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Je crois qu’il voulait bien faire

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Message  Invité Sam 4 Fév 2012 - 12:52

Le cerbère du portail me regarde fixement dans sa statue en céramique. Condor ou grande chouette, il m’impressionne toujours, malgré qu’il ait verdi, comme les dalles de l’allée qui ne retiennent plus la mousse. J’entre en prenant au passage quelques prospectus s’échappant de la boite aux lettres. La façade de la maison est piquée par les crampons de la vigne que mon père a arrachée avant qu’elle n’atteigne le toit. Les rosiers plantés par ma mère ont disparu aussi, le jardin est moins coloré, mais plus ordonné. Il a éradiqué à la javel les plantes trop vivaces qui ne se laissent pas apprivoiser. Je sonne à la porte essayant de couvrir le volume sonore de la télévision. Mon père ouvre d’un geste précipité et d’un œil furtif, affolé par l’intrusion de la sonnette.

A l’intérieur, plane dans l’atmosphère une odeur de fuel, la porte de la chaufferie n’est pas fermée. La cuve est pleine, pourtant, le gros baromètre sur le mur du salon indique beau temps. Il s’intéresse beaucoup à la météo et surtout à la météo comparative. Mois après mois, il dessine des carrés journaliers sur de longues bandes de papier bristol qu’il conserve pour témoigner du temps quotidien. Chaque jour est colorié d’une nuance de quatre couleurs allant du jaune citron au gris souris. Des carrés sont même divisés en deux parties pour les jours au climat capricieux. A tout moment, il peut vous parler du temps qu’il faisait il y a des années, preuve à l’appui. Aujourd’hui il fait beau, mais il porte un pull épais, un peu trop grand et au col élimé.
Il m’offre fièrement à boire en m’annonçant un choix varié d’apéritifs. J’avais oublié que les alcools étaient devenus visqueux au fond des bouteilles. Il feint l’hésitation puis opte pour le seul breuvage que je l’ai jamais vu boire. Je préfère un jus de fruit dans un verre à moutarde qui porte les dessins de mon enfance, à moins que ce ne fût le verre de ma sœur. Nous trinquons et comme ce n’est pas si souvent nous faisons du bruit. D’ailleurs le téléviseur en fait aussi et à y regarder de plus près, son image dans le cadre est verte. Je lui fais remarquer, mais il m’affirme que je me trompe, il suffit d’admirer la qualité de cet écran qui n’a pas été remplacé depuis que j’ai grandi. Je m’inquiète de sa vue et des ondes cathodiques, mais le vexant, je n’insiste plus.

Je scrute les décorations de mon verre, en levant la tête, je devine par la fenêtre les haies qu’il a taillées. C’est un mur parfaitement horizontal, à la hauteur d’un parapet entre voisins. Une muraille symbolique entre curieux. Les dessins de mon verre sont vraiment très décolorés, au soleil le dessus du buffet semble poussiéreux, j’entends la chaudière démarrer, elle couvre par son ronflement la fin de son épisode télévisuel. Mon père semble avoir perdu le fil de l’intrigue, mais se concentre en tendant tout son corps vers le poste. En l’attendant, je collectionne les silences.
Lui, il collectionne les agendas qui sont empilés dans la bibliothèque devant l’imposante encyclopédie. D’ailleurs en prenant celui au sommet de la pile, il tient à m’informer des disparus de l’année. Oui, il a pris l’habitude de noter tous les décès mois après mois. Il s’agit de personnes de son entourage (voisins, connaissance d’enfance, commerçants…) mais aussi des célébrités du petit écran ou du cinéma qui ne sont plus de ce monde. Je crois qu’il conjure le sort inéluctable des mortels. Il scrute le carnet avec une grosse loupe, car il dit ne pas avoir besoin de lunette. J’ai le temps d’observer ces sourcils qui se sont clairsemés et indisciplinés comme les poils frisant dans ses oreilles. A la lecture du quinzième disparu inconnu, j’aurai bien trinqué de nouveau.

