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Des paroles plus dangereuses que la réalité

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Des paroles plus dangereuses que la réalité Empty Des paroles plus dangereuses que la réalité

Message  Raoulraoul Sam 18 Fév 2012 - 16:51

Des paroles plus dangereuses que la réalité

Le comte est couché dans la petite chambre bleue. A son chevet son épouse et Brigitta, aux yeux un peu absents. L’épouse parle d’une voix monocorde. Le beau visage du comte est maintenant fatigué. C’est d’une tristesse très tendre.
Une nuit de juillet encore longue. Dans cette maison au bord du lac. Une nuit de fête que baigne le parfum des citronniers. Le comte faisait honneur à ses nombreux invités.
Ecoute-bien Brigitta, dit l’épouse en rafraîchissant de temps à autre le front du comte, avec un fin mouchoir de dentelle.
C’est le comte qui ouvrit le bal. Je n’étais pas là. Je regardais seulement la fête, je préférais de loin regarder la fête, entendre les rumeurs océaniques de la fête, chercher monsieur le comte dans cet océan d’allégresse, il dansait avec Olivia T. Elle n’aurait pas dû venir. Au dernier moment elle est venue Olivia T. Pour cela peut-être je me suis éloignée de la fête. Mon mari dansait avec Olivia T. Elle travaillait dans le cinéma, à cette époque.
Brigitta regarde probablement le comte. Personne ne peut le dire. La chambre bleue est plongée dans la pénombre. Un bateau à vapeur sur le lac remplit le silence.
Ils allèrent s’asseoir. Olivia T. présenta ses amis au comte. Parmi eux il y avait un employé du haras. Un palefrenier que mon mari semblait connaître. Ils ont bu du champagne. Le comte buvait très peu. Brigitta, voulez-vous me donner un peu de lumière.
Elle allume un chandelier posé sur la cheminée. L’épouse déboutonne légèrement son caraco. Une moiteur s’installe. C’est déjà l’après-midi.
Je les avais perdus de vue pendant quelques instants. Les invités arrivaient par petits groupes. Il y avait des industriels, des notables de la province, et d’autres personnes de Milan qui occupaient des postes importants. Olivia T. était rayonnante. Le palefrenier qui la suivait détonnait un peu. Sa haute taille, son air bourru, ses gestes maladroits. Mon mari alla s’entretenir avec les patrons des entreprises forestières qui résidaient dans la vallée. On se préoccupait beaucoup d’une ligne ferroviaire qui devait traverser la région. Le tracé menaçait plusieurs propriétaires.
Le comte dans son sommeil est étrangement immobile. Parfois une respiration laborieuse lui soulève la poitrine. Brigitta essaie de mettre des images sur les paroles monocordes de l’épouse.
Lorsque le comte revint à la table de Olivia T. il se pencha vers elle, pour lui dire quelque chose. Elle eut d’abord un sourire, son trouble était visible. Le regard du palefrenier en face, s’était durci. Puis le comte saisit la main de Olivia T. Alors le palefrenier se leva. J’ai cru qu’ils allaient se battre. Mais le palefrenier sortit en direction de la terrasse. Il fuma. Mon mari sembla avoir une explication avec Olivia T. Puis ils se versèrent une nouvelle coupe de champagne. Un diamant brillait au doigt de Olivia T. Sa main blanche que mon mari finit par baiser. Comme après un accord conclu, Olivia T. fit signe à quelqu’un d’aller chercher le palefrenier sur la terrasse. Un événement venait de se passer, mais je ne savais pas lequel. Dans l’attitude du comte et de la femme, une complicité majeure les rassemblait.
Le comte respire difficilement dans son lit. L’épouse ne lui prête plus attention. Elle s’agrippe à ses souvenirs.
Rien pourtant de tout cela ne me surprenait, Brigitta. Je connaissais le comte par cœur. Ses obsessions, ses faiblesses, sa hantise des limites qui l’effrayait autant qu’elle le stimulait. Les musiciens entamaient une pizzica, que les gens du lac parfois ici aimaient danser. Plusieurs couples déjà s’étaient retirés dans les salons qui jouxtaient la salle de réception. L’un d’eux comportait une glace sans tain. De l’autre côté un petit cabinet confortablement aménagé offrait un poste d’observation idéal.
La jeune Brigitta est nerveuse. Son regard se disperse. Il ne sait plus où se poser à ce moment du récit de l’épouse. Les traits du comte semblent lentement se dissoudre dans la lumière vacillante du chandelier. Les cormorans dehors ont commencé une chorégraphie planante sur les eaux du lac.
