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Eloge du naufrage

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Eloge du naufrage Empty Eloge du naufrage

Message  Gobu Ven 6 Avr 2012 - 13:22

ELOGE DU NAUFRAGE

« Celui qui a inventé le bateau a aussi inventé le naufrage » (Lao-Tseu)

Le malheur fait vendre. Rien de tel que les beaux yeux noyés de larmes d’une jolie veuve point trop vêtue pour doper l’audimat et booster le tirage des magazines. Le bonheur est moins porteur, sauf lorsqu’il concerne des célébrités chouchoutées de tous côtés par la Providence et leur banquier. Encore est-il éphémère. On attend avec gourmandise qu’un croc-en-jambe du Destin le fasse trébucher. Sait-on jamais ? Un mariage est chose si fragile. Le box-office est tellement capricieux. Même le banquier a ses humeurs. Le bonheur est un chèque en blanc sur un avenir plein d’incertitude.

Le malheur, lui, est une valeur sûre. C’est pourquoi il envahit les actualités à la TV, fait la une des quotidiens, teinte de noir la production des romanciers et colonise même les conversations de comptoir. Le bonheur appelle moins de commentaires. Après tout, les peuples heureux n’ont pas d’histoire, au singulier comme au pluriel. Au général de Gaulle qui reprochait au journal télévisé de ne jamais montrer que le côté sombre de l’actualité, il fut répondu que ce qui allait bien n’intéressait personne. On ne sait ce qu’en pensa le grand homme, mais il y avait incontestablement du vrai dans cette réponse. Le bonheur ne se raconte pas. Ou dans les romans à l’eau de rose, mais c’est une autre histoire.

Le malheur attire les foules. Qui n’a joué des coudes au milieu d’une cohue au regard brasillant de curiosité malsaine pour mieux jouir du spectacle d’une collision que l’on espère meurtrière, d’un incendie ravageant un immeuble entier, quand ce n’est pas celui d’une tête coupée roulant dans le panier de son sous les roulements funèbres du tambour ? Le législateur, dans sa grande sagesse, a mis fin à ce divertissement recherché, mais l’on sent bien que la mesure est provisoire. Il suffirait de pas grand-chose pour qu’on revienne sur elle. La foule a toujours été friande d’échafauds. Le quotidien manque tellement de distractions. Surtout en période de crise.

Le malheur des uns fait le bonheur des autres, dit-on. Il fait surtout les délices des marchands de spectacle. Qu’on le déplore ou non, un travelling sur un charnier débordant de cadavres, une vue panoramique d’un quartier populeux dévasté par un séisme, ou encore l’interview croustillante de la rescapée d’un viol collectif sont infiniment plus rentables en termes de ressources publicitaires qu’un reportage sur l’augmentation de l’espérance de vie chez les seniors fortunés ou le compte-rendu de la dernière remise de légions d’honneur à leurs heureux récipiendaires, en dépit de tout le respect que l’on doit à cette vénérable institution. Le bonheur des autres ne suscite que rarement le plaisir des uns.

En terme de malheur, il convient de faire le tri avec discernement. Trop de malheur ne fait plus le bonheur. Il lasse. Trois morts dans un accident de voiture, c’est un malheur (surtout pour les victimes). Trois cent disparus dans la chute d’un long-courrier, c’est une tragédie. Mais trois cent mille morts par an du paludisme en Afrique, c’est une statistique. Ca ne fait plus rire personne. Et puis ce n’est pas photogénique. Le malheur doit avoir de la gueule.

Dans ce domaine, le naufrage représente le nec plus ultra. Surtout lorsqu’il s’agit de celui d’un superbe transatlantique à la coque effilée, avec ses blanches superstructures orgueilleuses, ses immenses cheminées empanachées de vapeur, ses ponts d’acajou impeccablement briqués grouillant de plaisanciers en tenues de yachtmen, que sais-je, ses comptoirs encombrés d’apéritifs de marque. On sent toute cette opulence flottante à la merci d’une avarie de machines, d’un attentat à l’explosif, d’une torpille sous-marine adroitement lancée, d’une tempête soudaine, quand ce n’est pas d’un gros bout de banquise dérivant au fil du courant. De toutes les tragédies, le naufrage est la plus spectaculaire, la plus édifiante, la plus majestueuse, en un mot la plus maritime.

Les Arabes du Moyen-Âge ne s’y trompaient guère, dont les tribunaux déclaraient irrecevable le témoignage d’un marin, tenant pour irresponsable celui qui avait la folie de confier sa vie à une coquille de noix à la merci des flots déchaînés. Il y a comme une justice immanente dans le naufrage : on ne brave pas impunément les caprices de Neptune. Même à bord d’un palais flottant. Le luxe ne fait rien à l’affaire. Au contraire, il aurait plutôt tendance à attiser le courroux des dieux, fort jaloux de leurs prérogatives et peu enclins à tolérer la concurrence des humains question magnificence.

