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Maître O. : Histoire de la servante maîtresse

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Maître O. : Histoire de la servante maîtresse Empty Maître O. : Histoire de la servante maîtresse

Message  Gobu Mar 28 Aoû 2012 - 8:55


Histoire de la servante maîtresse


- Bonjour, Maître.

- Pourquoi dis-tu que le jour est bon ?

- C’est juste une formule de politesse, Maître.

- Est-ce poli que de dire des bêtises ? Le jour n’est ni bon ni mauvais. Il commence et puis il finit. Ce n’est qu’à ce moment que tu peux dire qu’il a été bon ou mauvais. Et encore !

- Comment doit-on donc te saluer, Maître ?

- Dis seulement : salut, Maître.

- C’est trop familier.

- Oui. Parce qu’en tant que roi, tu avais pris goût à l’étiquette qui impose d’entortiller interminablement la moindre parole adressée au souverain. La politesse doit être brève. Les saluts trop longs ressemblent à des railleries. Assieds-toi. Je ne suis pas satisfait de toi.

- Pourquoi, Maître ? N’étudié-je pas assez ?

- On n’étudie jamais assez !

- Ma prière n’est-elle pas assez fervente ?

- Au diable la ferveur ! Elle dissimule souvent l’absence de foi.

- Ma méditation n’est-elle pas assez profonde ?

- Si profonde que rien n’en transpire. Le sage ne médite pas pour se cacher, mais pour voir les choses cachées derrière les choses.

- Si je comprends bien, Maître, je suis un fort mauvais disciple.

- Pas plus qu’un autre. Mais ce n’est pas cela que je te reproche aujourd’hui.

- En quoi ai-je pu te manquer, Maître ?

- Je vais te le dire. Que penses-tu notre de nouvelle servante ?

- La petite Rosée du Matin ? Eh bien…je trouve qu’elle cuisine moins bien que sa tante…et aussi qu’elle est plus négligente question ménage.

- Je ne te parle pas de cela, imbécile. Elle est jeune, elle apprendra. Je veux que tu me dises ce que tu penses d’elle en tant que personne.

- Il m’est difficile de répondre à cette question, Maître. Lorsque j’étais roi, j’avais tellement de servantes que je n’en connaissais aucune. Je ne les voyais pas comme des personnes, mais tout au plus comme des présences passagères, des ombres fugaces, des courants d’air entre deux portes. La vérité est que je ne les voyais pas du tout.

- Oui mais maintenant que tu n’es plus rien, même une servante vaut mieux que toi : elle, au moins, sait à quoi elle sert.

- Tu as raison, Maître. Dois-je l’aider pour le service ou même le faire à sa place ?

- Surtout pas, sombre crétin ! Veux-tu nous empoisonner ? Laisse le fourneau à qui sait la cuisine. Et ne détourne pas la conversation. Je veux connaître ton sentiment sur Rosée du Matin. La trouves-tu jolie ?

- Elle ne manque pas de grâce, Maître. Pour qui apprécie les beautés rustiques, naturellement.

- Crois-tu qu’elle soit ardente ?

- Son maintien pudique de jeune fille bien élevée pourrait en effet dissimuler des trésors de fougue. Cela c’est vu, Maître.

- Ferait-elle une bonne maîtresse ?

- Pardon, Maître ?

- Je te demandes si Rosée du matin pourrait satisfaire un homme.

- Sans doute. Mais tu sais bien qu’en te rejoignant, j’ai fait vœu de renoncer aux plaisirs de la chair.

- Tes vœux n’engagent que ta conscience. Qui parle de toi ?

- Comment Maître ? Toi, tu voudrais coucher avec cette femme ?

- Et quand bien même ? Crois-tu que l’ardeur soit l’apanage des jeunes ? Peuh ! Avec l’existence stimulante, saine et naturelle que je mène, je pourrais en remontrer à n’importe quel jouvenceau.

- Es-tu sérieux, Maître ? Envisages-tu réellement de coucher avec cette jeune paysanne ?

- Je l’envisage si sérieusement que je voudrais que tu lui en touches deux mots.

- Je suis à tes ordres, Maître. J’irai lui parler après qu’elle aura apporté le souper..

- Que lui diras-tu ?

- Que mon Maître, qui est aussi le sien, l’a trouvée à son goût et désire qu’elle partage sa couche.

- On voit bien que tu ne sais guère parler aux femmes ! Crois-tu qu’elle va s’étendre sur ma paillasse simplement parce que tu le lui demandes de ma part ?

- Je n’en ai pourtant jamais usé autrement avec les femmes, Maître.