Le comte, Olivia T., et son palefrenier rentrèrent dans le salon exigu. Le palefrenier prévoyant avait emporté du champagne. Ils vidèrent quelques coupes. C’est le palefrenier maintenant qui menait le jeu. Le comte se laissa conduire. Olivia T. les observait. Son visage avait pâli, son maquillage outrageusement défait, se yeux agrandis par le spectacle des deux hommes.
L’épouse se tait. Il n’y a plus qu’un silence embarrassé. La respiration rauque du comte sur le lit. Brigitta fébrile et presque insolente disant :
- Alors madame ?... Vous devez continuer !
- Je ne peux pas.
- Vous devez ! Parlez, parlez !
- Ce ne sont que des mots, Brigitta.
- Justement madame.
- Des mots encore plus dangereux que la réalité !
Le comte dans son sommeil et sa douleur remue une main. L’épouse la lui saisit avec une tendresse soudaine.
Alors le comte se mit à crier, Brigitta. La brutalité du palefrenier était indescriptible. Le comte cria, complètement à sa merci. La musique de l’orchestre dans la salle de bal rendait ses cris encore plus insoutenables. La nudité de Olivia T. jaillissait, mais souffreteuse, dans la lumière mauve du salon. On aurait dit qu’elle voulait s’excuser. Le palefrenier s’effondra. Sa masse de pilosité et de muscles sur le tapis. Je ne ressentais aucune haine devant ce spectacle. Il s’était déroulé comme je le supposais. Une confiance si forte me liait au comte, en ce temps là.
Olivia T. exigea du palefrenier qu’il la prenne, tandis que mon mari lui témoignerait l’affection dont il serait encore capable. Le palefrenier ne put contenter Olivia T. Elle le chassa du salon, avec des sanglots épouvantables qui affolèrent le comte. Il se tourna vers la glace sans tain, comme s’il voulait me consulter. Sans réponse de ma part, il se permit de consoler Olivia T. Un accomplissement charnel sans scrupule. De cela aussi je restai indifférente.
- Comment est-ce possible, madame ? s’exclame Brigitta
- Tu ne peux pas comprendre, toi qui vas te marier.
Un coup de vent subit claque les persiennes à demi-fermées. Des nuages noirs sont amoncelés sur les crêtes. L’épouse se précipite à la fenêtre et boit violemment l’air tiède qui descend des montagnes. Le crépuscule s’annonce dans la petite chambre bleue, sur le lit, sur le corps allongé du comte. Brigitta regarde le comte, elle se penche au-dessus de lui d’une manière si équivoque, mais l’épouse ne voit rien. Elle a tourné le dos. Elle ne voit que la montagne, le lac, la rudesse de la montagne se jetant dans la transparence du lac. Brigitta scrute le visage du comte, sa peau, cette parcelle de lui-même maintenant livide contenait-elle des désirs ? Elle voudrait toucher le comte. Comprendre une vérité. Ne lui vient que son haleine glacée et fétide. Puis un hoquet qui lui fait ouvrir grand les yeux où plonge l’effroi de Brigitta. Elle soutient le regard fixe et presque jaune du comte, pendant quelques secondes. L’épouse à la fenêtre aspire le paysage. Brigitta, amicalement une main sur l’épaule de l’épouse, alors lui murmure : « Monsieur le comte est mort. » La femme se retourne et se signe brièvement devant le cadavre. Brigitta, agenouillée, marmonne une prière. Lorsqu’elle se relève elle dit à l’épouse :
- Pourrai-je demander quelque chose à madame ?
- Allez-y Brigitta.
- Je voudrais voir le salon spécial avec la glace sans tain.
- Vous n’y pensez pas Brigitta ! Je vous ai tout dit !
- Non, madame. J’aimerais m’asseoir sur le canapé où monsieur le comte et le palefrenier se sont aimés. J’aimerais me coucher sur le tapis où Olivia T. s’est faite baisée…
Mais une gifle l’interrompt, l’épouse criant :
- Vous n’avez rien compris, petite sotte ! Je vous ai tout raconter. Cela devrait vous suffire. Ce sont mes paroles qui comptent. Je n’ai plus que les mots pour dernier plaisir !
Et brutalement elle clôt les persiennes qu’elle verrouille. Dans la lueur des bougies, elle dit : « Maintenant je suis veuve et une femme libre. Demain vous allez vous marier, Brigitta. Avant, aidez-moi à préparer des funérailles au comte qui soient dignes de ce nom ! »
Puis elle referme les paupières du comte que la mort avait écarquillées, et d’un geste déterminé elle rabat le drap sur la figure du défunt. Elle éteint le chandelier. Les deux femmes sortent de la chambre. Monsieur le comte est enfin seul. Il n’entend même plus les premières gouttes de l’averse orageuse qui frappent les persiennes. Sa succession est désormais ouverte, sur les rives du lac de Côme, où trempe le pied de sa somptueuse demeure.
Raoulraoul
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Message  Invité Sam 18 Fév 2012 - 19:40

