Mulaya
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Mulaya
On dit qu´un jour le vent leva avec lui cette prière:
“Ô Chasseur sévère! Ne dédaigne pas ma robe, quand bien même celle-ci te déplairait et contrarierait la part la plus aimable de tes mauvais penchants. Je suis une bête parmi les autres, un chien pas moins féroce, une sorte de lycaon qui ne redoute ni la lutte, ni la mort, ni même la plus grande des solitudes, rien, sauf la lune pleine peut être… et son œil blafard.
Il te plaira de dire que tous les monstres que tu as déjà pistés furent plus terribles; que mon allure défaite, mon poil terne, mon échine basse ne méritent pas que tu t’y intéresses. Je ne serais pour toi qu’une prise de second ordre. En quoi une proie aussi facile, aussi vulnérable, pourrait te satisfaire? Comment comblerait-elle ta magie prédatrice? Tu es rompu à des techniques autrement plus complexes en stratégies et en ruses. Tu le prouves, dévoilant parfois, orgueilleux, un palmarès impressionnant de trophées de tout ce que notre Mère compte d’espèces rares, variées ou habiles. Ton œil d’habitude noir brille alors d’une couleur sang quand tu évoques et revit, nostalgique, toutes ces exécutions que tu collectionnes sans scrupules.
Maître de la fin et des techniques guerrières, tu fuis pourtant la poudre et condamne le plomb. Tu les exècres et les fustiges. La mise à mort est un rite de passage. On ne peut frustrer l’ instinct carnaire ni les forces invisibles qui président à la vie et à la mort; qui rythment hélas aussi les plus cruelles ordalies, quand aux ponctions du rabatteur sans expérience s’efface une part inutile de vérité.
L’ arme à feu est trop rapide. Elle est expéditive, lâche et facile. Elle ne prolonge ni le geste, ni le bras, ni même le doigt qui actionne sa gâchette. Et la mort reste alors aussi lointaine que l´intention. Sans ménager aucune intimité avec la victime. Une mort digne doit-elle être communion. Elle doit se lire aux plus près des yeux du fauve. Elle doit être orchestrée; ainsi sera t-elle dramatique. Et ce n´est selon toi qu’ au fer, aux crocs ou au tranchant d’une lame affutée qu’on respecte sa proie, qu’on lui transperce avec fermeté le cœur, puis qu’on lui taille les entrailles. C’est ainsi qu’on la respecte et qu’on l’honore, l´œil dans l’œil , le souffle au creux de son oreille, le sang bouillant et pulsant, chavirant à sa tempe …
Tu ne le sais pas mais moi je te connais. Tu ne doutes de rien et pourtant… Combien de fois t’ai je entendu marmonner tes incantations jubilatoires tandis que tu brandissais encore remuant un foie ou un cœur pour y mordre ensuite à belles dents:
“Ô Chasseur sévère! Ne dédaigne pas ma robe, quand bien même celle-ci te déplairait et contrarierait la part la plus aimable de tes mauvais penchants. Je suis une bête parmi les autres, un chien pas moins féroce, une sorte de lycaon qui ne redoute ni la lutte, ni la mort, ni même la plus grande des solitudes, rien, sauf la lune pleine peut être… et son œil blafard.
Il te plaira de dire que tous les monstres que tu as déjà pistés furent plus terribles; que mon allure défaite, mon poil terne, mon échine basse ne méritent pas que tu t’y intéresses. Je ne serais pour toi qu’une prise de second ordre. En quoi une proie aussi facile, aussi vulnérable, pourrait te satisfaire? Comment comblerait-elle ta magie prédatrice? Tu es rompu à des techniques autrement plus complexes en stratégies et en ruses. Tu le prouves, dévoilant parfois, orgueilleux, un palmarès impressionnant de trophées de tout ce que notre Mère compte d’espèces rares, variées ou habiles. Ton œil d’habitude noir brille alors d’une couleur sang quand tu évoques et revit, nostalgique, toutes ces exécutions que tu collectionnes sans scrupules.
Maître de la fin et des techniques guerrières, tu fuis pourtant la poudre et condamne le plomb. Tu les exècres et les fustiges. La mise à mort est un rite de passage. On ne peut frustrer l’ instinct carnaire ni les forces invisibles qui président à la vie et à la mort; qui rythment hélas aussi les plus cruelles ordalies, quand aux ponctions du rabatteur sans expérience s’efface une part inutile de vérité.
