La fin du monde

[M-arjolaine]

La fin du monde se préparait. Tout le monde était sorti de chez soi, vêtu de tenues tout droit sorties de jeux vidéos. Lianes autour des bras, les cheveux retenus par des barettes en bois, les filles étaient toutes devenues « Xéna la guerrière », tellement puissantes qu'elles pourraient parvenir à combattre l'apocalypse. Moi qui n'avais pas le physique pour, je partis simplement à la recherche de mon frère, qui se vantait de tout savoir sur la mort, et sur ce qu'il y avait après.

Je le trouvai sur son lit, qu'il avait pris soin de sortir de la maison pour ne pas louper ce qui se préparait.
« - Il faut que je sache ce qu'il y a après la mort. »
Il me regarda sans se moquer, s'assit plus droit face à moi, et me demanda ce que je voulais savoir. Un peu honteuse, je posai avant tout la question qui me tracassait le plus.
« Est-ce que ça fait mal ?
- Honnêtement Marjo, oui, ça fait mal.
- Comme la pire douleur qu'on puisse ressentir au monde ?
- Non, tout de même pas. Ce n'est pas tant une douleur physique. Mais on est complètement perdu, tu sais, quand on meurt. D'abord, parce que juste avant de mourir, on n'y voit plus. Pendant les quelques secondes qui précèdent le décès, c'est comme si un voile noir s'abattait sur nos paupières. Quant aux bruits, ils sont amplifiés, on entend les choses si fort qu'on n'y entend rien, juste un bourdonnement horrible et énorme qui dure, qui dure, et on ne peut pas voir d'où il provient puisqu'on est aveugle. On a mal parce qu'on panique ; notre cœur est saisi d'une angoisse telle qu'il n'y tient pas. Il lâche.
- Et après, que se passe-t-il ?
- Après, ça ne change pas grand chose. On continue à vivre, mais sans notre corps. On ne mange pas, on ne boît pas. On ne fait que penser.
- Mais si des morts se rencontrent, ils peuvent se parler ?
- Hé bien, oui, ils le peuvent. Je te dis, ça n'est pas si différent que ça de la vie.
- Mais tout les morts depuis le début de l'invention de la mort... ils doivent se marcher dessus ?
- Non puisqu'ils n'ont pas de corps ; il faut le voir pour le comprendre. Ce ne sont que des pensées qui peuvent se mêler les unes aux autres si elles en ont l'envie.
- Les morts peuvent-ils voir les vivants ?
- Oui, ils peuvent. Mais généralement ils s'en foutent. Ils ne regardent que lorsqu'il va y avoir plein de nouveaux arrivants ; maintenant, ils doivent être aux premières loges. Tous : puisqu'ils ne tiennent pas de place. Les génocides, les crashs d'avion, ils adorent ! Alors l'apocalypse, tu penses ! »

Je le remerciai pour tout ce qu'il m'avait appris, et qui me rassurait un peu. Alors que j'essayais de me souvenir de tout, je croisai ma mère, qui elle, disait tout savoir sur le déroulement de la fin du monde.

« Là, ce n'est que le début. On en a encore pour deux jours, ça va juste être comme un gros orage, mais sans pluie, le ciel va se noircir, mais derrière il y aura autre chose de presque jaune, presque clair. Pour l'instant, tout le monde est encore dehors, mais demain, tous les jeunes seront réfugiés ensemble dans les écoles, et ils feront l'amour les uns avec les autres pour connaître ça, même les moches y auront droit, quand c'est la fin du monde, on s'en fout de coucher avec un gros tas.
- Et la fin, ce sera quoi ?
- Juste le jaune. Qui passera par dessus le noir. Et qui nous aveuglera.
- Grégoire m'a dit que quand on était aveugle, c'était qu'on allait mourir.
- Il a raison ; et s'il a raison sur ça, alors il a sûrement raison sur tout. »

A nouveau, je partis l'esprit plein de pensées agitées. Comme ma mère l'avait prédit, dès le lendemain matin tous les adolescents se retrouvèrent dans les collèges, lycées, à s'adonner à toutes sortes de plaisirs corporels, et je me cachais sans cesse pour éviter ce genre de dépravations humiliantes. J'avais hâte de voir tomber le jaune sur nous, et de savoir ce qui se passerait.

