Vieillir c'est abandonner

[boudi]

Et quelles extrémités cette année je n'aurais atteintes ? Partout où il y avait des bordures, des corniches, des falaises, je me suis rendu. L'illimité... C'est le vide. Je l'ai appelé Diane, poèmes, catastrophes Tous les gouffres me sont des amoureuses. Je me suis jeté dans l'amour et pourquoi ? Pour l'allure de falaises des yeux bleus, des nez imparfaits. Je me suis effondré dans des vertiges, j'ai supplié l'abîme de me prendre et de me garder comme fait la mer de ses désespérés. J'ai cherché le traumatisme sur tous les visages, à tous les embranchements, dans les jungles lointaines même qui tant ressemblaient à des mains.. Partout je les ai suivis comme une rumeur, comme on veut un pouvoir quand on les épuise déjà tous de son orme. Ah, j'ai tant chanté, tant promené la vie sur mes lèvres, et c'était un immense chemin pour la vie, comme elle n'en avait jamais vu. Mon baiser...cette terminaison des éclairs. Et un matin, j'étais guéri, la forêt orgueilleuse m'avait pris mon éternité.

Partout où il y avait du désastre je suis allé, pour moi me compléter de tout l'Orient de la légende, de tout l'infini qui me ressemble comme une soeur, un reflet. Alors désormais, je vais aller à la vie normale, la vie rangée, la vie avec sa natte prétentieuse et couarde. Voilà. Je vais retourner cette coutume du geste pour le défaire de tout son impossible lointain. J'abandonne le miracle de mes ongles, je délaisse ici la saveur comme on abdique. Ramasse la toi si tu veux, elle a cet aspect des fougères gisantes, des femmes qui n'aimeront plus jamais, des comme partout tu en vois quand elles ont fini d'avoir vingt ans. Vingt ans, quel âge trop poli, âge sournois, âge comme on a un matricule. Tu reconnaitras l'ardeur, c'est tout ce qui ne te ressemble pas, c'est l'ombre parfaite que je laisse et qui ne suivra plus aucun corps. Je remplace mon corps par la robe d'avocat et plus aucun soleil ne me fabriquera une ténèbre. Je veux être toute ma fonction. Un minuscule comme partout il y a des minuscules et cette dernière perversion, celle qui me manque, celle qui ne m'a jamais hantée pourtant, celle que je goûte dans vos yeux ennuyeux et dont je vais vous dire le nom effrayant et barbare : banalité, celle-là désormais j'en ferai mon destin. J'ai déjà appris vos dos d'esclaves, vos rires utiles, j'ai déjà retenu la leçon de vos cœurs paresseux, il y a longtemps j'ai appris vos versets de l'abandon, toute votre résignation moderne. Votre religion, votre liturgie d'impuissants. Allez, baptisez moi ! « Vivant » demain ce ne sera rien de plus qu'un mot et c'est tant mieux, ça vous ressemble enfin.

[Invité]

Ce texte foisonne de belles images exprimées dans un élan lyrique que le lecteur suit avec plaisir.

[Invité]

On sent l'influence de l'auteur des "Illuminations" dans ce long et beau poème en prose.
Douloureux de sortir de l'adolescence et de "changer son corps pour une robe d'avocat"
Il faut bien gagner sa croûte
Que cet accès à l'autonomie ne t'empêche pas de continuer d'écrire
Et crois-moi, la vie d'adulte, quand on la prend par le bon bout, ce n'est pas mal non plus.

[Frédéric Prunier]

il y a des croisements de chemins
et il y a l'écriture

[Albert-Robert]

J'aime bien ta façon d'écrire, je te lirai à nouveau avec plaisir, mais là, tu ne m'as pas convaincu : à 21 ans, sait-on vraiment ce que signifie le verbe "vieillir"?

Tu penseras "encore une réflexion de vieux con" et cela te confortera dans la position que tu affiches...que tu feins d'afficher.

J'ai près de trois fois et demi ton âge et, crois-moi si tu veux, je n'ai rien abandonné. Au contraire, j'ai accumulé.

