Exo "First love never dies" : Elle + Rêver
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Janis
Rebecca
Lucy
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Exo "First love never dies" : Elle + Rêver
Autant dire que c'est un peu hors sujet...
Ce qu’elle aime, c’est rêver.
Là, elle grimpe les marches du schoolbus, salue le conducteur, va trouver une place où s’asseoir tout au fond évidemment, hésite… choisit le banc de gauche, prend place. Les autres passagers se compliquent moins la vie et commencent à remplir les premiers bancs du véhicule. Tout le monde est assez content de soi : la vie est belle, il fait beau, c’est les vacances et ils sont là pour une « Fête » comme l’indique le bracelet enserrant leurs poignets. On leur sert les explications d’usage : « Voilà ce qui vous attend ! » et on fait vrombir le moteur.
Quand le bus s’élance sur le chemin de terre et que ses roues, happées par un nid de poule, la fond décoller de son siège, elle se cramponne à la banquette grise. Sur la route plus ou moins bitumée, les cahots devenus moins nombreux lui permettent de se détendre et de s’appliquer à observer le paysage.
Elle aime rêver.
On est en territoire métis, sur les terres de Riel. Elle sait vaguement qu’il est responsable avec des potes à lui d’avoir pris les armes-citoyens parce que ça le faisait pas, qu’il est mort avec pas mal de ses copains, qu’on en parle encore plus de cent ans après et que donc, apparemment, c’était quelqu’un. Après, les détails, ils sont dans les bouquins d’histoire ou sur le net. Elle, elle vient voir du théâtre qui roule en observant le paysage.
Elle l’aime bien, ce paysage. Il a des airs de chez soi, même qu’elle va embarquer sur un traversier, comme dans ses terres lointaines. Elle est excitée, pourtant à la voir comme ça sur sa banquette en simili gris, au fond de ce schoolbus jaune, on dirait plutôt qu’elle s’emmerde.
Ça cahote gentiment, on surplombe une rivière sans nom, il y a des arbres, de la verdure et de la poussière. Bringuebalée sous le noir chapeau orné d’une étoile argentée, elle pense L’Amant. Pour une fois, c’est plutôt le film qu’elle a en tête. La jeune femme qui fera la scénette sur le traversier est Z. Elle lui fait vraiment penser à l’actrice qui interprète le rôle de la petite.
Bref, elle est assise au fond d’un autobus jaune, sur une banquette grise, sous un chapeau noir et elle part voir Z. qui ressemble à la fille de L’Amant et qui fait du théâtre sur un traversier, sur une rivière sans nom.
Faut croire qu’elle aime rêver.
Le voyage théâtral de deux heures se termine et on mange des cochonneries en évoquant le show du soir et les feux d’artifice qui suivront. Elle, elle mange des framboises. Comme elles étaient bonnes celles de son enfance, quand elle les chipait à travers le grillage du voisin de Mamie. Mais les boîtes d’emballage en plastique ça ne contient que des fruits. C’est trop lisse et aseptisé pour les souvenirs.
Sur le chemin du retour, il fait nuit noire, elle s’arrête au bord d’une rivière pour faire pipi. Faut dire que rouler pendant cinq heures non-stop ça donne des envies :
1. Envie d’uriner
2. Envie de boire, de manger
3. Envie de dormir
4. Envie d’ailleurs
Envie de rêver.
Réveillée par la chute d’une armoire qui vient de se décrocher du mur suivi par la fuite silencieuse du chat, elle se souvient d’ailleurs et de Z. qui interprétait Elisabeth Rydice dite E. Rydice sur un traversier sur une rivière sans nom figurant le styx. Elle se souvient, aussi, du « First love nerver dies » qu’elle n’a pas encore écrit.
Plus tard, dans la soirée, elle regarde « Cyrano de Bergerac » et elle se prend à pleurer.
C’est ça aussi, rêver.
