Vos écrits
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment :
Pokémon EV06 : où acheter le Bundle Lot ...
Voir le deal

L'homme-santiags qui croquait les filles

+2
CROISIC
Raoulraoul
6 participants

Aller en bas

L'homme-santiags qui croquait les filles Empty L'homme-santiags qui croquait les filles

Message  Raoulraoul Mar 17 Juil 2012 - 16:35

L’HOMME-SANTIAGS QUI CROQUAIT LES FILLES
Quand j’entrai dans la ville je vis Antonio assis, au bord de la plazza, même pas sous les arbres qui ne poussaient plus sous un soleil de mort qui grillait tout.
Antonio, chaussait ses santiags brillantes comme fer, et son jean pourri lui plaquait aux fesses. Il était assis sur la barrière, scrutant sur la plaza tout ce qui bougeait. Rien ne se dérobait à son regard.
Je ne savais comment l’aborder, la réputation lamentable d’Antonio n’était plus à faire. Et pourtant je devais m’acquitter de ma requête. Je m’approchai lentement de lui, contournai l‘angle des murs pour qu’il ne m’écharpe pas dans son regard. A quelques pas de lui, je me stationnai en arrière et l’observai. Son profil taillé à la hache masquait la lumière qui le prenait à contre jour. Son cul était en équilibre sur le tranchant de la barrière. En arrêt, il fixait sa cible avec la concentration d’un fauve. Devant lui les plus jolies filles de Saltillo passaient, ralentissaient leurs pas, intriguées par le regard prédateur d’Antonio, puis sans trop s’éloigner de sa portée, elles gesticulaient, riaient sottement, adoptant des poses extravagantes. Antonio, captivé, crispait ses doigts sur son arme, ou du moins ce qui pouvait lui ressembler en la circonstance. Je murmurai son nom pour tâcher de l’arrêter dans sa besogne.
- Hé Antonio, c’est moi ! Pedro, ton vieux pote, tu te rappelles ?
J’avais connu Antonio, il y a fort longtemps, lors d’un bref séjour dans une école de mécanique à Torréon. Antonio s’était fait remarquer par un cambriolage au Supermarket du coin. Depuis on ne s’était pas revu et puis Antonio n’était pas du genre à cultiver le souvenir.
- Antonio, donne-moi les clés, s’il te plaît ! généralement à cette expression il réagissait, parce que des clés ça intéresse toujours des gars patibulaires comme Antonio. Même des clés de n’importe quoi, pourvu que ça ouvre quelque chose.
Mais Antonio aujourd’hui ne mordait pas à l’hameçon de mon appel. Il tenait dans son champ de vision les gamines qui se trémoussaient, et ce manège là le concernait fichtrement. Il voulait les broyer, les cadrer, les figer pour toujours les créatures. Antonio, c’était un voleur de vie, il était connu pour cette spécialité. Il vous stoppait, net, dans votre élan, et vous perçait d’un geste sûr, sans revenir deux fois sur le boulot. Une exécution bien faite, de la bel ouvrage quoi.
Il voyait les filles slipées, jarretellisées, bariolées, gribouillées, maquillées, cuissardées, c’était ainsi qu’il les préférait, se les représentait, dans le rayon de sa pupille qui les visait une bonne fois pour toute, avant de les aligner dans sa collection.
- Les clés Antonio ! J’en ai besoin. La bagnole est restée en rade là-bas près de la rivière. Il faut que j’aille chercher ma vieille mère, tu comprends. S’il elle ne me voit pas revenir avant la nuit, elle va tomber dans l’eau. A cet âge là on s’affole vite, Antonio.
