La ferme

[Ba]

- Dites-donc, vos poules sont-elles bien gardées ?
- Je ne vois pas ce que vous insinuez par les trous de nez, je surveille mes moutons
- A vous voir on penserait plutôt que vous épinglez des mouches avec du vinaigre
- Vinaigre vous-même qui étouffez le quidam dans le formol
C’est ainsi que commença l’horrible histoire de la ferme à ma tante. C’était une vieille parente du côté d’un ami commun de mes géniteurs. Lequel était plus commun pour mon père et plus ami pour ma mère qui n’avait pas froid à la gaine.
Cette dame fort vaniteuse, prétendait par monts et par veaux qu’elle était la meilleure pour combler un homme, surtout marié, les soirs d’hiver.
Tout semble confus à qui ne connaît pas l’histoire de cette famille. Moi-même, bottée de la tête aux pieds, glissée dans une salopette champêtre ai beaucoup de mal à me retrouver dans la meule de foin. Appelons ce personnage Gasparine. Laissons-la habiter une lointaine campagne près d’une gare, d’un axe autoroutier et de chemins pierreux à souhait. Flanquons-la d’un époux épais, gris de cheveux et d’idées, un peu mou du… mais dur en arpents. Regardons les vivre avec une fille qui rêve de s’enfuir par l’A20 direction « ailleurs pourvu que ça dure ». Mélangeons les jours et les nuits et les jours qui s’ennuient. Et puis, coup de paratonnerre, invitons un couple de citadins lyophilisés à venir s’installer dans la bâtisse d’à côté vendue pour une mouchée de pain.
Ils se rencontreront un dimanche matin sur la place du village, à la sortie du bar ou de la boulangerie.
- Bonjour, je crois que nous sommes mitoyens
- Bonjour, en effet. Vous avez emménagé le 22 septembre dernier à 15h45.
- Quelle précision !
- C’est ma femme qui m’a fait remarquer que vous n’étiez pas d’ici. A cause de la voiture. En plus, vous avez mis vos meubles dans le chemin, ce qui a empêché ma fille de passer en Solex
- Ah, c’était votre fille… cette charmante ?… Comment dire jeune… personne… qui… atchoum !
- A vos souhaits ? monsieur ?
- Le rhume de foin me saisit tous les automnes, c’était pareil à…
- Norbert tu ne devrais pas couper la parole à monsieur Rhume des foins ; je m’appelle Gasparine Trouniche, fille de Gaston Trouniche et de ma mère Antoinette née Mare, nous sommes naquis ici comme notre fille unique Mirabelle Trouniche… Quand même, c’est drôlement coïncident que vous vous appeliez Rhume des foins et que vous soyez venu loger à la campagne. Pour un peu je dirais que c’est le destin de dieu qui vous a semé ici.
- Chère madame, permettez que je rectifie une erreur, je ne m’appelle pas du tout…
- Gasparine tu ferais bien de rentrer avec Mirabelle. Les vaches vous attendent. Monsieur Rhume des foins, je m’excuse que ma femme vous tienne la jambe mais nous devons partir. A la bonne heure de nous revoir.
- Au revoir donc voisins. Au plaisir. La prochaine fois je vous présenterai ma femme.
- C’est ça, c’est ça, la prochaine fois.
Sur ces mots voilà nos Trouniche en train de fuir sur les chemins. Madame et monsieur le souffle court, se hâtent en soulevant la terre sèche. Mirabelle les précède sans un mot, l’œil collé sur les panneaux bleus des changements de direction « Paris, Nice, Pékin » elle ne sait plus très bien si la géographie est un mensonge d’historien ou l’inverse. Elle écoute les pots d’échappement et les sifflements des antennes radio. Qu’importe la direction pourvu qu’on ait l’ivresse. Ou… Elle creuse sa mémoire et finit par hausser les épaules.
Les Trouniche vont bon pas. Gasparine tourne dans les poches déformées de sa vieille robe, ses mains rugueuses creusées par les travaux rustiques. « Ce bonhomme Rhume des foins et pas mal fichu malgré son nez qui coule. Changerait bien de l’autre qui s’encroûte rassis ».
Les mains s’impatientent, triturent un fil égaré, serrent le désir sous leurs ongles crasseux.
Le soleil très las penche une tête de fin de séjour sur ces trois qui passent.
Je vois bien le long de ce creuset si province authentique de notre beau pays, une haie ou deux de peupliers chauves, quelques plumes noires entre les branches, tête de corbeau ou de corneille sèche, compagnons des heures sans pain rongées de reproches fermés. Pour un peu je saisirais leur vol glauque sur les champs crevés par les étés arides.
Au-dessus des Trouniche plane un ciel métal bon marché. Les pierres accrochent leurs semelles. Les jambes gonflées s’alourdissent. Chacun tourne son manège sans émoi. Chacun voltige.
Enfin le toit familier, qui ne « fume » pas encore, accroche les regards et l’on peut sentir le relâchement des épines dorsales, l’affaissement des épaules de ceux qui rentrent au bercail.
La ferme est là, qui les attend, baraquée au bout du chemin. Et le voisin aussi. Un mouchoir à la main. Planté près du panneau « Attention vache méchante ».
Gasparine arrache aussi sec le fil vagabond.
Ses yeux mouillés détaillent « Rhume des foins » pendant que Mirabelle surprise, trébuche sur une racine et s’étale de tout son long…