Autant que le fond, c’est la technique de ce récit choral qui m’intéresse, cette sorte de fondu enchaîné pour brouiller les pistes, tu y excelles ; le lecteur, momentanément désorienté ne se perd pourtant pas, tant le fil directeur est à mes yeux solide – sans être intrusif.
J'aime j'aime j'aime, aussi l'ambiance bien particulière de ton univers, élégamment glauque, décadente qui -comme par hasard... - me rappelle certains vieux films italiens. J'aime aussi arriver en fin de lecture et ne pas avoir toutes les réponses, mieux encore, être la proie d'interprétations possibles. Comme avec le personnage de Brigitta, qui me paraît être bien davantage qu'un accessoire pratique, ou qu'un témoin passif des réminiscences de l'épouse. Suis fan inconditionnelle.

Une ou deux remarques de forme :

"De cela aussi je restai indifférente. " ("À" : être indifférent à ")
"J’aimerais me coucher sur le tapis où Olivia T. s’est faite baisée…" ("s"est fait baiser")
"Je vous ai tout raconter. " ("raconté")

Et une phrase bancale qui aurait besoin d'être reformulée : "Dans l’attitude du comte et de la femme, une complicité majeure les rassemblait."

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Message  midnightrambler Dim 19 Fév 2012 - 1:35

Bonsoir,

Le cinéma surréaliste est celui qui "... aura détruit la reprèsentation conventionnelle de la nature ... ébranlé l'optimisme bourgeois et obligé le spectateur à douter de la pérennité de l'ordre existant" ... C'est à ces mots de Luis Bunuel que me fait penser ce texte étrange servi par une très belle écriture.

Amicalement,
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Message  Invité Dim 19 Fév 2012 - 18:36

