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J'ai oublié comment je m'appelle

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Message  Yugoski Lun 5 Mar 2012 - 22:33

J'ai oublié comment je m'appelle.

Je flottai dans un liquide comme de l'eau, opaque et silencieux, j'étais un sachet plastique à la dérive.
Rapidement, je retrouvai mon poids et m'enfonçai dans la vase, je coulai.

Je me réveillai dans une pièce froide, poussiéreuse. Les néons émettaient un grésillement et ne me permettait pas d'appréhender correctement l'espace qui se déployait autour de moi. Pas trop loin, un bruit persistait, c'était quelque chose comme une brique dans une machine à laver. Elle tournait à plein régime, j'avais mal au crâne.

Je me trouvais las, étendu sur un matelas dur comme de la roche, et je sentais quand même les ressorts du sommier. On avait ligoté mes poignets et mes chevilles aux barreaux du lit, je gigotai mais l'acier des menottes arrachaient des lambeaux de ma peau. Les barreaux claquaient contre le mur et ce bruit, combiné à celui de la brique dans la machine, rendait le moment encore plus invivable. Il fallait vite que je me calme et que la douleur s'estompe. Des pas raisonnèrent. Interloqué, je cessai de me débattre et tentai de trouver un visage familier, quelqu'un ou quelque chose qui me fasse sortir du brouillard. Le visiteur marchait d'une façon très lente et la cadence battue par ses semelles sur le carrelage ne s'accordait pas avec celle de la brique sur l'acier, formant une cacophonie métallique proche du crissement d'un train sur des rails rouillés.

A force de le vouloir, je distinguai une longue silhouette, une chevelure négligée aux reflets argentés, une blouse blanche à gros boutons et deux minuscules yeux, noirs et globuleux, carrément inexpressif. Il me contempla un instant, ma respiration trahissait ma terreur : sans trop savoir pourquoi, je me sentais en danger, mon esprit était vide, comme vierge, une putain de page blanche. Le type se rapprochait doucement, en souriant. Ses deux mains jointes dans son dos, il éclatait des petites bulles de salives derrière ses dents, je les entendais. Mon ouïe était exacerbé et ma douleur, décuplée. Je vis sa main s'approcher de mon visage et il posa son index sur le bandage qui couvrait mon front.

-Ça fait mal ?

Son geste était précis, et même s'il avait la tremblote, il semblait plutôt concerné. Je devinais alors être en présence d'un médecin, un peu lugubre, certes, mais un médecin quand même. Les médecins ne veulent de mal à personne et cette idée me rassura un peu.

-Non, ça va. Pas du tout, même.

Ça piquait un peu mais je refusai d'extrapoler mes sentiments et je me donnais déjà trop en spectacle. Cet homme était probablement animé par de très bonnes intentions et moi je voulais juste redonner un sens à ma vie, remettre les éléments dans l'ordre, classer mes souvenirs par ordre chronologique, ou je ne sais quoi. Sauf que rien ne me revenait. Absolument rien. Le médecin se rapprocha brusquement et son haleine puait le tabac froid, il devait au moins carburer à un ou deux paquets par jours, peut-être même plus. J'aperçus de petits poils raides et drus sur son nez rond, comme s'il se rasait à cet endroit. Ses deux lorgnons télescopiques me renvoyaient mon image : j'étais pâle et décomposé, le crâne sévèrement comprimé par un bandage souillé.

-A présent, je vais faire la même chose, mais sous le bandage. Dîtes-moi ce que vous ressentez.

Il le souleva à l'aide de son pouce gauche et effectua une nouvelle série de pressions. J'eus l'impression qu'on me collait un fer à repasser sur le coin de la gueule, je souffrais et le cri qui s'échappa de ma gorge n'était pas contrôlé. Et il continuait à appuyer, de plus en plus fort. Je sentis une plaie grouillante, une chaire à vif.

-Là, ça fait mal, dit-il avec satisfaction.

Son sourire découvrit des dents entartrées et je ne comprenais vraiment pas sa démarche. Je grimaçai et, tandis qu'une sueur froide imprégnait le bandage, il attrapa fermement ma mâchoire, me força à ouvrir la bouche et m'enfonca deux doigts au fond de la gorge. Eux aussi avaient le goût de tabac froid et lorsqu'il les retira, je lui gerbai dessus. Cela le fit rire. La brique rebondissait encore et la machine tournait trop vite, c'était pire que d'entendre les réacteurs d'un avion au moment du décollage.

-Comment vous vous appelez ?

Vide, page blanche. D'un côté, je l'avais sur le bout de la langue, mais de l'autre, j'étais incapable de m'en rappeler. Il me restait bien les traces d'une sonorité, un schéma de plusieurs consonnes se formaient dans mon esprit, sans rien former de concret. Je restai sans voix et ce chirurgien à l'hygiène douteuse admirait le désarroi dans mes yeux, les mains sur les hanches. Il tourna les talons et me laissa seul, dans cette pièce lugubre. Même les fissures du plafond représentaient des possibilités d'évasion, j'étais vraiment au fond du trou. Jusqu'à ce que le médecin revienne, accompagné par un doux parfum d'épices sucrées.

