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La morale

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Janis
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Yugoski
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Message  Yugoski Mar 1 Mai 2012 - 22:56

bonjour à tous voici le premier extrait de mon roman :

« La cruauté n'est autre chose que l'énergie de l'homme que la civilisation n'a point encore corrompue : elle est donc une vertu et non pas un vice. Retranchez vos lois, vos punitions, vos usages, et la cruauté n'aura plus d'effets dangereux, puisqu'elle n'agira jamais sans pouvoir être aussitôt repoussée par les mêmes voies ; c'est dans l'état de civilisation qu'elle est dangereuse, parce que l'être lésé manque presque toujours, ou de la force, ou des moyens de repousser l'injure ; mais dans l'état d'incivilisation, si elle agit sur le fort, elle sera repoussée par lui, et si elle agit sur le faible, ne lésant qu'un être qui cède au fort par les lois de la nature, elle n'a pas le moindre inconvénient. » La philosophie dans le Boudoir, le Marquis de Sade.


PARTIE UNE / AUCUN BAIL

I
Je suis allé chercher l'enveloppe vers quinze heure, j'ai fait la fête la vieille au soir jusqu'à très tard parce que j'ai pas arrêté de me retourner dans mon lit en attendant la sentence : impossible de trouver le sommeil. J'ai trop réfléchi, je n'aurais jamais dû faire ce test, c'est des soucis en plus. Sur la route, je sentais mes boyaux se tordre à l'intérieur de mon ventre, je marchais dans la rue jusqu'à ma caisse, recroquevillé sur moi-même. Comme je pouvais m'y attendre, il faisait un temps pourri, un temps automnal, un temps qui donne envie de se tirer une balle dans la gorge. Quand j'ai garé ma bagnole, la pluie est tombée d'une façon assez soudaine et j'ai été trempé avant d'atteindre le laboratoire d'analyse médicale. Les portes automatiques se sont ouvertes en grinçant et l'hôtesse d'accueil m'a regardé du coin de l’œil, elle n'avait pas l'air d'aimer ma tête. A l'intérieur, il y avait un vieillard qui patientait dans la salle d'attente en lisant l'un des vieux numéro de Femme Actuelle et une grosse femme qui venait probablement pour contrôler son taux de cholestérol limait ses ongles, c'était franchement insupportable. Je me suis avancé vers l'hôtesse et me suis raclé la gorge pour qu'elle daigne me prêter attention. Feignant la surprise, elle a levé brusquement la tête et m'a toisé en fronçant ses fins sourcils noirs tatoués. Elle était vraiment bonne. Brune, le teint mat, les yeux noisettes et une jolie bouche en cœur. Dans d'autres circonstances, j'aurais tout mis en œuvre pour la ramener dans mon pieu mais à ce moment j'avais d'autres choses à penser. D'après le badge attaché à sa blouse blanche, elle s’appelait Juliette, joli prénom pour une héroïne romantique.

- Bonjour, j'ai dit avec une voix presque sensuelle, je viens pour chercher des résultats d'analyses.
- Votre nom ? M'a-t-elle demandé simplement.
- Lugosi.

Elle a pivoté lentement sur sa chaise de bureau comme si elle testait les limites du ressort, a ouvert un tiroir sans fin, attrapé une enveloppe qu'elle a déposé sur son comptoir immaculé. Une odeur de désinfectant irritait mes narines et je suis resté stoïque durant quelques secondes, paralysé par les lettres rouges imprimées sur le devant de l'enveloppe. Je les voyais, mais elles ne formaient aucun tout, aucune suite logique.

- C'est le V.I.H ?

Elle jouait les snobs quelques minutes auparavant mais ne se gênait pas pour poser ce genre de question tout à fait personnelle. Ça me plaisait. D'autant plus qu'elle connaissait déjà la réponse, cette garce.

- Oui, j'espère que c'est négatif.
- J'espère pour vous. Dans le cas contraire, un papier vous expliquant les différentes mesures administratives à prendre sera fourni à l'intérieur de l'enveloppe.

Elle m'a ramené à ma triste réalité, celle qui m'attendait en cas de contamination. J'ai fait le con. Ouais, j'ai fait le con. Plusieurs fois. En Thaïlande, ici, dehors, partout. Je n'avais pas dans mon cerveau la notion de risque, pour moi l'avenir était quelque chose d'abstrait et d'imperceptible, comme la complainte d'une fée. Je me surprenais à vouloir retourner dans le passé, éviter le moment où la moralité m'a rattrapé. J'ai fait une grosse erreur, me plier au bon vouloir de la société, ce n'était définitivement pas une bonne idée. A ses yeux, je n'étais qu'un numéro, une feuille de papier, une minuscule fourmi solitaire. Mon expression restait figée, la vérité allait exploser, incessamment sous peu. Juliette était une sale chienne.