Cela arriva le surlendemain, dans la matinée, enfin. Quand le ciel commenca à nous tomber sur la tête, ma nièce en panique, se mit à courir de partout en cognant les gens, qui voulaient se défendre en brandissant toutes sortes d'armes et de couteaux. Inquiète pour elle (bien qu'elle allât bientôt mourir de toutes façons), je criai « Non Adèle, non ! »

On me tapa sur l'épaule. Un homme s'excusa, et se présenta.
« Je m'appelle Georges, je suis psychologue, spécialisé dans l'étude de l'enfant. Savez vous mademoiselle, qu'en disant « non » à une enfant ainsi que vous venez de le faire, vous risquez de la traumatiser gravement pour tout le reste de sa vie ? Il faut dire oui aux enfants ! Leur dire toujours, et toujours oui, pour qu'ils aient une vie heureuse ! »

Il sourit à cette perspective. J'eus peur ; mon frère m'avait-il dit "oui" lui aussi ? "Oui, la mort ça ne fait pas peur, oui tu pourras parler aux autres, oui tu continueras d'exister" ? Cela me rendrait-il heureuse jusqu'à ma mort ? Mon récit pourrait-il continuer après la tombée du jaune sur nous ?

« J'y vois plus rien ! »

Spoiler:

[Invité]

Voici une correction :
– « par des barettes en bois » : « barrettes » ;
– « « - Il faut que je sache » : le tiret est de trop ;
– « - Honnêtement Marjo » : pour les dialogues, tiret cadratin « — » (Alt + 0151) ;
– « - Comme la pire douleur » : idem ;
– « - Non, tout de même » : idem ;
– « - Et après » : idem ;
– « - Après, ça ne change » : idem ;
– « pas grand chose » : « grand-chose » (trait d'union) ;
– « on ne boît pas » : « boit » (!) ;
– « - Mais si des morts » : tiret cadratin ;
– « - Hé bien, oui » : tiret cadratin, « Eh bien » ;
– « - Mais tout les morts » : tiret cadratin, « tous » ;
– « de l'invention de la mort... » : « … » (Alt + 0133) ;
– « - Non puisqu'ils » : tiret cadratin ;
– « - Les morts peuvent-ils » : idem ;
– « - Oui, ils peuvent » : idem ;
– « - Et la fin, ce sera quoi ? » : idem ;
– « - Juste le jaune » : idem ;
– « Qui passera par dessus le noir » : « par-dessus » (trait d'union) ;
– « - Grégoire m'a dit » : tiret cadratin ;
– « - Il a raison » : idem ;
– « A nouveau » : « À » (Alt + 0192) ;
– « Quand le ciel commenca à nous tomber » : « commença » ;
– « ma nièce en panique, se mit à courir » : pas de virgule ou virgule après « nièce » ;
– « bientôt mourir de toutes façons » : on rencontre plus souvent « de toute façon » ;
– « Savez vous mademoiselle, qu'en disant » : pas de virgule ou virgule après « vous » ;
– « m'avait-il dit "oui" lui aussi » : on préfèrera les guillemets français, employés un peu plus haut, en outre ;
– « "Oui, la mort ça ne fait pas peur… d'exister" » : même principe.

Sinon, pour moi, oui, c'est un peu décousu. Ma lecture hâtive ne me permet pas de comprendre le pourquoi du comment de l'incursion de Georges le psychologue, bien qu'amusante et topique dans tes écrits. Cela correspond bien, cela dit, au climat de fin du monde absurde que tu mets en place, à moitié irréelle…

[elea]

Rien de décousu jusqu’à l’arrivée du psychologue.
C’est même plutôt bien mené, écrit de manière assez sérieuse, avec un peu moins de "déjanté" que dans d’autres de tes textes.

