La vingtaine
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La vingtaine
Puisque j’allais avoir vingt ans, et que cela n’arrivait pas tous les jours, je décidai d’organiser une grande fête. Cela tombait bien : le jour de mon anniversaire, mes deux parents seraient absents. Ma mère était partie chez une amie (depuis déjà six ou sept ans), et mon père dormait dans la voiture. Ce pauvre petit papa m’avait embrassé le genou en m’assurant « qu’il se ferait tout petit, qu’on ne le remarquerait pas ! ». Mais même en se dressant de toute sa hauteur, ses soixante-dix centimètres ne le rendaient pas impressionnant pour deux sous, et les gens, moi y compris, lui marchaient dessus plus souvent qu’ils ne prêtaient attention à ce qu’il avait à dire.
Mes amis arrivèrent aux alentours de dix-huit heures, les bras chargés de cadeaux en tout genre. Je n’attendis pas plus d’une minute avant de les avoir tous ouverts : comme d’habitude, on m’inondait de romans, de parfums, de furets empaillés, et de bijoux précieux.
« Merci bien, dis-je en remballant l’inutile matériel, allez, on entre !
- On n’attend pas les autres ? demanda Clémence.
- Il ne manque personne, répondis-je sans comprendre, qui veux-tu attendre ?
- Hé bien… Benjamin ! »
En effet, cela posait problème. J’avais décidé que je ne voulais pas donner mes raisons pour ne pas avoir invité l’homme qui partageait mon lit et mon appartement depuis près de deux ans. Mais il semblait qu’on ne me laisserait pas tranquille tant que je n’aurais pas tout avoué.
« Hier, on s’est un peu disputés.
- Que s’est-il passé ?
- Nous sommes allés jouer au poker dans un bar à jeux de la ville. Bon, on avait beaucoup bus, et on a voulu jouer contre un vieux type tout délabré, avec un regard dégueulasse. Il a vite fait tourner le poker en strip-poker, et puis il a entrepris de me fouetter, avec un fouet tu vois ? Ouais, alors moi j’ai dit à Ben « ok, on s’en va », mais Ben, je crois que ça l’a excité de voir ça, parce qu’au bout d’un moment, il m’a dit « allez viens, on rentre », et j’étais soulagée, mais il m’a ramenée chez lui et là il a commencé à me donner des coups de poing, et tout. Alors je lui ai dit d’arrêter, et là il a pris ma plaquette de pilule dans mon sac, et il a avalé celle du lundi. Bon, finalement ça c’est pas trop grave parce que j’ai fait le calcul, je pourrai m’arrêter mercredi au lieu de jeudi, et ça ne changera pas grand-chose, j’aurai juste mes règles un jour plus tôt, mais quand même ! Il m’a dit que comme ça il se transformerait en femme, et là je sais pas trop, ça a eu l’air de le fasciner, il est resté un moment comme ça, à réfléchir, à ce que ça faisait d’être une femme peut-être, j’en sais trop rien. Bon, en tout cas je me suis barrée, ça m’a vraiment énervée.
- Tu m’étonnes.
- Changer ton jour de règle… il a vraiment pas de race ! »
D’avoir tant parlé m’avait donné envie de faire pipi. Je montai à l’étage, mais alors que je venais d’enlever mon pantalon, Clémence m’appela d’en bas.
« Il y a quelqu'un à la porte pour toi ! »
Comme ce jean était vraiment trop compliqué à remettre, avec ses dix boutons et sa fermeture pas du tout éclair, je descendis en culotte accueillir le visiteur. C’était un homme d’une quarantaine d’années, moustachu, et à l’allure efféminée.
« Je peux vous aider monsieur ?
- Votre père a mis un tableau en vente sur Internet, nous nous sommes contactés, je viens pour le récupérer.
- Il ne m’a pas mise au courant, excusez-moi, je vais le chercher ! répondis-je avec amabilité. Je vous en prie restez ici je n'en aurai pas pour longtemps ! »
Je descendis à toute allure chercher mon paternel, ronflant plus fort que le moteur de la voiture qu’il avait dû oublier d’éteindre.