- Okay, merci. En cas de résultat négatif, vous pensez qu'on pourra se boire un verre, ou un truc dans le même genre ? Enfin, vous savez, comme ça, c'est sympa, après le boulot, voir des gens malades toute la journée, ça doit pas être cool tous les jours, alors je me propose, comme ça, vous voyez ?
- Je vous demande pardon ?
- Je voulais vous dire que, si vous me proposiez un rencard, je dirais peut-être pas oui, mais je suis pratiquement sûr de pas dire non. Vous voyez ?
- Bon courage, monsieur.

Raté. Je serrais les dents, espérant une prochaine fois. Vaincu, je tournais les talons et regagnais mon domicile. Et jamais, jamais, je n'aurais imaginé que ce trajet puisse être aussi court. J'aurais aimé que le temps s'arrête, rester bloqué, que des travaux perturbent la circulation et créent des bouchons, mais rien de tout ça, merde. Mes pneus ne crevaient jamais au bon moment, au bon endroit. Je m'étais juré d'ouvrir cette foutue lettre une fois arrivé chez moi, je ne voulais pas mettre en danger ma vie. Si je l'avais ? Je voudrais sauter par la fenêtre, j'habitais au quatrième. Nan. Je n'oserais jamais me foutre en l'air, pas pour si peu,enfin, façon de parler. J'essayais de me faire admettre le contraire mais, sans autocensure, il était clair que je n'envisageais pas la mort en cas de résultat positif. Je déposais ma veste sur le sofa, m'installais et déchirais l'enveloppe. L'opération s’avérait difficile : le papier était solide et je tremblais, mes muscles étaient secoués par des spasmes et de massives décharges d'adrénaline. La languette décapitée flotta un instant, avant de se poser sur mon carrelage, comme un planeur sur une mer calme. Je regardais autour de moi et il n'y avait que le silence. J'allumais la télé sur la chaîne des clips pour avoir un peu de musique, mais je ne supportais pas cette merde et cette grosse chienne qui se trémoussait sur une limousine de location, alors j'éteignais. Mes mains étaient moites, mon index laissa une empreinte sur la télécommande. Il faisait une chaleur de fou et j'extirpais la lettre d'un seul coup, puis la dépliais. Le bruit de papier froissé me mettait mal à l'aise. Je faisais galoper mes yeux sur le contenu mais n'y comprenais rien. Des taux, des chiffres, des pourcentages et des noms inconnus, des trucs qui me dépassaient de plusieurs milliers de kilomètres. Mon cœur tapait un marathon derrière ma cage thoracique, je continuais à scanner la feuille des résultats jusqu'à la dernière ligne, imprimée en gras.

Anticorps anti HIV 1/2 (MEIA ET Determine) Recherche positive

J'ai hurlé comme un damné. J'ai arraché la feuille, j'en ai fait des confettis, en hurlant. Puis je me suis jeté contre le mur. Je me suis éclaté la gueule et j'ai glissé par terre. Là, je me suis roulé sur moi-même, sans m'arrêter de hurler. J'avais le souffle coupé, l'impression de me faire égorger par une machette invisible, le carrelage était froid, mon plafond semblait s'effriter et me recouvrir d'une fine pellicule de poussière abrasive, ça me démangeait. Ma voix a déraillé, le hurlement s'est barré dans les aigus et plus aucun son n'est sorti. Mon souffle était coupé, je me suis mis à chialer, comme un bébé. Je voulais voir ma mère. Je voulais qu'elle me prenne dans ses bras, je voulais qu'elle me dise « ça va aller », « ça va s'arranger », « je suis là pour toi ». Mais c'était impossible, pas de retour en arrière avec cette merde. Les ordonnances, les examens, les médecins, les rendez-vous, les symptômes et le regard de millions d'anonymes ont défilé devant mes yeux. Le monde s'écroulait, le lustre du plafond m'a écrasé. Quand je me suis relevé, j'ai lutté pour garder l'équilibre et j'ai mis mon appartement à l'envers. J'ai tout renversé, les chaises, les tables, les armoires, ma télé, j'ai balancé ma playstation par la fenêtre et puis je me suis penché à la rambarde du balcon, et après c'était le vide. Une jolie chute. Quatre étages, peut-être six, je ne m'en souvenais plus. Est-ce que quand on saute par la fenêtre on meurt avant d'atteindre le sol ? Je me posais la question. Abdication immédiate. Je me suis senti happé par le vide, j'ai eu peur et ça m'a calmé. J'ai marché vers le frigo, attrapé une canette, allumé la télé et me suis affalé dans le sofa.

Les larmes séchaient sur mes joues, ça grattait. Je suis tombé sur une émission stupide jouée par des acteurs de seconde zone, « Le jour où tout a basculé », le thème du jour était : « Mes deux fils couchent ensemble. », j'ai regardé. Pendant quelques minutes seulement. La haine est alors montée de façon croissante jusqu'à déborder, comme un robinet que l'on néglige et qui finit par inonder la pièce. J'ai détesté cette émission. J'ai détesté les chefs de programme qui imposent ces conneries et qui lobotomisent toute une foule d'empaffés, j'ai détesté la ménagère qui bouffe cette merde chaque midi, j'ai détesté les gens, les humains, cette sale race. En cherchant sous mon lit, j'ai trouvé une dizaine de dvd porno et une batte de base-ball. Après avoir fait mon affaire sur « les Tontons Tringleurs » avec Dolly Golden - session nostalgique- je suis sorti dans la rue, cagoulé, remonté. Il pleuvait toujours. Le bitume était toujours gris, les façades décrépies, le ciel fait de cendres. J'ai défoncé le pare-brise d'une voiture couleur bleue nuit. Puis les carreaux. Puis la vieille dame qui passait en tirant son sac de course. Le destin m'avait catapulté dans le présent.

