Une fête étrange

[roro]

Je n’aime pas les fêtes, surtout quand il y a de l’alcool et que les adultes rient bruyamment.

C’était il y a une vingtaine d’années. J’avais environ six ans. Je m’étais endormie aux alentours de neuf heures, sur les épaules de maman. Elle en a profité pour me déposer sur le grand lit de Sofia que je n’aimais pas. Ni son mari d’ailleurs qui ne ratait pas une occasion pour se moquer de moi. Les adultes étaient bien perfides. Et j’ai du manquer de vigilance, car je me suis endormie très tôt, bercée par un de leurs slows soporifiques.

Et soudain, un bruit. Ou peut-être un cauchemar. Quelque chose qui ne tournait pas rond m’avait réveillée. Je me suis retrouvée seule, dans un lieu inconnu. J’ai tendu l’oreille : aucun bruit, la fête avait du s’arrêter. La chambre était obscure. J’avais un mauvais pressentiment et mon cœur battait. J’ai pensé qu’ils m’avaient tous abandonnée.

J’ai couru, affolée, m’attendant pour cela à une remontrance de la part de maman. Elle a accouru vers moi, mon père la suivait, quelqu’un a ouvert la porte d’entrée. Dehors il faisait noir, nous étions au neuvième étage, l’électricité était coupée. Il n’y avait pas d’ascenseur. Je ne disais rien, j’essayais de comprendre. On m’a poussée dehors brusquement, j’ai rouspété car j’étais pieds nus et le sol était très sale. Mais une lumière blanche a fendu l’obscurité puis une bombe a explosé. J’ai compris en un éclair, ma vessie aussi. Elle s’est instantanément contractée, et des besoins contradictoires se sont manifestés en moi. Mes jambes tremblaient, ainsi que les murs. C’était donc ça ? Mon père me tenait par la main, je le tirais dans les escaliers pour aller plus vite. Je voulais voler. Une autre explosion se fit entendre, suivie de plusieurs autres ; pendant une dizaine de minutes, des bombes explosèrent sans discontinuer. Dans le noir cela donnait des éclairs immenses qui me glaçaient le sang.

Les fêtards nous suivaient. Nous fuyions sans bruit, dans le noir, de manière automatique, uniquement éclairés par la couleur des explosions. Mon cœur battait méchamment. Entre le quatrième et le cinquième étage, une lumière différente nous a stoppés net. J’ai cru voir, en face de moi, dans l’encadrement de la fenêtre, une immense boule de feu en ébullition. J’ai imaginé que c’était la fin. Le pire, c’est que les adultes se sont arrêtés aussi, comme si mes craintes rejoignaient les leurs. Mon père m’a tirée derrière son dos avec fermeté. J’ai compté les secondes me séparant de la fin. Heureusement, nous avons entendu une explosion. Nous étions vivants, sauvés!

Le reste de la soirée n’est pas très intéressant, assez classique en somme. Nous avons dormi au rez-de-chaussée, sur un drap d’appoint. Je me suis servie du sac de maman comme oreiller. Il renfermait quantité d’objets durs. En plus des explosions il fallait entendre les prisonniers hurler depuis la caserne d’en face. Ils disaient quelque chose du genre : « nous sommes prisonniers, pas condamnés à mort ! ». Quelque chose du genre, car à l’époque, je n’avais pas compris, les adultes me l’ont expliqué plusieurs années plus tard.

Le matin, quand nous sommes remontés, Sofia et son mari émergeaient de leur lit, ils n’étaient pas descendus à l’abri et avaient passé une bonne nuit. J’ai vu par terre un éclat d’obus gros comme la taille d’un pouce. Sofia me l’a doucement pris des mains, sans rien dire.

Depuis, je n’aime pas les fêtes, ni la maison de Sofia. Mais Sofia et son mari, je ne les aimais déjà pas.

[Suzie]

C'était super !!!!! J'ai beaucoup aimé !!

