Exo duo Fred-PCP : Chronique d'une petite annonce

[Pascal-Claude Perrault]

Bleu : Frédéric Prunier
Noir : Pascal-Claude Perrault


....................Chronique d’une petite annonce

Une petite annonce, dans un journal parisien, attira mon attention :

Cinéaste, cherche homme ou femme ou les deux, afin de répéter quelques scènes de son prochain film. Possibilité de casting pour le vrai rôle.

Je me rendis donc en banlieue à l’adresse indiquée, un vieil immeuble un peu défraîchi. Bon, je ne pouvais pas m’attendre non plus aux studios de la MGM… Je sonne. Un type un peu louche, cheveux bruns frisés (on aurait dit des algues), ouvrit alors la porte :

« Bonjour, mon ami, entrez donc, nous n’attendions plus que vous. »

Vaguement inquiet (à cause de sa voix nasillarde et de son faciès moribond), et surtout pris de court, je me vois suivre bêtement cet individu qui, les mains dans les poches, me mène assez vite vers une douzaine d’huîtres auxquelles il me présente :

« Mes amis, voici notre challenger ! »

Euh… Je n'ose pas l'interroger sur le sens de sa phrase. Je vois bien des huîtres, mais je ne saurais dire si elles sont ouvertes ou pas, vivantes ou mortes. Elles sont placées sur une estrade, chacune dans une assiette transparente en forme de petit trône qui fait office de coussin glacé, et je ne vois que le dessous de leur coquille.

Ce lieu est un peu bizarre... Dans quelle emmanche tordue suis-je venu me fourrer ?… Ne pas s'affoler non plus, attendre de voir en restant vigilant... Mais je me demande bien quand même dans quelle circonstance peut-on appeler une douzaine d’huîtres mes amis, et pourquoi notre challenger ?

J'avance donc de quelques pas dans la pièce, elle ressemble plus à un laboratoire qu'à un
studio de cinéma. Ne sachant trop quoi faire, je choisis l'attente et cherche le regard de
celui qui doit être l'auteur de l'annonce.

« Savez-vous pourquoi vous êtes ici jeune homme ? dit alors le type frisé en se tournant vers moi.

Frisette s’approche donc. La vache ! Il sent la marée ! Je me disais aussi : c’est quoi cette odeur de crevette pas fraîche depuis le début ? Il a la peau du visage qui se défait, il en tire un lambeau avec une longue langue crochue et le mange, c’est dingue ! Le mec est en train de muer en live devant moi, que dois-je faire, me casser en courant ou rester comme si de rien n’était ?

C’est à ce moment qu’il sort les mains de ses poches et poursuit : « Serrons-nous la pince ! »
Le mec a une pince à la place de la main, c’est too much ! Je sors la mienne de ma poche en constatant par la même occasion qu’elle est plus rouge que la sienne, nous nous serrons donc la pince.

Tout en remettant les algues en place sur sa tête, le type m’annonce que l’endroit dans lequel nous nous trouvons a servi de lieu de torture pendant la guerre du Groenland. Mes écailles se hérissent à cette froide information quand tout à coup :

« Cher ami, présentez-vous ! »
Une voix de stentor a retenti.

« Voici Monsieur Pascal-Claude Lalouche, notre metteur en scène, me dit alors mon frisé en désignant l’huître centrale qui avait parlé. À son côté gauche, Monsieur Frédéric-Claude Chabroc, notre scénariste. Présentez-vous donc à votre tour. »

Oh là… Le film est commencé ? c’est une caméra cachée ? ça tourne ? c’est un test pour mon jeu d’acteur ?

Je regarde l’algue pas fraîche qui souffre d’eczéma.