La main d’Antonio, imperturbable, courait sur son sujet. Elle creusait les reins, torsadait les guibolles, s’attardait sur les seins, et s’échinait sur l’expression des yeux. Il voulait un vrai regard de ses victimes, sans reproche, immobilisé seulement dans leur allégresse de vivre. Cette allégresse, c’était ce qui le comblait. Il se faisait une gloire de la saisir dans son meilleur moment, avant que la tristesse lugubre recouvre le bonheur.
Dans sa main il tenait l’arme qui allait les coucher irrémédiablement. Pauvres garces, il devait penser, car il se savait dans le camp maudit de ceux qui ne peuvent plus rien partager. Alors il rayait d’un mouvement de main cette vie qui lui échappait.
- File-moi les clés ordure !
J’avais osé le provoquer, parce que j’aimais les femmes, et le soleil et le sable qu’elles prenaient plaisir à faire voleter sous leurs bottines, je n’aimais pas les ombres qu’il jetait, Antonio, sur tout ce qui respire, sa façon de tracer des lignes définitives dans l’espace, et puis après plus rien, que du sang, de la sueur, du souffle, des voix qui se tairont pour toujours.
J’avais une belle Cadillac tout chrome, stationnée au bord de la rivière, elle moisissait, avec son tableau de bord acajou, je compris hélas que les bagnoles ne faisaient plus rêver monsieur Antonio. Il continuait à griffer le visage des gamines avec une application qui me terrorisait. Il était sourd à mes injures, je me risquai à poursuivre mes suppliques.
- La vieille, elle est dans le marais, si ça se trouve elle est déjà bouffée par les moustiques. Il faut que je la ramène à la Maison de Retraite. Toi, tu voles les clés des bagnoles. Rends-moi les miennes ! Pour ma mère, tu piges ? Toi, t’as plus de mère, même ta mère tu l’as réduite, en format minimum je parie ! Mais moi, c’est pas pareil, je suis pas un artiste comme toi, je respecte ma mère, je lui défriserai pas un cheveu à ma mère, toi tu écrases tout le monde sous tes mains. Alors les clés c’est pour quand ? Je vais finir par me fâcher.
Antonio ne broncha pas tout de suite. Il fit cliqueter tranquillement sa santiag sur la barrière, son ceinturon baillait sur le bas maigrelet de son dos. Il lança une œillade glaciale vers moi, comme il en avait le secret. Je ne tremblai pas, j’avais le droit pour moi. Il tenait un Bic entre son index et le pouce.
Je lui criai « J’m’en fous du Bic, se sont les clés de la Cadillac que j’veux ! »
Il me lança le Bic qui alla valser dans la poussière. Antonio descendit avec calme de sa barrière, puis claudiquant affreusement, il avança sur moi. Je remarquai alors au dessus de sa santiag gauche la matière plastique rose d’une prothèse. L’Antonio continua son chemin, raide, sans se retourner. Il avait laissé sur la barrière son carnet, que je feuilletai. Des jeunes filles, dessinées au Bic, dansaient joyeusement, sur les pages blanches. Elles étaient plus vraies que nature.
La plazza était redevenue vide, silencieuse, partagée entre la pénombre et la lumière. Quelques volailles rachitiques trottinaient, picorant les cailloux. Je n’avais pas récupéré mes clés, mais ma mère attendrait bien. Je venais seulement de voir boitiller Antonio, Antonio jadis le superbe, Antonio le tombeur, le tueur, qui aujourd’hui, infirme, croquait encore la vie au Bic, plus vite que son ombre.
Une légende venait de mourir.
Raoulraoul
Raoulraoul

Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011

Revenir en haut Aller en bas

L'homme-santiags qui croquait les filles Empty Re: L'homme-santiags qui croquait les filles

Message  CROISIC Mar 17 Juil 2012 - 16:55

Ne jamais revoir les mecs qui ont "compté" ou "conté" dans notre jeunesse, c'est trop difficile.
Il me plait ce porteur de santiags au stylo BIC ; le narrateur également.
CROISIC
CROISIC

Nombre de messages : 2671
Age : 69
Localisation : COGNAC
Date d'inscription : 29/06/2009

http://plumedapolline.canalblog.com/

Revenir en haut Aller en bas

L'homme-santiags qui croquait les filles Empty Re: L'homme-santiags qui croquait les filles

Message  Invité Mar 17 Juil 2012 - 19:34

Ah que c'est bon ! Que c'est excellent !
J'ai marché à fond jusqu'au bout. J'observais cette progression dans l'intensité, me demandant comment cette violence sous-jacente mais de plus en plus exprimée allait finir.
Je crois bien que j'ai presque éclaté de rire de soulagement à la fin. Et tant pis pour la gloire déchue de Antonio.
Bravo.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

L'homme-santiags qui croquait les filles Empty Re: L'homme-santiags qui croquait les filles

Message  Sahkti Jeu 26 Juil 2012 - 8:26

Ha voilà une histoire qui se termine bien si je puis le dire, le malin est remis à sa place et qui fait le malin, vole dans le ravin... c'est un peu affreux pour Antonio mais tant pis.
J'ai apprécié cette manière de la faire passer pour une terreur et puis la fin qui le révèle être devenu un gars malheureux en quelque sorte, qu'on plaint tout en étant un peu content. C'est cruel tout de même ça :-) Une progression intéressante et sans accrocs.
Sahkti
Sahkti

Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005

Revenir en haut Aller en bas

L'homme-santiags qui croquait les filles Empty Re: L'homme-santiags qui croquait les filles

Message  polgara Jeu 26 Juil 2012 - 9:57

j'adore, comme easter j'ai ri à la fin, mais je ne sais si c'est de joie ou de soulagement ! superbe progression en tous cas, qui lentement nous laisse largement le temps d'imaginer les pires fins. Pour aboutir à la tienne, parfaite.
polgara
polgara

Nombre de messages : 1440
Age : 48
Localisation : Tournefeuille, et virevolte aussi
Date d'inscription : 27/02/2012

Revenir en haut Aller en bas

L'homme-santiags qui croquait les filles Empty Re: L'homme-santiags qui croquait les filles

Message  Lucy Jeu 26 Juil 2012 - 14:26

Bien croqué !
Lucy
Lucy

Nombre de messages : 3411
Age : 46
Date d'inscription : 31/03/2008

Revenir en haut Aller en bas

L'homme-santiags qui croquait les filles Empty Re: L'homme-santiags qui croquait les filles

Message  Lizzie Jeu 26 Juil 2012 - 16:56

Bien aimé le rythme, et les description, l'ambiance. Je croyais qu'il les photographiait, au départ. Par contre, j'ai eu du mal avec le tout début: plazza, avec un ou deux "z", et puis la virgule entre le sujet et le verbe, là:
Antonio, chaussait ses santiags brillantes comme fer
Broutilles de relecture, mais c'est le genre de truc qui me sort de l'histoire.
Ensuite, pas de souci, j'ai réussi à suivre le narrateur. Ce qui est bien, c'est que justement, le narrateur aussi a une vraie personnalité.
Ah, et c'est le titre qui m'a donné envie de lire.

Lizzie

Nombre de messages : 1162
Age : 57
Localisation : Face à vous, quelle question !
Date d'inscription : 30/01/2011

Revenir en haut Aller en bas

L'homme-santiags qui croquait les filles Empty Re: L'homme-santiags qui croquait les filles

Message  Invité Jeu 26 Juil 2012 - 19:30

Et 24 Antonio ! Qui dit mieux ?
Et oui. J'ai relu et je les ai comptés parce que cette pléthore de prénom avait vraiment gêné ma lecture.
A part ce défaut de très (trop) grande répétition, je trouve ce texte excellent.
Tout est bien amené, tu en dis juste assez pour maintenir la curiosité, la chute, cruelle, est inattendue, c'est super.
Mais...comment s'appelle-t-il, déjà, l'homme au Bic ???

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

L'homme-santiags qui croquait les filles Empty Re: L'homme-santiags qui croquait les filles

Message  Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut


 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum