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Les rats

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Message  Ichimaru Gin Mer 22 Fév 2012 - 12:48

LES RATS

“Un rat !” s'exclama R. en se redressant sur sa chaise. “Ils ont mis un rat dans cette boîte ! On a trouvé un rat ! Quelqu'un y croit ?”

Personne ne savait répondre. Nous fûmes congédiés dans les cinq minutes suivantes, avec pour ordre de comprendre comment une telle chose avait pu se produire. Je craignais de pire et hâtives décisions, et sortais donc plutôt soulagé du bureau de Monsieur R.
Qui avait pu faire une chose pareille ?
En rentrant chez moi, j'empruntais la passerelle des Quatre Berges d'Or. Hier soir je rêvais y danser avec K. Elle n'avait qu'un visage, et son corps, indéfini, long et long et long, s'enroulait dans le ciel et dans le Rhône, s’abîmait quand je le conduisais mal. Il montait par dessus le Vieux-Lyon, St Georges, puis ensuite la cathédrale, disparaissait après Fourvière et enfin on le voyait, au loin dans des nœuds de réapparition, comme ensorcelé de distance, colorié, en mille queues agitées, une sorte de panel d'extravagances, promises à l'imagination. K. voulait que je lui parlasse en français, mais n'y entendait rien.
“Oh ! tu es un écrivain, Gaston ; comme c'est ainsi dommage !”
Nous jouions dans un bal de rubans.
“Parce que tu ne seras jamais content. Tu auras déjà écrit tout ce que tu voulais savoir de moi. Ou alors tu n'as aucun talent et tu n'es pas intéressant, n'est-ce pas. Quelle genre de femme se donne à un littérateur ? Une fière, avec des chapeaux nobles qui ressemblent aux casquettes d'un chef de navire ?”
Je m'arrêtais de danser. Je pouvais sentir leurs pattes me chatouiller les mollets. Les yeux fermés, vent et vagues chassaient le rêve. Quand elle parlera notre langue, la laisser partir...

*

“Alors, vous me dîtes, G., que vous avez mis le rat dans cette boîte.
- Techniquement...”
Le regard de R. m'incitait à la brièveté.
“Oui, on peut dire cela, monsieur.
- Et pourquoi auriez-vous fait une telle folie ?”
Je pensais aux longs monologues dans lesquels je lançais les héros de mes nouvelles, au cours desquels ils démêlaient des situations en construction depuis plusieurs chapitres. Il se dégage une mélodie d'un monologue, et il est réussi si cette mélodie n'est pas pour soi seulement. Mais ici, que dire.
“Je suis sortie avec cette fille.. cette K. ... elle apprivoisait des rats.”
R. ne semblait ni surpris ni décontenancé.
“Alors quoi ? Elle a voulu se venger ? Ou vous vouliez vous venger de quelqu'un ici ?
- Ce n'est pas aussi trivial que ça...
- Allons bon ! Il ne s'est tout de même pas ramené tout seul, ce foutu rat !”
Un rongeur se manifesta, en courant d'un coin à l'autre de la pièce. R. se tourna vers moi puis vers le mur puis vers moi encore.
“Ecoutez, je vais y aller... prendre quelques jours... je reviendrai...
- M'enfin G., à quoi cela rime-t-il ? Vous vous foutez de moi ?
- C'est... Je crois, patron, que chaque fois que je pense à elle, un de ses rats grandit et apparaît.”