[Lamarjo]

C'est le deuxième texte de toi que je lis. J'avoue que j'ai vraiment besoin de m'accrocher, il y a eu à chaque fois un moment où je me suis demandé " mais... c'est qui le narrateur en fait?", je n'ai peut-être pas le recul nécessaire ou l'état d'esprit adéquat, je ne sais pas, bref, comme l'impression que quelque chose m'échappe ( quoique moins avec celui-ci que l'autre " Le cri du calcaire"). cela dit j'aime beaucoup le ton de tes textes, et aussi je trouve qu'ils regorgent de trouvailles stylistiques, c'est ludique et fin, et donc globalement j'aime bien.

[Invité]

libertin. tu continues ?

[Invité]

Je sens déjà que je vais m'attacher à cette Gasparine, BA, elle est ... prometteuse de délices multiples !

[CROISIC]

Ah la vache ! Je suis de la famille "Rhume des foins", la fille.

[mentor]

Je suis de la famille "Rhume des foins", la fille.

et moi Rhum de loin ;-)

Ba, j'aime toujours autant ton univers et ton style.
J'ai ressenti des accents Outretemporels dans certaines expressions, ce qui est un compliment.
J'espère aussi une suite !

[MémoireDuTemps]

Je n'ai pas fait attention au détail... après tout un auteur est libre de ses phrases.
En lisant le style, l'expression, il y a une vraie personnalisation, un vrai talent potentiel qui me donne envie de lire d'autre chose de votre prose...
Tout ça pour dire que je ne terminerai pas votre texte, ni ce soir, il est tard, ni demain au réveil. On m'a dit récemment sur un de mes textes : quel gâchis... pour le vôtre je préfère la formule "si vous ne voulez pas vous perdre, écrivez un texte intéressant, vous avez le talent pour écrire autre chose que ces mots qui ne constituent qu'un assemblage fade, plat, sans saveur, mal préparé, trop cuit, décousu, sans but"
La seule chose qui ferait passer serait une sauce préparée avec humour... eh bien non cela y a pas... je chercherai sur l'archive d'autre chose pour vérifier si votre talent trouve parfois à se sublimer... Désolée !