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Message  Lord Djinn Mer 2 Mai 2012 - 8:14

Bon, je vais commenter, pas par politesse parce que je viens d'arriver mais parce que j'ai aimé lire ton texte...

Pourquoi citer Sade ? Je trouve que ton texte vaut pour lui même... Le mettre sous cette "filiation" change un peu la donne, je trouve. Ca justifie trop de choses, et paradoxalement ça perd en force. Peut-être parce que j'aurais préféré que ton personnage lutte davantage contre son incivilisation. J'ai beaucoup aimé ta manière de traiter l'attente, et moins le passage à l'acte, qui ne fait pas dans la nuance (mais après, je ne me sens pas prête à juger ce texte de manière plus psychologique)... Ton "héros" en attente est assez touchant, on ne sait pas si son côté "dégueulasse" cache une vie intérieure torturée ou l'inverse.

Juste : "j'avais d'autres choses à penser" je trouve ça assez disgracieux...
De même, je pense que tu n'as pas besoin de dire "grosse" pour la femme qui vient sûrement tester son cholestérol, tu n'as pas besoin de justifier, une fois encore.
Bizarrement, cette sale chienne de Julienne ne me dérange pas, pas parce que c'est vulgaire mais parce que ça ne se justifie pas par du discours.

Voilà, ça ne vaut pas grand chose, mais bon courage pour la suite...
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Message  Janis Mer 2 Mai 2012 - 12:17


Tu sais à force que j'aime bien ce que tu écris, l'énergie et la rage qui bouillonnent, le côté percutant, et même les excès.
C'est à chaque fois assez jubilatoire, comme lecture, pour moi.
(pour les défauts, les maladresses, je laisse le soin aux autres !)
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Message  Yugoski Mer 2 Mai 2012 - 14:42

un grand merci à vous deux pour ces commentaires.

Lord Djinn --> C'est vrai que pour la citation de Sade, j'ai longuement hésité et pour te dire la vérité, c'était pas prévu au début. Je l'ai rajouté parce qu'à la relecture, je me suis dis qu'il fallait justifier tout ça. Parce que ça va beaucoup trop loin. C'est pour cela que "cadrer" le roman me semblait important, même si c'est vrai que le titre peut se suffire à lui-même. Enfin bon, j'ai préféré faire comme ça, pour m'éviter des "problèmes" peut-être ^^

Janis --> Merci, je suis touché :-)

Voici la suite :

II (partie 1)

Je me réveille, mon sommeil a duré plus de vingt ans et je suis très engourdi. Il y a cette vieille peau devant moi : je la défonce à coup de batte, son nez éclate et son dentier se pète en quatre à l'intérieur de sa bouche. Vieille et fragile, son cœur s'arrête. Je me suis placé au milieu de la route et j'ai arrêté une voiture. Le conducteur est un jeune type en costume d'environ vingt-cinq ans, j'exècre ce genre de type et ça tombe bien. Il baisse la vitre de sa Laguna, je me rapproche de lui puis le tire par le col, sa chemise blanche est blanche. Il voit rien venir, le pauvre, il devait penser à des trucs plus intéressants, comme la somme exacte des liasses de billets contenues dans sa boîte à gants, je le défonce à coup de pied, le laisse gisant. Je prends sa caisse, démarre comme un dingue en lui écrasant la cheville gauche. Son d'une agonie. L'harmonieux ronronnement du moteur a étouffé ses cris de douleur quand j'ai foncé vers le Pont Courroy pour rencontrer Christophe.

Christophe, le dealer invétéré. Le camé, l'escroc. Je l'ai toujours connu dans le business et je pense qu'il n'en sortira jamais. Ce type est si dégueulasse qu'on y mettrait même pas une pêche dans la gueule, pour pas se salir. Il a bâti sa fortune sur la misère humaine, sur la détresse des gens. J'ai bossé pour lui il fut un temps, j'ai même consommé ses merdes. Quand j'étais plus jeune et que j'habitais au PC.

Je fonce à toute allure, oublie les feux rouges et la perte de temps. Pourquoi ? Pourquoi ? J'ai passé un quart de ma vie à attendre comme un con devant ces feux tricolores, je sors de la dilettante et je roule à cent trente sur le boulevard. La Laguna a du coffre, mine de rien. Les carreaux et le pare-brise pété m'empêchent d’accélérer encore, j'ai putain de froid.

