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First love sometimes kills

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Message  Gobu Sam 4 Aoû 2012 - 18:31

FIRST LOVE SOMETIMES KILLS.

Une nouvelle aventure de Fatty « Santa Klaus »

Fatty, on dirait pas, mais c’est un grand sentimental. D’accord, faut creuser profond pour atteindre la fleur bleue, mais elle est là, sous les strates de muscle de graisse de crasse et de déveine, increvable. Il s’était même marié à dix-huit ans, avec une môme de seize, c’est vous dire. C’était du temps où il avait été tenter sa chance sur la Côte Ouest. Ils sont restés ensemble suffisamment longtemps pour mettre un gamin en route. Pourquoi il est revenu à NYC en laissant la fille en plan avec son kid, mystère. Il devait pas être fait pour le mariage, faut croire. N’empêche que ça l’avait sonné au foie, cette histoire. Les soirs de vague à l’âme, en basculant la dernière mousse sur notre banc avant de pioncer, il me parlait parfois d’eux, et alors on voyait les néons des buildings autour du square se fracasser en étincelles multicolores dans les larmes qui roulaient de ses grosses gobilles. Un sentimental, je vous dis.

Il était pourtant dans une période de veine, ces temps derniers. Une veine de cocu, même, à se demander si son épouse fantôme avait pas repris de l’activité horizontale dans le secteur. Tout d’abord, il avait récupéré son dentier. Le lendemain de sa fameuse bagarre avec Miss Muscles, j’étais allé au resto voir s’il n’y avait pas moyen de retrouver la précieuse prothèse. Y remettre les pieds, Fatty voulait même pas en entendre parler. D’abord, il avait sérieusement contribué à l’atomisation du décor, et surtout il avait trop la honte de s’être fait dérouiller par une gonzesse, même championne de catch et de savate. Je l’ai donc laissé en poste à son point de manche habituel, en lui recommandant de bien abuser de son infirmité et de ses ecchymoses pour assouplir le chaland. En général, quand tu lui fait risette avec un grand four édenté, il fait fissa pour te balancer la pièce histoire de fuir le spectacle au plus vite.

En arrivant au resto, j’étais dans mes petits souliers, même s’il s’agit de baskets trois tailles trop grandes pour pouvoir y mettre plusieurs couches de chaussettes en cas de grand froid. Trattoria Marcello & Fratelli, ça s’appelait. Marcello, je le connaissais, j’avais même bossé en cuisine pour lui dans le temps, jusqu’à ce que je m’aperçoive que le boulot et moi, on était franchement pas faits l’un pour l’autre. De temps en temps, je drivais chez lui des provinciaux prêts à cracher le pacson pour s’en mettre plein la lampe dans une trattoria fréquentée par la Mafia. Mafia mon cul. Marcello et ses fratelli bossent en famille et lessivent leur linge de table en famille. Et personne aurait l’idée suicidaire de venir les racketter. On rackette pas la famille nombreuse calabraise. C’est un truc qu’il vaut mieux savoir.

Marcello m’avait à la bonne, OK, mais après le souk qu’avait planté mon pote, je m’attendais au pire et je suis entré tout penaud, chapeau à la main, pieds en dedans et les yeux baissés, comme quand tu vas te faire servir ta louche de soupe et de prières à l’Armée du Salut. C’est vrai qu’y avait eu de la casse.