[Rebecca]

Un univers impitoyable qui fait froid dans le dos. En quelques touches acides, avec ton style unique et déjanté, tu fais surgir ce qui nous menace quand le paysage se retrécit au strict minimum avec ciel plombé, oxygène raréfié, rêves tronqués, espérances étriquées, peaux aigries. Quoique ? Tout peut arriver dans ce monde désolé, suffit d'un élément déclencheur. Un voisin vous manque et tout est encore plus dépeuplé ?
J'adore cet humour ravageur en filigrane bien que l'on sente déjà, et j'en frémis d'avance, poindre les prémisses d'une tragédie, et les tragédies rurales nous le savons bien, ne sont pas les moins cruelles ni de ce fait les moins hilarantes.

[Janis]

j'aime beaucoup la folie douce de tous tes textes
c'est marrant, la fraîcheur de l'écriture se marie fort bien avec une certaine noirceur - non, pas noirceur, plutôt une cruauté jubilatoire - j'adore ça

[Invité]

Je lis avec délice mais surtout avec attention car je sais, je reconnais chaque mot à sa place, chaque mot précisément choisi, celui-ci et pas un autre de substitution, pour dépeindre au plus près cet univers si particulier. C'est ce que j'aime dans ton écriture, cette rigueur dans la fantaisie, cette maîtrise teintée d'humour. Précieux travail de fourmi. Et résultat en conséquence.

[Invité]

Pour moi, une écriture solide au service d'un tableau lucide, où l'ironie et la tendresse ne sont jamais loin.

- « - Dites-donc, vos poules sont-elles bien gardées ? » : dialogues, tiret cadratin « — » (Alt + 0151) ;
- « je surveille mes moutons » : point ;
- « A vous voir » : « À » (Alt + 0192) ;
- « A vous voir on penserait plutôt » : virgule après « voir » ;
- « avec du vinaigre » : point ;
- « dans le formol » : point ;
- « par monts et par veaux » : jeu de mots, j'imagine ? ;
- « glissée dans une salopette champêtre ai » : virgule après « champêtre » ; « j'ai » ;
- « Regardons les vivre » : « regardons-les » (trait d'union) ;
- « - Bonjour, je crois que nous sommes mitoyens » : en plus du tiret cadratin, point ;
- « à 15h45. » : « à 15 h 45 » (espaces) ;
- « A cause de la voiture. » : « À » ;
- « ma fille de passer en Solex » : point ;
- « Comment dire jeune » : après « dire », points de suspension ou virgule ;
- « A vos souhaits ? » : « À » ;
- « monsieur ? » : majuscule ;
- « A la bonne heure de vous revoir. » : « À » (j'adore, du reste !) ;
- « Au revoir donc voisins. » : virgules : « au revoir, donc, voisins » ;
- « Madame et monsieur le souffle court » : virgule après « monsieur » ;
- « tourne dans les poches déformées de sa vieille robe, ses mains rugueuses » : pas de virgule ou virgule après « tourne » ;
- « Je vois bien le long de ce creuset si province authentique de notre beau pays, une haie » : même problème. Ou bien pas de virgule, ou bien une virgule après « bien ».

[Phylisse]

La "pose" des personnages (j'adore ceci : Regardons les vivre avec une fille qui rêve de s’enfuir par l’A20 direction « ailleurs pourvu que ça dure ».) en début de texte est savoureuse, les expressions détournées malicieuses (j'ai presque été déçue après je m’excuse que ma femme vous tienne la jambe, je m'attendais à voir la fermière accrochée au pantalon du voisin, genre...), et quelques métaphores superbes comme ce soleil très las qui penche la tête.

Quelle atmosphère en tout cas, si bien décrite, ça sent bon la campagne !

[elea]

J’espère être bientôt de nouveau embarquée dans une aventure des Trouniche, avec autant d’art et d’humour c’est un régal ! Cette manière de trousser et malmener des personnages est assez jubilatoire. Mais la tendresse qu’on sent pour eux évite la caricature gratuite et les rend attachants.

[hi wen]

en vous lisant, j'avais l'impression de me promener dans une broquante.

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