RIP
4 participants
Page 1 sur 1
RIP
Je cherchais un endroit tranquille où mourir. Ou plutôt, un endroit où célébrer les funérailles de celui que j’avais été. Mais surtout, j’avais une victoire à fêter. Victoire sur moi-même ou sur les autres, je n’aurais pu le dire. Peu m’importait. C’était fini.
Le combat avait été long et âpre. Le prix à payer durant toutes ces années m’avait semblé tellement injuste et disproportionné que j’avais souvent songé à laisser tomber, pour de bon.
Mais les railleries et les insultes qui m’avaient coûté sang et larmes résonnaient à présent en moi comme des échos lointains. Mes poignets lézardés de stigmates boursouflés étaient les seuls vestiges qui subsistaient de cette époque révolue.
De mes dix-sept TS traitées à grand renfort d’abrutisseurs, je ne gardais que le souvenir vague des psychiatres au sourire faussement bienveillant. Je les entendais encore me seriner que la vie vaut la peine d’être vécue et qu’il existe d’autres moyens d’attirer l’attention. Quelle bande d’imbéciles ! C’était bien tout le contraire de ce que je souhaitais. J’en avais assez qu’on me remarque. J’aspirais juste à me fondre dans le tout, à être comme les autres. À être heureuse ou ne plus être.
« Il faut vous soigner », répétaient-ils mécaniquement, armés d’une pléthore de cachets que je devais prendre pour mon bien.
Dans cette société formatée par des carcans arbitraires, c’est une pathologie d’être mal dans sa peau et malheureux. Pour ces éminents praticiens, l’important était d’attribuer un nom au dysfonctionnement, pas de comprendre. Quelle ironie ! Moi qui haïssais ce monde pour ce qu’il me faisait endurer depuis des années, je revendiquais désespérément le droit d’en faire partie. Mais pas à leur façon, jamais !
Il était hors de question d’admettre que j’étais malade et que tout irait mieux en les laissant me traiter.
Ma dix-huitième tentative fut évitée in extremis, lorsqu’au terme d’un long et pénible processus d’évaluation psychologique, on me donna enfin la possibilité de vivre ma vie.
Le traitement fut lourd et douloureux, mais je l’endurai stoïquement. Naître enfin !
Je dus me battre durant quelques années supplémentaires et, par une matinée ensoleillée de juin, la confirmation arriva par la poste : j’avais gagné.
Deux semaines plus tard, après un crochet par la mairie, je me rendis au cimetière. Quoi de plus approprié pour célébrer des obsèques ?
Il était mort, cet autre moi qui m’avait accompagnée depuis ma naissance. Je l’avais détesté, haï, j’avais voulu le tuer à dix-sept reprises, mais tout était pardonné à présent. Je sortis ma vieille carte d’identité et la regardai une dernière fois avant de l’enterrer.
« Repose en paix, Emmanuel.»
Je pris la nouvelle et la contemplai en souriant.
Nom : Commavant
Prénom : Emmanuelle
Sexe : F
Le combat avait été long et âpre. Le prix à payer durant toutes ces années m’avait semblé tellement injuste et disproportionné que j’avais souvent songé à laisser tomber, pour de bon.
Mais les railleries et les insultes qui m’avaient coûté sang et larmes résonnaient à présent en moi comme des échos lointains. Mes poignets lézardés de stigmates boursouflés étaient les seuls vestiges qui subsistaient de cette époque révolue.
De mes dix-sept TS traitées à grand renfort d’abrutisseurs, je ne gardais que le souvenir vague des psychiatres au sourire faussement bienveillant. Je les entendais encore me seriner que la vie vaut la peine d’être vécue et qu’il existe d’autres moyens d’attirer l’attention. Quelle bande d’imbéciles ! C’était bien tout le contraire de ce que je souhaitais. J’en avais assez qu’on me remarque. J’aspirais juste à me fondre dans le tout, à être comme les autres. À être heureuse ou ne plus être.
« Il faut vous soigner », répétaient-ils mécaniquement, armés d’une pléthore de cachets que je devais prendre pour mon bien.
Dans cette société formatée par des carcans arbitraires, c’est une pathologie d’être mal dans sa peau et malheureux. Pour ces éminents praticiens, l’important était d’attribuer un nom au dysfonctionnement, pas de comprendre. Quelle ironie ! Moi qui haïssais ce monde pour ce qu’il me faisait endurer depuis des années, je revendiquais désespérément le droit d’en faire partie. Mais pas à leur façon, jamais !