Je reconnus l'odeur de la cannelle, de la noix de coco mélangé à celle de petits bonbons au goût de fraise. Ces senteurs s’immisçaient dans la pièce et me comblaient de bonheur. Des talons aigus tapaient le carrelage sombre, une présence féminine familière occupait cette salle d'opération à moitié délabrée. Je m’efforçais de faire correspondre les indices olfactifs avec des images, ou des sons, mais tout restait trouble. J'avais besoin de plus d'information pour entreprendre le gigantesque puzzle de ma mémoire. Le médecin s'entretenait avec la femme. Je captai des bribes de discussions, parfois étouffées par les réacteurs nucléaires qui s'emballaient jusqu'à exploser : il ne décollerait jamais.

-... Mais, dans l'ensemble, tout à l'air de fonctionner correctement. Après, il est nécessaire que le patient respecte une période d'observation, disons, d'une quinzaine de jours. Il n'y a pas vraiment de risque, vous savez, mais en cas d'infection, de problème de cicatrisation ou de déficience mentale trop sévère, il est de bon ton de prévenir, plutôt que de guérir à nouveau [...] périlleuse, il faut donc garder les yeux ouverts et changer le bandage, tous les deux ou trois jours, cela dépendra de ce qui s'écoulera des plaies.
-D'accord, Docteur, pas de problème. Je vais tout faire comme il se doit, ne soyez pas inquiet à ce sujet.
-Je ne suis pas inquiet, Lucifère, je ne suis pas inquiet du tout.

Mon prénom restait un mystère mais celui-ci, ouais, celui-ci me disait bien quelque chose. Je l'associai spontanément à la douceur, à l'amour et aux envies charnelles ; Je commençai à triquer. Je sentis la douceur de sa peau lorsqu'elle passa sa main sur ma joue, très délicatement, je ronronnai sous ses caresses comme un jeune tigre mignon. Elle aussi, elle avait l'air heureuse et l'avion décolla enfin. Je débordais de tendresse à son égard. Elle serra le médecin dans ses bras. Visiblement, il m'avait sauvé la vie.

-Merci, Dr. Cronenberg, merci mille fois.
-Ce n'est rien mon enfant, ce n'est rien. Vous savez, après tout ce que votre père a fait pour moi, c'est normal. Et puis, vous avez payez le prix fort.

L'éclairage ne bégayait plus, un silence moelleux s'installa en même temps qu'une harmonie entre mon corps et mon esprit. Les fondations de ma mémoire perdue étaient posées et il fallait que je poursuive le chantier, sans plus attendre.

-Lucifère, qu'est-ce qu'il s'est passé ? J'ai été... malade ?
-Oui, mon amour, dit-elle en caressant mon bandage, tu étais malade. Tu étais même devenu fou, tu ne savais plus ce que tu disais, tu devenais méchant, tu ne distinguais plus la frontière du bien et du mal, du vrai et du faux. C'était terrible pour notre couple et je voulais nous sauver, peu importe le prix que ça nous a coûté. Le Dr. Cronenberg est une pointure et, avant toi, il a opéré des centaines de cerveaux. J'étais certaine de t'avoir confié entre de bonnes mains.

-Comment je m'appelle ? Comment se fait-il que je ne me souvienne pas de qui je suis, mais que des sensations me reviennent lorsque je sens ton parfum ?
-Ça, fait-elle en me caressant comme un toutou, c'est parce que tu es désespérément amoureux de moi. Ton nom est Belzébuth.

Quelque chose ne tournait pas rond. Le robinet au fond de la pièce n'était pas fermé correctement et des gouttes éclataient contre la paroi, dans un fracas abominable. Lucifère mordait l'intérieur de ses joues, les mouvements de ses mâchoires m'indiquaient son anxiété. J'avais tout oublié, sauf elle. Ce n'était pas normal et elle le savait bien.

-On a effacé ma mémoire ? C'est ça ? C'est ça, Lucifère ?
-J'ai gardé le plus important, mon amour. Tu comprends ? pour faire de la place. Tais-toi, maintenant.

Doucement, elle déposa la paume de sa main sur mes lèvres, elle ne voulait plus m'entendre et Cronenberg devait dire un truc mais sa gorge enrouée l'en empêcha. Je recommençai à me débattre, les bruits à endommager mes tympans.

-Si vous le permettez, Lucifère, je pense que le patient doit encore se reposer, déclara finalement le médecin sur un ton monocorde. Je vais le mettre sous médicaments, ça évitera ce genre de crise à l'avenir. Il se peut que votre ami s'habitue difficilement à sa nouvelle mémoire.
-Et en cas de rechute, docteur ? Si l'opération n'a pas réellement fonctionné ?

Troublé, Cronenberg alluma un cigarillo et une odeur immonde se répandit, écrasant celle du doux parfum épicé. Il formula sa réponse à voix basse, je n'entendais rien et puis le bandage qui couvrait mes oreilles n'arrangeait rien, mais je me concentrai quand même.