Formellement, quelques remarques :
– « A son chevet » : « À » (accent sur la majuscule, Alt + 0192) ;
– « Ecoute-bien Brigitta » : « Écoute » (accent sur la majuscule, Alt + 144) et pas de trait d'union ;
– « Au dernier moment elle est venue Olivia T. » : virgule après « venue » ;
– « Le regard du palefrenier en face, s’était durci » : pas de virgule ;
– « se yeux agrandis par le spectacle » : « ses » ;
– « - Alors madame ?... » : tiret cadratin « — » (Alt + 0151) pour les dialogues, points de suspension plus rapprochés « … » (Alt + 0133) ;
– « - Je ne peux pas » : tiret cadratin ;
– « - Vous devez ! » : idem ;
– « - Ce ne sont que des mots » : non, ce sont des cadratins ;
– « - Justement » : des cadratins, donc ;
– « - Des mots encore plus dangereux » : mais non, rassurez-vous ;
– « Le comte dans son sommeil et sa douleur remue une main » : « remuent » (le comte et sa douleur ?). Ou alors il manque un verbe entre « Le comte » et « dans son sommeil » ;
– « en ce temps là » : « temps-là » (trait d'union) ;
– « De cela aussi je restai indifférente » : « À cela », comme l'écrit si justement Easter(Island) ;
– « - Comment est-ce possible » : tiret cadratin ;
– « s’exclame Brigitta » : point ;
– « - Tu ne peux pas » : tiret cadratin ;
– « les persiennes à demi-fermées » : « à demi fermées » (pas de trait d'union après « à demi » suivi d'un participe passé ou d'un adjectif) ;
– « - Pourrai-je demander » : tiret cadratin, « Pourrais-je » ;
– « - Allez-y Brigitta » : tiret cadratin ;
– « - Je voudrais voir » : idem ;
– « - Vous n’y pensez pas » : idem ;
– « - Non, madame » : idem ;
– « sur le tapis où Olivia T. s’est faite baisée… » : « s'est fait baiser », je confirme ;
– « - Vous n’avez rien compris » : tiret cadratin ;
– « Je vous ai tout raconter » : « raconté ».

Bien vu. Belle écriture, du reste.

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Message  elea Mar 21 Fév 2012 - 12:04

Pas aussi fan que d’autres, j’admire la construction narrative, l’ambiance particulière si bien mise en place et tout ce qui reste de non dit.
Mais je ne suis pas entrée dedans, je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être que c'est la forme qui m'a sautée aux yeux, occultant le fond. Comme si, admirant la manière, cela m'avait tenue éloignée du reste.

elea

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Message  Louis Mar 21 Fév 2012 - 17:37

Une femme parle. C’est une épouse. Femme d’un comte, elle épouse les mots, se marie au langage ; elle est femme de parole, d’un récit, femme d’un conte.
Sa parole ne s’inscrit pas dans l’échange, dans un dialogue, elle n’appelle pas de réponse. Elle parle de son mari, mais non à son mari, mourant, à l’agonie ; elle parle, semble-t-il, pour son propre compte.
Son discours a besoin pourtant d’un interlocuteur à qui s’adresser, pour justifier sa fonction communicative, qui n’est pas ici sa fonction principale. Brigitta joue ce rôle de l’allocutaire. Servante de la comtesse, et tout autant de la conteuse, sa fonction paraît très semblable à celle des servantes ou valets, les confidents des pièces de théâtre classique. Elle ne se limite pourtant pas à ce rôle… Et l’épouse parle aussi pour être entendue. De son mari, comme de Brigitta.

