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La pudeur

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Message  Invité Dim 4 Mar 2012 - 23:32

Elle entendit la messagerie de son portable se manifester au loin dans la maison. Il pouvait sonner. Ses gammes de piano passaient bien avant un SMS. Elle allait lui faire la peau à ce blues en si bémol, groove baby. Depuis le temps qu’elle répétait la mesure, elle sentait monter en elle le blues de ne pas être née de parents musiciens ou de n’avoir grandit à une autre époque, dans le Mississipi, dans les bas fonds d’un ghetto noir. Concentres toi au lieu de penser à de telles bêtises, se disait-elle. Et cette sonnerie qu’elle avait entendu sans le vouloir, lui faisait accélérer la cadence un peu plus à chaque ligne musicale. Ce n’était plus du blues mais ça allait devenir une polka si elle ne consultait pas ce foutu téléphone.
Elle dévala les escaliers, à la recherche de l’engin qui se cachait toujours là ou elle l’abandonnait. Elle ne prêtait pas grande importance à ce téléphone portable contrairement à ceux, qu’elles trouvaient ridicules, rivés sur leurs petits écrans. Pour tout dire elle ne voulait pas que cet objet soit un « fil à la patte ». Alors ça l’agaçait de le chercher, lui qui claironnait comme pour lui chantonner « toi aussi ma belle tu ne peux plus te passer de moi ». Il n’avait pas tout à fait tort celui qui envoyait les messages, des chaînes aux pieds il lui avait mis.
« Est-ce que ça va toi ? »
Et bien en effet ca méritait pas de tomber dans l’escalier. Il aurait pu faire plus original. Quoi répondre ? « Oui moi ca va, je te dirais ça dans quelques années.» Non évidement trop dramatique. Elle tapota comme à chaque fois une réponse enjouée d’humour. Puis se connecta à son ordinateur qui trouvait le chemin jusqu’à lui en trois clics. Tant d’évolutions technologiques se réduisaient à une discussion ininterrompue depuis bientôt un an. De voir son nom parmi les connectés, elle en avait honte mais ça la soulageait. La certitude de passer un moment hors du temps.

Depuis qu’elle l’avait rencontré, elle ne comprenait pas leur relation. Plus elle essayait d’être pragmatique plus ses contradictions lui revenaient comme des boomerangs. En pleine face les failles et les paradoxes. Prise de vertige face aux mystérieux attachements, elle se résigna à laisser l’histoire aller vers son destin.
Quand elle l’avait vu pour la première fois, elle s’était dit « Ce ne sera pas encore avec celui là que je passerais le reste de ma vie ». Ne dit-on pas qu’il faut se fier à ses premières impressions ? L’élan est une vérité instinctive. Alors pourquoi avait-elle joué cette fille tout à coup fantaisiste et insouciante ? Peut-être parce qu’il était là, les bras ballants à se demander si ce petit clown l’amusait ou l’attendrissait de bonheur. Et lui que s’était-il dit en l’a voyant ?

Il n’était pas du genre expansif, un mystère à lui tout seul, bien plus grand encore que tous leurs secrets réunis. Sans le savoir, il s’était déjà attaché à elle. Il lui balançait des petites phrases comme des boulets de canons pour faire vaciller ses remparts. Des munitions d’humour, une artillerie de délicatesse cachée derrière des murs de maladresses. Enfin pour la toucher, encore aurait-il fallu qu’elle soit devant lui. A peine osait-il lui envoyer sa flèche, qu’elle avait déjà disparu. Elle n’était jamais très loin mais pas en face, dans ses yeux à lui. Il aimait alors prendre les autres à témoin, afin d’endosser le rôle du plaintif délaissé. C’est pour cela qu’elle s’amusait à le surnommer du nom d’un poussin qui manquait d’amour. Il fallait bien qu’elle ramène à une juste mesure cet amour qu’elle devinait dans l’air tout autour d’elle.

Ils avaient pris ainsi leurs habitudes, de sorties en ballades, mois après mois, toujours très entourés. Heureusement qu’ils n’étaient jamais seuls sinon comment auraient-ils fait pour ne pas se regarder. Lorsque l’un tentait une confidence, c’était en regardant au loin, au dessus de l’épaule de l’autre. Il fallait être attentif car l’aveu n’était pas si banal qu’il y paraissait et était lâché très vite comme un paquet dont on se débarrasse. De pointillé en pointillé, ils finissaient rarement leurs phrases qui restaient suspendues comme des perches offertes à l’autre. On ne savait pas bien où allaient ces offrandes sauf qu’elles brillaient dans leurs regards comme lorsque tout est possible l’espace d’un instant. Alors pourquoi rien n’était possible ? Pourquoi résistait-elle alors que les autres aimaient regarder leurs évidences.