- Dis donc, Marcello, y aurait comme qui dirait du laisser-aller dans le ménage, ce matin. Y se passe quoi, ton petit personnel est en grève ou c’est que tu fais ton nettoyage de printemps ?
- Ah te v’là, Loustic. T’as vu le chantier qu’y m’a laissé, ton bourricot de copain ?
- L’était pas tout seul, à ce qu’on raconte.
- Ah ça non. Jamais vu une furie comme cette gonzesse. Pour mettre Fatty KO, je te garantis que c’est pas de la rigolade et je sais de quoi je cause.
- Alors tu lui en veux pas ?
- Lui en vouloir ? Tu plaisantes ! Cette putain de bagarre m’a déjà valu deux passages à la télé, une bonne demi-douzaine d’articles et un carnet de réservations rempli pour les trois prochaines semaines. Les gens s’étripent pour une table dans le coupe-gorge où Lily la Tigresse a dérouillé un bulldozer.
- Et les dégâts ?
- No souci, on a une bonne assurance. Et dis à Fatty qu’il peut revenir un soir souper sur le compte de la maison avec la personne de son choix. A condition que ça soit pas Mike Tyson.
- Ben j’aime mieux ça, Marcello. Après la corrida d’hier soir, j’ai eu peur que t’aies une dent contre lui. Ca lui ôtera un poids de savoir que t’en a pas après lui.
- Pense-tu ! A propos, t’es sûr qu’y l’a rien perdu, Fatty, pendant qu’y faisait joujou avec sa panthère ?
- Heu…je crois bien qu’il a largué son dentier dans la confusion.
- Ce serait pas ce truc-là, par hasard ? dit-il en extirpant un mouchoir roulé en boule de sa poche. Un beau mouchoir, d’ailleurs, en fin tissu et monogrammé, s’il vous plaît. L’a eu du bol, ton pote : figure que toi que l’autre cinglée lui a collé un tel coup de savate dans les gencives que son dentier a volé sous un buffet, à l’abri du cyclone. Dis-y qu’y peut garder le mouchoir. C’est de la pure soie. Marcello Malacarne se mouche pas dans ses doigts. Ciao, Loustic.

Ciao e grazzie Marcello, et c’est comme ça que j’ai récupéré les quenottes de Fatty. Depuis qu’il avait de nouveau le sourire pavé de bonnes intentions, le Gros faisait de surprenants efforts question présentation. J’irais pas jusqu’à dire qu’il faisait sa grande toilette tous les matins, comme votre serviteur, mais enfin, il avait plus le rose des mains et des pieds tout noir, il tâchait moyen de changer de calcif tous les deux trois jours et il avait réussi à se dégotter un survêtement molletonné presque neuf qui lui donnait, avec son bonnet aux couleurs des New York Giants et ses baskets pointure 52, le look d’un balèze du foot américain en train de faire son jogging. En plus de ça, il avait une pêche d’enfer pour la manche et ramenait en une matinée le double de ce que je ramassais en une journée entière. Moi qui avais toujours eu la réputation d’être le plus futé et démerdard des deux, je pouvais rendre mon tablier. Notez bien ça me dérangeait pas qu’il fasse rentrer de la monnaie. Ca nous permettait de croûter autre chose que la soupe populaire, la bibine coulait à flots et on pouvait même se payer une nuit dans un garni de temps à autre, histoire de se reposer du banc. Entre nous, ç’avait toujours été fifty-fifty, même quand on avait rien, alors tu parles quand les affaires reprennent !

Là où je me suis posé des questions, c’est quand il s’est mis à s’absenter en soirée. Faut comprendre. Le jour, c’est un peu chacun pour soi, même s’il nous arrive souvent de zoner ensemble, juste pour le fun. Mais pour faire la manche, vaut mieux multiplier les chances par deux en se postant chacun dans son coin. Et puis un mendigot, ça fait pitié, deux mendigots, ça fait peur. On a aussi chacun nos petites combines pour grapiller quelques biftons par-ci par-là, on donne des coups de main, on se rend utile, on a parfois besoin des muscles de Fatty ou de la jugeotte du Loustic, on s’occupe, quoi, faut pas croire, la rue, c’est un boulot de tous les jours. Le soir, par contre, c’est sacré. On se retrouve à la nuit tombée chez Sammy, la cafète du coin, et on met en commun la comptée du jour. Après, on va becqueter et s’arsouiller selon le budget. On peut pas faire plus simple.

Ca a commencé la fois où on avait battu tous les records. Entre la manche et les petits extras, c’était pas moins de deux cent billets qui s’étalaient devant nous sur le formica, entre les gobelets de café en plastique. Une petite fortune. On était aussi excités et fiers qu’une bande après le braquo du siècle ou un spéculateur qui vient de décrocher le jackpot en mettant d’un coup de bourse dix mille pue-la-sueur sur le pavé. Là, il m’a scié, le Gros.

