Douze variations sur un faire-part

1.
Une cousine

C’est parti. A chaque fois ça me serre la gorge. Bach, surtout. En avant la musique et j’ai le nez qui coule
Voilà j’essuie discrètement, mine de rien, décontractée, ma grande. Le grand brun assis derrière, ça va il t’a lancé un coup d’œil en entrant : faut pas qu’il te voit te tortiller comme ça.
C’est beau, l’orgue.  Pourtant les mariés les baptisés les morts les gens qu’on accompagne… j’ai pas d’émotion. Les robes les sourires, les cloches les vitraux les bougies… tout ça, du toc.
Mais un choral de Bach et je pleure

2.
Le bedeau

’voit bien qu’ils mettent jamais les pieds à l’église. Quand même pas compliqué de prévoir ! Un ou deux petits billets pliés dans la poche et on fait ça discrètement. L’autre, là : - non j’ai changé de sac, et toi, t’as pas pris ton portefeuille ? gnagnagna et je te ressors la monnaie du boulanger. Mince, pas demain qu’on va faire étancher la fuite à la sacristie

3.
Une « ancienne » « amie » géologue

Tu as l’air heureux. C’est vrai ? Tu m’oublieras ?
Comme je t’ai promis que tu arriverais à le faire ?
Ou tu ne m’oublieras jamais comme tu me l’as promis ?
Ni l’un ni l’autre cher complice mon ami mon beau petit sourire –comme je le connais celui-là.
Tu vois, il y a ce moment : maintenant. Cet aujourd’hui avec ton bonheur, ta présence, ton omniprésence et moi presque une absence. Et puis il y aura d’autres moments, d’autres temps  et toute une sédimentation comme un paquet de callovien supérieur au quaternaire
Et finalement nous, nous, ce sera comme une vieille photographie longtemps oubliée

4.
Lui

Hier, j’ai écrit à I. Que le lendemain, j’allais me marier.
Avec « la femme que j’aime le plus au monde. Et en ce moment précis c’est à toi que je ne peux m’empêcher de penser. A toi. A notre rencontre, ton bikini violet, à tes bras, à tes cuisses, à tes baisers, à tes larmes, à nos départs, à nos retrouvailles. A nos jamais, non, jamais »
Avec la femme que j’aime le plus au monde, voilà : j’ai eu besoin de lui écrire

5.
Sept ans, peut-être huit.

J’ai envie. Je vais encore pas pouvoir me retenir, je sens que c’est déjà un peu mouillé au bout. Et cette vareuse, ce qu’elle est serrée sous les bras. En plus la casquette. On dirait… tsss, j’espère que les autres ne feront pas attention, avec les socquettes blanches la culotte courte et la casquette.
Aurore, sa maman lui a mis une grande robe, légère et pâle. Elle est jolie, Aurore.
Plus tard, je m’habillerai en fille

6.
La grand-mère

Elle est bien fraîche, cette petite. Bien fraîche.
Si ça se trouve personne n’y a encore jamais touché
… c’est les plus novices qui feront les plus beaux cocus

7.
Elle

Si tu me trompes, je te tue.
Je n’aurai rien à perdre, je te tue. Tu le sais –tout le monde le sait- je ne supporte pas l’échec. Une vie, deux vies, je te tue. Un coup de poignard, comme au cinéma. Une petite dague florentine, cachée sous l’oreiller. Tu dors et je te tue. Un coup franc, dans le cœur, sans trembler, rester sourde aux sons, au bruit que tu ferais, se concentrer sur la main, tenir serré le temps de voir couler le sang beaucoup de sang sur la literie blanche. Si tu me trompes, je te tue

8.
La collègue de bureau

La pôvre, quelle journée ! Le coiffeur la mairie l’église la famille, la fête … boire et tout ça. Et en rentrant… moi déjà que j’ai toujours mal à la tête après

9.
Passé l’âge, et assez strict

De bien jolies épaules, cette femme. La robe, très ajustée, je trouve. On devine, on devine même, oui, la marque de sa culotte. Petite, cette culotte, petite.  Je sais bien que… oui, la fête, les amis, mais enfin celle-ci, ou celle-ci encore devant, on dirait un concours. Et alors celle-là ! Vraiment ! En plus que… Quand même, et Dieu dans tout ça

10.
Un gars du labo

Et moi, qui voudra bien de moi ?
Je sais, je n’ai pas vraiment de défaut. Grand, ça oui : grand. Mais pas de charme. Pas de…charisme. Bon je suis doué aux échecs. Mais ça nous mène où les échecs. Quelle fille un peu bien roulée va vouloir faire sa vie avec un mec qui joue aux échecs. Un nageur, un pompier, oui. Pas un joueur d’échecs. Pour voir, oui. Mais pas pour la vie

U., lui, au moins il est drôle. Une phrase par ci trois mots par là et elle s’anime. Simple, on dirait qu’elle fleurit. Pas comme Z. Elle quand elle rit on a peur qu’elle éclate. Quel tombereau, un camion de gravats à la décharge. J’aime pas les gens qui rient tout le temps. Pour rien. C’est vrai quoi. Ça  me met mal à l’aise. Je sais, d’un certain côté, c’est pas en restant triste comme le pluie qu’elles vont s’intéresser à moi. La femme de U., elle ne m’aurait jamais remarqué, même avec ma nouvelle cravate et mes class’ de chaussures italiennes

La femme du U., c’est très bien sa robe avec une seule bretelle, mais tout à l’heure quand ça va être moins calme, si ça bouscule un peu, montée comme elle est à nous la liberté. Ah tais-toi tais-toi et si et si et si j’avance mon pion il met le cheval elle sort sa tour
Mon pauv’ vieux, t’as toujours un coup d’avance mais t’es jamais là où il faut

11.
Le père

Je me souviens.
Quand tu es née. Quelques jours après. Tu dormais, je t’ai prise dans mes bras. Tu as ouvert les yeux. Grands.  Je t’ai dit – un jour un jour je serai à ton bras dans une église et tu me quitteras. Tu partiras avec un autre. J’ai pleuré, ce jour-là, j’ai pleuré.
Mais aujourd’hui tout va bien. Juste mes chaussures neuves qui sont un peu serrées.

12.
Qui passait par là.

C’est beau, le rayon de soleil juste dans la tête de l’ange à travers le vitrail. Ça fait une petite marque rouge, là, juste derrière la mariée. Ça doit bien vouloir dire quelque chose, non ?


...

et pour fortuite qu’elle soit, toute ressemblance avec une personne ayant réellement existé n’en serait pas moins due au hasard

c'est tout bon ça !

merci !