L’épouse parle, et sa parole est seule vivante dans la pièce où le comte se meurt.
La parole conte une scène sans parole perçue, un film muet. Elle relate une scène essentiellement visuelle, témoignage d’une spectatrice, et non d’une actrice.
« Je regardais seulement la fête », l’épouse n’était que regard, un regard distant, « je préférais de loin regarder… », elle est maintenant proximité d’une parole. Les perceptions auditives n’étaient pas absentes, mais ne se situaient pas dans l’ordre du langage, constituaient plutôt un arrière-plan sonore, « les rumeurs océaniques de la fête » où se mêlent et se fondent les voix et la musique, de telle sorte que ne se distingue nulle parole, pas plus que ne se perçoit le bruit particulier de chaque vague dans la rumeur globale de l’océan.
Ainsi la parole de l’épouse ne rapporte pas d’autres paroles, mais des scènes vues. Or dans ces scènes s’offraient au regard des conversations, des échanges inaudibles qui donnaient sens à ce qui pouvait se voir. On voit que quelque chose se dit, mais on ne sait pas ce qui se dit.
La parole de l’épouse se réfère donc à une parole absente. On a affaire à un discours sur un discours absent. Un aspect essentiel du langage est peut-être ainsi révélé : tout texte, toute parole, se réfère à un texte absent, muet, qu’il cherche à dire sans jamais pouvoir le dire, sans jamais l’atteindre tout à fait.
Ce qui se voit serait-il plus parlant que ce qui se dit ? La scène vue et rapportée dans la parole repose sur un sens caché, une parole manquante, qui laisse place à de multiples interprétations, l’image ne se suffit pas à elle-même.
L’épouse éprouve pourtant une difficulté à dire la scène située dans le salon privé.
L’image du souvenir l’emporte un moment sur les mots, par sa force, par son caractère cette fois explicite, parce que parlante d’elle-même, parce qu’elle est le sens de toute la scène précédente, parce qu’elle dit tout sur le comte. Il faut l’insistance de Brigitta pour que le récit se poursuive, et que la parole reprenne le dessus.
« - Alors madame ?... Vous devez continuer !
- Je ne peux pas.
- Vous devez ! Parlez, parlez ! »
Brigitta est l’occasion de la parole, sa justification, peut-être aussi en partie, on peut le soupçonner, son destinataire.
Lorsqu’enfin l’épouse réussit à mettre des mots sur la scène du salon privé, alors tout est dit, tout est raconté. Toute la réalité est maintenant langage, toute la vie du comte et tout son sens sont dans le conte. La mort du comte est la vie du langage. La parole se tient désormais dans l’absence du comte mourant.

Bien que cause de la parole, Brigitta ne se satisfait pas de ce qu’elle produit. Elle cherche une réalité qui déborde les mots. Elle veut voir, toucher, sentir. Elle veut revivre la scène, « J’aimerais m’asseoir sur le canapé où monsieur le comte et le palefrenier se sont aimés. J’aimerais me coucher sur le tapis où Olivia T. s’est fait baisée… ». Plus que la représentation, elle cherche la présentation, l’être présent en scène. Elle cherche le contact direct, « Elle voudrait toucher le comte. Comprendre une vérité. », cherche la matérialité d’un corps, et, à travers lui, le désir. Le comte n’est pas encore tout entier parole, il est un être de désir, et elle, Brigitta, voudrait s’identifier à l’objet de ce désir, sur le canapé… sur le tapis… S’identifier, ou penser ce qu’elle est, ce qu’elle a été pour le comte, probablement.
L’épouse, paradoxalement, gifle Brigitta pour ne savoir se contenter des mots pour toute réalité, pour toute vérité, « Vous n’avez rien compris, petite sotte ! Je vous ai tout raconté. Cela devrait vous suffire. Ce sont mes paroles qui comptent. Je n’ai plus que les mots pour dernier plaisir ! » Seuls ses mots comptent, ses mots seuls font le comte, tout le compte. Qui n’est pas si bon. Qui en est à sa fin. En règlement.
L’épouse pourtant ne réussit pas, non plus que Brigitta, à se satisfaire entièrement des mots. Leur réalité l’étouffe, ils ont pris tant de place, toute la place, ils remplissent toute la pièce où meurt le comte, toute la réalité. « L’épouse se précipite à la fenêtre et boit violemment l’air tiède qui descend des montagnes. ». Les mots aussi la remplissent, l’habitent et la hantent. Elle se penche alors hors des mots pour se remplir de sensations, de perceptions, d’un d’air frais, des choses de la nature, « L’épouse à la fenêtre aspire le paysage ».
« Derniers plaisirs » des mots, insupportable parole.
Ainsi les mots sont « plus dangereux que la réalité », quand ils prennent toute sa place.

Meurt le comte, naît le langage. Mais aussi ce qui se meurt, avec cet homme, c’est toute une aristocratie, toute une époque, tout un monde. Le temps est à l’avènement des lignes ferroviaires, de l’industrie qui menace les propriétaires terriens traditionnels. Le bal, la demeure somptueuse, le milieu aristocratique, et bien d’autres détails encore contribuent à rappeler irrésistiblement l’inspiration de certains films de Visconti, le cinéma, le très grand cinéma.

Un texte donc très intéressant, riche dans son fond, bien maîtrisé dans sa forme.


Louis

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