- Prends 150, Loustic, moi je garde 50. Là où je vais j’ai pas besoin de plus.
- Comment, on va pas faire la teuf, avec tout ce blé ?
- Toi, tu vas faire la teuf. Tout seul. Avec c’que t’as dans les fouilles, tu peux te payer le gueuleton de tes rêves et coucher dans des draps repassés au p’tit fer. En compagnie de la poupée de tes rêves si ça te dit.
- Ben et toi ?
- J’ai à faire, mon pote. On se r’voit demain chez Sammy si Dieu le veut.

Et voilà qu’il m’en tape cinq, me donne l’accolade et disparaît dans la nuit lumineuse de Broadway. J’ai horreur quand il me fait des mystères comme ça, mais j’ai pas cherché à en savoir plus. Fatty, je vous ai déjà dit, c’est la crème des potes, mais quand il a décidé de la boucler, même au pied-de-biche, t’arriverais pas à la lui ouvrir. Bon, j’m’ai dit, on est jamais tout seul avec sa solitude et avec la thune que j’avais en fouille, je pouvais aller m’en jeter quelques uns là où y avait du monde. A peine arrivé au rade du Kilkenny Rose où j’avais bien l’intention de commander le meilleur scotch, je suis tombé dans l’embuscade tendue par les deux solides bras de Youri le Fourgue. Il avait une bouteille de vodka presque vide à côté de lui et la mine joviale de qui vient de trucider son grand-oncle à héritage. En fait de solitude, j’ai dû me taper la tournée des grands-ducs en sa compagnie, et je peux vous dire, Youri, quand il fait la fête, il voit grand. il m’a décollé du sol d’une étreinte d’ours kodiak pour me souffler sa vodka et sa bonne humeur dans le pif.

- Ah Loustic, toi tomber pile-poil. Youri besoin âme sœur pour boire, manger, rire et chanter. On va faire très bolchoï java, tovaritch Loustic. Na zdarovié.

Chouette programme. Alors, na zdarovié, on a bu vodka, on a mangé zakouski et chachlik, on a rebu vodka, na zdarovié, on a rigolé à se taper sur les cuisses, et Youri est allé chercher son accordéon, qu’on puisse chanter pour de bon. Ca se passait dans une petite cantine populaire de Little Odessa, et la clientèle, en majorité des costauds aux gueules burinées et aux pognes calleuses, sanglotait en reprenant avec lui des balades à fendre le cœur d’un inspecteur des impôts. Aux paroles, je pigeais que dalle, mais rien que la musique vous faisait passer des frissons dans l’échine. Plus le russe pleure, plus il s’amuse. Et vice-versa, na zdarovié ! Généralement, ça finit comme ça doit finir. En baston.

Quand Youri a eu fini de relooker le dernier des costauds à la queue de billard et à la botte de moujik, je lui ai demandé si c’était pas dangereux pour lui de pointer sa hure à Little Odessa, où il avait eu des mots avec quelques vilains du quartier. Ca l’a fait rigoler.

- Ici, tous tovaritchi de Youri. C’est restaurant populaire. Seulement braves ouvriers et honnêtes chômeurs. Voyous pas mettre pieds ici. Pas assez chic, tovaritch. Et ceux-là se faire étriper pour Youri si bandits osent pointer leur museau. Youri rendre beaucoup services, par ici.
- Alors pourquoi t’as cru bon d’en massacrer une demi-douzaine ?
- Comment ça massacrer, yop tvoyou mat ? C’était juste petite explication cordiale entre vieux potes. Toi rien piger âme russe. Na zdarovié.

Ca c’est fini comme ça doit finir. Au pieu. Moi tout seul et Youri avec deux petites portoricaines délurées amorcées avec deux trois cocktails au bar d’un petit hôtel douillet dans une rue discrète derrière South Broadway où il avait l’air d’avoir ses habitudes. J’ai décliné sa propose de partager la bonne fortune en camarades – pardon, en tovaritchi – en dépit de la mine coopérative et de la cambrure alléchante des petites. Après ce tsunami de vodka et d’âme russe, j’avais qu’une envie : en écraser. Coup de bol, on était dans un hôtel et j’avais largement de quoi payer ma chambre. Mais Youri avait prévu les choses autrement. En fait, si j’avais bien compris, il avait ici une suite réservée, un véritable apparte avec deux piaules, un grand living et une salle de bains comme t’en vois que dans les séries télé. Avec un mini-bar bourré à craquer, naturellement.