J’ai aimé tout le passage de la discussion avec le frère et cette vision de la mort, cette manière de la décortiquer pour l’apprivoiser.

Plus mitigée sur la fin, tu refais le lien avec ce qui précède et j’aime bien ce doute final sur le fait que le frère n’a peut-être que voulu rassurer.
Mais pour y arriver il me manque un peu plus de liant, le psy tombe un peu comme un cheveu sur la soupe avec son histoire de dire oui aux enfants.
Ça tient à pas grand-chose, juste modifier ce paragraphe-là qui semble plus artificiel.

[Invité]

"- Mais tout les morts depuis le début de l'invention de la mort... ils doivent se marcher dessus ?" m'a fait sourire parce que, petite, j'avais la même interrogation.

Avant même de lire le contenu du spoiler, j'ai eu la sensation très nette que le texte relatait un rêve, avec ce que cela comporte à mon avis, de flou, d'inexpliqué et d'absence de vrai fil directeur. C'est particulièrement sensible à la fin où tout d'un coup - alors qu'on suivait un récit qui, bien qu'empreint d'irréel, se tient à peu près - on ressent comme une rupture, un mouvement de côté presque, même s'il y a retour sur ce qui précède ; je trouve que c'est plutôt abruptement amené.

Je rajoute deux remarques de forme à celles de Alex :
"ma nièce en panique, se mit à courir de partout en cognant les gens," : "se mit à courir partout" ("de partout" indiquant la provenance, par exemple : "il en vient/sort de partout").
"(bien qu'elle allât bientôt mourir de toutes façons)" : d'une part la répétition du son "bien" ; ensuite la laideur du "allât", correct certes mais si lourd. Je signale juste au passage que la langue parlée autorise dans certains cas un conditionnel après "bien que", ça ne me semble pas une mauvaise idée dans le cas présent : "bien qu'elle mourrait de toute façon" (je préfère aussi le singulier pour cette expression, même si (bien que ! :-)) le pluriel est acceptable/accepté.

[hi wen]

sacré georges. toujours le mot pour rire.

[Lyra will]

Ah! on devrait mettre nos rêves en commun, ce serait très drôle

Même sourire que Easter et même questionnement enfant, comment saisir la possibilité que tous ces milliars de morts de tous les temps pouvaient co-exister tous en même temps dans le même espace et jusque quand... etc.

Alors alors, je pense qu'il y a des choses intéressantes, on retrouve une ironie un peu cruelle absurde qui te caractérise, cela dit d'une manière générale je pense qu'on est un peu trop dans "l'explication" ce qui est logique vu qu'un personnage explique quelque chose à un autre mais... ça me semble un peu trop lourd pour nous, comme si tu nous disais également "attends, je vais t'expliquer". "Ou, attends, je vais te raconter mon rêve". Oui c'est plaisant et on rentre dedans mais... je ne sais pas, il faudrait que le texte vive seul sans ce matériaux de départ, alors comment les rendre plus "vivants" et spontanés tous ces éléments.... c'est difficile "d'adapter" un rêve, soit s'en éloigner beaucoup, soit lui donner une autre forme... je ne sais pas.
Donc bon courage :0))

Le psychologue me fait rire !

[Sahkti]

Décousu, c'est pas très grave, les rêves le sont souvent et la difficulté dans leur retranscription est justement de parvenir à conserver ce côté chaotique que l'écriture aurait tendance à lisser.
Sur ce plan, pas de soucis pour moi. C'est plutôt avec une approche par moments trop explicative que ça coince, comme si tout devait être narré par le menu, exposé, expliqué et ça alourdit le rythme. L'arrivée du psychologue n'arrange pas les choses, ça tombe un peu à plat. Je trouve personnellement le début de ce texte plus convainquant que la fin.
L'univers, quoi qu'il en soit, me plaît pour ce qu'il raconte et parce que le monde des morts, ça me parle depuis très longtemps.

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