Peut-être que ce zigue est carencé en iode. Nous sommes, il est vrai, à plusieurs centaines de kilomètres de la mer. Ou alors, il a des problèmes de thyroïde parce qu’il est d’origine russe, je devrais peut-être l’appeler « cher Jo Bill »… ?… (Je me fais des blagues tout seul, je voulais dire Tchernobyl)*

* NDT : l’auteur a voulu ici dénoncer, en raison de sa radioactivité β, la dangerosité de l'iode 131, l'un des produits de fission nucléaire les plus cancérogènes qui soit. Employé à faible dose, l'iode-131 est utilisé comme traceur pour des diagnostics en médecine nucléaire. Il suffit de quelques atomes radioactifs administrés par voie sanguine pour suivre le devenir des atomes d'iode. Par conséquent, il apparaît de façon certaine que Maître Corbeau sur un arbre perché tenait en son bec un fromage, et qu’en ce moment à Paris nous avons 24 degrés au soleil, et ainsi donc ma grand-mère fait du vélo en prenant régulièrement des pastilles Valda nucléiques et même que c’est vrai d’abord tout ce que je vous dis, et faites po chier merde !

Ta gueule le traducteur !

J’arrête de me raconter des conneries et je regarde le crustacé pas frais atteint de prurit algué. L’huître a parlé ? Non… ? En tout cas je l’ai vue bâiller, et dans le même temps j’ai entendu la voix. Je suis sûr que sa coquille s’est fermée quand la sono a fait silence. Ce doit être un film de science fiction, et ils testent la technique ?

Je tente : « Il a l’air bon celui qui s’occupe des effets spéciaux ! »

Tout en parlant, le petit lutin débile, l’auteur du Cher Jo Bill de tout à l’heure, le frappadingue
qui m’accompagne partout et qui me raconte des âneries dans le cerveau, me chuchote à l’oreille interne :

« Il a l’air bon ! Je te parie qu’il est meilleur avec du citron ou de la mayonnaise… »

Un jour, je le tuerai celui-là, mais il faut que je me retienne, je vais éclater de rire ! Et puis non, je ne ris pas, l’instant me fait un peu peur, en fait.

Me présenter, me présenter, il faut que je me présente…
« Ah oui d’accord, ben, écoutez c’est très simple… Heu, si vous voulez, à la question : qui sommes-nous, d’où venons-nous, et où allons-nous, je répondrai exactement comme Pierre Dac : je suis moi, je viens de chez moi, et j’y retourne. C’est à peu près la seule bonne présentation que je puisse faire. Autrement, mon nom est personne, mais je ne sais pas si cette information est très utile, je ne vois pas de cyclope ici…
— Parfait ! Et voici l’aquarium, cher ami, c’est ici que tout se passe ! me dit la crevette avariée.
— Qui, que, s’passe quoi où ça quoi que ? Bredouillé-je
— Vous êtes ici pour un casting, n’est-ce-pas ? Vous allez donc passer une audition, et voici votre scène ! »

Le type me désigne une baignoire géante tout en verre avec des requins dedans.

« Je… Vous dites que… C’est ça la scène ? Et que suis-je censé faire ?
— Jouer votre rôle mon ami…
— Mon rôle, mon rôle, c’est quoi mon rôle au juste ?
— Allons, allons, ne soyez pas si timide, rechigneriez-vous à devenir une star ?
— Bah, je… Non, enfin, mais… Qu’est-ce qui faut que je fais alors ? »

Tandis que le crustacé odorant se gratte les algues avec sa pince, je me sens vaciller sur mes huit pattes, mes quatre yeux initiant simultanément un strabisme tétraconvergent. Qu’est-ce que je suis venu foutre ici ? C’est un guet-apens ! J’aurais mieux fait de rester chez moi tranquillement allongé sur mon lit d’aïoli, la carapace confortablement installée sur mon oreiller de persil. J’ai ma petite femme qui m’attend, elle est si belle avec ses tentacules fluorescents, elle me fait tant d’effet tandis qu’elle m’embrasse avec son dard électrique. Quand je pense que j’avais trouvé la lampe d’Aladin dans le reg un jour d’errance, je l’avais astiquée comme il se doit, le génie qui en était sorti m’avait alors imposé ses conditions : trois vœux, pas plus !
Le premier fut : « pouvez me donner l’heure ? »
Le génie m’avait répondu : « il est minuit docteur Schweitzer », en m’envoyant un gros réveil phosphorescent dans la gueule !
Le visage vaguement tuméfié, je lui avais alors soumis le deuxième vœu :
« Ah bon, c’est pour ça que j’y vois rien, pouvez pas m’éclairer ? »
Et il m’éclaira en me balançant un gyrophare à la tronche !
Avec mon hématome et ma lèvre supérieure éclatée, je risquais le troisième :
« je boirais bien une mousse. » Et là je me retrouve dans une soirée mousse.
Après ça, le voilà qui rentre dans sa lampe. Eh, déconne pas, j’ai encore besoin de toi !