- Toi pouvoir prendre bain si toi veux et aller roupiller dans chambre du fond. Youri rester un peu tenir compagnie à ces demoiselles.

J’ai eu du mal à m’endormir, malgré le confort de la literie, à cause du barouf qu’ils tapaient à côté. J’arrive d’ailleurs pas à piger comment une partie de jambes en l’air peut faire autant de boucan. Ceci mis à part, ç’a été une des meilleures nuits que j’aie passées depuis longtemps, et le somptueux breakfast qu’on m’a servi – dans mon pieu, plize – a fini de me réconcilier avec l’existence. Comme en plus, j’avais toujours en poche le fric que m’avait laissé Fatty, j’en ai conclu que c’était un bon jour pour ne pas mourir.

C’est ce que je lui expliquais chez Sammy. Il me recevait 5 sur 5. Non seulement il trouvait que c’était pas le bon jour pour mourir, mais que c’était même un bon jour pour ne pas faire la manche. Après tout, même le manchard mérite des vacances, à condition d’avoir de quoi se les offrir. Faut pas rêver, non plus, c’est pas avec cent cinquante pions qu’on allait se payer la virée du siècle à Acapulco, mais on avait de quoi faire un break. L’ennui, avec la rue, c’est que dès que tu t’occupes plus, tu te fais chier. Quant t’as un toit sur la tête, t’as toujours quelque chose à faire, ne serait-ce que te vautrer dans ton canapé favori pour t’astiquer le palonnier devant un DVD de cul, mais quand t’es à la strasse, l’oisiveté devient vite mère de toutes les tentations. Le quartier grouille de bonnes âmes toutes prêtes à te soulager de tes économies en trop en échange d’une petite pochette de remède à la mélancolie, et ça je voulais à tout prix éviter. Fatty et moi, on avait tous les deux mis dix piges à décrocher du bourrin, et j’avais aucune envie de renouveler l’expérience. A New York, t’as partout la mer à portée de crachat, avec tout plein de plages pavées de familles en train de bronzer dès que le soleil pointe sa hure, mais là, en février, l’aurait fallu être maso pour aller respirer l’air marin. Alors on a traîné de cafète en fast-food et de fast-food en snack-bar pour tuer le temps. Le temps file vite comme ça et on était pas plus avancé et nettement moins riche le soir venu. Là il m’a encore scié, le Gros. Comme la veille, il m’a faussé compagnie au moment du dîner sans un mot d’explication. En m’enroulant tout seul dans ma couverture polaire sur notre banc, je me suis dit qu’y fallait quand même que je sache de qui il retournait.

Du coup, le lendemain soir, quand il a fait rebelote et joué la fille de l’air et le mystérieux en même temps, je me suis dit le Fatty, faut que je voie des mes yeux voir ce qu’il fricote. J’avais pas envie de le laisser replonger le pif – et plus si affinités – dans la baignoire aux emmerdes, et si c’était pas ça, au moins j’en aurais le cœur net. Pour ce qui est de filocher un gugusse sans se faire remarquer, faites confiance, y a pas mieux que le Loustic. J’aurais pu faire des étincelles à bosser comme flic ou comme privé si j’avais pas été fâché avec le boulot. Avec les flics aussi, à la réflexion. Sur Broadway, y passe tellement de monde que c’est du nanan de filer le train à quelqu’un sans qu’il y voie que du feu, mais faut se gaffer de pas se laisser larguer. Ceci étant, pour perdre de vue un lascar du gabarit de Fatty, faudrait vraiment être miro ! Il a tracé jusque dans le South Bronx, et là il a enquillé une ruelle pas vraiment reluisante où je l’ai vu entrer dans un petit boui-boui. Avec des précautions de barbouze, j’ai jeté un œil par la vitrine, mais elle était si crade et la salle tellement sombre que j’en ai été pour mes frais. Le coin était vraiment mal famé, mais ça je m’en fichais comme de ma première chaude-pisse. Si t’es blanc et sapé en bourgeois t’as intérêt à faire demi-tour aussi vite que tu peux, mais les mecs comme moi, ça fait pour ainsi dire partie du paysage. N’empêche que si je voulais savoir ce que Fatty tramait en loucedé, y a pas, fallait que je passe la porte. C’était plus enfumé qu’une cheminée à saumons, et on peut pas dire que la fumée sentait le tabac de Virginie. Pas la peine de vous faire un dessin. Au bar, trois armoires à glaces en blousons brodés de dragons s’expliquaient au craps et dans la salle, plusieurs tablées de types pas moins rassurants bouffaient et picolaient en tchatchant bruyamment pour couvrir la sono qui dégueulait du funk à t’en fendiller les tympans. Fatty était assis au fond à une petite table, en compagnie d’une gonzesse tankée façon Massey-ferguson en débardeur de satin rose fluo, les bras tatoués de bêtes volantes toutes semblables à celles des blousons de l’entrée.

