de conduire la narration me laisse un peu perplexe. Pour moi, il y a aussi peut-être des choses trop elliptiques dans les relations entre les personnages.

Voilà, en conclusion beaucoup de choses intéressantes, mais je pense que je suis passé un peu à côté de ce texte là.

Tout d'abord, le titre m'effrayait beaucoup. Je me disais, ça y est, Zou a perdu la tête, elle a écrit un texte sur des cochonneries sexuelles... et je m'imaginais déjà Giny applaudissant ton texte (non, je plaisante Giny!)...

Mais jolie surprise à la lecture! La façon que le texte est contruit donne un bon souffle, un rythme et un flot...

Ceci dit, j'ai trouvé que tes dialogues en début de texte sonnaient un peu faux.

En sommes, une assez agréable lecture! Merci!

Un texte triste sans être lourd, traité avec justesse sur chaque sujet. La phrase comme un refrain lie l'ensemble de façon poétique mais n'aide pas à faire un lien chronologique. Je me suis un peu mélangée dans l'ordre des sujets abordés par rapport au premier.
Mais j'aime beaucop le ton employé.
J'ai juste buté sur "ça me dirait que l'on parte ensemble".

ben mince
zou, j'adore
dans l'ensemble et dans le détail
ça n'a cessé de m'étonner dans le fond comme dans la forme

je ne cesse de dire que j'aime ta gouaille, mais là... d'autres cordes à ton arc... juste bravo

J'ai beaucoup aimé ton texte Zou, plein de trouvailles, fond comme forme me plaisent, juste le dernier jeu de mots, je suis d'accord pour dire qu'il n'est pas nécessaire, le texte aurait encore plus de force sans.
Sinon, vraiment très beau !

Pourquoi choisir quand des journées bouillantes et humides, il y en a des tas??? Tu as vraiment construit un excellent texte, le rythme, surtout, la récurrence du morpion, vraiment, c'est drôle et attachant, intelligent surtout.