L’ arme à feu est trop rapide. Elle est expéditive, lâche et facile. Elle ne prolonge ni le geste, ni le bras, ni même le doigt qui actionne sa gâchette. Et la mort reste alors aussi lointaine que l´intention. Sans ménager aucune intimité avec la victime. Une mort digne doit-elle être communion. Elle doit se lire aux plus près des yeux du fauve. Elle doit être orchestrée; ainsi sera t-elle dramatique. Et ce n´est selon toi qu’ au fer, aux crocs ou au tranchant d’une lame affutée qu’on respecte sa proie, qu’on lui transperce avec fermeté le cœur, puis qu’on lui taille les entrailles. C’est ainsi qu’on la respecte et qu’on l’honore, l´œil dans l’œil , le souffle au creux de son oreille, le sang bouillant et pulsant, chavirant à sa tempe …
Tu ne le sais pas mais moi je te connais. Tu ne doutes de rien et pourtant… Combien de fois t’ai je entendu marmonner tes incantations jubilatoires tandis que tu brandissais encore remuant un foie ou un cœur pour y mordre ensuite à belles dents:
Kino kila nkashila bani nkashila bani
Nkashila ba Mulaya kalila mata
Twapenga tulukutukwa na ku nama
Mwe bana ba bene ShiMutobo (1)
Nkashila ba Mulaya kalila mata
Twapenga tulukutukwa na ku nama
Mwe bana ba bene ShiMutobo (1)
Et, tranchant tout ce que tu étais en mesure de porter, tu t´éloignais ensuite pour repartir vers ton village, laissant à notre Mère une part de ce tribut, toujours la plus conséquente, puisque tu sais en être à peine un simple et fier dépositaire.
Comment de fois es-tu ainsi passé à portée de ma gueule… et t’ai-je pourtant épargné, songeant que si je devais être un jour capturé ce devrait être par un bourreau aussi digne et droit que toi.
Je suis aujourd'hui fatigué. Je me fais vieux. Je sais que ma fin est proche. Je ne veux pourtant pas devenir une seule promesse de festin pour les vautours et les hyènes. Je veux mourir d’une belle mort comme j´ai su vivre d´une belle vie.
Allons pressons-nous… Ne retiens ni ta lance ni ton ardeur. Et surtout n´hésite pas. Car je sens monter en moi ce qui me reste de forces et d’ardeur vitale. Et pourrais être tenté de faire de toi mon dernier banquet”
Les Pères de nos Pères ne révélèrent pas si le défi fut accepté. Depuis l´’histoire est restée confiée au vent. Mais on dit aussi qu’on la raconte encore dans le Bas Pays à ceux dont le pied peine à toucher les pierres du chemin.
Comment de fois es-tu ainsi passé à portée de ma gueule… et t’ai-je pourtant épargné, songeant que si je devais être un jour capturé ce devrait être par un bourreau aussi digne et droit que toi.
Je suis aujourd'hui fatigué. Je me fais vieux. Je sais que ma fin est proche. Je ne veux pourtant pas devenir une seule promesse de festin pour les vautours et les hyènes. Je veux mourir d’une belle mort comme j´ai su vivre d´une belle vie.
Allons pressons-nous… Ne retiens ni ta lance ni ton ardeur. Et surtout n´hésite pas. Car je sens monter en moi ce qui me reste de forces et d’ardeur vitale. Et pourrais être tenté de faire de toi mon dernier banquet”
Les Pères de nos Pères ne révélèrent pas si le défi fut accepté. Depuis l´’histoire est restée confiée au vent. Mais on dit aussi qu’on la raconte encore dans le Bas Pays à ceux dont le pied peine à toucher les pierres du chemin.
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A qui laisserai-je cette danse? à qui la laisserai-je?
Je la laisserai à Mulaya le chasseur
Nous souffrons ; faut-il que même les bêtes nous insultent
Vous les enfants d’autrui, le père de Mutobo Folklore du Katanga – Congo
Re: Mulaya
Je suis sous le charme de ce beau conte africain.
Poésie d'une histoire racontée par le vent...
Une histoire dont l'auteur nous laisse le soin d'imaginer la fin, à notre guise.
Les incantations jubilatoires du chasseur, transcrites apparemment dans le véritable dialecte du Congo, me font hésiter : est-ce toi qui a imaginé ce conte sous forme de prière ou est-ce la transmission d'un folklore existant ?