« Il y a un type, en haut, pour le tableau.
- Ouh là, ma petite puce, je n’ai vraiment pas le courage de sortir d’ici. Tu as vu, j’ai complètement réaménagé la voiture ! Ici c’est le salon, là la cuisine, là ma chambre, la salle à manger… enfin une maison à ma taille, je crois bien que je vais m’installer !
- Mais tu n’as pas de toilettes ?
- … c’est une voiture. Je n’ai qu’à ouvrir la porte et je suis dehors. Si c’est pour dire des idioties, je n’ai pas besoin de te voir. Remonte là-haut, et vérifie qu’il me paie bien cinquante billets ! »
Je m’exécutai, docile comme un agneau. Quand j’entrai dans le hall, l’invité surprise était en train d’observer la tête de sanglier accrochée au mur.
« Elle vous plaît ? demandai-je, c’est un cadeau qu’on m’a offert pour mes dix-neuf ans.
- C’est scandaleux ! Scandaleux !
- D’empailler les animaux ?
- De prendre si peu soin de pareille œuvre d’art ! Elle est toute grasse, elle sent la friture, et ses poils tirent vers le bas tant ils sont imbibés de vapeurs de graisse ! C’est ainsi que vous entretenez vos tableaux ? Alors je n’achèterai rien, vous m’entendez, NIET, rien de rien ! »
Il partit en claquant la porte, si bruyamment que tous mes amis accoururent.
« Il a fait un scandale en voyant la tête de sanglier !
- Oh, tu l’as toujours ? Fais voir ! »
Je leur montrai l’objet de la discorde. Il y eut un long silence.
« C’est comme ça que tu prends soin de tes cadeaux ?
- Je vais récupérer mon furet alors.
- C’est pas croyable, tu l’as mise dans une friteuse ou quoi ?
- Elle pue, c’est dégueulasse ! »
Mes amis, outrés, récupérèrent tour à tour les présents qu’ils venaient de m’offrir, et chacun me donna une bonne gifle avant de quitter la maison. En bas, mon père leur adressait des signes de la main en lançant gaiement « Au revoir ! Au revoir ! ». Quand je me retrouvai seule, mon téléphone sonna.
« Ben ?
- Salut, non, c’est son frère… il n’ose pas te parler, hier il a craqué, à cause de l’alcool, de la fatigue, il a eu un petit coup de folie. Il s’en veut terriblement…
- Ça va, je le pardonne.
- Il passera te voir bientôt.
- Super, merci.
- De rien. Au revoir.
- Au revoir.
- … et la prochaine fois Ben je prendrai pas ta défense avec des excuses bidon quand tu voudras te livrer à des fantasmes SM sur ta débile de cop… »
Je raccrochai rassurée : avec Ben, au moins j’étais réconciliée. J’allai me coucher avec le sourire.
Le matin à mon réveil, je l’avais perdu. Il y avait de quoi : moi qui voulais marquer le coup, cette fête avait été d’une banalité effarante, et ni moi, ni aucun de mes amis sans doute ne s’en souviendraient jamais.
Mes amis arrivèrent aux alentours de dix-huit heures, les bras chargés de cadeaux en tout genre. Je n’attendis pas plus d’une minute avant de les avoir tous ouverts : comme d’habitude, on m’inondait de romans, de parfums, de furets empaillés, et de bijoux précieux.
« Merci bien, dis-je en remballant l’inutile matériel, allez, on entre !
- On n’attend pas les autres ? demanda Clémence.
- Il ne manque personne, répondis-je sans comprendre, qui veux-tu attendre ?
- Hé bien… Benjamin ! »
En effet, cela posait problème. J’avais décidé que je ne voulais pas donner mes raisons pour ne pas avoir invité l’homme qui partageait mon lit et mon appartement depuis près de deux ans. Mais il semblait qu’on ne me laisserait pas tranquille tant que je n’aurais pas tout avoué.
« Hier, on s’est un peu disputés.
- Que s’est-il passé ?