Après cette rétrospective, il semble en pleine forme et veut me le prouver en attrapant l’objet acheté au camelot qui annonce toujours sa venue en klaxonnant. Dans la maison s’entassent toutes sortes d’ustensiles plus ou moins ingénieux. Il me fait la démonstration avec ce presse main à gros ressort métallique qui doit muscler le biceps. Il attrape le petit outil à poignée et commence à le serrer en cadence. Je ne sais pas si son bras se muscle, mais je vois les grosses veines de son cou se gonfler. Parvenu à 20 contractions le visage de mon père rosit, à 50 il est rouge, transpire et éructe des râles. Je lui dis que ce n’est peut-être pas raisonnable et qu’il n’a pas besoin de faire tout cela. Il me rétorque qu’il est capable de bien davantage et qu’il ne travaille pas du deuxième biceps du fait de ma présence. Il pose l’engin, preuve est faite qu’il est en pleine forme.
Je le vois s’éloigner à petits pas vers la cuisine, il n’a plus de fesse, sous son grand pull qui bouloche aux coudes. A moins qu’il soit courbé et amaigri. Sur la toile cirée, il a tout préparé et tout aligné, il n’a plus qu’à faire des va et viens entre la cuisine et la salle à manger. En m’attablant j’observe le grand buffet de mon enfance où s’alignaient les assiettes en faïences de Quimper de ma mère. Je me souviens du petit breton à sabot et à culotte bouffante rouge et bleu qui en décorait le centre. Les assiettes ne sont plus là, ma mère les a emportés, sans doute un héritage familial auquel elle tenait. Le buffet parait désormais trop grand avec des objets disparates sur ses longues étagères. Mon père déroule des rallonges électriques qu’il raccorde les unes aux autres afin de brancher un petit poste stéréo. Il trouve fort agréable de manger avec un fond musical et enclenche une de ses cassettes favorites auxquelles on ne peut pas rester insensible, c’est la Callas.
En bout de table, il trône, rassuré par la liste qu’il couve sous sa main où il a inscrit des « choses à ne pas oublier ». Il faut par exemple sortir les gâteaux du frigidaire un quart d’heure avant le dessert. Les tomates vinaigrette sont soigneusement présentées en un beau cercle. J’ai une envie soudaine de parler, parler de mes enfants, mon travail, mes vacances, peut-être même de mes soucis. Un désir compulsif de dire n’importe quoi dans le désordre des années et le fatras des malentendus. Je ne sais pas par quel bout commencer pour lui donner de mes nouvelles. Les mots m’étouffent, plantés dans ma gorge et disparaissent sous le lustre de la salle à manger. Il me vante sa purée qu’il a préparée avec un presse manuel acheté au camion du camelot. Se concentrer sur l’onctuosité d’une purée tout en écoutant les vocalises de la Callas, cela a finalement un certain panache.

Après avoir fait rouler son ramasse miette sur la nappe, il me dépose deux gâteaux parfaits, l’un rose et l’autre vert. Je n’ai jamais beaucoup aimé la pellicule glacée des boulangers mais, mon père adore les mille-feuilles et les salambos. Il a déjà mangé des yeux les deux gâteaux avant d’en avaler un en deux bouchées. Sa gourmandise illumine son regard comme lorsque ma mère apportait des tartes tatins collantes de caramel ou des saladiers d’œuf à la neige. En attendant il arrive avec un plateau de cafés tremblotant dans leurs tasses. Je ne sais pas si cela était écrit sur sa liste « des choses à ne pas oublier » mais avant que je n’ai bu mon café, il porte à ses lèvres un harmonica surgit de sa main, comme la colombe s’échappant d’un chapeau de magicien. Je n’ai jamais su d’où venait cet harmonica et surtout par quel mystère encore bien plus grand il savait en jouer. Mon petit père maniaque se transformait le temps d’une chanson en bluesman, en cow-boy désinvolte au rythme de son pied et au hasard de ses compositions. Je n’ai jamais su de qui il tenait cet harmonica et je ne saurais pas davantage d’où lui venait toute cette mélancolie qui s’échappait en volutes mélodieuses.