J'aimerais savoir, en fait, si les mots de ces incantations sont vrais ou inventés par l'auteur.
En tout cas, bravo pour l'originalité de ce texte fort bien écrit.
Poésie d'une histoire racontée par le vent...
Une histoire dont l'auteur nous laisse le soin d'imaginer la fin, à notre guise.
Les incantations jubilatoires du chasseur, transcrites apparemment dans le véritable dialecte du Congo, me font hésiter : est-ce toi qui a imaginé ce conte sous forme de prière ou est-ce la transmission d'un folklore existant ?
J'aimerais savoir, en fait, si les mots de ces incantations sont vrais ou inventés par l'auteur.
En tout cas, bravo pour l'originalité de ce texte fort bien écrit.
Invité- Invité
Re: Mulaya
Bienvenue, Xaba, surtout avec d'aussi beaux textes !
J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce conte, moi qui ne suis pas très férue d'exotisme...Mais il est porté par une langue si belle, riche et souple que tu pourrais sans doute me raconter n'importe quoi, j'y serais aussi sensible !
Une question : " carnaire " ?
et une réticence ( minime) :
J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce conte, moi qui ne suis pas très férue d'exotisme...Mais il est porté par une langue si belle, riche et souple que tu pourrais sans doute me raconter n'importe quoi, j'y serais aussi sensible !
Une question : " carnaire " ?
et une réticence ( minime) :
ce verbe a quelque chose de trop policé (et jardinier) à mes oreilles pour évoquer le côté sauvage du rite.puis qu’on lui taille les entrailles.
Invité- Invité
Re: Mulaya
Par instinct carnaire je voulais vraiment accentuer l´impératif de la chasse
Je reconnais que cela puisse paraître peu usuel
Je suis en partie d´accord sur l´utilisation du mot tailler. Pourtant il me semblait bien choisi dans la mesure où la coupe de la viande ne peut se faire dans n´importe quel sens et réponds elle aussi à un rituel bien déterminé, voire sacré...
< Deuxième remarque de notre part...
Voir ICI, merci.
La Modération >
.
Je reconnais que cela puisse paraître peu usuel
Je suis en partie d´accord sur l´utilisation du mot tailler. Pourtant il me semblait bien choisi dans la mesure où la coupe de la viande ne peut se faire dans n´importe quel sens et réponds elle aussi à un rituel bien déterminé, voire sacré...
< Deuxième remarque de notre part...
Voir ICI, merci.
La Modération >
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Re: Mulaya
"Trancher" ?
Et si tu veux répondre, fais-le désormais dans le fil " discussion sur nos textes, sous peine d'encourir les foudres (amicales, mais fermes) de la modération.
Et si tu veux répondre, fais-le désormais dans le fil " discussion sur nos textes, sous peine d'encourir les foudres (amicales, mais fermes) de la modération.
Invité- Invité
Re: Mulaya
Sors de ce corps, Regan !
Legone- Nombre de messages : 1121
Age : 50
Date d'inscription : 02/07/2012
Re: Mulaya
Oui, dans le genre (que je goûte peu), c'est pas mal du tout. On est emporté malgré soi par l'espèce d'exaltation de l'écriture.
Quelques remarques de langue :
Ton œil d’habitude noir brille alors d’une couleur sang quand tu évoques et revit (revis)
puisque tu sais en être à peine un simple et fier dépositaire. (je ne comprends pas la syntaxe ici, ou précisément le sens et la place de "à peine")
qui rythment hélas aussi les plus cruelles ordalies, quand aux ponctions du rabatteur sans expérience s’efface une part inutile de vérité. (là je sèche, complètement)
pour "taille les entrailles" (je rebondis sur la remarque de Coline), je trouve ça pas mal, à cause de la rime interne.
Quelques remarques de langue :
Ton œil d’habitude noir brille alors d’une couleur sang quand tu évoques et revit (revis)
puisque tu sais en être à peine un simple et fier dépositaire. (je ne comprends pas la syntaxe ici, ou précisément le sens et la place de "à peine")
qui rythment hélas aussi les plus cruelles ordalies, quand aux ponctions du rabatteur sans expérience s’efface une part inutile de vérité. (là je sèche, complètement)
pour "taille les entrailles" (je rebondis sur la remarque de Coline), je trouve ça pas mal, à cause de la rime interne.
Invité- Invité
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