Entrée du quartier ; pris en grippe par trois fils de putes qui tiennent les murs en fumant des tubes. Les plus jeunes, les guetteurs, ceux qu'on n'hésite pas à recruter dès qu'ils ont l'âge de faire un concours de celui qui pissera le plus loin. Un grand dadais bien massif s'impose, il ne doit pas avoir plus de dix-huit ans et je me souviens de lui, ouais ouais. Petit, il se la pétait sur sa trottinette. On l'appelait Fifouille. Il porte la même chose maintenant qu'il y a cinq ans, c'est à dire un vieux jean beaucoup trop large, de grosses baskets (il doit au moins chausser du 47) et un tee-shirt de Tupac Shakur. Vraiment trop thug, ce grand con. Il se positionne devant moi, tel un rempart infranchissable. Vide sidéral dans ses yeux clairs. Il écarte les bras comme Jésus, genre « tu passes pas ».

- C'est pourquoi ?

Sa voix est trop fluette, en total désaccord avec son physique. S'il me prenait pas trois têtes, je me serai probablement moqué de lui mais mon manque d'envergure physique m'oblige à utiliser une certaine forme de diplomatie.

- Je suis un ancien. Je viens voir Christophe, c'est un ami à moi. Old school mon poto. (j'essaye)
- Tu viens voir qui ? Y'a pas de Christophe ici.
- Mais si, Christophe, ton patron. Souviens-toi, je suis Lugosi. Quand j'habitais dans le coin tu pissais sur les portières des bagnoles avec tes copains. Un jour, t'as pissé sur la caisse de mon père. Il t'a mis une bonne raclée, c'était épique, tu te rappelles mon poto ?

Je m'adresse à ses potos :

- Pas vrai les gars ? Fifouille, c'est un sacré.

La tension est à son comble, les deux autres gamins sont prêt à bondir en cas de problème, l'un deux a dégainé son portable. J'ai vraiment pas le temps pour ces conneries. Même si ma mort n'est pas programmée pour tout suite, mes organes ont déjà commencé à pourrir, mes cellules meurent et bientôt tous mes organes lâcheront, les uns après les autres, la descente aux enfers sera lente et douloureuse, ça fume comme un surf sur la poudreuse, je donne un coup d'accélérateur. Le grand connard sent que mon regard pue la détermination. J'ai gagné ce duel psychologique, je gagnerai les autres : rien ne pourra me stopper, en tout cas pas avant que mon cœur ne s'arrête comme une horloge. Je ne prendrai pas ces médicaments. Je ne remplirai pas ces formulaires. Je n'irai pas à ces rendez-vous, ni à ces foutues réunions de malades anonymes. J'ai la fougue d'un récent diplômé de la mort.

- Ok, déclare Fifouille d'un air résigné, vas-y.
- Merci.
- Pas d'embrouilles.
- Ouais c'est ça. Tu ferais mieux d'aller à l'école.

Je pense à rajouter « connard », mais j'évite. Je ne voudrais pas envenimer le débat. Mon hood n'a pas changé. Les peintures sont un peu défraîchies, les arbres sont squelettiques, la faute à l'automne. Christophe vit toujours au même endroit, à deux pas de mon ancien chez moi. Après la mort de son père, il a décidé de garder le pavillon et d'en faire le rendez-vous de toutes les brebis galeuses du quartier.

Je frappe, allume une clope, il ouvre le carreaux de sa porte, je vois sa vieille tête défoncée à travers trois barreaux noirs. Ça me fait penser qu'il devrait être en prison, et cela depuis un bon bout de temps. Mais je pense qu'il a des relations et une addiction au freebase, ce qui n'arrange pas les choses.

- Lugosi. Quelle surprise.

Ma présence n'a pas l'air de lui faire franchement plaisir et il ne s'en cache pas. Même pas un sourire de politesse. Remarque, à l'époque, il était déjà comme ça. stone, lent et nonchalant. Sa peau est terne, il n'a pas dû sortir de chez lui depuis un bon moment et une odeur rance s'insinue dans l'air. Je ne suis encore que sur le pas de la porte mais je sais que cette case pue le renfermé.

- Pratique, ce petit carreau, t'as même plus besoin d'ouvrir la porte pour refiler des doses.
- Toujours aussi drôle. On peut savoir ce qui t'amène ?
- A ton avis, Christophe ? Je viens pas ici pour te proposer un ciné. Ce genre de truc, c'est pour les vrais amis, ce que tu n'es pas, tu vois le dièse ?
- Il te faut quoi ? (perd sa patience)
- Attend Christophe, on s'est pas vus depuis au moins deux ans et toi t'es prêt à me filer une dose comme à un vulgaire camé ?
- Vous êtes tous des camés.
- Le pire des camés, c'est toi.

Pas amical pour un penny, il soupire et déverrouille la porte puis s'écarte pour me laisser entrer. L'odeur est immonde, insoutenable. Les peintures sont mornes et sombres, ça n'arrange rien. Il fait chaud, un voile de fumée plane dans la salle à manger, c'est irrespirable, je me sens oppressé. Christophe m'invite à le suivre dans son salon. En lui emboîtant le pas, je remarque que sa calvitie ne s'est pas rebouchée et même si c'est normal, ça m'attriste un peu. Pour palier ce défaut capillaire, il se coiffe en brosse et ne lésine pas sur la gomina. L'effet final, c'est un crâne luisant, point final. On dirait que deux cornes de cocus vont jaillir de sa tête et qu'il va se transformer en démon. Enfin, justice serait rendue. Il récupère le joint éteint dans son cendrier, le rallume et m'invite à m'asseoir. Il est un peu plus souriant que tout à l'heure et c'est normal : il va pouvoir faire son petit business, la perspective de recevoir de l'argent ne peut que le réjouir.