Au CP, n’écoutant pas la maîtresse – une vraie maîtresse avec une badine et une voix haut perchée – elle voit ses parents convoqués. Elle n’est pas très intelligente, pas éveillée. Il serait important de consulter un psychiatre car elle semble avoir quelque chose. Parents confus, blessés. Psychiatre 1- Maîtresse 0. Il semblerait que le vrai problème réside dans sa propension à rêver. « Rendez-vous compte, dit la maîtresse, quand je lui demande de m’écouter et de se concentrer, elle dit qu’elle préfère regarder les feuilles des arbres tomber ! » L’école, c’est pas fait pour rêver.
Mais elle aime rêver.
C’est promis, comme dans la chanson « I’ll be there for Christmas » sauf si elle a pas de papiers, pas de fric, pas de vacances, pas la possibilité.
Mais elle aime rêver.
Clouée sur le matelas, à bout de force et de douleur, elle espère que ça finira par passer.
Car elle aime rêver.
Les livres et leur odeur, le frémissement du papier, la saveur de l’encre et même le vrombissement de l’ordinateur sur lequel il est possible de déverser un flot de mots qui font des phrases, qui donnent des histoires, qui offrent aux rêves une matérialité : c’est aussi ça, rêver.
Là, elle grimpe les marches du schoolbus, salue le conducteur, va trouver une place où s’asseoir tout au fond évidemment, hésite… choisit le banc de gauche, prend place. Les autres passagers se compliquent moins la vie et commencent à remplir les premiers bancs du véhicule. Tout le monde est assez content de soi : la vie est belle, il fait beau, c’est les vacances et ils sont là pour une « Fête » comme l’indique le bracelet enserrant leurs poignets. On leur sert les explications d’usage : « Voilà ce qui vous attend ! » et on fait vrombir le moteur.
Quand le bus s’élance sur le chemin de terre et que ses roues, happées par un nid de poule, la fond décoller de son siège, elle se cramponne à la banquette grise. Sur la route plus ou moins bitumée, les cahots devenus moins nombreux lui permettent de se détendre et de s’appliquer à observer le paysage.
Elle aime rêver.
On est en territoire métis, sur les terres de Riel. Elle sait vaguement qu’il est responsable avec des potes à lui d’avoir pris les armes-citoyens parce que ça le faisait pas, qu’il est mort avec pas mal de ses copains, qu’on en parle encore plus de cent ans après et que donc, apparemment, c’était quelqu’un. Après, les détails, ils sont dans les bouquins d’histoire ou sur le net. Elle, elle vient voir du théâtre qui roule en observant le paysage.
Elle l’aime bien, ce paysage. Il a des airs de chez soi, même qu’elle va embarquer sur un traversier, comme dans ses terres lointaines. Elle est excitée, pourtant à la voir comme ça sur sa banquette en simili gris, au fond de ce schoolbus jaune, on dirait plutôt qu’elle s’emmerde.
Ça cahote gentiment, on surplombe une rivière sans nom, il y a des arbres, de la verdure et de la poussière. Bringuebalée sous le noir chapeau orné d’une étoile argentée, elle pense L’Amant. Pour une fois, c’est plutôt le film qu’elle a en tête. La jeune femme qui fera la scénette sur le traversier est Z. Elle lui fait vraiment penser à l’actrice qui interprète le rôle de la petite.
Bref, elle est assise au fond d’un autobus jaune, sur une banquette grise, sous un chapeau noir et elle part voir Z. qui ressemble à la fille de L’Amant et qui fait du théâtre sur un traversier, sur une rivière sans nom.
Faut croire qu’elle aime rêver.
Le voyage théâtral de deux heures se termine et on mange des cochonneries en évoquant le show du soir et les feux d’artifice qui suivront. Elle, elle mange des framboises. Comme elles étaient bonnes celles de son enfance, quand elle les chipait à travers le grillage du voisin de Mamie. Mais les boîtes d’emballage en plastique ça ne contient que des fruits. C’est trop lisse et aseptisé pour les souvenirs.