*

Entre deux immeubles, dans l'espace que dévoilait ma fenêtre, il faisait sombre. Plus sombre et différemment que la nuit, comme si des balcons remplis d'encre de Chine étaient venus crever sur les encoignures des toits, déverser leur liquide dans l'atmosphère. Il suffisait d'ouvrir la vitre pour s'imprégner de cet air et aller tâcher ses draps. On fera ensuite des rêves très clairs pour leur faire passer les tâches et les retrouver intacts au matin.
Je tentais de me rappeler des visages de mes amis. J'évoquais leurs noms. Quelques souvenirs, ramenés bien difficilement à la hauteur de ma mémoire me faisaient sourire. Mais une étape de plus me séparait d'eux maintenant. Pour les retrouver il aurait fallu plus que ces sourires et l'image de visages trop polis. Je fermais les yeux et me postais derrière les rideaux. Les voitures dans les rues libéraient leurs bruits qui se répercutaient comme les étincelles de la tentative d'un gosse pour allumer un feu, en grattant une pierre contre une autre. Un homme longeait le trottoir. Il se retournait de temps à autres puis reprenait son chemin, comme déçu de n'avoir personne à sa poursuite. Combien de temps il nous faudra marcher puis aller se coucher muet, avant que d'être suivis ? Ce sont des questions que l'on préfère éluder ; on ne se sentirait plus chez soi.
Les clochards, personne ne les suit non plus. Parfois ils prennent un chien mais alors c'est lui qui marche devant et les conduit. A-t-on jamais vu des hommes qui connaissent leur chemin ?
Toutes les méchancetés coincées devant mon immeubles sont neuves, inutilisées. Les autres ont les leur quelques blocs plus loin. A eux tout seuls et seulement. La nuit prend sans difficulté dans le contexte, elle renverse les poubelles, elle claque les portes, elle emporte les chats errants. C'est une longue douche calme et pour personne.
Vers une heure du matin, les derniers alcooliques viennent pisser contre un portail. Ils chantent, ils se taisent. Ils ont peur d'aller dormir. J'écoutais leur discussion quand ils traînaient en groupe. Ça semblait toujours être la même ; ils se plaignaient du froid. On a pas plus à dire une fois bourré que sobre, on est aussi nul que les journées sont courtes malgré le peu de choses qu'on ait à y faire.
Toutes les vingt ou trente minutes, comme pour exaucer mes rêves, plusieurs copines souriantes passent dans des éclats de vêtements à la mode. Une partie de moi leur fait face, en bas, marche avec elles. Je n'ai jamais rien eu à leur dire. On regarde en soi, surpris, on regarde en l'air et on les regarde partir. Ça sert à rien. Il s'en faut de beaucoup pour qu'on sache parler.
Je voyais K., la passerelle, l'eau, les rubans. Les chapeaux de chef de navire, des femmes. K. sur une île déserte, peut-être.
Prenant possession de tout, des rats plein mon bateau, grimpaient jusqu'aux fenêtres. Toutes les nuits, ils m'accompagnaient, et K. sur une île déserte, son mauvais rose aux lèvres - comme si on maquillait une morte ! Elle porte une robe noire, et je trouve cela exagéré, affecté. Nous dansons et les rats continuent de monter et les rats, partout, et dans ses yeux il n'y a qu'un grand rat brun, et dans ses cheveux des queues de rats coupées et ses joues sont celles de jeunes rats lourds et ses jambes longues et longues et longues comme plusieurs rats tendus à la suite, et son sourire ratier et ses doigts aux griffes de rat, et des millions de rats dans mon cerveau dansaient.
Je voudrais dormir.

*

Quand les couples se séparent, ils laissent s'écouler une poignée de jours consacrés au chagrin puis, après l'avoir bien maîtrisé comme un petit animal sauvage domesticable, ils sont prêts à se revoir pour évacuer la question des affaires personnelles. Elle a laissé des sous-vêtements chez lui. Il a laissé sa brosse à dents au bord de son évier. C'est parfois l'inverse. On se demande comment ils revenaient chez eux du temps où. Nue sous son jean ? Bouche sale jusqu'à revenir chez elle ? On se le demande, mais personne ne pose la question. C'est la vie privée, qui l'est même de la plus élémentaire curiosité.
Les escaliers de mon immeuble sont si étroits qu'on vérifie chaque fois qu'on les emprunte s'ils n'ont pas encore rapetissés depuis la dernière panne d’ascenseur. Arrivé au premier, on tente à nouveau de l'emprunter. Sa lumière en forme de flèche ment et clignote pour rien. Y a rien à faire.
C'est peut-être qu'on grossit, devient plus larges, à force de rentrer toujours dans le même trou d'habitation. Si on descendait quotidiennement dans sa tombe, on finirait sûrement par les faire creuser davantage épaisses.
Comme je montais, j'entendais quelqu'un descendre qui serait bientôt en face de moi. Le son rend les hommes propices à l'imagination. Toutes les hôtesses d'accueil au téléphone sont de jolies jeunes filles charmantes. Leurs consœurs en chair et en vue n'ont pas les avantages de se dissimuler derrière le bruit de leur voix.
Combien ils en ont vus, des croisements, ces escaliers ? Peut-être pas tant que ça depuis l'avènement de l'ascenseur. Pour ça qu'ils se resserrent ? Comme un foulard, premièrement accueille la chevelure entière, puis la compresse, et il n'en sort qu'une sorte de natte, sans nœud mais unie, un cheveu de cheveux.