- Salut, Fatty. Alors tu me présentes pas ta fiancée ?

Si j’avais cru l’épater, alors là j’en étais pour mes frais.

- Salut, Bro, j’ai cru qu’tu t’déciderais jamais à me faire un petit brin de conduite. Lily, j’te présente mon pote de galère le Loustic, le roi de la manche de Broadway.

La fille m’a tendu la joue pour la bise tout en me collant dans le dos une claque à dévisser une tourelle de char. Heureusement que j’ai l’habitude des bourrades de Fatty, que sinon j’allais direct décrasser le carrelage avec mes dents de devant.

- Alors c’est toi le fameux Loustic ? Fatty me cause de toi comme si t’étais le cousin du bon Dieu en personne. Moi c’est Liliane, mais tout le monde m’appelle Lily la Tigresse.

Je dois dire que ça m’en a mastiqué grave une fissure.

- J’ai du zapper un épisode. J’en étais resté au moment où vous aviez eu des mots, tous les deux.
- Tu rigoles, mon pote, elle a continué, s’y fallait rester fâchés pour quelques p’tites chiquenaudes en camarades ! Blague à part, ton copain c’t’ un sacré coriace. L’a fallu que j’étale le grand jeu pour y faire toucher les épaules. En général, j’suis plutôt tondeuse à gazon, mais quand j’vois un beau bébé comme ce chou-là, j’suis partante pour un coup de tronçonneuse dans le contrat.
- Alors là, j’aime mieux ça. J’avais peur que Fatty aille se fourrer dans des histoires douteuses, mais s’il est question de sentiment, j’ai plus qu’à présenter mes excuses et vous laisser roucouler en paix.
- Tu plaisantes, Bro, a lancé Fatty, maintenant que tu m’as retrouvé, tu vas rester avec nous casser une p’tite graine. La patronne Dorothy la Flambeuse cuisine une soul-food que ta propre mère elle en aurait chialé de jalousie. On va se faire servir des travers de porc au miel et des puddings de maïs à s’en faire éclater les boyaux. Et commande donc une double ration de sérieux. Y z’ont un casse-poitrine maison à remettre d’équerre un cul-de-jatte. C’est sur mes gants.
- Alors là pas question, a rugi la douce créature. Ici, c’est Lily la Tigresse qui régale. Manquerait plus que j’me fasse rincer dans mon quartier général !

La Tigresse avait fait patte de velours, on aurait dit. Apparemment, la période de veine de Fatty se poursuivait, et même qu’elle retombait sur la tronche des copains. J’ai séché mon remontant cul sec. Hiroshima dans mes entrailles ; j’sais pas ce que la Flambeuse met dans sa potion, mais ç’est le genre de truc qui pourrait servir à propulser un missile de croisière. Enfin j’ai pas bronché : on est des hommes, pas vrai ? En tous cas, c’est vrai que sa bouffe valait le déplacement, baignant dans une sauce tellement épicée que t’aurais pu t’en servir comme décapant industriel. Après ça, son kérosène passait comme du velours. La sono distillait maintenant du suave, Nat King Cole, Ray Charles et tout le tremblement, de la table voisine nous parvenait un pont aérien ininterrompu de gros pétards d’une herbe à te faire voir ta feuille d’impôt en rose bonbon, et la patronne, qui avait Lily à la chouette, nous servait le café en l’arrosant généreusement d’un rye de première. Même les terreurs du comptoirs reluquaient le couple avec des colombes dans le regard, faut reconnaître aussi qu’à eux deux, ils étaient de taille à flanquer la pâtée à toute la compagnie même avec une main dans le dos. Te dire si on flottait sur un petit nuage.

