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La mue inquiétante du serpent

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La mue inquiétante du serpent Empty La mue inquiétante du serpent

Message  Raoulraoul Jeu 9 Aoû 2012 - 8:42

La mue inquiétante du serpent

L’autoroute : noir lacet dans la poussière.
Des champs d’oliviers quadrillent les collines. L’autoroute E65 vers Kalamata. Chaleur. Vitesse. Une Porsche carrera vrombissant comme un avion. La femme dit au conducteur :
- Tu roules trop vite. Tu veux nous tuer.
- On est suivi, ma poule.
- T’es fou, Andréas.
Ils n’ont emporté que l’essentiel. Pas eu le temps de faire autrement. Lui, le gouverneur, des valeurs en lingots, elle, sa rivière de saphir et un ensemble de chez Hermès. Le gouverneur a tout laissé derrière lui à Thiva. La femme se retourne :
- Il n’y a personne sur la route.
- Si. Je les vois, je les verrais même de l’autre côté du mont Taygète, je sentirais leur odeur de chacal. Ils ont dynamité notre maison. Ils ont renversé les conservateurs au Conseil des Nomes. J’ai réussi a avoir la tête de leur chefs et ses associés. Mais, tu coupes une tête, il en repousse dix autres. C’est une calamité ces Nouvelles Brigades !... T’en fais pas ma poule, on s’en sortira !
Le gouverneur esquisse un sourire démoniaque, la peur, dans ses yeux, est dissimulée par d’épaisses lunettes de soleil. II écrase son pied à fond sur l’accélérateur. La Porsche mange la poussière, rase les ravins.
- Faudra s’arrêter ma poule. J’ai le réservoir à sec.
En bas de la côte, un village. Il y a une station.
- On sort pas de la voiture, dit le gouverneur.
- J’ai besoin de descendre.
- Alors mets toi ce fichu sur la tête. Ils ont des indics partout.
La Porsche s’arrête devant le poste à essence. Un vieil homme barbu, la bouche ravagée de chicots, marmonne un dialecte poussif.
- Encore un chiare d’émigré albanais, pense le gouverneur. Jusque dans nos campagnes ils s’enracinent.
- Je crois qu’il nous dit que les transporteurs routiers sont en grève. Il est obligé de rationner l’essence, explique la femme.
- Même pour le gouverneur de Thèbes en cavale ? s’écrie le conducteur de la Porsche. Rien ne va plus dans ce pays.
Le gouverneur fait signe au vieux de s’approcher. Par la fenêtre, il lui montre une liasse de billet importante. Le vieux baragouine, exposant ostensiblement ses dix doigts. L’un d’eux est coupé, mais cela fait quand même « dix litres », pas un de plus. Obligé de céder le gouverneur. La femme s’est engouffré dans l’antre sombre de la boutique. L’essence glougloute pingrement dans l’estomac de la Porsche. « Avec dix litres, je ne pourrai pas aller jusqu’à Kalamata » rumine le gouverneur.
A cette heure-ci, peu de monde dans le village. Une fillette qui joue au ballon contre un mur. Le choc du ballon retendit sinistrement dans la torpeur accablante. La femme revient. Un maquillage pimpant essaie de masquer son angoisse. Elle tient sous le bras un journal. La Porsche redémarre. Le pompiste, longuement, observe le bolide s’éloigner jusqu’au bout de la rue principale.
La femme lit la première page du journal.
- Qu’est-ce qu’elle raconte ta feuille de chou ? dit le gouverneur.
- Les transporteurs routiers seraient en grève par solidarité avec les travailleurs des mines en Béotie.
- Ceux de chez nous ? J’ai pas réussi à les mater ceux-là.
- On prétend que c’est les Brigades qui les manipulent.
- Ca c’est vrai poulette ! Je suis certain que l’albanais, à la station de service, travaille pour eux.
- Tu fabules, Andréas.
- Peut-être aussi que la gamine qui jouait, avait une caméra cachée dans son ballon, c’est ça ?
- Possible !
La femme rit grossièrement. Elle sort une clope de son sac et dit avec douceur :
- T’en veux une ? Y a de la came dedans, ça de fera du bien, mon poussin.
Le gouverneur aspire plusieurs bouffées, voluptueusement. La Porsche ronronne, rugit, parfois se cabre dans les virages. Elle fait vibrer la montagne. Le gouverneur la conduit comme ses ancêtres, Hadès, Hélios, Poséidon, surgissaient du ciel avec leur char, tiré par des chevaux fougueux.
Mais la poulette demande subitement à son poussin :
- Dis-moi, Andréas, le chef des Brigades que tu as fait condamner, il était coupable ?
Après un long silence le poussin répond :
- Pas vraiment. J’ai dû charger un peu le dossier.
- Un peu… seulement ? reprend la femme.
- Tu sais, poulette, un gouverneur peut faire beaucoup pour appliquer la loi. Passe-moi encore une taf, ça me soulage.
Dans la vallée, un petit fleuve serpente. Il reflète dans ses eaux la beauté céleste, la demeure des dieux. Le gouverneur grimace quand le fleuve l’éblouit.
- Ca ne va pas, Andréas ?
- Ca va, ça va, un peu de fatigue.
- Je peux conduire, poussin.
A cela il répond par une sixième vitesse qu’il embraye rageusement, boostant son cheval de fer.
- Idiote ! il dit, implacable, mais caressant furtivement la cuisse de la femme.
Il n’y a pas que le turbo qui turbine sur une Porsche. Son pilote aussi chauffe des méninges. La question de la femme tourne à cent mille tours seconde dans le cerveau du gouverneur. « Le chef des Brigades était-il un salaud ?... Oui, j’ai monté de toutes pièces l’accusation du tribunal. Le leader révolutionnaire a fini par se pendre dans la prison. A l’époque, ça m’a aidé. J’ai gagné de l’argent, beaucoup d’argent avec les exploitations minières. Avec poulette on en a profité . Maison, villa, bateau, placements juteux en bourse. N’est-ce pas poulette que t’en as profité ?... » s’exclame soudain sa pensée à haute voix.