Sur le chemin du retour, il fait nuit noire, elle s’arrête au bord d’une rivière pour faire pipi. Faut dire que rouler pendant cinq heures non-stop ça donne des envies :
1. Envie d’uriner
2. Envie de boire, de manger
3. Envie de dormir
4. Envie d’ailleurs
Envie de rêver.
Réveillée par la chute d’une armoire qui vient de se décrocher du mur suivi par la fuite silencieuse du chat, elle se souvient d’ailleurs et de Z. qui interprétait Elisabeth Rydice dite E. Rydice sur un traversier sur une rivière sans nom figurant le styx. Elle se souvient, aussi, du « First love nerver dies » qu’elle n’a pas encore écrit.
Plus tard, dans la soirée, elle regarde « Cyrano de Bergerac » et elle se prend à pleurer.
C’est ça aussi, rêver.
Au CP, n’écoutant pas la maîtresse – une vraie maîtresse avec une badine et une voix haut perchée – elle voit ses parents convoqués. Elle n’est pas très intelligente, pas éveillée. Il serait important de consulter un psychiatre car elle semble avoir quelque chose. Parents confus, blessés. Psychiatre 1- Maîtresse 0. Il semblerait que le vrai problème réside dans sa propension à rêver. « Rendez-vous compte, dit la maîtresse, quand je lui demande de m’écouter et de se concentrer, elle dit qu’elle préfère regarder les feuilles des arbres tomber ! » L’école, c’est pas fait pour rêver.
Mais elle aime rêver.
C’est promis, comme dans la chanson « I’ll be there for Christmas » sauf si elle a pas de papiers, pas de fric, pas de vacances, pas la possibilité.
Mais elle aime rêver.
Clouée sur le matelas, à bout de force et de douleur, elle espère que ça finira par passer.
Car elle aime rêver.
Les livres et leur odeur, le frémissement du papier, la saveur de l’encre et même le vrombissement de l’ordinateur sur lequel il est possible de déverser un flot de mots qui font des phrases, qui donnent des histoires, qui offrent aux rêves une matérialité : c’est aussi ça, rêver.
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 46
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: Exo "First love never dies" : Elle + Rêver
Une jolie errance de rêve en rêve, agréablement ponctuée par de petites phrases déclinant le mot rêver.
Son love à elle, c'est donc ça, le rêve, qui l'accompagne depuis l'enfance, comme une constante, dans sa vie.
J'ai beaucoup aimé ce texte original.
Son love à elle, c'est donc ça, le rêve, qui l'accompagne depuis l'enfance, comme une constante, dans sa vie.
J'ai beaucoup aimé ce texte original.
Invité- Invité
Re: Exo "First love never dies" : Elle + Rêver
J'adore ce texte, sans doute celui qui me parle le plus. J'aime les images qu'il offre, l'entêtement avec lequel il installe le rêve au centre de l'univers, j'aime la matière et la manière des mots :
"Bref, elle est assise au fond d’un autobus jaune, sur une banquette grise, sous un chapeau noir et elle part voir Z. qui ressemble à la fille de L’Amant et qui fait du théâtre sur un traversier, sur une rivière sans nom."
J'aime ces pensées qui s'entrechoquent
j'aime ce genre de liste qui nous ramène à l'essentiel
"1. Envie d’uriner
2. Envie de boire, de manger
3. Envie de dormir
4. Envie d’ailleurs
Envie de rêver"
j'aime que l'on voit se dérouler le paysage du dehors en même temps que celui du dedans
J'aime que "Clouée sur le matelas, à bout de force et de douleur"passe quasi inaperçu
tellement ça bouge la dedans ça tangue et ça imagine
mais me cloue quand même le bec
Autant dire que lorsqu'on sait écrire, il y a des façons d'être hors sujet ( quoique je ne trouve pas mon sujet , voir video, c'était aussi, les souvenirs comment on les revisite, comment on se refait un film, comment on voyage sur les lignes du passé) qui sont pertinentes. Moi aussi le rêve a toujours été my first lover.