C’est là qu’elle est entrée. Une métisse entre deux âges, pas moche mais plus maigre qu’un casse-croûte d’hospice de vieux, fagotée dans un imper d’homme usé jusqu’à la doublure. Elle portait un drôle de bibi à cloche qui avait dû voir passer beaucoup de printemps et encore plus d’hivers, et serrait entre ses mains décharnées un gros sac de plastique comme on t’en refile dans les supermarkets pour entasser les saloperies qu’on y vend. Personne a fait attention à elle. Les junkies, c’est pas ce qui manque dans le quartier, et tant qu’ils ne foutent pas le bordel et payent leur conso, pas de raison de les flanquer à la porte. L’Amérique c’est le pays de la Liberté, qu’on se le dise. Personne l’a calculée, donc…à l’exception de Fatty. Si t’as jamais vu un gros nègre de trois cents livres blêmir, t’as rien vu. D’un coup il a viré de teinte, mon pote, et pas dans le genre marron clair, mais franchement gris plombé comme s’il venait de choper la jaunisse du siècle. Avec ce qu’ils mettaient dans la gnôle maison, ç’aurait rien eu d’étonnant, d’ailleurs, mais c’était visiblement l’arrivée de la gonzesse qui l’avait mis dans cet état-là. Elle a tracé jusqu’à notre table et s’est plantée face à nous, une main au doigt tendu dans la direction de Fatty et l’autre toujours crispée sur son sac.

- Fatty, espèce de fils de pute, ça fait vingt piges que je te cherche.

Il a tenté de grimacer un sourire et écarté les paumes en signe de paix.

- Meg…ben ça alors…si je m’attendais…
- Ta gueule, enfoiré ! Gros tas de merde ! Connard ! Sac à cafards ! Fesses de rat ! Pédale vérolée !

Y a pas à dire, elle était peut-être gaulée comme un fil télégraphique, mais elle avait du coffre et de la fantaisie dans l’invective. Les gens commençaient à loucher dans notre direction avec moins de chaleur humaine dans le regard. Ils avaient rien contre les paumées mais fallait pas venir leur bousculer le transit intestinal. Fatty a essayé de nouveau la diplomatie en lui tendant un mahousse pétard. Le calumet de la paix, ça marche aussi chez les blacks.

- Allons, Meg, mollo. Tu vois bien qu’on nous regarde.
- On nous r’garde ? On nous r’garde ? Mais qu’y nous regardent, ces ploucs qu’est-ce j’en ai à branler ! Et qu’y nous écoutent aussi, tant qu’y z’y sont ! Savez c’ qu’y m’a fait, ç’t’enculé ?
- On s’en fout de ce qu’y t’a fait, connasse ! Tu vas dégager le plancher vite fait, que sinon, t’as beau peser moins lourd qu’une poignée de pop-corn, j’te jure que j’te transforme en confettis !

Je me doutais bien que la tigresse allait pas tarder à ressortir les griffes. Je l’imaginais mal laisser traiter son petit copain sans réagir. Si elle se calmait pas, on allait droit à la boucherie. Le public commençait à se lécher les babines ; un peu de rodéo après le souper, ça peut pas faire de mal. Seulement, cette cinglée nous a tous pris de court.

- De quoi ? Qu’est-ce t’as, grosse radasse ? Attends voir, j’vais te faire montrer de quel bois j’me chauffe !

Et joignant le geste à, elle a extirpé de son sac un gun à peine moins gros qu’un canon antiaérien. Je m’y connais moyen en armes à feu, mais je peux vous dire que c’était le genre de matos à pas mettre entre toutes les mains. Alors là, changement de chaîne : dès qu’elle a eu exhibé son flingue, tout le monde s’est jeté par terre, plus plats que des limaces. Les bastos, on sait d’où ça part, mais on sait jamais où ça arrive. Quant à la tigresse, elle a fait un bond par dessus sa chaise et a cavalé vers la sortie de secours en hurlant de trouille comme si elle avait vu le Diable en personne, avec la folle à ses trousses qui commençait à décharger son arme dans sa direction. Dans la rue, on entendait s’éloigner les coups de feu et les cris de terreur de la catcheuse.

Fatty et moi, on a profité de la confusion pour s’esbigner en douce avant que l’assistance reprenne ses esprits et vienne nous demander des comptes. On a cavalé jusqu’au coin de la rue et on a redescendu tout Broadway au pas de gymnastique jusque chez Sammy. Les gens, encore très nombreux à cette heure, devaient nous prendre pour des dingues ou alors pour deux membres de l’équipe nationale de sprint en train de faire une séance d’échauffement sauvage sur le trottoir. Remarque, on voit tellement d’excentriques à New York que ça devait étonner personne. Une fois installés devant un bon café bien chaud, j’ai quand même voulu tirer les vers du nez à Fatty. Bien sûr, il s’agissait de sa fameuse épouse qu’il avait larguée comme une vieille chaussette sous le soleil de la Californie avec leur rejeton. Vingt piges après, fallait qu’elle ait la rancune tenace, la môme ! C’est Fatty, toujours philosophe, qui a eu le fin mot de l’histoire.

- Tu vois, bro, on dit toujours que le premier amour ne meurt jamais, mais ce qu’on dit pas, c’est qu’il peut aussi tuer parfois !


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First love sometimes kills Empty Re: First love sometimes kills

Message  Invité Sam 4 Aoû 2012 - 19:09

Il fallait y penser ! (à retourner l'argument).
Un bon moment de lecture évidemment, ça se lit tout seul et ça sourit à tout-va à l'intarrissable gouaille
J'aime bien le personnage de Fatty, avec lui on ne s'ennuie pas une seconde.
Je mets ci-dessous les liens vers d'autres textes du genre, pour les futurs fans :
http://www.vosecrits.com/t5724-santa-klaus-stinks
http://www.vosecrits.com/t8136-santa-klaus-stinks-again

quelques coquilles dispersées :

En général, quand tu lui fait risette
- Pense-tu !
figure que toi que l’autre cinglée


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First love sometimes kills Empty Re: First love sometimes kills

Message  Invité Dim 5 Aoû 2012 - 5:30

J'ai énormément aimé lire cette nouvelle. L'écriture en est très vivante, parfois crue mais non dépourvue d'une certaine poésie.
Entrer dans l'univers de ces marginaux m'a rappelé l'oeuvre de Jean-Claude Izzo, avec en particulier son beau roman Le soleil des mourants. J'y avais été bouleversée par la peinture de ces personnages qui finissent par se retrouver à la rue, comme ici, et par les liens fort qui se tissent entre ces copains d'infortune.
Ajoutons à cela la cohorte des individus hauts en couleur qui pimentent le récit de scènes désopilantes. Comme ici.

A lire deux fois plutôt qu'une. Pour le plaisir.
Les mots d'argot et les belles trouvailles d'expression ne sont pas pour rien non plus dans le plaisir que l'on prend à la lecture.

En résumé, j'ai aimé cette nouvelle et j'en aurais lu des pages et des pages sans éprouver d'ennui.

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Message  Invité Dim 5 Aoû 2012 - 7:30

Le ton pastiche avec talent la "voix off" de certaines séries B d'outre-atlantique.
Peu friand de cette forme d'humour, lorsqu'il est "d'origine'', je n'en ai que plus apprécié ce texte qui le tourne un poil en dérision.


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Message  Invité Lun 6 Aoû 2012 - 11:54

Un vrai régal, ce Fatty !
C'est un des registres dans lesquels je te préfère, Gobu.

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Message  Rebecca Lun 6 Aoû 2012 - 21:08

Oui trés réussi, réjouissant. Un first love qui déménage mahousse craignos. Merci le temps d'une lecture j'ai cessé de gober les mouches.
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Message  polgara Mer 8 Aoû 2012 - 18:03

c'est bon, enlevé, explosif, un Fatty que je vois bien incarné par Michael Clarke Duncan. une écriture remarquablement visuel et puis j'ai appris plein de termes argotiques et expressions hautement colorées.
merci Easter pour les liens en direction des petits nouveaux véliens qui à coup sur tomberont sous le charme !
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Message  Legone Jeu 9 Aoû 2012 - 13:16

J'adore. En fait c'est tout ce que j'aime : vivant, drôle, direct. Bref du nanan !
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