*

Dans mon appartement, les objets appartenant encore à K. n'étaient pas légion. Tout au plus quelques-uns dont nous partagions la propriété : la machine à café, moi seul en buvait, la couverture pour les soirs où je m'endormais sur la table sans avoir atteint le lit.
De ma fenêtre rien n'avait changé.
Un ami frappa à la porte, je le fis entrer. Nous discutâmes. Mon frère, qui partait en déplacement à l'étranger, l'avait prévenu de mes soucis au travail. Je lui expliquais mes inquiétudes et mes soupçons. Il réprima non sans efforts une mine défaite quand j'en vins au chapitre des rats. Bien entendu aucune de ces satanés bestioles ne se manifesta alors, et je restais sans preuve contre mes théories.
Il me conseilla malgré tout de changer d'appartement. On peut mesurer combien bas vos amis vous imaginent selon l'éloignement qu'ils vous conseillent de prendre pour aller mieux.
A son étonnement, j'acceptais sa suggestion sans hésiter. Il voulu s'occuper de tout, il connaissait du monde. Qui connaissais-je, moi ? Où l'avais-je connu, cet ami, ce P. ?
“Tu as une demande particulière ? Pour l'appart ? un truc spécial auquel tu tiens ?”
Je fis la moue puis griffonnai mes vœux sur un papier. P. les lut, et sortit sans me dire au-revoir.

*

H. m'accueillait pour mon retour. Par précaution, mon nouveau bureau se situait dans un autre bâtiment que le quai d'expédition.
“Il se trouve que c'est lors de la pose de la nouvelle moquette. Ils auraient laissé des trous dessous ! Tu sais comment c'est ces bêtes, ça passe partout.”

*

Je souriais à ma nouvelle fenêtre. Les rats faisaient leur ouvrage, je faisais le mien. Et je dormais la nuit. Chacun à sa place. K.,dans ma cave, humide, occupée par les rongements des rongeurs, dormait dans la nuit de ses seuls soucis à elle.
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Message  Ichimaru Gin Mer 22 Fév 2012 - 12:55

je ne trouve pas la fonction editer, alors je poste la correction en commentaire : il faut lire "P. les lut" au lieu de "Mon frère les lut".

La fonction "éditer" est désactivée sur VE.
La phrase a été corrigée selon votre souhait.
Il existe un fil sur le forum Conversations pour les demandes de modifications auprès de la Modération qui s'en charge bien volontiers : http://www.vosecrits.com/t6789-pour-les-demandes-a-la-moderation-modifications-catalogue-ve-c-est-ici

La Modération
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Message  elea Mer 22 Fév 2012 - 18:41

Il y a de jolies choses dans ce texte, dommage qu’elles soient noyées par un fil narratif distendu et diverses digressions.

Le tout m’a semblé plutôt obscur et partant dans tous les sens, fouillis. Mais, en fouillant justement, beaucoup de phrases et d’idées ont du charme.

J’ai bien aimé le fait que les rats se matérialisent dès que le narrateur songe à K.
Bien aimé aussi l’ambiance du rêve, tous ces rats qui remplacent l’être peu à peu.
Et certaines réflexions On a pas plus à dire une fois bourré que sobre par exemple.



elea

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