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Le chant de la maîtresse dans les arbres

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Le chant de la maîtresse dans les arbres Empty Le chant de la maîtresse dans les arbres

Message  Raoulraoul Mer 27 Juin 2012 - 15:05

LE CHANT DE LA MAÎTRESSE DANS LES ARBRES

Tout commencement est impur.
Fahreta range son cahier et part sur la route crayeuse. Pieds nus dans ses petites tennis. Elle n'est plus qu'un point dans la chaleur vibrante. Point. Tout peut commencer là. A l'endroit de sa disparition.
Nous ouvrons le cahier. Nous. Le cahier de Farheta qu'elle n'a pas emporté, mais jeté à cause de la peur. Nous le lisons. Nous aimons le lire.
« Ils caressaient la tête des enfants. Ils tentaient de nous rassurer. Cette gentillesse a duré plusieurs jours. Puis, ils ont regroupés les hommes pour enregistrer leurs noms. Le soir, ils les ont appelé, après on ne les a plus revus. La nuit, les femmes se réveillaient en sursaut et se mettaient à crier. D'autres sanglotaient sans arrêt. Les enfants pleuraient. Deux hommes se sont pendus. Ils étaient très vieux. On entendait des hurlements venant des bâtiments de l'usine où ils avaient emmenés les hommes. J'étais terrorisée. J'essayais de me glisser vers le fond de la salle. Je m'étais salie la figure avec de la poussière pour être repoussante, je savais qu'ils prenaient les plus jolies... »*
Nous aimons rire en te lisant. Farheta nous t'imaginons. Farheta, nous te rattraperons sur la route crayeuse. Sur les pages couvertes de boue, il y a une écriture si fine qu'elle fait trembler nos yeux.
A la bière, nous mélangeons de la vodka. Ainsi nous préférons te lire, mais aussi à l'abri des regards qui pourraient parler.
Elle a eu juste le temps de crayonner avec ses doigts déjà gris de cendre.
« Au petit matin, je les ai vus, patrouillant dans le camp, ils tenaient des bâtons couverts de sang. D'autres portaient comme trophée des pièces d'uniformes volées à nos hommes. Le 11 juillet, ils son rentrés dans l'hôpital. Ils ont rassemblé des blessés et l'équipe médicale. Ils nous ont chargé dans les camions. Aussitôt, ils ont commencé à tabasser quelques blessés. C'était des combattants. L'un d'eux m'a dit : Je connais ton père et je vous ferai la peau à tous les deux. Un autre est intervenu pour le calmer... »
Farheta serait partie sur la route. Fuyant de chez elle. Emportant juste un pull de rechange, un quignon de pain et deux boîtes de corned-beef. Elle espère atteindre la zone de sécurité. Laquelle ? Elle désespère de ne plus rien revoir de ce que fût sa vie. Avant. Quand la vie calme n'employait pas ces mots, quand le calme endormait la vie, quand vivre était chose courante. Farheta rêve. C'est ce qui lui reste. Nous aussi, avec nos couteaux dans le corned-beef de sa chair. On se la distribue Farheta, 24 ans, institutrice. Bonne, vaillante, fuyarde.
Sur la route, dont on frémit de révéler le nom...
"...Des hommes en uniforme sont montés, demandant à chacun son nom et son village d'origine. Ils exigeaient de l'argent. Puis les camions repartirent. La même scène recommença. La troisième fois, en pleine forêt, l'arrêt est plus long. Dans un fossé à côté du barrage gisaient 4 ou 5 corps. Derrière, dans une clairière, je voyais 2 ou 300 hommes assis, pieds nus, sous la garde de soldats. Des coups de feu claquaient par intermittence."
A la télévision on peut les voir. On pourrait les voir. Même dans leur mort. Charniers. Déculottés. Sexe arrogant. On peut les voir, dans le cadre, comme une oeuvre d'art. A table, entre le poulet et le fromage, avec les enfants qui rient parce que ça bouge, malgré la mort qui gonfle les chemises.
Farheta ne se souvient plus de l'Avant. Elle a fui ce temps là. Le Lieu des Arbres, des Maisons Droites, des Jours qui se Lèvent. L'Aujourd'hui est couché dans la Poussière d'Homme, leur lumière de nuit. Dieu sait où est Farheta ! Même lui ne sait pas. « Nous la retrouverons ! » se disent les soldats. Plus forts que Dieu ils sont, pourchassant les peuples.
« Les civils comme les combattants n'avaient rien à manger. Ceux qui avaient encore un quignon de pain l'ont fini au bout de deux jours. On mangeait des herbes et des racines. Des gens étaient pris de panique. Plusieurs ont craqué, même parmi les combattants, et certains se sont suicidés avec leur grenade. »
Le cahier sali parle tout seul. Brasier d'écriture qu'aucune botte ne peut étouffer. Elle a laissé son brouillon, l'institutrice, torche vivante, pour que le monde réapprenne à lire.
Nous, soldats exterminateurs, nous le feuilletons, nous le troussons le cahier joli, avec sa couverture marron, comme une gueuse, une fille de joie. Nous. Nous sommes ceux qui voulons savoir. Exterminer les auteurs de cahier. Anne Frank, Fahreta Drananovic et tous les autres dans leur enclave de croyance. Nous buvons un verre à la santé de leur détresse et pissons charnellement sur eux. L'individu se lève et dans la clarté de la lune la litanie du cahier se répand.