- Alors, quel bon vent t'amène ? Tu as une drôle de tronche, franchement. On voit que tu as besoin d'un remontant.
- Ouais, j'ai le das alors tu comprends, ça va moyen.
- Toujours aussi drôle. Bon alors, il te faut quoi?

Il ne me croit pas du tout, tant mieux. J'ai balancé ça sur un ton énigmatique, mais il ne me prend plus au sérieux depuis que je lui ai récité un poème de mon cru à propos de sa calvitie, quand on avait la vingtaine. Je laisse quelques secondes de blanc et décide de ne pas insister : ce connard serait capable de me chasser.

- J'en sais rien. Un peu de tout. Aujourd'hui, c'est ma dernière virée. Je tire ma révérence.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- J'emmerde la vie. J'ai décidé de crever pour de bon, et je veux finir ça en beauté.
- T'as vraiment un problème, wahou, le truc qui ressort de toi c'est, wahou, c'est chaud quoi.
- Ah ouais, tu trouves ? Toi le marchand de mort, toi qui fournit les femmes enceintes, qui engage des gosses pour surveiller son minable business, qui sniffe sa propre came et accuse ses associés, tu trouves que j'ai un problème ? Je ne sais pas trop comment le prendre, Christophe.
Je vais te servir.

J'ai toujours aimé le remettre en place. J'ai plus d'énergie, plus d'arguments que lui. Sur n'importe quel sujet, je peux le faire tomber. Et ici, ça n'a pas loupé. J'ai ressorti un vieux dossier, un truc qui lui avait coûté pas mal de problèmes avec des dealers d'un quartier voisin, d'où l'impressionnante cicatrice qui sépare son sourcil gauche en deux parties distinctes. Il se fige un instant : regard vide, lèvres charnues pendant un peu. Je dirais qu'il -attendez- ouais, je dirais qu'il réfléchit.

- Okay, bon, je vais chercher la marchandise.

Il se lève, passe la porte qui sépare le salon du couloir d'entrée et monte les escaliers. Sur le mur qui me fait face, il y a un portrait de son défunt père, souriant, il a presque l'air d'un saint. Il est placé un peu en hauteur genre une icône religieuse. Nul doute que Christophe aimait son père. C'est après sa mort qu'il est réellement tombé dans la came. J'ai deviné que dans les moments difficiles, les mauvaises habitudes deviennent d'effroyables vices, des vices qui deviennent maîtres. Pour ma part, j'avais ancré ces mauvaises habitudes au plus profond de mon être. L'annonce de la lettre fait que tout en moi remonte à la surface. C'est la première chose à laquelle j'ai pensé, comme un réflexe. Je dois être recherché par les flics maintenant. Il n'y a pas de temps à perdre. Mon cœur bat vite, j'éprouve quelques difficulté à respirer, à cause de l'ambiance enfumée et moisie de la pièce. Bêtement, je pense mourir d'une minute à l'autre, qu'il m'attrape avec sa fourche. Bordel, pourquoi ça n'a pas lieu tout de suite, sans que j'ai le choix. J'aurais préféré la prison à perpétuité plutôt que la peine de mort, ça ne marche pas, je commence à me poser trop de question. Christophe est lent putain, plus lent qu'une tortue sous codéine. A la télévision, il y a Scarface. Christophe revient enfin et j'imagine Tony Montana sortir de l'écran, exploser son crâne dégarni, voler sa came, et m'emporter dans ce film où rien n'est impossible, là où la vie continue après le générique. Rien ne se passe. Christophe dépose une mallette métallique sur la table basse disposée entre les deux canapés sur lesquels nous sommes respectivement assis, l'ouvre et la tourne vers moi pour que je puisse faire mon shopping. En bon vendeur, il me détaille la liste des produits disponibles, il fait beaucoup de gestes avec ses deux pouces.

- Bon, comme tu peux le voir, de la bonne cocaïne, je l'ai trimbalé moi-même depuis la Colombie, mec, alors vient pas me dire que c'est de la merde, il n'y a pas plus pur que cette came.
- Elle doit être chère.
- C'est la meilleure sur le marché. Ensuite tu as l’héroïne, des plaquettes de subutex.
- C'est sympa, tu suis le consommateur du début jusqu'à la fin, jolie conscience sociale.
- C'est le business mec, faut être présent sur tous les terrains. T'as aussi la salvia divinorium et plein d'autres trucs très sympas mais qui nécessitent des conditions d'utilisation très précises.
- Et les champignons là, c'est quoi ?
- C'est des hawaïens, les plus puissants du marché. Après il y a des cachets d'ecstasy, ce sont des Mistubishi jaune importés de Rotterdam il y a trois jours à peine. T'as des buvards de LSD, des flacons de Kétamine et un échantillon de PCP, un peu de DMT, elle est déjà basée.