Je sentais bien que je n’étais pas dans mon élément à la mer de sable. Je cherchais la mer tout court. Et aujourd’hui, voilà qu’on me la propose dans le cadre d’un casting ; on voudrait m’auditionner en compagnie des requins !

« C’est de l’eau salée ? » Osai-je alors.
Pour seule réponse, je recueille la voix de l’huître Stentor Pascal-Claude Lalouche :

« Ok ! On y va pour le premier rush ! »
Ce retentissement rompt immédiatement le fil de ma pensée.

À ce moment précis, comme sortant d’un brouillard, j’aperçois le corsage gonflé de madame
Murène, ma voisine du cinquième (dont je rêve toutes les nuits…)
Mais que fait-elle là ? Elle joue aussi dans le film ?

J’entendis ma voix lui parler (car ma voix parle, il faut le savoir), je ne la contrôlais plus…

« Et pour vous Madame Murène, je vous sers quoi aujourd’hui pour accompagner vos
moules et vos huîtres ? J’ai du crabe tout frais, je suis sûr qu’il vous conviendrait. Vous devriez l’essayer, il paraît que ses pinces sont fondantes et délicieuses, avec de la mayonnaise…

Relevant la tête, je vis donc ma voisine toute souriante, avec ses longs cheveux aux anglaises ondoyantes, et son visage tout rond à la peau brillante de crème et d’onguent.
Derrière elle, le grand miroir où j’ai peint cette maxime dont je suis si fier depuis que
Monsieur le Maire m’a affirmé qu’il n’était pas plus belle et juste phrase qu’il avait mainte
fois vérifiée, et que c’était pour cela qu’il revenait :

QUAND MA POISSONNE RIT, VOUS AUSSI !

Si vous ne me croyez pas, ma femme pourra vous le confirmer !
Elle était là ce jour-là… Et d’accord avec lui !

Ainsi voguai-je sur une onde anglaise un certain temps, rêvassant devant mon étal de poissons et de moules. Un prénom résonnait dans ma tête : Marine, Marine – le prénom de Madame Murène –, ce doux prénom qui sied si bien à ma poissonnerie ; il se propageait tel un écho, je ressentais son doux magnétisme comme si j’eus été caressé par des rayons de soleil, je pouvais respirer son parfum tel un effluve de marée basse faisant remonter en moi le souvenir du port de La Turballe quand, de bon matin, les chalutiers sont rentrés et que les sardines se vendent à la criée… Une voix m’extirpa soudain de mon songe :

« Monsieur, s’il vous plaît, on tourne, dit alors une des huîtres, pouvez-vous entrer en scène ? Nous allons vous y aider. Tel qu’il est dit dans le script, l’araignée va se baigner – vous devez donc dès à présent entrer dans l’aquarium. »

Frédéric-Claude Chabroc, scénariste de son état, semblait relativement affable dans sa fonction. Sa voix se voulait rassurante, elle avait une suavité qui venait en contrepoint, tant la situation était inquiétante. Mais… C’était une huître…

C’est à ce moment que deux tourteaux géants surgissent, venant de nulle part et s’approchent de moi. Je recule, je frémis, qu’est-ce que ceça encore ?

