Exo "First love never dies" : Chevêtres

[Lutti]

Sur la question du « first love never dies », j’en connais un brin. Je suis comme qui dirait la spécialiste, vu que je les collectionne.
Déjà, en maternelle, j’ai su faire durer mon « first love » jusqu’au CM2 : mes parents m’avaient inculqué le respect de l’investissement, en quelque sorte. Non que ce fut dans le registre d’une opération financière, n’allez pas vous méprendre. Un investissement affectif, voilà ce que c’était. Et fallait pas gâcher. Quand on s’attache aux gens, ça a de la valeur.
Nous avons convolé, lui et moi, de la deuxième section de maternelle aux frontispices du CM2, gavés de comptines et de ritournelles, avec l’audace de nos regards brûlants, simplement. Ah qu’elle était aisée la passion en ce temps là ! Lui m’attendant sur le muret alors que je rentrais de l’école et … Oui, il me fixait avec son regard de braise. Je passais, délivrant le trouble. Nous brûlions. Nous, au « palais royal » de l’aveu crié par une bande de filles : « Mlle Lutti est la préférée, de Mr Christian qui veut l’épouser ! Diras oui, diras non, diras qui tu aimes? » Et ce oui retentissant qui ouvre le ciel et le tourment…
Il a déménagé et mes pas le retrouvent encore.

Mais si c’était si simple, le « first love », on n’enquêterait pas là-dessus.
A dix ans, ça se complique déjà, je suppose qu’on est passé par une certaine phase piagétienne et qu’on aborde les difficultés de l’apprentissage de l’âge de raison.
Il s’appelait Jean Luc, j’avais des jambes lisses, des provocations qui sortaient de mon chapeau de magicienne en cours d’anglais, lorsque nous apprenions : “when I get older, losing my hair, many years from now, would you still be sending sending me a valentine, Birthday greetings bottle of wine?”
C’était un amour ardent. C’était des voyages scolaires d’une intensité érotique démentielle, lui, se caressant les cils avec mes cheveux, penché sur mon fauteuil. Et nos mains jointes dans les arènes en Arles.
Et puis ce départ, ce déménagement (mais les parents sont complètement inconséquents !), le cadeau d’un cœur pour toujours se souvenir et une pigne de pin lancée de façon imprévisible et involontaire, par jeu, inconsciemment, oui, je peux le dire à présent, pour la cicatrice au coin de l’œil. Remember.
Je devenais une jeune fille. J’avais douze ans. Il est parti et c’était difficile, croyez-moi !

En avais-je fini avec mes « first love » ?
Un first love continu de trois ans à douze ans avait-il eu raison de moi ?
Ou avais-je intégré qu’un first love, c’est la mer toujours recommencée ?
Je me suis tenue tranquille.
Ou je l’ai–je cru ?
Elle s’appelait Brigitte, nous nagions nues jusqu’aux bouées délimitant la plage. Nous parlions. Nous dansions. Nous n’étions pas dans la norme et nous étions épanouies. Nous abordions le monde. Et nous étions pleines d’appétit.
Mais elle aussi elle a déménagé…
Et j’en suis endeuillée.

J’ai rencontré mon first love à quinze ans. Et là, tout de suite, on sent que les choses se compliquent. S’agit plus de se tenir la main et de se couver d’ardents regards. Faut plus. Il s’appelait Régis.
C’était mon first love du plus : passion, érotisme, engagement politique, révolte, musique, poésie, quoi, quoi d’autre ? Les arts, la découverte, les baisers et les mains et puis, cet intime de nos corps, cette complicité. Nous inventions notre vie. Et puis, va savoir pourquoi, ce « first love » a disparu comme s’est évanoui le petit bonheur de Félix Leclerc. Longtemps longtemps, j’ai vécu sans.
Et sans jamais l’oublier.

J’ai aimé, mais plus du tout en « first love », entre dix neuf et quarante neuf ans.
J’avais grandi, il faut croire. Ce genre de privilège ne m’était plus accessible.

Mais à quarante neuf ans, la vie m’a fait le cadeau d’un first love…
Elle était, oh, elle était… La douce tempête qui m’a réveillée, ma terre de feu, mon Grœnland, mon first love à jamais. Elle l’est toujours, et aujourd’hui encore nos murmures reconnaissent l’ampleur de la rencontre, quand bien même j’ai refusé le conjugal avec ce first love là. Les enfants, la famille. Ce n’était plus mon temps, je l’avais réalisé avec mon second love.