[Chako Noir]

Je serai un peu moins enthousiaste que Suzie, cela dit l'histoire n'est pas inintéressante et se laisse gentiment lire. La construction fonctionne, sobre et efficace, malgré quelques images pas très orthodoxes (du feu en ébullition... à la rigueur, pourquoi pas?). Ce qui m'a gêné, c'est l'impression que dans la majeure partie du texte, c'est la fillette qui raconte, et non ce qu'elle est devenue 20 ans plus tard. Le meilleur exemple est cette grosse rupture entre le moment où la fillette et ses parents sont sauvés de l'explosion, et où il s'agit de dormir, une chose en somme très banale. La phrase "le reste de la soirée n’est pas très intéressant, assez classique en somme" fait s'évanouir complètement l'intensité dramatique, et on a l'impression d'un enfant qui passe du coq à l'âne en racontant sa journée. D'autant plus qu'on ne comprend pas trop qui sont ces prisonniers, le contexte est trop flou. Seule la phrase de conclusion - bien vue - permet de se raccrocher à l'ensemble, mais elle ne répare pas l'impression de bâclé que dégagent les deux derniers paragraphes.

[ubikmagic]

Je vois ça comme un croquis. J'aurais aimé un dessin plus fouillé. L'ensemble se réfère à quel conflit, quel événement particulier ?
Et puis c'est hélas un peu court.
Mais le style est agréable à lire. C'est déjà énorme.

Ubik.

[Zhangfey]

Je rejoins les autres commentaires :

Le plus gros soucis est la rupture qui annule l'intensité dramatique du récit. Mais il s'agit d'un soucis facile à régler je pense.

Par contre pendant la "scène d'action", la petit fille ayant envie d'uriner, avec ses jambes tremblotantes et refusant de sortir les pieds nus , je voyais plus son père la tirer vers l’extérieur, plutôt qu' elle courant et tirant son père. Mais c’est juste une question de point de vue hein !




Sinon j'ai bien aimé ce texte dans son ensemble.

[Invité]

Pareil ici. Je suivis plutôt plaisamment le récit, en dépit d’une narration parfois un peu passe-partout, quand paf, incompréhension :
"Heureusement, nous avons entendu une explosion. Nous étions vivants, sauvés!"

Est-ce à dire que le fait d’entendre une nouvelle explosion réjouit la narratrice qui comprend qu’elle est vivante ?

Et puis repaf à la phrase suivante, avec laquelle on verse brutalement dans le banal, le trivial, avec l’impression que la narratrice n’a pas envie de se forcer à raconter, comme si son attention se détournait d’un coup. Ce cas de figure est fort possible vu l’âge annoncé en début de texte, mais il faudrait que ce soit rendu plus clair.
En tout cas, il y a de bons éléments dans ce récit, des observations fines (l’histoire de la vessie qui se contracte) et des remarques judicieuses :
“Depuis, je n’aime pas les fêtes, ni la maison de Sofia. Mais Sofia et son mari, je ne les aimais déjà pas. “

[Invité]

Je me contente de ces remarques de forme :
– « Ni son mari d’ailleurs qui ne ratait » : virgule après « mari » et « d'ailleurs » ;
– « Et j’ai du manquer » : « dû » ;
– « la fête avait du s’arrêter » : idem ;
– « vivants, sauvés! » : espace avant le point d'exclamation ;
– « « nous sommes » : majuscule ;
– « ! ». » : pas de point.

[midnightrambler]

Bonsoir,

Il y a du très bon ... dans le rythme, dans la description, dans l'action et dans les détails, mais il y a ces ruptures, ces cassures déjà mentionnées ci-dessus.
Tout est bon à raconter, notamment l'après d'un tel bombardement ! Londres 1940 ou Berlin 1945 ?

Amicalement,
midnightrambler

[roro]

Allez je vous le dis : c'est le Liban, guerre civile.
Ca m'a interpellée vos commentaires, votre incompréhension en raison des "ruptures de rythmes" qui vous dérangent.

C'est exactement cela. Une rupture. Cet épisode est vrai, j'en ai vécu plein d'autres. Absurdes. Imaginez une enfant qui joue, des parents qui préparent à manger. Les obus éclatent. On se cache. Les obus s'arrêtent, on déblaie. On se couche en tremblant. Les jours passent, tout revient à la normale. Le soleil se lève, jaune, éclatant, joyeux. Hier on a failli mourir. Aujourd'hui tout est normal, et la situation est très calme (ce n'est pas un combat quotidien, c'est une guerre très aléatoire, sans ennemi, sans alliés, comme cela).

On vit tout cela en minimisant l'impact. On ne revient pas vraiment sur l'incident, on veut oublier (car c'est notre quotidien). C'est dur à imaginer, mais la guerre on en rit. On la dédramatise. C'est un phénomène météo...

Puis on oublie. Et ça recommence. C'est très absurde.

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