« Votre escorte est prête ! »
Le frisé m’a parlé. Le nasillard au timbre de canard, l’être à tête de choucroute de mer est revenu. L’abominable yéti de la marée basse, cette rascasse génétiquement modifiée, ce poulpe jurassique purulent dont l’eczéma mutagène le dispute aux concrétions anaphylactiques séjournant sur le haut de ce que je n’ose plus avouer être un crâne ! Je l’avais oublié quelques instants celui-là.

Les deux crustacés décapodes atteints de gigantisme me choppent alors sans complaisance et me jettent dans l’eau.
Je crois un instant me noyer, pris de panique, je m’agite nerveusement quand je réalise : relax Max, c’est comme si t’étais dans ton lit, aucune différence. Il est vrai que je dors chaque nuit dans l’eau de mer, c’est bon pour ma peau m’a dit mon esthéticienne. Mais moi, mon lit c’est un grand chaudron en fonte, et non pas un aquarium comme celui-ci ; on n’est pas des poissons non plus ! De plus, moi j’aime les objets rustiques, ça a du grain et du cachet. Mon chaudron, je l’avais acheté chez un brocanteur qui crèche pas loin de chez moi. Comment qu’y s’appelle déjà ?...
C’est alors qu’un œil rond et noir me fait revenir tout à coup à la réalité. Un requin tourne autour de moi ! Là, ça commence à craindre pour de bon ! Vas-y tu peux paniquer sérieux maintenant ! Aaaaaaahh, au secours ! Trop tard, le requin se précipite sur moi la gueule ouverte, je vois ma vie défiler…

DRRRINNNNNNNG !!

Waf zarma ! Je me réveille en sueur, je suis vivant, je suis chez moi ! Ouf, merci mon Dieu, le réveil a sonné au bon moment, tout cela n’était qu’un mauvais rêve, un cauchemar, mais tellement réaliste. J’ai bien cru que j’allais finir dans le ventre d’un requin. Ah la la, quelle histoire, enfin, je suis trop content d’être revenu dans le monde réel ! Quelle heure est-il ? 7h30, allez hop debout, un p’tit déj’, une ‘tite douche, on se brosse les dents et on va bosser…

Il est 8h30 quand je sors de chez moi, il fait beau, l’air est pur, c’est une belle journée qui s’annonce. Tiens, en passant devant le kiosque à journaux, j’achète le quotidien. Je le feuillette vaguement tout en allant prendre mon train. Je tombe alors incidemment sur une petite annonce :

Cinéaste, cherche homme ou femme ou les deux, afin de répéter quelques scènes de son prochain film. Possibilité de casting pour le vrai rôle.

Je sens d’un coup l’anxiété monter en moi, je chancelle sur mes pattes arrières, mes antennes se vrillent, mes écailles se hérissent...

[Janis]

On s'est bien amusé, le garçons !
il manque j'me rase et j'me casse !

j'aime bien les intrusions de l'un dans les phrases de l'autre, les notes au traducteur, les disgresions sans queue ni tête et le bon vieux délire du nimportawak

[Invité]

Un lecteur pointilleux relèverait bien une ou deux incohérences.
Mais dans un tel boxif elle passent inaperçues. :o)
Me suis bien marré.

[elea]

Euh, bon, je sens bien que vous vous êtes éclatés à l’écrire et ma foi c’est bien l’essentiel. J’ai un peu lâché le wagon en cours de route, ça part un peu trop dans tous les sens pour moi, même si certains passages sont hilarants et que le tout est sacrément bien écrit.
Faut dire que je déteste les poissons, les crustacés et les algues, c’est très certainement pour cela.

[Invité]

C'est peut-être la participation la plus déjantée à cet exo. J'ai relu certaines trouvailles pour le simple plaisir de sourire et rire.

[AliceAlasmartise.]

Sûr que vous n'avez pas lésiné sur les bizarreries farfelues !
Parfois on perd presque le fil de la lecture, avec un petit effort de concentration ça passe

Mais c'est vraiment du grand n'importe quoi :-))))

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