Assise à une table

[loic]

Un matin de travail embrase les toitures
Aux comptoirs fourbus percolant l’amertume
Des manutentionnaires, cœurs en désinvoltures
Evident leurs existences colorées au bitume

Assise à une table
Ces brutes m’envisagent
Tandis que mon rimmel
S’évapore comme larmes

Je suis comme ces quartiers, qu’ils mènent sur le dos
Afin de les rassir au fond des chambres froides
Crochetés par la hampe sous les rails de frigos
Et mon cœur est glacé sur mon âme si roide


Assise à une table
Ces brutes me dévisagent
Tandis que mon rimmel
S’évapore comme larmes

Tant bien qu’elle existât tendresse de pacotille
Je ne vends que l’ersatz dans leur haleine forte
Bravaches maladresses qu’ils adressent aux filles
Devenant mes enfants, ces grandes brutes accortes

Assise à une table
Ces brutes m’envisagent
Tandis que mon rimmel
S’évapore comme larmes


Et tous dans ce bistrot, temple de nos misères
Nous ne servons à rien en ces aubes chétives
Bâtis de convoitises, de rancœurs amères
Toutes nos vieilles envies stationnées sur la rive

Assise à une table
Ces brutes m’indiffèrent
Tandis que mon rimmel
S’évapore comme larmes

[Invité]

Loïc, le rimmel, c'est plutôt tenace, difficile à enlever... on voit bien que tu n'en as jamais mis !
Mais ça n'enlève que peu à ton poème, bien que je ne retrouve pas la grâce de ceux qui parlent de terroirs et d'usines, curieusement.
Dès la premièer strophe, le phrasé est rugueux, ça ne coule pas en bouche. je veux bien, il s'agit de travail et c'est rarement du sirop.
La construction du " refrain" relève d'une figure de style bizarre dont j'ai oublié le nom, qui fait qu'on aurait tendance à croire que ce sont les brutes qui sont assises à une table, n'était l'orthographe.
Et j'ai vraiment coincé sur accortes pour qualifier de grandes brutes !

[Janis]

c'est vrai, c'est toujours beau et bellement tourné mais peut-être moins fort
le thème ?
la narratrice à laquelle on ne croit pas tout à fait ?
peut-être avec un Elle, plutôt qu'un Je ?

[Invité]

Moi j'aime beaucoup ça : tu me fait encore penser à Fréhel, plus que jamais.

[Invité]

Le cap ou la chanteuse ?

[Marvejols]

Je suis dans la même appréciation que Coline. Bien que ça m'ait des airs de Piaf ("Moi j'essuie les vers derrière le comptoir" etc.) je n'adhère pas, on sent ele travail, la recherche des mots. Je préfère quand Loïc parle de la dureté ou de la misère à travers les choses, les ruines ou les paysages industriels, la houille et le fer. Avec la matière humaine c'est plus dur sans doute. Mais cela ne veut pas dire que je veuille l'en dissuader (perseverare ...diabolicum!).

[Invité]

Je suis d'accord pour dire que "s'évaporer" n'est peut-être pas le mot qu'il faut pour le rimmel et que le "brutes accortes " surprend.
Il y a autre chose qui me chiffonne. Techniquement :
"Assise à une table
Ces brutes m’envisagent"

ne fonctionne pas. L'apposition ("assise à une table") ne peut pas se rapporter à un nom différent ("ces brutes"). En d'autres mots, la partie en apposition et le sujet de la phrase doivent être les mêmes.

Sinon, j'ai aimé de nouveau ce tableau réaliste, en particulier la première strophe strophe.

[Marvejols]

Techniquement :
"Assise à une table
Ces brutes m’envisagent"

L'apposition ("assise à une table") ne peut pas se rapporter à un nom différent ("ces brutes"). En d'autres mots, la partie en apposition et le sujet de la phrase doivent être les mêmes.

Oui, c'est la fameuse faute de français -de plus en plus fréquente y compris chez les étudiants et journalistes- que l'on étudiait jadis pour l'éviter: le "Et pleurés du vieillard il grava sur leur tombe" de La Fontaine (ça doit être le Vieillard et les 3 jeunes hommes).

[Invité]

Le cap ou la chanteuse ?

La chanteuse, eh ! nouille :

Si je n'étais pas devenu tellement lâche
pour avoir toujours sans relâche
frôlé mon cœur à ton sein nu
je te tuerais comme une chienne
gueuse qui m'a perfidement
trompé pour un nouvel amant
sans même qu'un remord te vienne

J'y plongerais dans ton sein nu
qui tous les tente
la lame rouge et tremblotante
du premier coutelas venu
et je crèverais de piqûres
tes yeux au regard caressant
de fille appelant les passants
le long des ruelles obscures

je les brûlerais d'un tison
tes lèvres roses
tes lèvres qui disent des choses
où somnole une trahison
et je balafrerai tes hanches
tes flancs et leur duvet cendré
de quelques croix de Saint André
faisant sillon dans tes chairs blanches

mais quoi tes lèvres m'ont menti
j'en veux encore
menti tes yeux – j'en veux encore
en implorant ton repenti(r)
je vais à nouveau sans relâche
frôler mon coeur à ton sein nu
puisqu'hélas je suis devenu
à force de t'aimer si lâche

C'est vrai quoi, nous les mecs (les macs), on a bien aussi le droit de s'exprimer !

En passant, si l'un d'entre vous me trouve cette chanson enregistrée par Fréhel, je lui paye des chocolats pour Noël.

[loic]

aussitôt que je sors du champ lexical industriel c'est ma fête...

merci a vous quand même :)))

[Invité]

C'est la rançon du succès, Loïc ! Fallait pas nous habituer à de tels régals. Maintenant, on fait la fine bouche, comme des enfants gâtés !

[Jano]

Assurément cette poésie manque cruellement de fluidité. Quand on la prononce à voix haute, la langue fourche sur plusieurs mots ou expressions : "percolant l’amertume", "mon âme si roide", "ersatz", "brutes accortes".
Le thème est également bancal, comment une fille de bar peut-elle avoir un langage aussi soutenu que le premier quatrain ?

On a l'impression que tu as tellement forcé ton écriture sur ce coup là, Loic, qu'elle en devient alambiquée et perd tout son naturel.

[Marvejols]

Jano, le premier quatrain à mon avis relève d'un narrateur extérieur omniscient. Il fixe un tableau, comme un cadre au mur. Il est l'introduction prononcée par l'aède sur fond léger de lire qui s'échauffe.

Une fille de bar peut parfaitement soutenir ce niveau de langage (vous savez dans certains pays la corrélation entre la qualité du langage et la catégorie socio-professionnelle n'est pas aussi étroite et enfermante qu'en France: en Italie par exemple vous rencontrerez régulièrement des "filles de bar" ou des ouvriers et employés qui parlent fort bien et dont vous n'auriez pas deviner le job à leur langage, ou vous trouverez régulièrement un gars du pays qui vous parle naturellement avec grande culture des peintres du Quatrocento...). Enfin, la fiction permet tout et que les romains dans Ben-Hur parlent américain ou français ne vous a jamais choqué.

Pour le reste je suis d'accord avec vous (vous êtes plus "clinique" que moi) mais on ne va pas le massacrer Loïc.

[Contenu sponsorisé]