L'ancêtre te salue cordialement

[boudi]

haha, je ne sais pas ce qu'on gagne à vieillir sinon cette sorte d'impuissance, une lenteur qui n'est pas de la patience, mais une nécessité d'un corps devenu difficile, à moitié ennemi. Je sais le pouvoir que je perds, toute l'obligatoire partout qui soumet, contraint. Là, ça parle cette grande langue administrative qui m'ennuie et me répugne. A vingt ans, on sait le verbe vieillir, on l'a vu sur tellement de visages, on a vu tant et tant d'heureux devenir des ambitieux. Sûrement existe-t-il du bonheur quelque part, de toutes minuscules voies à emprunter soi-même pour soi-même. Mais, oui, après vingt ans, on change, définitivement, il y a quelque chose qui fuit, cette grande blessure qu'il y a dans vieillir.
Je ne crois pas que ce soit une réflexion de vieux con, je crois que tu as oublié ce que c'était être jeune vraiment, et moi, dans le même temps, je n'ai idée de vieillir qu'à travers toutes ces mortelles et douloureuses secondes qui me tendent vers ça, me dessinent malgré moi.
Ah ma belle jeunesse, mon amante impossible, ah, ma cruelle infidèle.

[Invité]

Tu parles de la vieillesse en expert. Avec des mots qui ne trompent pas.
haha, je ne sais pas ce qu'on gagne à vieillir sinon cette sorte d'impuissance, une lenteur qui n'est pas de la patience, mais une nécessité d'un corps devenu difficile, à moitié ennemi. Je sais le pouvoir que je perds, toute l'obligatoire partout qui soumet, contraint.
Mon petit doigt me dit que tu n'as pas 20 ans (cet age de tous les enthousiasmes) mais beaucoup, beaucoup plus.
Peut-être mon petit doigt se le fourre-t-il dans l’œil, peut-être as-tu effectivement 20ans...
Mais en ce cas tu es déjà un vieillard dans ta tête.

[boudi]

Je sais que la modération exige qu'on ne réponde pas par trop à son texte pour éviter de le maintenir en haut des derniers mis à jour, mais cette précision n'étant pas inutile je l'ajoute ici (si la modération peut éditer mon dernier message pour ajouter cette information et supprimer donc ce commentaire ci...) j'ai bien l'âge affiché ici et quoi que nous soyons après Sainte-Beuve et que toute information relative à l'auteur, aussi modeste fut-il, n'a qu'un intérêt relatif.


Ok pour cette précision
La Modération
.

[Maryse]

Hé Boudi !ça a de la gueule!
Bien vu... Je peux en parler

[Janis]

j'aime bien aussi, même dans les excès
et je me souviens avoir eu cette sorte d'effroi vers 20 ans
donc, ça parle

[Invité]

Boudi, je trouve ton texte d'un grand pessimisme. Déjà le titre...
Je trouve triste la manière dont tu te prépares à vieillir. Il y a tant de compensations !
Tu parles beaucoup du corps, de l'aspect physique, qui forcément subit la décrépitude, mais quid de l'esprit devenu tellement plus riche grâce aux expériences de toute une vie ?
La vieillesse, à condition que le corps ne soit pas trop délabré, est une étape très jouissive pour l'esprit qui sait mieux apprécier ce que la vie propose.
Si la vieillesse contraint le corps à plus de lenteur, elle offre à l'esprit, conscient de l'ultime limite qui peu à peu s'approche, une capacité d'accumulation de satisfactions dont on n'a pas idée quand on est encore jeune.

[Invité]

C'est vrai qu'au départ je pensais à un "pastiche" de Rimbaud, mais le sujet et le côté compassé ...

Mais que de vieillards précoces me dis-je, ayant le souvenir (et pourtant la mémoire, à mon âge, mon bon monsieur ... ), d'un autre texte d'un "jeunot" qui était un "vieillard de vingt ans", de réactions moralistes d'un autre temps venant de plus jeunes que mon (vieux) fils de 25 ans !!!

Et j'ai repensé à ce retour que je fis, il y a une vingtaine d'années, dans une fac de lettre (comme étudiant préparant je ne sais quoi).

Hé bien vous me croirez si vous voulez, j'avais l'impression d'être au milieu de ménagères bien rangées et de (rares) commis de banque qui citaient déjà Sainte-Beuve, sans mettre dans leurs dissertations : "la Sainte avait raison, quand elle disait qu'Hugo ...".

Fort heureusement, de nombreux galapiats et (-piates) ayant passé le demi siècle, viennent ici nous apporter fraicheur et véritable jeunesse : celle de l'esprit qui ne se rend jamais.

Putain, allez courir les filles, criez leur des poèmes d'amour, après avoir fait sept fois le tour de leur langue avec la vôtre, je sais pas moi, forcez-vous un peu.
J'arrête (l'arthrose du poignet), et puis j'ai une ou deux gamineries à écrire.

