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L'homme de la départementale 43

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L'homme de la départementale 43 Empty L'homme de la départementale 43

Message  Lord Longford Ven 20 Jan 2012 - 14:20



Cette route avait quelque chose d’intimidant pour nous. On l’entendait grogner, comme si chaque voiture qui y passait était une carie dans sa mâchoire. Ou un os que l’on dévore avec un plaisir animal.

Nous étions jeunes, à cette époque. La départementale 43 est une bouche où les caries sont si nombreuses, qu’elles défilent continuellement à l’horizon avec leur cortège de bruits, de grognements, de douleurs. Elle était comme une bête sauvage, cette route, dangereuse et impressionnante à la fois. On bravait ses furies avec l’inconscience des fous, ou des enfants.

Pour ma part, je n’aimais pas jouer aux abords de la route. D’abord parce que mes parents me l’avaient formellement interdit ; ensuite parce qu’elle me paraissait trop lourde, de la lourdeur des choses adultes, que l’on ne saisit pas vraiment mais dont on comprend l’importance, l’inaccessibilité, et la violence.
Celle de ces animaux écrasés, que l’on osait à peine regarder de loin, le regard tant chargé d’une curiosité morbide que d’une répugnance totale. Il y en avait souvent, sur la route ou à ses abords : quelques dépouilles de hérissons, de renards, de chats, de chiens, de souris... Et la liste de toutes ces vies envolées était longue ! J’aurais tout donné pour pouvoir être là, un soir, une nuit, un matin, une après-midi, et dire à ces animaux de faire attention, leur laisser le passage, la priorité, veiller à préserver leur vie. Aussi, chaque dépouille était mon échec, du moins le voyais-je comme cela.

D’autres de mes camarades n’avaient pas la même sensibilité. Ils jouaient, occupés qu’ils étaient ; pour eux, il n’y avait rien d’autre à penser que le ballon à attraper, à frapper, à donner au voisin. Mais moi je préférais de loin la pensée au ballon, le rêve à l’action. Eux voyaient le triste spectacle de cette route ; moi je le regardais. Je tentais de la comprendre, cette scène quotidienne, cette sorte de comédie. Je pensais aux animaux, où pouvaient-ils bien être allé avant de croiser leur destin ? Je pensais aux gens, dans les voitures, qui fusaient vers le lointain. Où allaient-ils ? Que faisaient-ils ? Qui étaient-ils ? De temps à autres, je voyais une tête blonde à l’avant ou à l’arrière d’une voiture, et j’imaginais la fille de mes rêves, celle qui, contrairement à une autre demoiselle à l’école, n’aurait d’intérêt que pour moi et non pour un copain. On m’envoyait alors un ballon dans la tête, pas fort, juste pour me rappeler à la réalité. Et je réapparaissais subitement, avec le regard stupide de celui qui ne comprend rien à ce qui lui arrive.

Les champs, à l’époque, étaient comme une onde se propageant à perte de vue. Les jours de vent, on aurait dit une mer ondulant sous la tempête. Si l’on devait revenir aujourd’hui, on y trouverait des champs de modernité, arrachés à la terre dans la souffrance, sous les coups des pelleteuses et des camions. On y trouverait tout un monde de commerces, de boutiques variées, d’industries fières de leur chiffre d’affaire. On y verrait des accès neufs, lisses de tout le goudron déversé, des giratoires fréquentés et du bruit et du monde à perte de vue.

Je songe encore au silence des champs d’autrefois. Je suis mélancolique, je l’ai toujours été ; mais je ne peux pas oublier les morts que l’apparence de notre monde, orgueilleux et fier de ses nouveautés, essaie de cacher. Je ne peux pas oublier les sauterelles disparues, les arbres disparus, les herbes et la terre enlevés, les animaux partis, et l’enfance emportée par les bourrasques du temps. Lorsque je reviens sur la départementale, il me semble sentir sous les roues de ma voiture l’appel d’une époque ancienne, révolue. Je revois le garçon que j’ai été, je pourrais le voir au bord de la route, maigrichon, les cheveux en bataille, aux côtés de sa bande d’amis qui offraient à sa vie frêle un peu plus de consistance. Et me voici là, dans ces mêmes lieux, mais dans une de ces voitures qui foncent, objets de mystère et de grandeur pour l’enfance.

Et puis il y a encore ce souvenir, qui hante l’âme comme le fantôme une maison. Encore une raison pour moi d’avoir toujours peur de la route.

