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Break entre midi et deux

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Message  Raoulraoul Dim 5 Fév 2012 - 9:47

Break entre midi et deux

C’est ici. Il venait. Sa R16 vert olive qui se confondait avec les feuillages. Toujours le même jour de la semaine. Sa R16 garée là, toute verte sur le chemin, à la croisée des chemins. Dans le soleil d’hiver filtrant à travers la claire-voie des arbres. Sur les hauteurs. Il venait pour ne plus voir les gens, ceux de la ville, ne plus les entendre, ne plus faire d’effort pour eux durant une heure ou deux. Il venait se terrer dans le sous-bois. Avec sa R16, son unique coquille contre les civilités et le devoir.
Je m’appelle Mathieu Machain. Vingt cinq ans.
Déjà vingt cinq ans qu’il venait dans le sous-bois, avec sa bouteille thermos, un sandwich et un fruit. La R16 dans la végétation, le lierre vorace attaquant les troncs d’arbre. C’est la clarté tendre des prairies qui lui libérait les yeux. Il voyait loin, jusqu’au bleu extensible du ciel. Parfois un tracteur passait.
Je suis Mathieu Machain. Je viens ici pour me rappeler mon nom.
Les oiseaux le distrayaient. Le glapissement des corneilles. Les querelles sans fin des oiseaux dans les arbres. Les souches gigantesques des arbres déracinés par la tempête. Des souches obscènes exhibant leur dessous, grouillant de décomposition.
Qu’est-ce qu’il fait ici celui là ? N’est pas d’ici. Il vient salir chez nous !
Un voiture parfois passait sur le chemin. Mathieu Machain, surpris en flagrant délit de rien. Des gens du coin débouchant on ne sait d’où, allant on ne sait où.
Des gens du coin sur leurs terres, se dit Mathieu Machain. J’ai trop mal au crâne, toutes ces paroles d’élèves qui me serinent depuis ce matin !
Ici les bruits d’école retombent à plat, comme un drap de poussières sans explication. Dès fois une voiture qui passe sur le chemin ralentit.
Le conducteur me regarde.
C’est une conductrice, sa trogne toute rouge, ses yeux effarés, au volant d’une break Peugeot.
Un jour je décide de descendre le chemin.
Il s’en était alors aller à pieds sur le chemin qui descendait, comme vers un trou. Des poteaux électriques bordaient le chemin.
Des fils électriques toujours conduisent quelque part, se dit Mathieu Machain.
Il arriva à une étable. Le toit en tôle. Quelques vaches blanches d’Aquitaine les pattes dans la boue. Elles observaient Mathieu. Mathieu Machain aimait sans modération les vaches. Sous doute pour leur état immuable de non-être. Un sentier continuait dans la dépression du terrain, sinueux, aboutissant à une ferme. Après plus rien. C’était la dernière ferme. Un panneau mal fichu indiquait « Défense d’entrer ».
Moi qui cherche la paix, vais-je emmerder le monde ? se dit Mathieu Machain. Je suis donc remonté, aplatissant sous mes semelles les coques piquantes des châtaignes. Une vieille gazinière avait été balancée dans le ravin. Dans ma R16 je retrouve mon identité. Je bouffe. Je m’enivre de thé vert, je délace mes chaussures, j’allume la radio, partout en Europe, les marchés paniquent sur les places financières. Je me risque à fermer un œil.
- Salut ! elle me dit.
- Vous habitez en bas ? je demande.
- J’ai vu votre R16.
- Je donne des cours aux lycéens de Bénéjacq.
- Venez prendre un café chez moi.
- A deux heures je bosse.
- Vous avez le temps.
- Je vous suis.
- Non, montez !
C’était la Rougeaude. Elle connaissait tout le monde, sauf Mathieu Machain. La Rougeaude, elle se parfumait à l’odeur de vache, elle portait des pantalons serrés avec des bottes de caoutchouc. Dans sa break Peugeot ils ont descendu le sentier, jusqu’à la dernière ferme.
Le commissaire avait remarqué des épluchures de banane, jetées dans les fourrés. Il n’y a qu’un étranger pour faire ça. Dans les chemins, il y avait encore la trace de ses yeux qui rêvaient. Ces gens de la ville, ils s’imaginent que la campagne est un endroit idyllique. Mathieu Machain était un imbécile. Tous les paysans du coin avaient repéré sa R16 rétro.
Et la Rougeaude ?
Son café noir est forcément brûlant. Je me suis assis à la longue table. Au-dessus du poêle, les culottes de la Rougeaude sont en train de sécher. Le chien dehors hurle. Est-ce qu’elle vit seule la Rougeaude ? Ses dents jaunies lui déchirent la gueule quand elle sourit. Elle me sourit beaucoup.
Tu vois, ici, c’est moi qui règle tous les problèmes du voisinage.
Elle me tutoie maintenant la Rougeaude. Au mur, sont suspendus des fusils dans leur râtelier. Evidemment ça sent l’urine, chez la Rougeaude.