- De quoi ? bondit la femme surprise.
- De ton gouverneur, ton mari de gouverneur, voleur, injuste, menteur, pour toi toute seule ma poule !
- Voyons, Andréas, tu plaisantes… on s’aime…
Mais la Porsche ralentit. A une centaine de mètres un groupe d’hommes fait barrage.
- Voilà, je te l’avais dit. Le vieux albanais a prévenu ses copains.
Le gouverneur stoppe sa Porsche. Les hommes l’attendent un peu plus loin.
- Je fonce dans le tas, ma poule, ils ne sont pas armés, poursuit le gouverneur.
- Vas y fonce ! T’as toujours foncé Andréas. Ils nous ont fait trop de mal. C’est à cause d’eux qu’on a dû fuir. On a un avion à prendre à Kalamata, pour l’Amérique. Tu me l’as dit, Andréas.
La Porsche gronde, d’abord sur place, piétine, puis monte son régime et démarre furieuse, la femme se ratatine sur son siège. La Porsche passe le barrage. Le groupe s’est écarté au dernier moment. Mais la voiture s’arrête pile.
- Qu’est-ce que tu fais, Andréas ? hurle la femme.
- Je vais leur dire ma façon de penser, dit calmement le gouverneur.
Le voiture recule. Le groupe d’hommes, prudemment, encercle la voiture. Un gaillard s’approche. Il dit vouloir vendre de l’essence, pas chère. Ils ont neutralisé les réseaux de distribution officiels. Les produits de la vente iront aux grévistes. Andréas est perplexe. Les hommes le regardent, tous tendus comme des fauves. Andréas descend de sa voiture et dit avec une gravité déconcertante : « Je vous la laisse. Silence. La brise fait trembler les romarins dans la rocaille. Je vous dis que je la laisse, la bagnole. Elle vaut des millions. Dedans, y a toute ma fortune, de l’or, des diamants. »
Tout le monde sur la route est figé. L’odeur des romarins entête. Un petit homme sec se détache du groupe et s’avance devant le gouverneur. Il dit :
- On se connaît.
- Exact. Tu es Zarek Papadakis. Tu diriges une division des Brigades sur Thiva. J’ai condamné ton chef il y a dix ans…
- Je sais ! interrompt froidement Zarek.
Les deux hommes se scrutent longtemps. Le pire est possible. C’est Zarek qui reprend :
- Tu es sincère pour la voiture ?
- …. je commence à vous comprendre, articule, sans voix, le gouverneur.
Après un temps, Zarek fait un signe aux hommes qui déchargent la voiture. Quelques valises et mallettes blindées. Puis Zarek tendant la clé de la Porsche à la femme, toujours recroquevillée sur son siège, : « Vous pouvez repartir madame » dit-il.
Elle ne bronche pas. Elle cherche des yeux son mari, debout, au milieu des hommes. Il ne la regarde pas. Il semble préférer une autre réalité, nécessaire, avec le groupe. Il a ôté ses lunettes, il est sans veste, en chemise. Tous sont prêts à repartir dans la montagne. Repartir pour lutter. La femme enfin explose. Elle implore Andréas. Elle exprime sa colère. Elle l’insulte de tous les noms. A bout de force, elle jette les bagues de diamants qui lui emprisonnent les doigts, et le collier en jade rose d’un prince maya, comme les derniers symboles qui la sépareraient encore de son mari. Hors d’elle, c’est elle-même qu’elle déchire, ses vêtements de crêpe, sa soierie fine, et l’ensemble Hermès que les révolutionnaires ont concédé à lui laisser. Effondrée sur la route caillouteuse, abandonnée, larmoyante, presque triviale dans sa nudité, elle supplie : « Emmène-moi avec toi, Andréas, je ferai tout ce que tu veux, je t’aime ! ».
Andréas s’est retourné, tendant vaguement une main. Rampante, la femme se hisse à ses pieds. Ils s’embrassent, comme deux vagabonds d’infortune, visqueux de sueur, reptiliens, dépenaillés. Tous les hommes assistent à la scène, muets, consternés.
Puis Zarek se concerte avec quelques un, et revient près de la voiture. Il desserre le frein, la voiture lentement dévale la pente, prend de la vitesse, sort de la route et bascule dans le ravin. Après plusieurs tonneaux, elle s’enflamme. Les hommes de Zarek regardent solennellement la Porsche carrera brûler. Une explosion retentit dans le ventre de la montagne. La Porsche gicle au ciel, en charpie, dans un nuage de feu. Andréas et sa femme, l’un contre l’autre, sont restés à distance, déjà sur le sentier d’un avenir improbable.
Une fine pluie orageuse commence à tomber. Quelqu’un balance sur les épaules du gouverneur et son épouse, une veste de vieux treillis, tandis que Zarek, leur tapant amicalement sur le dos leur dit : « Maintenant, on vous appellera Cadmus et Harmony, ce seront vos noms de code pour l’Organisation ! ».
Ils disparaissent tous lentement, sur le chemin sinueux, dans une futaie clairsemée qui propage un peu de fraîcheur sur les monts arides de l’Arcadie, où ne vivent plus que les chèvres et des révolutionnaires.
De Kalamata, un avion décolle pour l’Amérique du sud. Harmony sourit. Cadmus machouille un bout de cigare qu’on lui a offert. De temps à autre il le retire, pour émettre un léger sifflement, inquiétant…
Raoulraoul
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Message  Legone Jeu 9 Aoû 2012 - 9:20