Le naufrage a ceci de passionnant qu’il nous évoque la fin d’un monde. C’est tout un univers qui disparaît lorsque le navire s’engloutit sans hâte dans les flots, entraînant avec lui ses intrigues de coursive, ses orgies de champagne millésimé, ses orchestres de bal en smoking à paillettes, ses grands-pères nobles en chaise roulante, ses quartiers-maîtres coréens aux avant-bras tatoués de dragons, ses ziggourats de canapés au caviar – ou aux œufs de lump dans le buffet de seconde classe – ses naïades en maillots moulants, ses amourettes d’entrepont et ses indigestions de homard selon grosseur. Le réalisateur de « Titanic » a eu le nez creux, chacun peut se reconnaître dans cette allégorie de la dérive de notre société. Cela fait beaucoup de spectateurs potentiels.

Résumons-nous : le naufrage condense en raccourci saisissant la condition humaine, avec ses petites mesquineries et son orgueil démesuré, que vient punir une fatalité implacable. C’est la définition même de la tragédie grecque. Le Grec parlait en connaissance de cause : il n’ignorait rien ni de la mer ni de la tragédie.

GOBU
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Message  Invité Ven 6 Avr 2012 - 14:07

J'ai commencé à apprécier ce texte quand il a été question de naufrage.

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Eloge du naufrage Empty Touché, coulé !

Message  ubikmagic Ven 6 Avr 2012 - 14:13

Salut, suis passé par hasard, ai lu le début, et ai été harponné jusqu'à la fin. Preuve que le texte est fluide et plaisant à lire. Style irréprochable, clair, limpide.
Reste le sentiment d'un manque : une chute, peut-être ? Un personnage en particulier ? On n'arrive pas à oublier le narrateur, puisque là il fait un exposé. Manque peut-être une histoire, qui permettrait au narrateur de s'escamoter ? Je ne sais pas.
Mais c'est en tous cas à la fois finement observé et bien écrit. Bravo.

Ubik.
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Eloge du naufrage Empty Re: Eloge du naufrage

Message  Invité Ven 6 Avr 2012 - 14:59

Pardon, je suis allée un peu trop vite et mon commentaire était un peu lapidaire.
Je voulais dire que bien-sûr, j'ai apprécié l'écriture de bonne facture. Mais j'ai lu le texte comme un constat, jusqu'au moment où il a été question de naufrage. Et alors là, j'ai trouvé un peu de lyrisme qui m'a plu.
Voilà.

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Eloge du naufrage Empty Re: Eloge du naufrage

Message  Invité Ven 6 Avr 2012 - 18:42

C'est magistralement écrit, Gobu (je pèse mes mots) mais ... je me suis ennuyée. J'attendais, je voulais une histoire, des personnages truculents, de la péripétie, de la verve, plus d'humour, tout ce que tu sais faire. Là, j'ai lu une série de constats (sinon d'évidences) qui ne m'ont rien appris de nouveau, n'ont pas suscité en moi beaucoup plus qu'une approbation blasée.

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Eloge du naufrage Empty Re: Eloge du naufrage

Message  Invité Ven 6 Avr 2012 - 19:34

C'est vrai que ça ne sent pas son Gobu... Manquent la gourmandise, la truculence, la vie, quoi ...!

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Eloge du naufrage Empty Re: Eloge du naufrage

Message  Rebecca Ven 6 Avr 2012 - 21:11

Une démonstration comme une dissertation. Argumentée, développée, remarquablement rédigée, imagée, comme un documentaire bien construit, un à la manière de ? Me manque une échappée belle, un grain de sable dans les rouages, ou le chant d'une sirène pour me séduire.
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Message  Invité Sam 7 Avr 2012 - 8:59

Une dissertation, sans plus. Certes très bien écrite, mais qu'est-ce que c'est ennuyant (dit avec un accent un peu trainant).

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Message  midnightrambler Sam 7 Avr 2012 - 9:15

Bonjour,

Ce texte est une analyse de la relation d'une société au malheur, catastrophe ponctuelle ou crise récurrente, un peu comme l'enfant qui observe la fourmilière dans laquelle il vient de donner un coup de pied.
Mis à part le rapport à la mer que vivent certaines sociétés, on y apprend peu de choses sur le monde maritime et les naufrages en particulier ... mais avec le Titanic - naufrage en 1912, film il y a une vingtaine d'années, célébration du centenaire cette année - l'Erika et le Costa-Concordia, nous avons eu pas mal de piqures de rappel sur la question !

Amicalement,
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