Je n'ai plus envie de faire de choix, je n'ai plus envie de réfléchir, ni de me priver. Je veux me faire plaisir, de rien me refuser. Les normes sont dictées, certes, mais elles sont contournables, elles sont faites pour être contournées. Quand on est mort, on en a plus rien à foutre.

- Alors ?
- Je vais tout prendre, je crois bien.
- Pardon ?
- J'embarque le tout, c'est clean.
- Attends Lugo, il y en a pour des milliers d'euros là.
- Je sais, Christophe. Ce que toi tu ne sais pas, c'est que mes parents rajoutent chaque mois de l'argent sur un compte en banque secret, depuis ma naissance, mec. Ma grand-mère aussi. Plus tout ce que j'ai mis de côté, ça fait un sacré pactole, si tu vois ce que je veux dire. Je vais te donner mes coordonnées bancaires, tu n'auras plus qu'à effectuer un retrait à mon nom.

Force de persuasion. Christophe est ébahi, je suis pratiquement sûr qu'il bande à ce moment-là. Idée farfelue, certes, mais je lui ai expliqué sans le quitter des yeux, en fronçant les sourcils d'un air sérieux. J'aurais pu être acteur. J'aurais pu être quelqu'un. Maintenant, je suis une bombe à retardement, un type qui va exploser sans cause.

- Il me faut aussi des armes.
- Ah désolé, je trempe plus dans ça.
- Christophe, cesse de te foutre de ma gueule en permanence s'il te plaît. J'ai plus le temps pour ça. Et je suis au courant de tout, y compris en ce qui concerne les armes russes.
- Les armes russes ?
- Les armes russes.
- Qui t'en a parlé ?
- Je le sais, c'est tout.

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Message  Hop-Frog Mer 2 Mai 2012 - 16:37

Lu avec beaucoup d'intérêt.
Quelques fautes d'orthographe à corriger (par exemple, toi qui fournit les femmes enceintes, qui engage des gosses pour surveiller son minable business, qui sniffe sa propre came et accuse ses associés, fournis, engages...etc., ou sans que j'ai, sans que j'aie...), mais un réel plaisir à vous lire !
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Message  Lord Djinn Mer 2 Mai 2012 - 19:40

Je comprends beaucoup mieux maintenant que j'ai lu la suite, en fait ! Je comprends mieux ton choix de citer Sade aussi ! Mais tu as vraiment une "patte", tant pis pour le cadre, tant pis si ça va trop loin, et oui Janis, c'est jubilatoire ! J'ai beaucoup aimé te lire, "c"est wahou quoi" !
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Message  Rebecca Mer 2 Mai 2012 - 19:49

Un sens du rythme réjouissant, des dialogues bien foutus, beaucoup d'énergie dans ce texte.
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Message  Janis Jeu 3 Mai 2012 - 6:00

toujours très bon, le ton, le rythme, hyper visuel, tout bien
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Message  grieg Jeu 3 Mai 2012 - 8:00

Chaque fois que je te lis, j’ai le même sentiment, et je pense à ça :

(Il faut lire « 24 heures avant la nuit » de david benioff (livre qu’il a lui-même adapté pour spike lee), c’est un petit chef-d’œuvre de roman noir, une bombe salutaire.)


Seulement chez toi, il manque l’humanité à la haine, comme une respiration entre deux grands cris, cette fragilité qui peut faire pencher la balance, et donne une âme au personnage …
Tu as un style, une énergie, une originalité
Je te trouve bon
Mais l’égocentrisme rageur de tes personnages m’étouffe à force.

Chinaski peut faire une apologie d’hitler et rester humain, et ça passe, parce qu’avant il a donné toutes les facettes de son être, ses faiblesses et sa douleur, ce qu’il y a d’humain à sa misanthropie.

Toi, tu sais montrer le mur lépreux, mais tu oublies le graffiti, street-art, qui le couvre

grieg

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La morale  Empty Re: La morale

Message  Yugoski Jeu 3 Mai 2012 - 10:10

merci encore pour vos commentaires.

grieg : Une analyse très intéressante. La 25ème heure est l'un de mes films cultes pour la psychologie des personnages et on retrouvre effectivement dans la morale une espèce d'échéance inéluctable, celle de la prison et donc de la mort sociale pour la 25ème heure, celle de la maladie et donc de la mort pour La Morale. La différence notable entre les deux est qu'on ne peut pas esquiver la maladie ^^ Votre remarque concernant le manque d'humanité m'a fait réfléchir. Puis j'ai effectué une relecture rapide et effectivement je ne trouve mon personnage humain, sauf à UN moment qui arrive vers les trois-quart du récit...

voici la suite :

II (partie 2)
Il aurait aimé ne pas me voir aujourd'hui, moi non plus. On se pince tous les deux les lèvres, au même moment, on a l'air bien stupides. J'imprime une dernière fois son visage poisseux dans ma rétine tandis qu'il se retourne, soulève une latte de son parquet. Il en sort une longue boîte rectangulaire. Il la dépose sur la table ronde du salon, compose le code à quatre chiffres du cadenas.