C'est bien raconté mais j'ai du mal à croire à cette soudaine conversion. Je voulais du sang :o)
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Message  Invité Jeu 9 Aoû 2012 - 10:41

Tiens revoilà Ovide, avec une interprétation très libre, il me semble.
Je me prends au jeu, c'est intéressant d'aller retrouver les textes inspirateurs.

Ici, la transposition intrigue, avec des repères partiels ou suffisamment brouillés pour faire se poser des questions quant à leur choix. Avec pour résultat l'association inévitable de certains éléments à d'anciennes lectures ou films (ici, Hemingway et K. Loach, par exemple).

Le passage entre Andréas et Zarek est bien, la tension bien rendue : "Les deux hommes se scrutent longtemps. Le pire est possible." c'est le passage que je préfère.
Après, c'est vrai que la conversion semble rapide, soudaine.

Pour finir, je reste avec l'impression que tout cela reste très factuel, distant, il y manque l'expression par le narrateur et/ou à travers ses personnages d'une émotion, d'un sentiment.
Je me doute que cela soit un parti pris aussi ne fais-je que le mentionner sans porter de jugement.

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Message  Invité Jeu 9 Aoû 2012 - 10:54

pffff... réaction à retardement. Mais c'est bien sûr ! Bonnie & Clyde aussi ...

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