J'ai écrit des poèmes

[Nathanaël Zenou]

J’ai écrit des poèmes dans mes vingt ans: je recherchais la bonne formule, le
mot dont on se souviendrait ; que l’on dise que ma bouche « savait les suprêmes
baisers » comme j’avais pu le lire dans mes livres du Chat Noir.
***
Je passais dans la rue comme un errant qu’on aurait jeté sur la route. Ma vie
fuyait sans que j’en saisisse tout le sens.
***
J’écrivais : « Je me sens mal dans les entournures». Et "Qui suis-je pauvre fou dans ma petite-maison."
J’aurais aimé être un roi fainéant, un de ces rois de France, inconnus et blafards, qui
se déplaçaient avec une cour et tout un harem, menant grande vie et n’ayant
jamais rien fait. J’aurais aimé être un homme de la terre. Je rêvais de m’enfuir
loin dans un pays d’Afrique, j’aurais eu ma case, une femme noire, et j’aurais
travaillé une terre difficile. J’aurais séché ma peau au soleil comme du cuir,
j’aurais bu dans une outre faite en rude peau de chèvre. J’aurais usé ma
carcasse jusqu’à ce qu’on m’enterre, et que mon être rentre dans la poussière.
Cela alimentait mes rêveries. Je me comparais au mendiant, le bol à la main.
J’aurais appelé à la charité des passants. Et j’aurais pleuré de voir comme un
homme peut être ignoré. Je me serai tenu au seuil des églises, entre les deux
portes, dans le lieu du passage.
***
J’étais ambitieux. Peut-être que dans les hautes sphères on aurait remarqué mon
génie ! Peut-être me gratifierait-on du titre de « Prince des poètes », quel
rêve de gloire. J’y pensais sérieusement.
***
Je me suis promené comme un ivrogne dans les rues, plein comme un tonneau, la
bouche béante pour mieux respirer, et proche de vomir. Je devais bien chercher
quelque chose, déjà je voulais être vu. J’ai marché le soir comme un amoureux,
des étoiles dans les yeux, parcourant la ville transie, une cigarette à la main
et les poumons brûlés, mais toujours mes yeux restaient collés à la quête d’une
étoile, comme les yeux d’un enfant à la fenêtre de la maternelle. Je brûlais ma
vie bêtement.
***
Je gardais la mémoire des lieux mais les lieux eux ne me reconnaissaient pas.
J’attendais « celle qui ne viendra pas». De toute façon elle était dans les bras
d’un autre. Je n’ai jamais été le plus chanceux en amour. (C’est de l’ironie.)
***

Je ressemblais au lion qui lèche de vielles plaies, et j’avais la fureur de
l’aigle quand on s’approche de son aire envers ceux qui me questionnaient pour
me connaître intimement. Mes amis me trouvaient de nombreuses et singulières
similitudes avec les ours. Il faut dire que j’habitais une caverne, alors que
dans ma solitude, je fumais de l’herbe jusqu’à tard la nuit, jusqu’à « faire
s’évanouir le soleil » aurais-je pu écrire.

***


Ecrire. J’ai observé le ciel attentivement…Et le sable m’a semblé bien plus
bleu que lui des fois.

***
Je ne savais pas.

[Polixène]

J'aime bien la tonalité désabusée, ironique et pudiquement nostalgique de celui qui s'est mis vraiment en route vers son art. De celui qui a laissé derrière lui les vieilles peaux de la vanité et chemine en sa propre aventure.
Il émane de ce texte une sérénité, un apaisement (d'après-tempête ?) bien servi par des mots justes.

[Invité]

Un texte un peu long, mais sympa sur état d'âme symptomatique de l'adolescence (et qui peut se prolonger bien au delà)
On pense irrésistiblement à "Ma bohème" de Rimbaud. (un de mes poèmes préférés)

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !

[Albert-Robert]

"Je m'voyais déjà en haut de l'affiche"

Le texte laisse un goût de fiel, d'amertume, mais aussi de "ce n'est pas fini". Il est donc réussi.

Albert-Robert

[JI]

Je suis dans ces fameux vingt ans. Je l'avoue, je recherche de temps en temps la bonne formule, en sachant pertinemment qu'il y en a plusieurs un peu moins bonnes.

"J’étais ambitieux. Peut-être que dans les hautes sphères on aurait remarqué mon
génie ! Peut-être me gratifierait-on du titre de « Prince des poètes », quel
rêve de gloire. J’y pensais sérieusement."

Si je puis me permettre, vous n'êtes pas le seule à y avoir pensé (ou à y penser encore ?), c'est ce qui fait de nous des êtres humains.
Un texte qui me plaît beaucoup.

Ji.

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