- Nous sommes allés jouer au poker dans un bar à jeux de la ville. Bon, on avait beaucoup bus, et on a voulu jouer contre un vieux type tout délabré, avec un regard dégueulasse. Il a vite fait tourner le poker en strip-poker, et puis il a entrepris de me fouetter, avec un fouet tu vois ? Ouais, alors moi j’ai dit à Ben « ok, on s’en va », mais Ben, je crois que ça l’a excité de voir ça, parce qu’au bout d’un moment, il m’a dit « allez viens, on rentre », et j’étais soulagée, mais il m’a ramenée chez lui et là il a commencé à me donner des coups de poing, et tout. Alors je lui ai dit d’arrêter, et là il a pris ma plaquette de pilule dans mon sac, et il a avalé celle du lundi. Bon, finalement ça c’est pas trop grave parce que j’ai fait le calcul, je pourrai m’arrêter mercredi au lieu de jeudi, et ça ne changera pas grand-chose, j’aurai juste mes règles un jour plus tôt, mais quand même ! Il m’a dit que comme ça il se transformerait en femme, et là je sais pas trop, ça a eu l’air de le fasciner, il est resté un moment comme ça, à réfléchir, à ce que ça faisait d’être une femme peut-être, j’en sais trop rien. Bon, en tout cas je me suis barrée, ça m’a vraiment énervée.
- Tu m’étonnes.
- Changer ton jour de règle… il a vraiment pas de race ! »
D’avoir tant parlé m’avait donné envie de faire pipi. Je montai à l’étage, mais alors que je venais d’enlever mon pantalon, Clémence m’appela d’en bas.
« Il y a quelqu'un à la porte pour toi ! »
Comme ce jean était vraiment trop compliqué à remettre, avec ses dix boutons et sa fermeture pas du tout éclair, je descendis en culotte accueillir le visiteur. C’était un homme d’une quarantaine d’années, moustachu, et à l’allure efféminée.
« Je peux vous aider monsieur ?
- Votre père a mis un tableau en vente sur Internet, nous nous sommes contactés, je viens pour le récupérer.
- Il ne m’a pas mise au courant, excusez-moi, je vais le chercher ! répondis-je avec amabilité. Je vous en prie restez ici je n'en aurai pas pour longtemps ! »
Je descendis à toute allure chercher mon paternel, ronflant plus fort que le moteur de la voiture qu’il avait dû oublier d’éteindre.
« Il y a un type, en haut, pour le tableau.
- Ouh là, ma petite puce, je n’ai vraiment pas le courage de sortir d’ici. Tu as vu, j’ai complètement réaménagé la voiture ! Ici c’est le salon, là la cuisine, là ma chambre, la salle à manger… enfin une maison à ma taille, je crois bien que je vais m’installer !
- Mais tu n’as pas de toilettes ?
- … c’est une voiture. Je n’ai qu’à ouvrir la porte et je suis dehors. Si c’est pour dire des idioties, je n’ai pas besoin de te voir. Remonte là-haut, et vérifie qu’il me paie bien cinquante billets ! »
Je m’exécutai, docile comme un agneau. Quand j’entrai dans le hall, l’invité surprise était en train d’observer la tête de sanglier accrochée au mur.
« Elle vous plaît ? demandai-je, c’est un cadeau qu’on m’a offert pour mes dix-neuf ans.
- C’est scandaleux ! Scandaleux !
- D’empailler les animaux ?
- De prendre si peu soin de pareille œuvre d’art ! Elle est toute grasse, elle sent la friture, et ses poils tirent vers le bas tant ils sont imbibés de vapeurs de graisse ! C’est ainsi que vous entretenez vos tableaux ? Alors je n’achèterai rien, vous m’entendez, NIET, rien de rien ! »
Il partit en claquant la porte, si bruyamment que tous mes amis accoururent.
« Il a fait un scandale en voyant la tête de sanglier !
- Oh, tu l’as toujours ? Fais voir ! »
Je leur montrai l’objet de la discorde. Il y eut un long silence.
« C’est comme ça que tu prends soin de tes cadeaux ?