« J'étais terrorisée et je disais non. Alors nous sommes arrivés près d'une caserne. Ils m'ont fait monter dans le bâtiment. Arrivés dans une pièce, l'un d'entre m'a pointé son arme sur la tempe et un autre à arraché mes vêtements. Puis ils ont interverti les rôles. Je saignais de partout. Ils le faisaient en disant des cochonneries. Je n'arrive pas à me rappeler combien de temps cela a duré. Ils avaient tous les trois entre 28 et 29 ans. L'un d'entre était de la région. Je le connaissais de vue. Puis, ils m'ont finalement ramenée à la baraque où étaient les autres blessés. Je n'ai pu rien leur dire... » Nous nous esclaffons de fureur. Gloussons. L'un de nous veut se torcher. Prendre le cahier. Nous l'arrêtons. Farheta, par ses écrits, pourrait t'embraser les boyaux. Sur le pupitre des Parlements, un journaliste est parvenu à jeter le cahier. La Communauté Internationale se le déchire, comme une bande dessinée obscène. « Même Dieu a abandonné Farheta », se répètent les anglicans.
Farheta a dépassé la ligne visible. On peut voir encore la trace de ses tennis dans la craie du chemin. L'air l'a dissoute dans l'immensité brûlante. Remarques-tu cette fragrance de patchouli, un fin piment de sueur ? C'est Farheta. Son souvenir. Sa toison. Son sillage. Nous saurons le flairer jusqu'à l'autre bord de l'hémisphère. S'il le faut nous le ferons. « Serment de tueurs ! » hurlent les soldats. Nous sommes de ceux-là jobardement. Trident à la boutonnière et pal fumant en main. Nous sommes de ceux-là, tous, intimement.
Un matin, ils ont vendu la mèche. Eux. Les gens. Les autres. Il avait beaucoup plu. On les avait autorisé à boire de la pluie. Leur gosier ouvert, ils ont parlé : « Farheta, Farheta, elle a pris la route vers Sunjari, le village ! »
Alors nous avons marché. Traversé de la forêt feuillue. On s'appelle par des noms musulmans pour piéger l'ennemi. Notre course, mitrailleur au coude, est belle entre les fûts des arbres. Nous sommes émus de notre force. Les chiens nous guident, excités. Ils ont reniflés le cahier de Farheta. Ca sent l'encre, l'école, la vertu. Ca sent bon la proie. On se déploie comme des oiseaux géants rasant la terre. C'est notre tranquillité qui est remarquable à voir. Un silence funeste grossit sous notre foulée. Il n'y a que Farheta, la fluette Farheta, qui va mourir. Sans témoin. Par nous même. Là, une tennis. Là, un pull. Son pull accroché entre les branches. Elle joue Farheta. Sème des indices. Des hommes se sont masturbés dans ses tennis. Elle ne peut qu'être nue, en haillons, dans la campagne. Elle veut être un étendard pour l'opinion. Elle veut faire croître notre bonté résiduelle. S'imagine qu'elle créera un Bataillon de l'Amour, qu'elle renversera le droit du Champion.
C'est alors que nous devinons son ombre. Il faut se méfier des follets quand la nuit tombe.
Nous l'encerclons en haut de la butte. Formons cette ronde de mort, nos canons pointés comme des yeux qui vont éclaircir l'abîme dans son corps. Farheta nous regarde. Enfant à peine velue, lisse de vérité. Elle a vu le cahier, le reconnaît comme sa part immortelle.
- Tiens, prends ton cahier ! Et écris ! Nous l'obligeons.
- Ecris, jusqu'à ce que nos fusils t'aient écrasé les mains ! Ecris ! Ecris ! Ecrire est une Faute. L'erreur de ta vie.
Farheta souille le cahier de son écriture. Ses mots disent ce que nous lui faisons. Simplement. Elle ne cesse d'écrire malgré notre ignominie. Dans toutes les postures. Elle écrirait avec ses bras mutilés. Son sang produirait des phrases. Nous essayons sur elle toutes les souffrances, et son récit n'en est que plus limpide. Sous nos déjections, elle reste l'institutrice, pour le monde entier, la classe universelle. C'est le chant de la maîtresse dans les arbres ! Nous surveillons l'endroit. Massacrons les insectes, les oiseaux, des fois qu'ils colportent la forfaiture. La butte sera pulvérisée avant notre départ. Quand Farheta aura rendu sa dernière goutte de croyance. Craché son rachat. Filet baveux entre ses dents que nous avons brisées une à une. Elle ne se plaint pas. Le cahier raconte mieux que nous.
Le plus jeune des hommes lui explique que nous avons pendu son père et sa mère, et que les enfants de l'école ont assisté à la scène. Plus personne ne pourra lire le cahier. Quoi de plus beau qu'une pendaison qui se balance dans les mémoires, quand les pendus se sont tenus la main jusqu'à la dernière seconde ?
Farheta est ivre de douleur.
- Ca suffit !
Le plus ancien d'entre nous dégaine son pistolet et tire dans la cervelle de Farheta.
Nous avons vomi.
In extremis, je sauvai le cahier.