Il lui avait dit qu’il l’aimait d’un amour aussi fort qu’improbable. Il avait comme ça le chic pour résumer la complexité à sa plus simple racine. Elle qui aimait éplucher, décortiquer, soupeser les idées, il avait l’art de la formule efficacement désarmante. Tandis qu’elle vivait lentement en avançant prudemment, il n’avait pas le temps de prendre soin de sa vie. N’était-ce qu’un problème de rythme lorsqu’il la brusquait par son impatience puis la lassait par ses hésitations ? Ils avaient essayé comme tout le monde de mélanger leurs corps mais est-ce qu’ils étaient comme tout le monde ? En brûlant leur abstinence ils oubliaient tous leurs égards dans un incendie compulsif de sexe. Il avait raison l’amour ne s’explique pas lorsqu’il réunit deux êtres différents, improbables. En attendant puisqu’ils se parlaient toujours en regardant le bout de leurs chaussures, ils allaient s’écrire.

Plus de 300 jours, à raison d’un dialogue quotidien, sans compter les messages téléphoniques, informatiques, poétiques...cela devait faire des milliers ou peut-être même des millions de pensées qui mis bout à bout atteignaient des kilomètres de délicatesse. Des heures hors du temps, hors de portée de leurs urgences. Jamais ils ne se donnaient rendez-vous, ils se retrouvaient au hasard des jours et des nuits. Aucune astreinte, ils étaient libres que diable !
Parfois, sans prévenir, ils laissaient les jours passer, feignant l’indifférence, c’était à celui qui baisserait sa garde le premier. Une trêve dans leur bienveillante accoutumance. Au troisième jour elle le haïssait autant qu’il lui manquait. Ils n’étaient pas des dealers à la sauvette qui distillaient leur poison d’amour au compte goutte. Mais lui, il aurait aimé créer le manque chez elle. Si seulement elle était moins orgueilleuse, elle n’aurait même pas eut à quémander. Puis comme si de rien n’était, ils reprenaient le déroulement de leurs dialogues comme on déplie un papier cadeau qui recèle de touchantes attentions. Elle savait pourtant combien les dialogues informatiques étaient des boites à rêves, des cures de jouvence, des caches misères. Et si de toutes ces utopies il restait ne serait-ce qu’un noyau intacte de pureté.

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Message  ubikmagic Lun 5 Mar 2012 - 0:18

Hello,

Je n'ai pas trouvé le thème passionnant mais justement : vous n'en avez que plus de mérite de le traiter. J'ai trouvé çà et là des petites idées, des trouvailles, des acrobaties verbales intéressantes. J'en cite un peu, pour étayer mes dires :

"Il lui balançait des petites phrases comme des boulets de canons pour faire vaciller ses remparts. Des munitions d’humour, une artillerie de délicatesse cachée derrière des murs de maladresses".

Ou encore :

"En brûlant leur abstinence ils oubliaient tous leurs égards dans un incendie compulsif de sexe".

Je ne sais pas... J'imagine aussi bien que ça puisse plaire à certains, et je vois déjà les autres crier au cliché. Plus ça va, plus la dimension subjective du commentaire m'apparaît, elle englobe tout... Phagocyte le propos. J'ai été surpris par certains raccourcis, qui m'ont fait sourire. Après... Plus j'y réfléchis, plus je me dis qu'il est des cas où juger est difficile. Alors...

La première citation, en la relisant, me fait penser, j'ignore pourquoi, à Brussolo. Cette façon de coller deux mots l'un à côté de l'autre, qui pourtant ne devraient pas se croiser...

Voilà pour ce soir. J'avoue que ça n'est pas terrible. J'espère que les suivants feront mieux.

Ubik.

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La pudeur Empty Re: La pudeur

Message  Invité Lun 5 Mar 2012 - 9:41

Oui le sujet internaute est banal, j'en conviens mais faisant partie du quotidien de beaucoup de personnes j'ai essayé de rendre le sujet plus "fouillé" et attachant.
ll y aura une suite et fin que je n'ai pas eut encore le temps d'écrire, je m'en occupe dans les jours qui viennent..