En toutes saisons, il venait Mathieu Machain, sauf l’été, à cause des vacances. Il se shootait au paysage. Sa drogue. Les espaces qu’il dominait. Mais la montagne aussi, plus loin, ses névés étincelant comme des diamants sous le soleil. Les rubans de fumée qui s’élevaient des cheminées le rendaient nostalgique, une enfance qu’il n’avait pas vécue.
La Rougeaude, les bras chargés de bûches, bourre le poêle.
Voilà, je suis devant un vrai feu, dans une vraie ferme, avec une fermière réelle imprégnée d’effluves.
Elle n’était pas comme les autres, précisa le commissaire. Elle s’occupait du malheur des gens. Un litige de clôture, un conflit avec des travailleurs saisonniers, une brouille pour un échange de matériel, une dispute entre propriétaire et locataire de parcelles, et aussi les histoires de chagrin. Plus difficiles les histoires de chagrin, mais…
Le commissaire avait essayé de reconstituer le parcours de Mathieu Machain, ce jour là. La R16 avait été fouillée. Que des livres. Shakespeare, des traités de communication orale et des poèmes d’un américain Walt Whitman. Sur un carnet, il y avait des croquis griffonnés représentant des feuilles d’arbres, des racines, des branches torsadées, noueuses, des branches-têtard. Une liste de mots scientifiques.
L’horloge maintenant sonne deux coups sous les poutres de la pièce sombre, à la ferme. La sonnerie aussi du lycée retentit. Les élèves rentrent dans les classes.
La Rougeaude raconte ses nuits. Des nuit où on vient la chercher pour une vache qui vêle, pour un agriculteur qui ne peut plus payer ses créances, il veut en finir, pour un chauffard qui écrase une bête, pour un veuf qui pleure sa femme, pour un sanglier qui défonce une barrière.
Et Mathieu Machain en écho raconte pareillement sa vie. Pleine de voix d’enfants, pleine de gestes pour aider à comprendre, pleine de foi pour la littérature, pleine de ces visages hébétés qui découvrent le mot littérature, et le jeu qui accompagne les mots pour faire que les mots soient vivants.
La Rougeaude avait chez elle retenu la victime.
Pour la première fois le commissaire s’aventura dans cette hypothèse.
Longuement, moi j’ai écouté la Rougeaude. La bouche de la Rougeaude qui n’en finit plus de me baver la réalité de son pays. Je ne sais plus si ce sont ses mains rugueuses qui me retiennent ou ses paroles enrouées de cigarettes qui me contaminent. Ses bottes de caoutchouc ôtées, elle m’invite à l’examen par le toucher du velours de sa culotte. Une gnôle de prune est sur la table.
Mais quelqu’un, il n’était pas loin de minuit, frappa à la porte de la Rougeaude, poursuivit le commissaire. Le chien dehors n’avait pas aboyé. L’homme qui avait frappé, se précipita dans la pièce, brandissant un fusil. Il dit que la Rougeaude doit quitter la région. Il dit que la Rougeaude est la cause de tous ses tracas, qu’elle est trop gentille, et que la femme de l’homme est jalouse, comme toutes les femmes des hommes dans la région. Il parlait au nom de tous les maris, tourmentés par leur femme jalouse. Il fallait que la Rougeaude s’en aille, sinon il la tuerait. Elle ne voulut rien entendre et le coup partit. L’homme s’enfuit dans les sous-bois.
Un corps ensanglanté jonche le carrelage. Tous les secours sont inutiles. La nouvelle se répand. On ne comprend plus rien.
Quelque temps plus tard, une poignée de lycéens se rendit dans le sous-bois. On leur présenta l’endroit, là où la R16 venait. La R16 maintenant était à la gendarmerie. Les lycéens virent l’endroit où Mathieu Machain essayait d’oublier le charivari des lycéens. Ils pleurèrent. Puis ils allèrent à la ferme. La Rougeaude les accueillit, dit le commissaire. Elle décrivit comment Mathieu Machain avait bondit sur l’homme pour empêcher le coup. Les lycéens regrettaient leur professeur.
« Comment on va jouer Shakespeare maintenant, madame ? » ils demandèrent à la Rougeaude. La Rougeaude les consola. Elle leur parla des animaux, et un peu des hommes, surtout ceux qui vivaient ici dans la vallée, avec leurs difficultés de tous les jours. Elle montra aussi la beauté sauvage des arbres. Elle s’obligea à lire des poèmes de Walt Whitman avec son accent brutal de Rougeaude. Autour de la longue table de bois, les lycéens buvaient les mots, le parfum de la Rougeaude achevait de rendre cette leçon, poétique.
L’assassin de Mathieu Machain ne fut jamais retrouvé, conclut le commissaire.
Mais la Rougeaude, à l’endroit de la R16, dans le sous-bois, avait planté une croix, avec des roses.