"Bref, elle est assise au fond d’un autobus jaune, sur une banquette grise, sous un chapeau noir et elle part voir Z. qui ressemble à la fille de L’Amant et qui fait du théâtre sur un traversier, sur une rivière sans nom."
J'aime ces pensées qui s'entrechoquent
j'aime ce genre de liste qui nous ramène à l'essentiel
"1. Envie d’uriner
2. Envie de boire, de manger
3. Envie de dormir
4. Envie d’ailleurs
Envie de rêver"
j'aime que l'on voit se dérouler le paysage du dehors en même temps que celui du dedans
J'aime que "Clouée sur le matelas, à bout de force et de douleur"passe quasi inaperçu
tellement ça bouge la dedans ça tangue et ça imagine
mais me cloue quand même le bec
Autant dire que lorsqu'on sait écrire, il y a des façons d'être hors sujet ( quoique je ne trouve pas mon sujet , voir video, c'était aussi, les souvenirs comment on les revisite, comment on se refait un film, comment on voyage sur les lignes du passé) qui sont pertinentes. Moi aussi le rêve a toujours été my first lover.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Exo "First love never dies" : Elle + Rêver
un vraiment très beau texte, avec une dynamique interne très péchue en forme de reflexions/souvenirs/visions croisées qui me séduit complètement, ici le principe est particulièrement réussi.
exotique avec une petite brise de sensualité dans l'évocation de Duras.
exotique avec une petite brise de sensualité dans l'évocation de Duras.
Invité- Invité
Re: Exo "First love never dies" : Elle + Rêver
J'adore aussi !
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Exo "First love never dies" : Elle + Rêver
Une très belle écriture au service d'un très beau texte. J'aime les pensées qui s'imbriquent en phrases à tiroir, avec cette boucle, cette spirale sur le rêve. La phrase sur la douleur explose et fait des ravages, je ne sais pas si j'aime, mais elle est certainement réfléchie, donc nécessaire.
Lizzie- Nombre de messages : 1162
Age : 57
Localisation : Face à vous, quelle question !
Date d'inscription : 30/01/2011
Re: Exo "First love never dies" : Elle + Rêver
Très beau texte, mélancolique, émouvant, j’aime comme il entremêle rêve et réalité, comment l’un tente de chasser l’autre et comment cette dernière fini par ressembler à un rêve.
Une évasion et une douceur, même si certains passages sont durs.
Une évasion et une douceur, même si certains passages sont durs.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Exo "First love never dies" : Elle + Rêver
Quelle évasion! Un jeu de marelle, ton texte, on saute d'une case à l'autre par petits bonds, hop, hop, avec certaines cases où il ne faut mettre qu'un pied, d'autres les deux. Et puis l'angle choisi est original. (Je sais pas pourquoi, il me vient une connerie: j'aurais trouvé très drôle qu'une fille prenne pour objet du "first love" un pot de Nutella ^^)
C'est un tissu de bribes parfois décousu mais avec un fil rouge qui tient le tout bien solide, avec des petits trous et déchirures ici et là, mais qui donnent leur cachet à l'ensemble. C'était bien joli.
C'est un tissu de bribes parfois décousu mais avec un fil rouge qui tient le tout bien solide, avec des petits trous et déchirures ici et là, mais qui donnent leur cachet à l'ensemble. C'était bien joli.
Chako Noir- Nombre de messages : 5442
Age : 33
Localisation : Neverland
Date d'inscription : 08/04/2008
Re: Exo "First love never dies" : Elle + Rêver
Lucy, je trouve ce texte magnifique. Sobre, riche, empli de mélancolie et de souvenirs. Et puis cette phrase qui revient, lancinante, sur cette envie de rêver, je la trouve parfaitement à sa place, revenant quand il le faut. Je n'ai vraiment rien à redire, je me suis laissée emporter avec plaisir dans cette balade par moments douloureuse, très sensible.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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