Après tout, ils faisaient attention l’un à l’autre et c’était ce qui leur importait. Il pensait à elle tous les jours, elle espérait qu’il le fasse. Pourtant, sans le savoir, ils étaient souvent à coté de la plaque.
Elle pourrait quand même être moins étourdie, mais à quoi elle pense avec son regard inaccessible, elle n’est même pas attentive à ce qu’on lui dit. C’est une bourgeoise qui se la joue. Et puis elle ne peut pas le décrocher son portable, même les messages, il lui faut du temps pour y répondre. Si ça se trouve elle me baratine depuis le début avec toute sa prose qu’elle débite au premier venu.Evidement avec ses horaires elle a le temps d’en faire de belles phrases. Je le sais depuis le début, on a rien à voir ensemble, c’est juste qu’elle me plait et qu’elle n’est pas con mais après on ne fait pas le reste de sa vie avec une tête pleine ou même agréable à regarder.
Cette fois-ci c’est vraiment la dernière fois que je lui envoie le moindre petit message à ce goujat. Il croit que j’ai que ca à faire de me soucier de ses humeurs. Je les connais ces manies de vieux avant l’âge. A quoi ça sert de m’envoyer tous les jours du « comment vas-tu ? » « bonne journée », « bonne nuit »…les jours ne se ressemblent pas assez comme cela pour en rajouter. Et puis cette habitude de couper tous les soirs à la même heure le dialogue, comme si à la minute d’après son lit allait prendre feu. Trop sage, aucune fantaisie. De toute façon je ne saurais jamais rien de lui, c’est un style de ne pas s’épancher, il croit que ça le rend irrésistiblement ténébreux. Ce n’est pas un timide, c’est un égoïste. Franchement un polonais mêlé à des racines corses et bretonnes ça ne peut donner qu’un taiseux, du pur concentré de concision.
Bien sûr tout cela ils le gardaient pour eux car ils se donnaient bien davantage que ces vexations.

Il se demandait comment il avait fait jusqu’à présent, avant de la connaitre. Plusieurs fois il aurait pu la perdre à force de tout gâcher, à cause de tout ce désarroi qu’il trimballait. Il lui avait lancé un jour, comme ça, que la maladresse c’était l’histoire de sa vie. En tout cas elle était là, tous les jours s’il le souhaitait. Devant elle, il n’osait rien mais il l’aurait bien étouffé de ses bras. Il aurait aimé que ce soit elle, qui l’enlace pour éclater leurs bulles mélancoliques et qu’il donne enfin un coup de frein à sa vie. Puisqu’elle n’avait pas le geste tendre, elle se rattrapait en prose. Elle avait les mots de ses actes manqués. Il se pelotonnait dans chacune de ses histoires comme dans une couverture. Mois après mois, les mots colmataient les brèches, refermaient les crevasses. Un jour, c’est sûr, l’histoire sera écrite juste pour lui.

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Message  Janis Lun 5 Mar 2012 - 17:31

pour mon goût, si l'écriture est belle, c'est un peu trop explicatif.
Je vais prendre le temps de le relire (c'est long !) pour en dire plus
Janis
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Message  Invité Mar 6 Mar 2012 - 20:51

SUITE ET FIN

Sa mauvaise foi l’avait un peu quitté, elle avouait écrire beaucoup pour lui, impatiente de lui faire plaisir ou de savoir ce qu’il en pensait. Les réponses laconiques du taiseux étaient pourtant frustrantes. Il était son premier lecteur, sans doute pas assez objectif, trop admiratif. Puisqu’il ne se racontait pas, elle allait lui en balancer des vérités toute crues sur sa vie à elle. Impudique générosité. Pourtant d’ordinaire elle était secrète, comme pour dissuader les hommes de s’approcher davantage. Elle se méfiait de leurs sourires trop aimables pour être honnêtes, de leurs yeux brillants du désir de conquête. Ils s’écoutaient parler vantant leurs mérites, elle, gardait les siens toujours pour elle. Leurs petites attentions sonnaient faux tout comme leurs rires qui voulaient souligner un sens aigu de l’humour. En clair elle s’ennuyait vite.
Lui, c’était pas du simili de sentiments. Ses failles tangibles, il n’essayait pas de les masquer. Facilement troublé, il en était touchant. Son impertinence c’était pour détourner l’attention de son embarras. Il n’essayait pas de faire de l’humour il était l’intelligence de la dérision. La rapidité de ses réparties la prenait toujours de court. Les petites répliques lâchées l’air de rien c’était sa signature, ses armes désopilantes. Il lui arrivait tout à coup d’être l’amuseur d’une assistance entière qu’il déridait comme il le désirait. Dans ces moments là, s’il avait su combien elle était fière et aimante. Elle s’imaginait à ses cotés pour oublier ce qu’était l’ennui jusqu’à la fin de ses jours. Elle rêvait l’espace d’un instant d’un avenir commun, précisément pour ce qu’elle découvrait chez lui comme des trésors d’agacement : tant de sobriété c’était l’élégance de son tact, ses hésitations les preuves de son adoration, sa sagesse la marque de son respect.
Oui c’était cela leur mystère depuis bientôt un an, la délicatesse de leur pudeur reposait sur un respect immense, pur, intouchable. Elle comprenait alors, qu’elle était à genou depuis longtemps, sans le savoir, il l’avait mise debout.

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Message  midnightrambler Ven 9 Mar 2012 - 22:20

Bonsoir,

Comme il y a la relation purement physique, charnelle et sexuelle, il y a maintenant depuis quelques années la relation purement intellectuelle par le biais d'internet.
On sent le vécu dans cette belle écriture efficace et précise et j'ai revécu ce que tout ceux qui n'ont pas été confrontés à cette expérience ont du mal à imaginer et à comprendre.
Tout cela a certes déjà été largement décrit et analysé ...

Amicalement,
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