Blanche-Gorge

[M-arjolaine]

Quand j’ouvris les yeux, je me rendis compte de deux choses. D’abord, j’étais nue sur mon lit. J’avais froid, et mon corps tout entier était parcouru de petits frissons ténus. Ensuite, et c’était bien le plus étonnant, Clémentine était couchée à côté de moi.

« Tu as des seins supers tu sais ?
- Ne les regarde pas ! »

Je cachai mon corps sous les draps blancs. Elle me laissait contempler le sien. Il était splendide ; le galbe de sa poitrine parfaite provoqua en mon être une vive émotion, que je voulus dissimuler en me tournant face au mur.

« Laisse-moi voir ! demanda-t-elle.
- Tu sais, j’en ai un peu honte quand ils se mesurent aux tiens ! »

J’obéis toutefois, et me découvris lentement. Clémentine s’approcha de moi avec douceur.

« Quand ils se mesurent… ? » chuchota-t-elle.

Elle tendit l’échine, et la pointe de son sein pâle se posa sur mon téton. Nous restâmes immobiles. Ces deux mamelons s’affrontant sans bouger étaient notre seul contact. Ma peau frissonnante appelait la chaleur de son corps. Sous la peau de ses mains, des veines pourpres dessinaient un réseau fascinant. Elle devait être aussi gelée que moi. Oserais-je… ? Allons ! Voilà que son pied effleurait mes orteils. Sa jambe s’enroulait autour de ma taille. Mais toujours, cette obsédante lutte entre nos deux poitrines, qui se touchaient dans un silence si exaspérant que j’en devenais folle. Qu’elle cessât de m’effleurer pour coller son merveilleux ventre tout contre le mien ! C’était-elle qui avait commencé à m’exciter de la sorte ! Elle devait prendre les devants !

Elle semblait se pourlécher de me tenter si puissamment sans que je n’aie le courage de faire quoi que ce soit. Mes pensées s’agitaient dans ma tête. « C’est une amie ! C’est une fille ! Et si elle me trouvait trop rude ? Je suis la plus masculine de nous deux, je ne veux pas me sentir être un homme ! Je n’ai jamais fait ça ! Est-ce que mon corps est doux ? Est-ce que ma langue saurait aimer une femme aussi bien qu’elle sait aimer un homme ? »

Je crus que j’allais mourir tant j’avais envie d’elle. Et puisque j’étais le mâle, dans ce tout nouveau couple, ce fut moi qui me jetai à l’eau, et la pris dans mes bras.

Je ne saurais expliquer ce que je ressentis ; je tenais contre moi ce qu’il y avait au monde de plus doux. Je sentais nos seins fatigués de leur bataille se reposer les uns sur les autres, et s’embrasser tendrement. Que faisions-nous ? Nos lèvres ne rencontrèrent ni la bouche, ni le corps de celle que nous enserrions, rien, le simple fait de parcourir de nos mains froides le corps inconnu et merveilleux de l’autre suffisait à nous rendre extatique. J’avais aimé des hommes, et aimé leur brusquerie de parfois. J’aimais voir remuer les épaules de celui à qui je faisais l’amour, et sentir sa force, et la violence tempétueuse des baisers qu’il me donnait. Mais je découvrais tout à coup un amour physique tout à fait nouveau, où rien ne pouvait me procurer davantage de plaisir qu’un simple doigt de fille, posé sur mon dos, ou sur ma blanche gorge.

Clémentine soudain, m’empoigna les épaules, et mon corps remua malgré moi. Je sentis mon bas-ventre effleurer une seconde seulement le duvet qui recouvrait le sien, et ne pus contrôler la montée d’un violent orgasme entre mes reins. Elle me regarda jouir. Je tombai dans ses yeux. Je fermai les miens.

Quand je les rouvris, je me rendis compte de deux choses. D’abord, j’étais nue dans mon lit, mais j’avais chaud, très chaud, le cœur battant la chamade, et les jambes très serrées. Ensuite, et c’était bien le plus étonnant, j’étais absolument, complètement et tristement, seule.

[Invité]

Un bien étrange texte, M-arjolaine ! Je suis heureux que tu t'essaies à de nouveaux horizons. Ton écriture me paraît plus sobre que de coutume, l'instantané de qualité, la réflexion inscrite dans les thèmes que tu traites habituellement, à savoir la perte de l'enfance, la découverte de la sensualité et les questions que cela pose, sans qu'interfère cette fois un registre absurde ou loufoque. Il confère habituellement au texte toute sa saveur mais il ne manque pas, ici. Je ne suis pas sûr d'avoir compris la chute mais apprécie l'effet de parallélisme avec le début de la nouvelle.

Quelques remarques :
- « - Ne les regarde pas ! » : pour les dialogues, le tiret ne suffit pas, il convient d'employer le tiret cadratin (Alt + 0151) ou à la rigueur son homologue le demi-cadratin ;
- « Qu’elle cessât de m’effleurer » : cette tournure exclamative avec du subjonctif imparfait est-elle possible ? Je ne l'ai jamais rencontrée. « Qu'elle cesse ! », oui, « qu'elle cessât », pas sûr… ;
- « C’était-elle qui » : pas de trait d'union ;
- « de faire quoi que ce soit. » : si tu emploies le subjonctif imparfait au-dessus, autant poursuivre le délire jusqu'au bout ;
- « suffisait à nous rendre extatique. » : « extatiques ».

[Invité]

Un joli petit morceau d'érotisme soft ( et ce n'est pas un reproche) abordé avec élégance.
Voilà qui change de ton registre habituel !
Je regrette la fin laissant entendre qu'il s'agissait d'un rêve.

[Jano]

Voilà une facette qu'on ne te connaissait pas. Ce n'est jamais facile de se renouveler mais visiblement tu es sur la bonne voie. Tu es parvenue à te débarrasser d'un fantastique sanguinolent pour une histoire délicate tout en retenue.

[Janis]

c'est joli, et délicat
j'aime bien l'obsédante lutte
mais je souris à Je sentais nos seins fatigués de leur bataille se reposer les uns sur les autres, et s’embrasser tendrement
parce que j'ai une image cocasse (une montagne de seins se reposant - zzzzz - , qui s'embrassent en plus !)
Je me permets parce que parfois malgré moi je fais sourire par des formulations outrées !

[Invité]

Quelques petites maladresses dans l'expression, un ou deux passages trop rapides, mais dans l'ensemble, une expérience d'écriture qui te va plutôt bien.

[CROISIC]

J'ai eu seize ans, je lisais Françoise Mallet-Joris, Violette Leduc et j'avais les mêmes fantasmes ou rêveries. Je suis ravie Marjolaine que ta narratrice donne du plaisir à
son corps plutôt que le hacher menu.

[Lyra will]

Cette phrase me fait rire :

Allons ! Voilà que son pied effleurait mes orteils

Sinon, ça me plait et me parle, je trouve ça sensible, un peu triste et assez drôle aussi.

[Ba]

Voilà un joli " rêve familier"...

[hi wen]

Ensuite, et c’était bien le plus étonnant

mmm.
ça sent l'intellectualitude.

cixousement votre.

[hi wen]

où rien ne pouvait me procurer davantage de plaisir qu’un simple doigt de fille, posé sur mon dos, ou sur ma blanche gorge.

oiseaux-oiseaux.
je n'y connais rien en médecine chinoise.
points névralgiques, lignes de champs magnétiques, tout ça.

je trouve le texte courageux. de nous exposer qu'il y aurait du haïshu (j'invente) dans le ying en passant par le wang.

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