< Votre dernier texte en PROSE remonte au lundi 30 janvier.
Il est bien demandé de ne pas poster plus d'un texte par semaine et par catégorie (prose/poésie).
Le présent texte sera donc disponible aux commentaires à partir de la semaine prochaine.
La Modération >

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Message  Invité Lun 6 Fév 2012 - 13:51

A mi-chemin entre attendrissement et tristesse, ce portrait touchant a quelque chose d'ouvert qui semble appeler une suite.

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Message  Invité Lun 6 Fév 2012 - 19:25

On a l’impression que le narrateur à plus à dire que ce long portrait nuancé. Ou alors la retenue est de mise à tous les niveaux ? J'ai apprécié ma lecture, vraiment, sans toutefois bien saisir le pourquoi du comment du texte.

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Message  anotherday Lun 6 Fév 2012 - 19:50

Un portrait mélancolique et assez touchant. On sent que la minutie même de ce portrait tient lieu d'hommage, avec l'envie d'être au plus près de qui il était, mais du coup, le portrait reste peut-être un peu trop dans la description (la scène de sport m'a paru un peu longue), sans dire vraiment le lien avec les émotions de la narratrice et les événements qui se sont succédé, le départ de la mère, celui des filles, le vieillissement du père, le fait que la narratrice semble ne pas venir souvent... Je comprends mal certaines approximations de la narratrice (elle doit quand même bien savoir ce que sa mère a emporté en partant, non ? ou alors, il faudrait qu'on en sache plus sur les rapports qu'elle entretenait avec sa famille). Les dernières phrases me font penser que le père n'est plus et que l'incommunicabilité entre ces deux personnages n'a pu être levée, on sent une certaine culpabilité chez la narratrice.

Quelques petites choses au fil de ma lecture :
- malgré que / je crois que la nouvelle orthographe l'accepte, mais que c'est moche ! "malgré le fait que" ou, plus léger "bien que"
- vous dites que le personnage prend sa boisson favorite mais sans la préciser, je n'ai pas compris pourquoi. La narratrice la connaît, cette boisson, mais pas le lecteur, du coup, vous l'excluez de la scène.
- "Je m’inquiète de sa vue et des ondes cathodiques, mais le vexant, je n’insiste plus." / "mais le vexant" me semble maladroit. je vois bien ce que vous voulez faire passer, mais je pense qu'il faudrait revoir la phrase.

j'ai bien aimé "En l'attendant, je collectionne les silences."

anotherday

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Message  Lizzie Lun 6 Fév 2012 - 21:15

Quelle tristesse ! Un grand point positif : les détails, ces petites choses bien repérées, choisies : il faut savoir observer pour les mettre en évidence. J’ai particulièrement aimé : « Je le vois s’éloigner à petits pas vers la cuisine, il n’a plus de fesse, sous son grand pull qui bouloche aux coudes. ». Il n’a plus de fesse : voilà qui sonne juste, pour moi.

Sinon, je trouve ce portrait un peu long sur les décès, sur le sport… Il ne s’agit pas de supprimer, mais de « resserrer », je pense. Parfois, l’écriture est un peu « neutre », il ne manque pas grand-chose, et je ne sais pas quoi. Je crois, mais c’est moi, que j’aurais aimé avoir un peu plus, une fin moins abrupte, davantage de gras autour de l’os.

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Message  midnightrambler Lun 6 Fév 2012 - 21:51

Bonsoir,

Un portrait touchant qui fait remonter la douceur du passé et fait ressortir les effets, parfois amusants ou ironiques, du vieillissement.
J'ai beaucoup aimé cette écriture dense et précise et cette multitude de petits détails qui donne corps à l'ensemble.

Amicalement,
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Message  Invité Mar 7 Fév 2012 - 11:10

Un portrait touchant qui dégage une mélancolie certaine. Le narrateur nous fait bien percevoir le lent décrochage du père au travers des actes dérisoires qui sont son lot quotidien, ainsi que la joie à recevoir son enfant grâce aux petites attentions qu'il lui prodigue avec une certaine maladresse. Il est à la fois là, avant, et déjà ailleurs.