* Extraits du journal de Fahreta Dzananovic, jeune institutrice bosniaque assassinée par les Serbes. (Libération 17/07/1995)
[i]
Raoulraoul
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Message  Invité Mer 27 Juin 2012 - 16:29

Les corrections d'abord :

On entendait des hurlements venant des bâtiments de l'usine où ils avaient emmenés les hommes. (emmené)
Le 11 juillet, ils son rentrés dans l'hôpital.
C'était des combattants. (C'étaient)
Elle désespère de ne plus rien revoir de ce que fût sa vie. (fut)
L'un d'entre était de la région. Je le connaissais de vue. (mot manquant)
On les avait autorisé à boire de la pluie. (autorisés)
Ils ont reniflés le cahier de Farheta. (reniflé)
Par nous même. (nous-mêmes)
quand les pendus se sont tenus la main jusqu'à la dernière seconde ? (se sont tenu la main)

In extremis, je sauvai le cahier. (le passé simple fait incongru ici, je mettrais un passé composé, tout simplement)

Concernant le fond du texte, je ne sais que dire sinon que je me demande ce qui motive cette semi-fiction. Je lis ce texte douloureux, violent, cruel à suivre et finalement toujours actuel comme un témoignage, peut-être un intérêt personnel ; pas seulement une histoire qu'on raconte comme ça parce qu'on aime écrire. C'est bête mais ça me trouble pas mal et je n'arrive pas à poser ma réflexion sur ce texte, toute mal à l'aise que je suis après cette lecture.