- AK-47, classique, on prend son pied quoi.
- Tu m'expliques comment on s'en sert ?
- Tu veux tuer quelqu'un ?
- Qu'est-ce que ça peut te foutre, espèce de connard ?

Je sens mes joues roussir, pas facile d'être à bout de nerfs et de devoir supporter cet abruti qui commence à me courir sur le système comme pas possible. Ouais, je vais tuer des gens, ouais, faire souffrir et torturer comme on me torture moi, comme on voudrait me torturer. Christophe sent ma détermination, il va se pisser dessus si je continue mon numéro de James Dean. Il essaye un sourire, il aimerait détendre l'atmosphère. Le portrait de son père sur fond bleu ne m'inspire que de la haine et à la réflexion c'est un sale sourire de satyre.

- Bon, fais moi essayer cette merde, j'ai pas que ça à foutre, j'ai du pain sur la planche, mon pote. On s'active.
- Okay, suis-moi.

Il me fait descendre des escaliers et m'emmène dans sa cave puante. Il y a des toiles d'araignées un peu partout, des cartons entreposés et toutes sortes de contrefaçons comme des polos Ralf Lauren et des répliques de Chanel n°5. La lumière est faible, je manque de trébucher sur un extincteur rouillé. Je me dis que ça doit faire mal, un extincteur dans la gueule et je me mords les lèvres, au bord du précipice. Le front de Christophe est luisant comme une boule de bowling et, tandis qu'il m'explique le fonctionnement du pétard, je m'imagine percer trois trous dans son crâne pour le balancer sur une piste huilée. Strike, bruit de quilles, douleur.

- Tu m'écoutes ?
- Ouais ouais, continue. Je suis un peu dispersé, tu vois le dièse.
- Donc voilà, tu places les balles comme ça, tu refermes, t'enlèves le cran de sécurité et t'as plus qu'à tirer.

Pour me montrer, il tire quelques balles dans un mur de rondins de bois. L'écorce des arbres morts s'éparpillent par terre dans un nuage de sciure, comme mes cellules, comme mon cerveau. Je me demande ce que foutent ces rondins de bois ici, Christophe n'a même pas de cheminée. Bourdonnement dans mes oreilles.

- T'as vu ça ? Vif, précis et rapide. Avec ce genre d'arme russe, tu loupes pas ton coup.
- J'imagine ouais. Bon, c'est moi le client, c'est moi qui paye, tu me laisses tâter la bête ?
- Vas-y.

Résignation dans sa voix d'otarie castrée. Je sens qu'il a peur, je sens qu'il sue, je pense qu'il pue. Son corps est moite, la transpiration colle le tissu de sa chemise à son dos cagneux : ses omoplates ressortent comme deux petites montagnes dans un désert squelettique. Il me tend l'instrument de mort et le métal glacial irradie ma chaire, un frisson électrise ma nuque et dresse jusqu'à mes poils de couilles. Le pouvoir. Je peux décider du sort des êtres humains. Pouce vers le haut, pouce vers le bas, c'est à moi de choisir. Avoir ce virus dans mon corps fait de moi une sorte de dieu décideur, sauf que moi, je ne ressusciterai pas. Et pour Christophe, pouce vers le bas. J'encastre les munitions dans la chambre, referme, arme. Christophe s'impatiente, mains sur les hanches. Je fixe les rondins de bois, ils sont nombreux et encastrés, je visualise une foule d'anonymes à la sève tarie et dont les rêves sont brisés, éparpillés en milles morceaux devant les portes d'entrées d'un grand magasin, le premier jour des soldes. Ma pupille s'adapte au viseur. L'arme est lourde, l'ambiance aussi.

- Bon, vas-y, tire, j'ai d'autres chats à fouetter.
- Attends, je me concentre.

Je considère chaque rondin un à un et leur invente une vie, un passé, des blessures. Au final, ils me font presque de la peine. Mon index droit titille la gâchette comme un clitoris gonflé. Elle n'attend que mon signal pour répandre sa semence de plomb. Elle frétille entre mes doigts. Comme toutes ses filles sans visage qui ont défilé dans des lits, dans des toilettes, dans des immeubles abandonnés. Certaines ne jouissaient pas. Celle-ci va jouir, très fort.

- Et ton histoire de compte bancaire, c'est pas net, on s'expliquera après.
- Encaisse d'abord ça, salope.

Mes bras sont secoués dans tous les sens, je n'imaginais pas une telle puissance de tir. Des éclairs lumineux jaillissent dans la pièce. Christophe est troué comme une passoire, des gisements rouges jaillissent de son corps comme le pétrole d'un vieux derrick percé. Son visage est plus pâle qu'avant ; il est encore plus mort. Je l'ai encore tué, une deuxième fois, peut-être une troisième. La fumée de la poudre à canon me fait éternuer, j'espère ne pas être allergique. N'y songeant même plus, je range l'instrument dans son étui, ramasse les deux valises bourrées de cames au passage et balance tout dans le coffre de la voiture que j'ai emprunté plus tôt.