Mais vous savez quoi ? A partir de ce chamboulement, j’ai recherché mon first love.
Sur « copains d’avant » je l’ai retrouvé. Et nous vivons ensemble…
Je vis avec mon first love, ça vous en bouche un coin, non ?
Et parfois, nous avons quinze ans…

Mlle Lutti a dit oui au Palais royal, nos voyages sont truffés de cheveux et de pignes de pin, nous nageons nus et nous chantons, émus : “when I get older, losing my hair, many years from now, would you still be sending sending me a valentine, Birthday greetings bottle of wine?”
Et nous sommes certains que oui, on se la boira cette bouteille!




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La Modération >
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[Invité]

Super !
Joliment écrit. Tendre et joyeux. Et qui donne une furieuse envie de lutiner.

[Invité]

Adorable, cette histoire ! Et si bien racontée !

Je garde ce pur moment d'érotisme :

C’était un amour ardent. C’était des voyages scolaires d’une intensité érotique démentielle, lui, se caressant les cils avec mes cheveux, penché sur mon fauteuil.

se caressant les cils avec mes cheveux... Très beau

[Invité]

Excellent texte, peut-être un des rares où ressortira ce qu'on appelle "l'optimisme".

[Lutti]

Merci
Je pars, je vous lirais dimanche soir ou lundi...
A bientôt

[Invité]

J'adore la dose d'humour dont tu pimentes ces histoires de premier amour, en spécialiste (ou plutôt en amateur éclairée !)

[Pascal-Claude Perrault]

Jolie histoire racontée avec fantaisie. Mais t'es sûre que ce n'est pas pour l'exo mytho ?
Si tout est vrai, c'est excellent !

[Janis]

Que de bonne humeur !
style impeccable (en général je n'aime pas les adresses au lecteur, mais là ça passe très bien)

[Rebecca]

De vrais bonheurs d'expression, un sens jubilatoire de la dérision à petites touches, j'ai souri souvent, bravo !

[Invité]

Un first love changeant qui dure... très bon texte ! J'ai adoré le passage délicieusement érotique du dialogue entre cils et cheveux... une "intensité érotique démentielle", oui, tout à fait !

[Lizzie]

De jolies formules : « Un investissement affectif, voilà ce que c’était. Et fallait pas gâcher. Quand on s’attache aux gens, ça a de la valeur. » Ben oui. « C’était des voyages scolaires d’une intensité érotique démentielle, lui, se caressant les cils avec mes cheveux, penché sur mon fauteuil. » : ahhh, quelle belle image !
C’est une histoire universelle, avec cette fin qui nous donne envie. Bien écrite, j’ai lu et relu avec plaisir. Merci Lutti !

[AliceAlasmartise.]

C'est vrai que c'est excellent si c'est vrai ! Bien raconté et plein de belles images qui font sourire.

[Lutti]

Le pire, c'est que c'est de la pure bio! Inventer l'histoire des cheveux et des cils, je sais pas si c'est possible sans l'avoir vécu :p
Ou alors on est l'écrivain pro... Ce que je je suis pas.
Bon, je me mets en quête de vos textes, c'est un peu difficile de se repérer.

[Invité]

ah mais ça bon dieu que c'est charmant, enthousiasmant, tout ça!
à la votre, tchin-tchin!!!
celui là, risque pas de déménager au moins...

[Invité]

ah
j'ai oublié de dire que j'adore le titre!

[elea]

Très enlevé, vif et souriant, beaucoup aimé plonger dans les différents âges avec les ritournelles et les chansons associées. Le rythme donne l’impression du tourbillon de la vie qui passe, pour aller vers un présent très joli, émouvant et plein de bonne humeur.

Un tout petit hic pour moi, mais c’est un goût personnel, je n’aime pas trop les adresses au lecteur, ça me sort des textes, me met en position de lectrice extérieure alors que j’aime me plonger dans les histoires.

[Chako Noir]

De la tendresse et de l'humour, on passe par beaucoup d'émotions dans ton texte et c'en est bien agréable. Très joliment mené. Et les adresses au lecteur vont (de mon avis) très bien avec le ton léger et joyeux (parfois nostalgique) que tu emploies. Un chouette exo.

[Lucy]

Comme on avance dans la vie, avec passion, avec envie. De certitudes en surprises, d'échecs en défaites, il faut quand même bien que tout ça s'arrête. Et si c'est de cette manière, alors, c'est plutôt plaisant.

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