Décomposition

[lulli]

Elle pleure. Comme une petite fille. Elle à un gros ventre, éventration. Elle n’a pas de dents. Elle est maigre. Un peu moins que du temps de l’hôpital où elle se laissait mourir de faim. Ses robes deviennent étroites. La regarder devient plus supportable. Elle est toute petite dans son fauteuil roulant immense. Une petite fille toute ridée. Elle geint. Les chaos de l’ambulance la font hurler de douleur. Je ne sais plus si elle a mal ou si elle à peur. Je lui montre Paris. Elle me dit sèchement qu’elle connait déjà. Depuis bien avant ma naissance. Que ça ne l’intéresse pas. Même l’opéra ne la fait pas sourire. Elle qui regrette de ne pouvoir y aller. Elle me regarde, perdu. On va où ? Et Danny elle est où ? Et ton père ? Elle mélange les générations, m’appelle Danny, me demande où est son mari. Je lui réponds toujours. Calmement. Je lui prends la main. Inconfort. On va à l’hôpital, service des plaies et blessures. Pour ton pied. Non, pas pour tes fesses, ton pied. Danny est à Saint-Gratien dans votre ancien pavillon pour signer la vente. Danny, je ne l’ai jamais connu sous se prénom. Grand-père est dans sa chambre, à la maison de retraite. Tu le rejoindras tout à l’heure. Elle dit mon prénom. Je voulais savoir si c’était ton prénom. Un jour elle ne me reconnaitra plus du tout. Enfin si elle vie assez longtemps. Je lui sourie, lui parle de ma vie. J’essaye de la faire rire. Je lui raconte n’importe quoi. Je réponds à ses questions. Toujours les mêmes. Les ambulanciers discutent entre eux. Elle me demande qui parle. Ça lui à fait peur. L’idée d’inconnu dans son dos. Je ris. Lui explique. Elle rit. Les pavés de Paris la font crier. Elle veut que je la redresse. Que je lui donne des coussins. Je ne peux pas, elle est couchée. Je la regarde et je regarde Paris. Je lui dis les noms de rues, les arrondissements. Elle écoute d’une oreille. Quand je parle un temps elle oublie l’ambulance. Alors je parle. De tout. De rien. Je me répète. Je décris mon appartement. Je lui parle de Nicolas. Promets de lui faire une bise de sa part. Finalement on arrive. Les ambulanciers nous guident. Salle d’attente. Le médecin aura du retard. Je retiens un soupir. Elle regarde l’heure sans comprendre. A quelle heure ? Je réponds : bientôt. Elle ne veut pas me laisser lire. Je regarde les vieux. C’est un hôpital spécialisé en gériatrie. Elle me demande si cette femme est une femme ou un homme. Très fort. Je retiens un fou rire. Elle veut des mouchoirs. Je lui apporte des essuies mains. Elle râle. C’est pas doux. Elle à raison. Une grande affiche explique comment s’adresser à quelqu’un qui à la maladie d’Alzheimer. Doucement, phrase courte, regardez dans les yeux… je souris à l’affiche. Non, je ne la vouvoierai pas ! Enfin le docteur est là. Je pousse son fauteuil roulant.

Lentement il lit le mot du médecin traitant. Il sourit, et lui pose des questions. Elle a du mal à se souvenir de la date de sa naissance et de son âge. Il n’insiste pas. Il s’agenouille devant elle. Il enlève un de ses chaussons. Elle cri. Il regarde le pansement, l’enlève à l’aide de pince. Il observe son pied droit. De petites plaies superficielles et sèches le couvrent. Il s’attarde sur l’une d’elles, sur le coté du pied. Il n’aime pas ça. Il est rassurant, la plaie saigne, il sent le pouls dans les artères. Il parle du fait qu’on est proche d’un os, que c’est ça qui l’ennuie. Elle ne dit rien, crie quand il la touche. Il lui dit « tirez moi les cheveux si je vous fais mal, on ne se connaît pas et je vous fais déjà des misères ». Elle rit de bon cœur, vous n’en avez pas assez. Elle a toujours se mordant de la répartie. Il passe au pied gauche. De mon siège je regarde se qu’il fait. Attentive au moindre mot. Je prends des notes pour maman. Pour moi. Pour prendre de la distance. Il enlève le pansement du pied gauche. Je le sens qui se raidit. C’est pas bon.