III
Le vent s'est levé et un courant d'air désagréable s'insinue dans l'habitacle, j'arrive à la sortie du quartier et les guetteurs sont toujours là. Le gros Fifouille ne me quitte pas du regard, il se doute de quelque chose. Faut dire, je n'ai pas l'air très net. Je mate ma tête dans le rétro intérieur et c'est vrai que j'ai une gueule de fou, c'est pas beau à voir. Mes yeux sont injectés de sang, mes veuchs se barrent en bataille capillaire, et je ne me suis pas rasé depuis une bonne semaine, ça fait sale. Je ne pourrai pas passer inaperçu avec cette tronche. Fifouille fait à nouveau barrage, se place en travers de mon chemin comme un mur d'acier. Il croit que je vais m'arrêter encore, mais il se trompe lourdement cet enculé. Je n'ai plus de temps imparti pour la clémence. Mes mains moites serrent le volant, mon pied droit headfuck l'accélérateur. Une dizaine de mètres me sépare de ce gros connard, je fais rugir le moteur de la jaguar noire. Je monte le volume de la radio. Elle diffuse du Yannick Noah : j'éteins la radio. Je ne supporte pas cet abruti souriant et je glisserais bien un bâton de dynamite entre ses dents de devant. Personnalité préférée des français, mais de quelle France on parle. Les pneus crissent sur l'asphalte, faisant jaillir une épaisse poussière. Fifouille comprend ma haine, ma rage, mon envie de l'encastrer dans ce foutu pare-choc et de l'écraser ensuite. Il se pisse dessus de peur, je sens l'odeur de sa sueur jusqu'ici. Elle se mélange à celle de l'essence brûlant et quand j'enlève le frein à main son visage entame une décomposition avancée. Je fonce, passe la quatrième, l'enfoiré a tout juste le temps de se jeter sur le côté pour ne pas que je le percute. J'espère profondément qu'il s'est écorché les genoux, les coudes et la face, qu'il s'est fait mal et qu'il va pleurer sa mère comme une pucelle livrée à un gang de trisomiques défoncés au viagra.

Je roule à une allure modérée jusqu'à la supérette du coin, tenue par une grosse truie frigide. Pour me faire vomir, je n'aurais qu'à imaginer l'état de sa croupe : L'équivalent d'un steak tartare écrasé avec le dos d'une fourchette. Je me gare en double-file. Je dois agir rapidement. Même si la rue n'est pas surpeuplée, je ne suis pas à l'abri des passants ou des habitants du quartier. Il faut que je cache mon visage. Je voudrais finir cette journée comme je l'entends, même si c'est déjà trop tard. Je jette un bref coup d'oeil dans ma caisse et ne trouve qu'un vieux caleçon rayé qui doit servir à essuyer les vitres. Il n'y a rien d'autre. En plus, il est sale. J'ouvre le coffre, sort l'AK-Margarita et traverse la rue pour rejoindre la supérette. Une odeur de fruits pourris et de pisse de chat agresse mes narines : Je suis allergique aux chats. La chanson de Yannick Noah n'est pas encore terminée, on la diffuse ici aussi. Bordel de merde, je pense en braquant la truie qui refusait de me vendre de la gnôle quand j'avais quatorze ans et coup de chance, il n'y a pas de client dans la boutique, je les vois intoxiqués à cause des produits périmés. Tant mieux, ça m'évitera de faire un carton, c'est déjà assez sale comme ça.

- File-moi cinq bouteilles de Jack Daniel's !

Terrifiée, elle lève les bras en l'air, laissant apparaître la cellulite qui découle de ses anciens biceps ainsi que deux larges auréoles de sueur. Elle me considère avec ses yeux grossièrement maquillés, sa bouche à moitié ouverte. Je sens qu'elle va essayer de m'emboucaner en appuyant sur un bouton secret, comme dans les films, alors je me fais encore plus méchant.

- Cinq teilles de Jack ! Et que ça saute ! Et aussi un stylo et du papier.

Je fais mine de la viser. Je dois avoir l'air sacrément con avec mon caleçon sur la tronche et mon arme de guerre. Elle s'exécute, ouvre la vitrine en verre et sort les bouteilles une à une. J'embarque le tout et me barre en courant. Je balance le caleçon, fous tout dans le coffre et dégage le plus rapidement possible. Je roule pendant une demi-heure à une manière convenable, sans griller les feux, sans klaxonner, sans hurler. Mon cœur bat trois cents mesures par seconde, la peur, la fougue et la haine m'ont transformé en un être hybride, mi-homme, mi-démon.



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Message  Hop-Frog Jeu 3 Mai 2012 - 11:10

Des formules décapantes. Comme dans ce qui précède.
Suis tenu en haleine, prêt à goûter la suite.
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Message  Janis Jeu 3 Mai 2012 - 12:33

pareil
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Message  Vigdys Swamp Sam 5 Mai 2012 - 4:37

Présent.

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