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Message  lol47 Ven 29 Juin 2012 - 20:12

C'est tellement difficile à commenter que je ne sais pas trop comment argumenter.

Le titre est magnifique de poésie même s'il me rappelle quelque chose.
La première phrase me laisse perplexe en revanche.
J'essaierai de repasser pour te livrer une critique plus constructive.
Désolé.
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Message  Invité Sam 30 Juin 2012 - 7:31

Les exactions horrifiantes qui accompagnent toute guerre exposées dans un style réaliste, prenant, sans concessions.

Le cahier sali parle tout seul. Brasier d'écriture qu'aucune botte ne peut étouffer. Elle a laissé son brouillon, l'institutrice, torche vivante, pour que le monde réapprenne à lire.

Tout au long du texte, l'accent est mis sur l'importance du témoignage écrit, et on pense à Anne Frank, qui est d'ailleurs nommée. Le rappel récurrent de cet écrit sonne comme une menace en direction des agresseurs et le récit, s'appuyant sur des citations du "cahier" de la victime, prend une extraordinaire véracité, ce qui cause je crois une sorte de malaise à la lecture.
Formidable texte, d'une dureté et d'une force puissantes.

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Message  elea Sam 30 Juin 2012 - 17:06

Le souci avec ce texte c’est qu’il y a d’un côté des extraits d’un drame réel et de l’autre de l’imaginaire en rapport avec. Ça ne peut pas vraiment fonctionner pour moi, parce que les extraits me ramènent à la réalité, parce qu’ils sont assez forts en eux-mêmes pour me faire ressentir l’horreur, parce que la personne dont il est question a existé.

Il n’y a que deux options possibles selon moi, soit on laisse le cahier parler de lui-même et on laisse Farheta tout raconter, notre propre imaginaire comblant hélas les vides. Soit on se sert de l’histoire pour tout réécrire et réinventer, y compris les passages où elle parle.
Mais mélanger la fiction et la réalité, les entrecroiser, ça enlève forcément toute force à la fiction. Du moins sur un thème pareil et avec l’angle choisi de faire parler les bourreaux.

D’autant que je trouve que le texte en rajoute par endroits, comme s’il fallait appuyer encore un peu la violence des scènes, alors qu’ailleurs il prend au contraire une tournure poétique, esthétique, qui contraste trop avec ce qu’il veut dire.
Il y a de belles formules et je comprends bien l’idée, mais je n'ai pas accroché. Ce n'est que mon avis.

elea

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Message  Invité Mar 3 Juil 2012 - 15:31

Un texte extrêmement dérangeant. Autant le dire, je ne suis pas allé jusqu'au bout. Ce mélange de réalité et fiction conduit à créer un univers incertain où se mêlent, indistinctement, l'imaginaire le cru et la réalité la plus sordide. L'exhibition complaisante de la violence conduit à sa banalisation et fait du lecteur un voyeur. La violence et la souffrance comme la mort font naturellement partie du scénario, néanmoins il me semble que le cahier de Farheta se suffit à lui-même. Il dit avec pudeur ; l'absence de retenue des agissements soldatesques n'apporte rien de plus. Mais ce n'est que mon point de vue et cela n'enlève rien à la qualité des écrits de Raoulraoul.

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Message  cft Mar 3 Juil 2012 - 20:51

J'ai trouvé l'ambiance du texte extrêmement prenante et ne me déplaît pas. Par contre j'ai l'impression que c'est au détriment de la compréhension. Difficile de faire l'effort tant l'atmosphère est lourde.
Mon goût conseillerait de déplacer le curseur vers plus de simplicités tout en préservant une partie de ce climat pesant, mais ce n'est que mon goût.

cft

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