Raoulraoul
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Message  Invité Dim 5 Fév 2012 - 12:37

Ah vraiment, j'aime beaucoup beaucoup beaucoup, cette manière de conter par ordinaire du tout, la frontière trouble entre le je et le il, l'alternance imparfait/présent, la chronologie brisée, tout fonctionne parfaitement. Jusqu'au titre qui prend tout son double sens. Ça change et ça fait un bien fou. Un coup de fouet salvateur à mon ennui de lectrice blasée, un sain pied au cul de la narration traintrain ;
De toute façon, j'ai su que ce serait bon dès le début, dès ces mots, comme une gifle au reflet dans le miroir : "Il venait se terrer dans le sous-bois. Avec sa R16, son unique coquille contre les civilités et le devoir."
Et encore, pour le plaisir : "Moi qui cherche la paix, vais-je emmerder le monde ? "
Très très bon donc.

(quelques coquilles ortho ici et là).

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Message  Invité Dim 5 Fév 2012 - 13:13

Aussi enthousiaste qu'Easter, évidemment !
J'ai situé ça dans le Jura, je ne sais trop pourquoi...
Mais peu importe l'endroit, c'est cette façon de dé-renrouler l'histoire qui est formidablement intéressante, et puis tout ce qui reste derrière...

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Message  midnightrambler Dim 5 Fév 2012 - 16:33

Bonjour,

J'ai eu un peu de mal avec les première et troisième personnes du singulier, mais j'ai rapidement compris que ce texte étrange valait la peine que l'on persévérât ...
Deux expressions un peu bizarres : des épluchures de banane, à la place de la traditionnelle peau de banane ; un corps ... jonche le carrelage ... des feuilles mortes jonchent la pelouse ... un objet unique peut-il joncher ?

Amicalement,
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Message  Invité Dim 5 Fév 2012 - 18:19

Bonjour,
un peu déconcerté par l'alternance de "je" "il". Je trouve que ça déstructure le texte. La mise en page également ne me parait pas appropriée ; elle manque d'aération (lecture à l'écran oblige).
Ou j'ai raté qque chose, ou le texte manque de cohérence ici :
Je me risque à fermer un œil.
- Salut ! elle me dit.
Je n'ai pas vu revenir la fermière.
Idem ici :
jusqu’à la dernière ferme.
Le commissaire avait remarqué...
Un peu de mise en page aurait permis/suggéré une transition.
Le texte manque de cohérence. Normalement (si j'ai bien compris) la rougeaude a vu l'assassin. Mais "L’assassin de Mathieu Machain ne fut jamais retrouvé, conclut le commissaire.".
cordialement

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Message  Jean Lê Lun 6 Fév 2012 - 14:44

Dans mon pays Gallo, on dit plutôt : un break. Mais ce n'est peut-être pas la norme en bon français.
Pour les ceusses qui n'aurait pas compris la fin, il parait clair que la Rougeaude a décroché le fusil de la ferme pour régler son compte à l'assassin.
Merci Raoulraoul, ce texte est excellent, j'ai adoré.
Jean Lê
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Break entre midi et deux Empty Merci à Easter, Coline, Midnightrambler, Jean Lê, Luluberlu...