- Je vais récupérer mon furet alors.
- C’est pas croyable, tu l’as mise dans une friteuse ou quoi ?
- Elle pue, c’est dégueulasse ! »
Mes amis, outrés, récupérèrent tour à tour les présents qu’ils venaient de m’offrir, et chacun me donna une bonne gifle avant de quitter la maison. En bas, mon père leur adressait des signes de la main en lançant gaiement « Au revoir ! Au revoir ! ». Quand je me retrouvai seule, mon téléphone sonna.
« Ben ?
- Salut, non, c’est son frère… il n’ose pas te parler, hier il a craqué, à cause de l’alcool, de la fatigue, il a eu un petit coup de folie. Il s’en veut terriblement…
- Ça va, je le pardonne.
- Il passera te voir bientôt.
- Super, merci.
- De rien. Au revoir.
- Au revoir.
- … et la prochaine fois Ben je prendrai pas ta défense avec des excuses bidon quand tu voudras te livrer à des fantasmes SM sur ta débile de cop… »
Je raccrochai rassurée : avec Ben, au moins j’étais réconciliée. J’allai me coucher avec le sourire.
Le matin à mon réveil, je l’avais perdu. Il y avait de quoi : moi qui voulais marquer le coup, cette fête avait été d’une banalité effarante, et ni moi, ni aucun de mes amis sans doute ne s’en souviendraient jamais.
- Spoiler:
- Ouille, j'ai du mal à reprendre le fil ! Alors bon, ces deux rêves me tournaient dans la tête depuis trop longtemps, et j'avais vraiment besoin d'en écrire une histoire, mais comme ça, sans recul, j'ai un peu peur que ça ne parte dans tous les sens. J'attends vos avis :-) !
Re: La vingtaine
Ca part effectivement dans au moins deux directions et c'est un peu dommage, car ce père miniaturisé dans sa voiture appart, ça aurait pu faire un beau point de départ, là c'est sous exploité. Dommage !
Mais bon anniversaire quand même, M-arjolaine ! Voici une magnifique mouche empaillée pour te consoler !
Invité- Invité
Re: La vingtaine
Un peu moins cruel et abouti que d'autres histoires de ta plume, même si j'éprouve toujours du plaisir à te lire et à partager tes rêves déjantés. Ce que je reprocherais à ce texte est que tu t'étends parfois sur des détails alors qu'à d'autres moments, tu survoles allègrement des parties du récit. Cela crée un déséquilibre qui finit par se remarquer. En même temps, j'aime assez que tout ne soit pas expliqué, c'est quelque chose que tu maîtrises bien et que j'apprécie beaucoup.
J'aime aussi la pertinence de certaines petites précisions, comme la débile de cop dans un téléphone pas encore raccroché, par exemple.
J'aime aussi la pertinence de certaines petites précisions, comme la débile de cop dans un téléphone pas encore raccroché, par exemple.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: La vingtaine
C'est quand même pas mal d'avoir réussi à plus ou moins relier les deux rêves.
Il faudrait retravailler pour que ça soit moins plat, là j'ai l'impression que l'effet repose uniquement sur les trouvailles étranges mais qu'elles ne sont pas mises en valeur - manque de rythme, il faudrait trouver la manière de rendre tout cela palpitant, inquiétant, je ne sais pas...
A mon avis, tu aurais tout intérêt à développer ce texte, à en soigner l'expression pour qu'elle traduise pleinement l'originalité du récit tel que tu l'as en tête et les éléments qui le composent. Revoir la chute aussi.
Il faudrait retravailler pour que ça soit moins plat, là j'ai l'impression que l'effet repose uniquement sur les trouvailles étranges mais qu'elles ne sont pas mises en valeur - manque de rythme, il faudrait trouver la manière de rendre tout cela palpitant, inquiétant, je ne sais pas...
A mon avis, tu aurais tout intérêt à développer ce texte, à en soigner l'expression pour qu'elle traduise pleinement l'originalité du récit tel que tu l'as en tête et les éléments qui le composent. Revoir la chute aussi.
Invité- Invité
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