Il était hors de question d’admettre que j’étais malade et que tout irait mieux en les laissant me traiter.
Ma dix-huitième tentative fut évitée in extremis, lorsqu’au terme d’un long et pénible processus d’évaluation psychologique, on me donna enfin la possibilité de vivre ma vie.
Le traitement fut lourd et douloureux, mais je l’endurai stoïquement. Naître enfin !
Je dus me battre durant quelques années supplémentaires et, par une matinée ensoleillée de juin, la confirmation arriva par la poste : j’avais gagné.
Deux semaines plus tard, après un crochet par la mairie, je me rendis au cimetière. Quoi de plus approprié pour célébrer des obsèques ?
Il était mort, cet autre moi qui m’avait accompagnée depuis ma naissance. Je l’avais détesté, haï, j’avais voulu le tuer à dix-sept reprises, mais tout était pardonné à présent. Je sortis ma vieille carte d’identité et la regardai une dernière fois avant de l’enterrer.
« Repose en paix, Emmanuel.»
Je pris la nouvelle et la contemplai en souriant.
Nom : Commavant
Prénom : Emmanuelle
Sexe : F
Frédéric M- Nombre de messages : 29
Age : 53
Date d'inscription : 04/10/2011
Re: RIP
La chute aurait sans doute été plus spectaculaire si les formules « un endroit où célébrer les funérailles de celui que j’avais été » et « à être heureuse ou ne plus être » ne se heurtaient pas aussi frontalement, dès le début du texte. L'idée était franchement bien trouvée mais a été éventée trop vite, à mes yeux.
Deux remarques formelles :
– « Ma dix-huitième tentative fut évitée in extremis » : la locution latine « in extremis », non naturalisée, doit être mise en italique (ou écrite « in extrémis », façon réformateurs 1990, ce que je ne recommande pas) ;
– « « Repose en paix, Emmanuel.» » : manque l'espace après le point.
Deux remarques formelles :
– « Ma dix-huitième tentative fut évitée in extremis » : la locution latine « in extremis », non naturalisée, doit être mise en italique (ou écrite « in extrémis », façon réformateurs 1990, ce que je ne recommande pas) ;
– « « Repose en paix, Emmanuel.» » : manque l'espace après le point.
Invité- Invité
Re: RIP
Si la chute devait être surprenante c'est effectivement un peu loupé, d'autant que le texte oscille tout le long entre le féminin et le masculin quand le/la narratrice parle de lui/elle. Si cette chute surprise était le but je pense que le mieux serait de choisir le féminin et de s'y tenir.
Maintenant ce n'est peut-être pas l'essentiel de ce que tu voulais dire.
J'aime beaucoup l'idée, l'enterrement symbolique de la carte d'identité, de l'identité tout court. Et c'est plutôt bien écrit et agréable à lire. Un peu manichéen peut-être sur le traitement des psys, à plus nuancer.
Maintenant ce n'est peut-être pas l'essentiel de ce que tu voulais dire.
J'aime beaucoup l'idée, l'enterrement symbolique de la carte d'identité, de l'identité tout court. Et c'est plutôt bien écrit et agréable à lire. Un peu manichéen peut-être sur le traitement des psys, à plus nuancer.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: RIP
Sur le sujet, je t'invite fortement à lire, si ce n'est déjà fait, Les Adolescents troglodytes de Emmanuelle (tiens !) Pagano.
Invité- Invité
Re: RIP
Frédéric M a écrit: Mais surtout, j’avais une victoire à fêter
une victoria à fêter c'est mieux.
ou alors une samothrace. c'est sympa aussi, les samothraces.
hi wen- Nombre de messages : 899
Age : 27
Date d'inscription : 07/01/2011
Re: RIP
Bonsoir,
Je suis passé à côté de ce texte au demeurant fort bien écrit ...
La formule latine "Requiescat in pace" a occupé mon esprit tout au long de la lecture et ces masculins/féminins que j'ai pris pour des fautes d'accord qui ne "collaient" pas avec la qualité du texte m'ont troublé ...
Amicalement,
midnightrambler
Je suis passé à côté de ce texte au demeurant fort bien écrit ...
La formule latine "Requiescat in pace" a occupé mon esprit tout au long de la lecture et ces masculins/féminins que j'ai pris pour des fautes d'accord qui ne "collaient" pas avec la qualité du texte m'ont troublé ...
Amicalement,
midnightrambler
midnightrambler- Nombre de messages : 2606
Age : 70
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|