Sur le dessus de son pied, il manque de la peau et de la chair. Il y a deux plaies distinctes. Une ronde au bord ourlé. L’autre est plus petite, ovale. Elles peuvent se rejoindre me dira-t-il par la suite. Elles peuvent même traverser le pied du coup jusqu’à la plante. On voit les tendons. Enfin, on voit la gaine blanche qui les entoure. Il fait bouger ses orteils, les tendons suivent. Je suis fasciné. Il ne peut rien promettre. Les plaies ne sont pas jolies, les pansements sont compliqués à faire. Son diabète ne joue pas en sa faveur. Il parle d’amputation. Puis se rétracte au vu de son âge. Elle lui sourit. Elle semble contente d’être là. Il lui explique. Elle ne réagit pas. C’est rien, c’est rien. Il prend des photographies pour mesurer l’évolution. Il faudra revenir. Il faudra. Les ambulanciers viennent la chercher. Le médecin m’explique la situation.

Si la plaie stagne, les tendons sécheront. Il faudra les couper. Si la plaie s’envenime, l’amputation est possible. Il pose la question de sa nécessité. Il se demande si ça serait raisonnable. Risque de mort en salle d’opération. Risque d’incompréhension au réveil. Il m’explique. Si la plaie s’infecte ça ferra une gangrène. Elle mourra de ça. Il est pessimiste. Je ne me fais pas d’illusion.

Le cerveau de ma grand-mère se décompose depuis ma naissance. C’est au tour de sa chair.
Je préviens ma mère.

Je monte dans l’ambulance. Grand père doit être en train de manger, Danny est à Saint-Gratien, on retourne à la maison de retraite, tu verras grand-père bientôt, on est bientôt arrivé, je n’ai pas de coussin, regarde par la fenêtre, je n’ai pas d’autre mouchoir, grand-père doit être en train de manger, tu le verras bientôt, Danny fait la signature pour la maison.
Oui, on arrive bientôt.

[AleK]

j'accroche pas, je reconnais l’intérêt du style, mais peut être que cela manque pour moi de légèreté.

[lulli]

J'ai du mal à répondre : je ne cherchais absolument pas la légèreté. Le thème (imposer et qui est le titre) ne s'y prêtait pas vraiment non plus...

C'est pas facile à décrire en fait, je ne suis pas très doué en description. J'ai besoin d'écrire sur ce thème, la forme s'y preste peu être pas, c'est un première essaie.




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La Modération >
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[Invité]

Dire que ça me retourne est un euphémisme.
Pas facile de faire un commentaire distancié.
C'est très dense, on sent qu'il y a urgence - et pas que pour le personnage du texte, pour le narrateur aussi et surtout. Et donc, je pense qu'il serait inutile de te demander d'aérer, puisque cette densité traduit ce qui fait le sujet du texte.
Les deux premiers et derniers paragraphes me paraissent bons (je fais abstraction des fautes, j'ai vu ton problème dans le fil Présentations). Je suis moins emballée par le milieu de texte, les explications physiologiques, peut-être y aurait-il moyen de faire plus bref.

[lol47]

Dans l’ensemble, j’ai plutôt bien aimé ce texte. Il renvoie quelque chose, de noir, de fort. Un être vivant qui ressemble déjà à un cadavre.
En premier lieu, le titre m’a évoqué plusieurs références.
E.M Cioran, pas forcément l’écrivain le plus gai de la terre, avec son Précis de décomposition et cette sublime phrase de Fitzgerald, que tout le monde connaît « toute vie est bien entendu un processus de démolition. »

Dans l’ordre on part donc de la démolition, la dégradation puis la décomposition. Le corps humain, en tant que «  matériau noble «  souffrant puis désagrégé. Ultime processus avant les champignons et d’être bouffé par les insectes.

Un texte cruel. Aride: Le cerveau de ma grand-mère se décompose depuis ma naissance. C’est au tour de sa chair.
Je préviens ma mère

Je me suis posé quand même une question . Est-ce vraiment tout noir tout le temps comme ça dans ton crâne ?
Car se dégage de ton récit une impression clinique, les phrases sont courtes , posées, calmes. En tout cas, c’est mon ressenti.
Bises.

[demi-lune]

Les phrases courtes, de construction simple font vraisemblablement écho à celles qui doivent être adressées aux personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Néanmoins, cette structure de style tout au long du texte devient à la longue trop "clinique" pour que celui-ci s'adresse vraiment à un "lecteur" et ne soit pas seulement un exutoire de souffrance subie, à coucher sur le papier juste pour l'évacuer car sinon, ce style finit par prendre trop de place et - pour moi - gêner la lecture.

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