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Message  Jano Mar 7 Fév 2012 - 17:49

Un texte bien écrit qui sonne juste, qui retranscrit avec une acuité particulière les travers de la vieillesse. Ce n'est jamais un spectacle agréable que de constater la lente dégénérescence de ses parents. L'émotion est donc là, mais l'ennui aussi car il ne se passe finalement pas grand chose. Vous dressez un constat mais n'amorcez pas le début d'une histoire. Le lecteur reste sur sa faim.
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Message  Invité Jeu 9 Fév 2012 - 10:32

MERCI pour vos messages qui me touchent, car le mot qui revient dans tous vos commentaires est justement : un texte "touchant". Si j'ai réussi à susciter quelques émotions ou attendrissements, mon objectif est donc atteint.

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Message  Invité Lun 13 Fév 2012 - 21:11

Touchant, oui, je renchéris. Un texte sensible.

Quelques corrections :
– « malgré qu’il ait verdi » : l'expression est à déconseiller, outre la locution figée « malgré qu'il en ait ». On préfère « malgré le fait qu'il » ;
– « s’échappant de la boite aux lettres » : « boîte » (orthographe traditionnelle) ;
– « A l’intérieur, plane dans l’atmosphère » : « À » (Alt + 0192) ;
– « A tout moment, il peut vous parler » : idem ;
– « Je préfère un jus de fruit dans un verre » : « jus de fruits » ;
– « à moins que ce ne fût » : la concordance des temps de la phrase rend ce subjonctif imparfait difficilement justifiable (« soit », donc) ;
– « voisins, connaissance d’enfance » : « connaissances » ;
– « il dit ne pas avoir besoin de lunette » : « lunettes » ;
– « J’ai le temps d’observer ces sourcils » : « ses » ;
– « A la lecture du quinzième disparu » : « À » ;
– « j'aurai bien trinqué » : « j'aurais trinqué » ;
– « avec ce presse main » : ? ;
– « Parvenu à 20 contractions » : « vingt » ;
– « à 50 il est rouge » : « cinquante » ;
– « A moins qu’il soit courbé » : « À » ;
– « plus qu’à faire des va et viens » : « va-et-vient » ;
– « les assiettes en faïences » : « faïence » ;
– « ma mère les a emportés » : « emportées » (les assiettes) ;
– « Le buffet parait désormais trop grand » : « paraît » (orthographe traditionnelle) ;
– « Les mots m’étouffent, plantés dans ma gorge et disparaissent » : virgule après « gorge » ;
– « avec un presse manuel acheté au camion du camelot » : ? (« une presse » mais « un presse-légumes », « un presse-purée », « un presse-citron »… ) ;
– « Après avoir fait rouler son ramasse miette sur la nappe » : « ramasse-miettes » ;
– « mais, mon père adore les mille-feuilles » : pas de virgule ;
– « ma mère apportait des tartes tatins collantes » : « des tartes Tatin » ou « tatin » :
– « mais avant que je n’ai bu mon café » : « avant que je n'aie bu » ;
– « un harmonica surgit de sa main » : « surgi ».

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Message  Sahkti Mar 10 Juil 2012 - 17:07

J'apprécie qu'il n'y ait pas de chute, pas d'histoire avec un début et une fin, une action, un événement, que sais-je... non, ici, c'est le touchant d'un quotidien qui s'efface au fil du temps à travers des rituels, des manies, des petites trucs agaçants qui prendront toute leur importance lorsque l'autre ne sera plus là. C'est vraiment ça que j'apprécie dans ce récit, cette façon de faire prendre conscience de cela, de ces regards qu'on n'arrête pas suffisamment sur tel ou tel instant parce que ce n'est pas toujours possible; conscience de cette mémoire qui se construit, aussi, sur base de tout cela et qui, par la suite, redessinera un passé à la lumière du présent. C'est bien rendu.
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