Chaque jour, à la même heure, au moment où nous jouions, il était là. De l’autre côté de la chaussée, devant nous, devant ces grands champs rampant sur le lointain. Chaque après-midi, que les nuages assombrissent le ciel ou que le soleil grandisse notre joie. Je ne me souviens pas de sa réelle apparence. Il semblait si mystérieux, si lointain, que je n’ai dû voir de lui que l’image qu’il renvoyait. Une silhouette droite, immobile, grande et majestueuse. Un adulte. Mais je ne comprenais pas que l’on puisse rester des heures durant dans cette position ; que l’on regarde à jamais cette route pourtant si banale. Je ne voyais que la silhouette parce que je ne comprenais pas son intention. Son âme. Ce devait être une intention de grande personne, d’adulte. Lui-même ne semblait pas nous voir, de là où il était.

Elle m’est apparue que bien plus tard, cette intention, cette âme, en revoyant jaillir de mes souvenirs sa figure étrange. Et je compris que j’avais à l’époque la réponse à ma question. Mais le temps, comme une divinité bienveillante, la voilait d’un épais mystère. Je n’avais juste qu’à comprendre le drame de ces vies fauchées par les voitures. J’aurais vu la vie disparue à jamais de ces existences, j’aurais compris que ce qui se passe pour un animal, peut terriblement se produire pour un homme. Ou un enfant. Et la douleur insupportable d’un père l’aurait aussi été pour moi. Heureux voile que celui qui recouvre le mystère et le cache au très jeune enfant.

La départementale 43 n’était pas la plus fréquentée, pas non plus la plus grande ou la plus dangereuse. Elle était banale. Dangereusement banale.

Ils ont de nombreuses fois refait cette route, ajoutant sur du vieux goudron cette lourde et pestilentielle glu noire. Peut-être certains ont-ils pensé que cela effacerait le passé pour toujours ; et parce que les lettres, la littérature sont là pour rappeler les morts aux vivants, je devais leur donner tort en écrivant depuis mes souvenirs un récit à leur mémoire.
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L'homme de la départementale 43 Empty De source.

Message  ubikmagic Ven 20 Jan 2012 - 16:00

Voilà un récit bien mené, sobre, au style agréable. Le début est un peu poussif, on a du mal à entrer dans les pensées du narrateur. Mais ensuite, tout coule de source.
Au plaisir de vous relire,

Ubik.
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L'homme de la départementale 43 Empty Re: L'homme de la départementale 43

Message  midnightrambler Ven 20 Jan 2012 - 23:16

Bonsoir,

Une rêverie, l'évocation de souvenirs sur un ton un peu pleurnichard et dans un nuage ouaté d'où émerge la silhouette improbable de l'homme ...
Pas vraiment emballé !

Amicalement,
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L'homme de la départementale 43 Empty Re: L'homme de la départementale 43

Message  Zhangfey Sam 21 Jan 2012 - 13:41


Comme pour Midnightrambler je n'ai pas accroché avec ce texte.

Petite contradiction qui empêche de savoir si cette route est vraiment dangereuse ou non :
"cette route avait quelquechose d'intimidant pour nous"
puis "D’autres de mes camarades n’avaient pas la même sensibilité. Ils jouaient, occupés qu’ils étaient ; pour eux, il n’y avait rien d’autre à penser que le ballon"

Surtout qu'il n'y a pas vraiment de chute ou de surprise. Tous ces paragraphes pour nous dire que la route est dangereuse
bouarf. Dommage, il y a un jolie style de l'auteur derrière tout ça . Peut faire mieux a mon avis

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L'homme de la départementale 43 Empty Re: L'homme de la départementale 43

Message  Invité Sam 21 Jan 2012 - 22:20

Si le sujet ne m'a pas plus « emballé » que mes collègues, j'ai trouvé l'écriture très maîtrisée ; j'en aurais volontiers lu davantage.
Je me permets d'établir une correction du texte :
– « de souris... » : ce ne sont pas les points de suspension conventionnels « … » (Alt + 0133) ;
– « un matin, une après-midi » : en passant, l'Académie française recommande « un après-midi » sur le modèle de « un midi » (bien que le mot soit épicène, nous sommes d'accord) ;
– « où pouvaient-ils bien être allé » : « allés » ;
– « De temps à autres, je voyais » : « De temps à autre » ;
– « fières de leur chiffre d’affaire » : « chiffre d'affaires » ;
– « j’aurais compris que ce qui se passe pour un animal, peut terriblement » : pas de virgule ;
– « qui recouvre le mystère » : troisième occurrence du mot « mystère » en peu de lignes, me semble-t-il…

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Message  hi wen Dim 22 Jan 2012 - 13:38

ils étaient jeunes, à une époque. à n'importe qu'elle époque, dailleurs, il y a toujours une autre époque, où ils étaient vraiment jeunes. ils avaient leurs illusions en ce temps là.

puis un beau jour, ils sont nés. tout a basculé ce jour là.

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L'homme de la départementale 43 Empty Re: L'homme de la départementale 43

Message  Lord Longford Mar 24 Jan 2012 - 21:10

Merci pour vos commentaires à tous, et en particulier à Ubikmagic et Alex. Vous me donnez courage pour poursuivre le marathon de l'écriture...
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