Recette de grand-père

[Hop-Frog]

Il se trouve, dans le galetas de mon grand-père, une petite huche à pain gorgée de paperasses. Après en avoir exhumé jusque la dernière miette de mot, j’ai remarqué un texte qui n’est ni une feuille de contributions, ni un vieil article de journal ; plutôt du charabia. Il m’a fallu trois bons mois pour déchiffrer l’histoire que voici.

Un jour de 1901, dans un journal socialiste quelconque dont le style rappelle Le Pioupiou de l’Yonne, Albert Pauline Roland, fils d’Adolphe Georges Guéroult et de Marie-Désirée Pauline Roland, publia l’annonce suivante : « Artiste cherche artiste, pour savoir comment on fait. » Un poète, chapeau droit, sourire de travers, l’invita chez lui afin d’exaucer sa supplique. À son contact, Albert apprit bien ceci : l’artiste a des saisons que le travailleur ne connaît pas. En bon observateur, il écrivit ce machin-chose.

A. Pauline R.

Par un si beau matin tu veux m’anéantir

J’abhorre au plus grand point
Les geôles cérébrales
S’il te plaît laisse-moi manger mes céréales
On aura bien le temps pour se la jouer
Martyrs

Accordons-nous
Un petit-déjeuner
Voilà le pain
Le beurre à tartiner
La confiote
Siffle le jus d’or-
Ange
Plutôt du thé
O.K. ce qui t’arrange

Ne te presse pas trop je dois croquer Annie

Sur mes petits papiers
Peut-être avec les dents
Je lui mordrai le nez
Souffle-
Rai fort dedans
N’est-ce pas qu’on soigne sa gynécom-
Anie

Ja ! je te
Mènerai
Lorgner la Bacharach
Y farfouiller le Rhin
Et tous ses bric-à-brac
T’accrocher l’œil
Sur les rivages
Froids
Et boursouflés
Cueillir quelque mort-bois

Je noterai des mots nous prendrons un café

Puis nous révérerons
Les maisons décoiffées
Par le
Froid
Baslerwind*
Qui soufflera tes lests
On filera
À trois
Dans le nord-quart-nord-est

J’en escamoterai
Un bordel de poèmes
En attendant
Allons laisse tirer ma
Flemme

*Les versifricoteurs pratiquent parfois une géographie approximative : le Baslerwind est un vent d’Alsace.

[Lucy]

le jus d’or-
Ange

J'en boirai bien, moi aussi.

[Invité]

Déconcertant, vraiment.
(pas trop érudite ni maligne, je n'ai sûrement pas vu toutes les subtilités et allusions)
J'ai bien aimé le dernier paragraphe.

[Pascal-Claude Perrault]

J'aime bien le concept du lâche-moi la grappe tourné de cette façon.

[Invité]

C'est très bon.
Images et expressions sont pittoresques
Sous le découpage en vers "libres" on sent le rythme familier de l'alexandrin
J'aime bien les retours à la ligne au milieu d'un mot.
Siffle le jus d’or-
Ange
La présentation est très chouette. On y croirait presque s'il n'y avaient l'anachronisme des "céréales" au petit déj
Me suis régalé (pas des céréales*, du texte )
*beurk

[Invité]

Ce machin-chose bien appétissant croustille gaiement sous la dent !

[Janis]

très plaisant, je n'aime pas non plus qu'on m'entreprenne avant le café

[Hop-Frog]

Merci à tous de votre passage et de vos commentaires.

Lucy, il est désormais possible de boire du jus d’or-
Ange. Pas plus tard qu’hier, j’ai pu constater que Monoprix avait procédé à ce découpage du mot sur ses briques. Peut-être que je devrais demander des droits d’auteur ? Je suis dans un grand désarroi…

Albert, quel plat avec la recette de papi ? Ne sais pas, un soufflet de mots ? Une façon de vivre ? Un peu des deux ? Merci d'être passé et de votre appréciation.

Déconcertée, éclaircie ? Selon moi, les allusions doivent rester peu de choses dans une lecture. Toutefois, si cela peut vous rendre la tâche plus agréable, il s’agissait surtout de créer un passé fictif avec des morceaux de réel, fantasmer une rencontre entre A. Pauline R. (inventé, même si Adolphe et Marie ont effectivement eu un mioche) et Apollinaire, rendre en quelque sorte hommage à la fascination du deuxième pour le faux littéraire, sa période Rhénane (on retrouve Bacharach dans Lorelei), son amour pour Annie...etc., pas tellement plus en fait.

Oui Petite-Chose Poilue (j’vous dis, on va aux mêmes soirées !…), vous résumez bien le truc.

Tizef, il y a en effet un rythme d’alexandrins là-dessous, parfois de décasyllabes. Parce que du déca au petit-déj’, c’est moins mauvais pour la santé.
Pas d’anachronisme dans ce texte, enfin je crois. Les flocons d’avoine, le gruau (ou grütze) étaient déjà consommés dans la deuxième moitié du XIX^ème. En Allemagne, et dans la Suisse alémanique d’aucuns m(él)angeaient tout ça avec des fruits, ce que Bircher nommera un peu plus tard le muesli. Mais si vous vouliez des Chocapic, c’est sûr, il faut attendre.

Coline, je t’invite au prochain petit-déjeuner dans le camping ; je t’offrirai des Krisprolls.

Janis, je retiens. Si jamais je te croise en ville avant l’heure du café, je fais un détour…

Encore merci à tous.

[Hop-Frog]

*Soufflé*, désolé pour le doublon.

[Arielle]

Je l'ai peut-être connu ton grand-père "Hop-là" en tout cas j'aurais bien aimé, il avait l'humour engageant ! J'ai vécu plus de trente ans dans la région de Mulhouse sans avoir jamais entendu souffler un mot de ce Baslerwind dont tu nous parles mais peu importe on pardonne tout aux versifricoteurs !

La petite annonce est de ton cru ou réellement trouvée dans un journal ? J'adore !

Un peu de raifort dans le jus d'or-ange et la recette serait parfaitement heimlich

[Pascal-Claude Perrault]

[justify]

Oui Petite-Chose Poilue (j’vous dis, on va aux mêmes soirées !…), vous résumez bien le truc.

Eh ! Tu vas respecter tes aînés oui ? je ne m'appelle pas Petite Chose Poilue
mais Piètre Caca Puant
Tu tâcheras de t'en souvenir !

[Frédéric Prunier]

cher hopfrog

à vos bretelles citoyen
j'aime votre mise en scène
tout y est
le chasseur français
le poète paysan
et le hors sujet qui s'évade
en je de mots cam à rade
..

juste un questionnement de sens:
pour l'anniboit du cidre d'orge
c'est de la bière si elle a des gazes ?

...

merci pour ce bon moment de lecture

(le à vos bretelles n'a de sens dans ce commentaire que cause votre surnom d'elle astique)
amitié

[Invité]

C'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleurs soupes, c'est bien connu. J'aime beaucoup, l'humour, l'irrévérence, et le message délivré, bien entendu ! Une vraie bouffée d'air frais.

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