-...Périlleuse et je ne pouvais pas...de plus grande envergure...mourir...
-Mais, docteur, je veux qu'il m'aime !
-Il faut relativiser, Lucifère. L'opération n'est peut-être pas un succès total mais le progrès est tout de même conséquent. J'ai pu effacer une partie bien définie de sa mémoire, et supprimer ses sentiments et ses émotions le transformerait en légume...
-Je veux qu'il m'aime et qu'il la ferme !

Lucifère était furibonde, vraiment hors d'elle. Des larmes coulaient tout au long de ses mots. Cette opération visiblement destinée à m'abrutir semblait lui tenir à cœur. Cronenberg n'était pas en mesure de la raisonner et l'appât du gain devait un peu jouer aussi.

-Si c'est votre souhait le plus profond, je peux m'y employer, mais ça risque de vous coûter cher, vous le savez.
-Je m'en fiche, Cronenberg, Je m'en fiche. L'argent, ce n'est pas un problème. Vous connaissez l'étendue de la fortune de mon père.
Horrifié par l'idée qu'on puisse parler de moi comme on parle sale rat de laboratoire, je tentai vainement de m'imposer dans cette discussion. Aussitôt, Lucifère se mit à hurler avec des yeux d'assassins :

-Toi, ta gueule ! Ça t'amuse de me faire souffrir ? Ça te plaît ? Ça t'excite, hein ?

Elle éclata en sanglot, Cronenberg me fit une piqûre et la lumière s'estompa brièvement. Divers faisceaux lumineux dansèrent dans mes yeux et le vide m'absorba.

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Message  Janis Mar 6 Mar 2012 - 8:20

ça me plaît toujours beaucoup ces textes jubilatoires
le côté organique aussi, l'intériorité, les sensations corporelles qui me rappellent bien des choses (sauf que je ne crois pas qu'on m'ait enlevé une partie du cerveau, quoi que)
Ça baisse un peu pour moi au moment de l'explication finale, mais globalement j'ai pris grand plaisir à lire ce texte
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J'ai oublié comment je m'appelle Empty Mené de main de maître.

Message  ubikmagic Mar 6 Mar 2012 - 11:37

Excellent texte, bravo. Original, mené de main de maître et au style impeccable, les sensations, doutes, angoisses, sont très bien rendus. Quelques broutilles à revoir, mais je laisse ça aux suivants.

Ubik.
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Message  ubikmagic Mar 6 Mar 2012 - 11:38

Euh, juste un truc : Cronenberg, référence au réalisateur, ou pur hasard ?

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Message  Yugoski Mar 6 Mar 2012 - 13:02

merci Ubik. Oui, hommage à mon réalisateur fétiche :-)

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J'ai oublié comment je m'appelle Empty Re: J'ai oublié comment je m'appelle

Message  Lizzie Mar 6 Mar 2012 - 13:13

J’ai du mal à adhérer, tout simplement parce que la confusion mentale est décrite très logiquement pour quelqu’un qui est en plein dedans, du coup, ça me parait artificiel, mais ce n’est que mon goût, mon regard sur le texte.

Quelques remarques ça et là :

-L’entame me semble bateau.
-Bien trouvé, la brique dans la machine à laver. Ça m’évoque une vidéo où l’on voit une machine exploser à l’essorage.

A force de le vouloir, je distinguai une longue silhouette, une chevelure négligée aux reflets argentés, une blouse blanche à gros boutons et deux minuscules yeux, noirs et globuleux, carrément inexpressif. Il me contempla un instant…
Le « il » se rapporte à silhouette, je suppose ?

Eux aussi avaient le goût de tabac froid et lorsqu'il les retira, je lui gerbai dessus.
Le narrateur est menotté au lit sur le dos. Du coup, j’ai du mal à visualiser. C’est idiot, mais je me dis qu’il va s’étouffer, à gerber vers le haut, non ?

Ces senteurs s’immisçaient dans la pièce…
Le choix du verbe me parait étrange.

J’aime bien :
Des larmes coulaient tout au long de ses mots.

Lizzie

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Message  Yugoski Mar 6 Mar 2012 - 13:24

Merci Lizzie pour cet avis. Je suis plutôt d'accord, j'ai du mal à adhérer à mon texte, moi aussi ^^Je pense a remanier très prochainement, tout inverser, bouleverser vraiment le truc pour le rendre moins classique et plus intéressant à analyser.

pour le "il" oui il se rapporte à la silhouette et je pensais que c'était assez clair dans la mesure ou je décris ce qui semble être un homme.

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J'ai oublié comment je m'appelle Empty Clarté.

Message  ubikmagic Mar 6 Mar 2012 - 13:41

... me dérange pas que le propos soit cohérent, puisque au passé. Le narrateur peut se souvenir et raconter. Si on rend le truc plus délirant, arrivera-t-on à saisir aussi bien ? On risque d'y perdre en clarté.

... Simple avis...

Ubik.
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