Message  Raoulraoul Mer 8 Fév 2012 - 14:13

Merci à vous tous pour vos commentaires enrichissants. Je me permets ici quelques réponse. A Jean Lê ; tu as raison, "break" est au masculin, et c'est bien sûr Mathieu Machain qui tue l'homme pour protéger la Rougeaude. A Coline ; ça se passe en Béarn, vaches d'Aquitaine, et lycéens de Bénéjacq. A Midnightrambler ; en précisant "corps ensanglanté" il me semblait que le sang répandu pouvait "joncher", se répandre, s'étaler, recouvrir le sol. Puisqu'on dit "éplucher une banane", ne peut-on pas parler en somme "d'épluchures" de banane ?... A Luluberlu ; désolé pour mon brouillage des points de vue, et mes ruptures narratives. A Easter ; tu as formidablement résumé ma démarche actuelle : mélange des temps, des lieux, et des points de vue, ceci pour créer une tension de narration, et aussi une incertitude "un peu plus éthique", car il me semble que dans notre esprit, le présent, le passé, l'avenir, se confondent, et que le statut du réel alors se fait bien problématique. Quant à "celui qui parle" ? Nous sommes tous ceux là à la fois. Cette ambiguité généralisée me paraît inévitable dans la fiction. Et j'aime, il est vrai, m'amuser avec les codes. Je constate, Easter, que tu ressens subtilement tout cela. Merci encore pour votre exigence.
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Message  Invité Lun 13 Fév 2012 - 20:33

Des observations formelles :
– « Vingt cinq ans » : « Vingt-cinq » (trait d'union) ;
– « Déjà vingt cinq ans » : idem ;
– « Qu’est-ce qu’il fait ici celui là ? » : « celui-là » (trait d'union) et virgule conseillée après « ici » ;
– « Un voiture parfois passait » : « Une » ;
– « toutes ces paroles d’élèves qui me serinent depuis ce matin » : le verbe « seriner » me semble mal employé ici (j'écrirais « qui me sont serinées ») ;
– « au volant d’une break Peugeot » : « un break » ;
– « Il s’en était alors aller à pieds » : « s'en était allé à pied » ;
– « - Salut ! elle me dit » : pour les dialogues, il est d'usage d'employer le tiret cadratin « — » (Alt + 0151) ;
– « - Vous habitez » : idem ;
– « - J’ai vu votre » : idem ;
– « - Je donne des cours » : idem ;
– « - Venez prendre » : idem ;
– « - A deux heures » : idem, « À » (Alt + 0192) ;
– « - Vous avez » : tiret cadratin ;
– « - Je vous suis » : idem ;
– « - Non, montez » : idem ;
– « Dans sa break Peugeot » : « son break » ;
– « qu’elle vit seule la Rougeaude ? » : virgule après « seule » ;
– « Elle me tutoie maintenant la Rougeaude » : virgule après « maintenant » ;
– « Evidemment ça sent l’urine » : « É » (Alt + 144) ;
– « il venait Mathieu Machain » : virgule après « venait » ;
– « ses névés étincelant comme des diamants » : « étincelants » (adjectif verbal plutôt que participe présent) ;
– « le parcours de Mathieu Machain, ce jour là » : « ce jour-là » (trait d'union) ;
– « et des poèmes d’un américain Walt Whitman » : « Américain », virgule après « Américain » ;
– « Des nuit où on vient la chercher » : « Des nuits » ;
– « qui découvrent le mot littérature » : pour signaler la modalité autonymique, je placerais le substantif « littérature » entre guillemets ou en italique (même si votre typographie, plus souple, reste sans doute envisageable…) ;
– « L’homme qui avait frappé, se précipita » : pas de virgule.

J'ai adoré, sinon. Outre le style qui se dégage de la nouvelle, j'aime son déroulé implacable et la grande maîtrise de la narration.

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