[Janis]

Ü
(mince, mon dentier me lâche)

[lol47]

Désolé du up, je fouille.

Moi qui suit à mi-chemin entre les 20 et 80, le seul défaut de vieillir ce sont les pépins physiques.
Pour le reste, la vieillesse a ceci de supérieur à la jeunesse, il ne lui reste rien à prouver. Ce qu'il y a d'emmerdant à être jeune, ce sont les autres qui t'attendent au tournant.

_ Alors, tu le fais, tu l'as fait, tu le fais pas...mais fallait le faire, pourquoi tu l'as pas fait !

Bientôt, j'aurai 50 balais et plus personne pour venir m'embêter. Ils diront, c'est un vieux con en devenir, alors on le laisse tranquille.
Ouf....!!!

[Rebecca]

Boudi j'adore ton texte, parce que près des falaises, des gouffres de la merveilleuse inconscience, de la flamboyante innocence de l'adolescence.
Et qu'il me plonge dans des abimes de reflexion dont je ressors ce matin toute régénérée malgré l'obsolescence de mon cerveau fatigué et de mes cellules grabataires en voie d'Alzheimerisation, malgré la décomposition annoncée de mon destin de ménagère de plus de cinquante ans, et de mégère post ménopausée posée comme une plante décatie sur un coin de la commode, parce que c'est commode, et puis que ça meuble les intérieurs défraichis sans réussir toutefois à cacher la moississure qui gagne du terrain, quand il faut
"Oublier ces heures
Qui tuaient parfois
A coups de pourquoi
Le cœur du bonheur "

Merci.
Faut que j'écrive un truc sur l'an vert des corps et l'envers du décor.

[Pascal-Claude Perrault]

Quelle envolée !
Si tu te destines à être avocat, tu risques de cartonner dans la plaidoirie !
Alors donc vieillir c’est abandonner ? Bin, abandonner c’est vieillir donc.
Quand tu vois deux Russes, champions d’échecs, s’affronter, y en a toujours un plus vioc que l’autre, c’est celui qui abandonne.
Merci de m’avoir prévenu, je vais faire gaffe à l’avenir de ne pas abandonner trop de trucs afin d’éviter de vieillir trop vite. Du coup, je ne sais pas quoi faire de mes vieilles chaussettes trouées, les abandonner c’est risqué, je vais essayer de recycler.

PS
Bienvenue au club du général De Gaulle.

[Polixène]

Ce texte est effervescent!

La preuve par les commentaires...
Dites-donc, camarades Tamalou, vous savez bien qu'on a déjà tout compris à 20 ans et même bien avant.
Un certain Arthur R écrivit de 15 à 20 ans quelques vers mémorables, puis eut l'élégance de passer à autre chose.
Chez toi Boudi, la source ne semble pas se tarir d'elle -même!
Ta hantise de la dégénérescence, de l'impureté -qui saute aux yeux quand on lit tous tes textes à la suite, ce que je viens de faire-, est peut-être l'ombre de ta peur projetée sur ton présent.

Ton écriture est solaire, puisse-t-elle passer par toutes les autres phases de la météo!!!

[Invité]

Je suis d'accord avec toi, Boudi.
Mais comment tu vas faire, maintenant ?
Je ne connais qu'un seul moyen de ne pas vieillir.
En revanche, j'en connais plein pour être heureux.
Vu de la lune, tu sais, il n'y a pas grande différence entre les humains. On n'est qu'une toute petite croûte sur le dos de la planète, un grain de poussière qu'un courant d'air envole... et c'est drôlement jouissif, à bien y réfléchir !
Allez, saigne bien. je te le dis sans ironie, je sais de quoi je parle.

[Pussicat]

à 20 ans ? à 20 ans je ne me souciais pas de l'avenir, du "vieillir", bien ou mal, de l'état de ma carcasse, dans 20 ans, dans 40 ou bien cent, oui, je vivrai jusqu'à 120 ans, et de tout le reste ... à 20 ans, j'étais embarquée dans une aventure qui me dépassait ... mais ce n'est pas le sujet ... votre âge ? ... ce n'est pas le sujet ...
j'aime bien votre écriture, mais si "Vieillir c'est abandonner", alors ne vieillissons pas ... et l'encore du dévers

[humpf]

pf j'aime pas les pessimistes. J'aime bien ton textes malgré tout^^, même si, il y a des choses que je ne comprend pas...

Vieil homme ! Tu vieillis parce que tu te crois vieux !

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