- Oui da ! Car tu étais roi, et te désobéir signifiait la mort ! A tout le moins. Mais chante-lui la même chanson aujourd’hui et tu verras sur quel air elle te donnera la réplique !

- Que dois-je donc lui dire pour la convaincre, Maître ?

- Mais sapristi, quel benêt tu fais ! Ne sais-tu donc point conter fleurette à une jouvencelle ? Dis-lui que ses yeux ressemblent à deux étoiles se mirant dans le cristal du lac… que sa chevelure ferait paraître pâle l’aile d’un corbeau…que dans sa bouche, juteuse comme l’abricot le plus mûr, on aimerait mordre à pleines dents…que sais-je…parle-lui d’amour, là !

- C’est très beau, Maître. On voit que tu n’as pas toujours été un sage ermite.

- Qu’en sais-tu ? Et que sais-tu de la sagesse ?

- Rien, Maître. Pardonne-moi.

- Je te pardonne si tu consens à courtiser la belle pour moi.

- Maître…pardonne-moi encore…mais si je lui tiens ce langage, elle va croire que ce sont mes propre sentiments que j’exprime. D’autant plus que je suis jeune et sans doute à son goût. Je l’ai bien vu à la manière dont elle me lorgne par en dessous lorsqu’elle se prosterne pour me saluer.

- Elle n’agit pas d’une autre manière avec moi. C’est sa façon de regarder les gens, voilà tout. Ne t’occupe pas de ces enfantillages et va présenter tes hommages à Rosée du Matin.

- Ne crains-tu pas, Maître, que la fille préfère celui qui lui dit des mots d’amour à celui qui les a inventés ?

- Cela s’est déjà vu. Mais j’ai confiance.

- Tu penses que j’aurais le courage de résister à la tentation ?

- Certainement pas. Tu n’es pas assez idiot pour cela. La tentation est comme la faim, elle passe quand on l’assouvit. Pourtant, cette nuit, cet appétissant fruit de la campagne dormira avec moi et pas avec toi.

- Comment peux-tu en être aussi sûr, Maître ?

- Bon, je vais encore une fois te narrer une histoire pour compléter ton éducation. Il était une fois…

- Toutes les bonnes histoires commencent comme cela, mon bon Maître.

- Les mauvaises aussi. Il était une fois, donc, un vieil antiquaire chinois – en Chine, même le neuf est déjà de l’antiquité – qui avait un fils dévoué, acharné au labeur, sobre comme un chameau, d’une infinie douceur de caractère, bref un garçon d’un excellent rapport, mais un peu simple, il faut le reconnaître. Son père, un gros homme riche à en crever, au sang bouillant et à la voix impérieuse, lui remit cent taëls – une somme considérable – afin qu’il fasse l’acquisition de la plus belle servante qu’il pût trouver. Tout s’achète, en Chine. Ce peuple est le plus commerçant du monde. Le fils se fit présenter des centaines de postulantes. Il les observa sous tous les angles, leur fit faire mille tours humiliants, les accabla de questions indélicates, et pour finir les palpa longuement avant de leur ouvrir la bouche comme on fait aux chevaux pour examiner l’état de leurs dents.

- Elles enduraient ces vexations sans protester ?

- Leurs familles veillaient au grain : il y avait cent taëls d’argent à la clef.

- Pour moi, Maître, cent taëls n’étaient rien. Poussière de poussière. J’ai un soir de folie fait pleuvoir sur les têtes de mes sujets, depuis la grande galerie à colonnes de mon palais, le contenu de dix coffres remplis de pièces d’or. Ces misérables étaient si nombreux qu’aucun ne s’est vraiment senti plus riche et moi je ne m’en sentais pas plus pauvre.

- C’est le problème avec les riches : ils ne savent pas le prix de l’argent.

- J’avoue que maintenant que je suis pauvre, Maître, je ne le sais pas plus.

- Rien d’étonnant à cela, riche ou pauvre, tu n’es qu’un ignorant. Mais laisse-moi revenir à mon gros chinois. Je t’abrège la sélection des postulantes ; après les avoir toutes auscultées dans le détail, le fils, dont l’esprit de décision n’était pas le principal travers, ne parvenait pas à choisir entre trois d’entre elles. Je t’épargne aussi leur description, sache seulement qu’elles possédaient au même degré la beauté, la jeunesse et la docilité.

- Que ne les a-t-il présentées toutes les trois à son cochon de père ?

- Le cochon de père avait été formel : une seule, mais toutes les autres à elle seule. Désespéré de ne pouvoir faire un choix entre trois créatures si pareillement uniques, le malheureux garçon alla se confier à un jeune moine qui louait une mansarde dans la demeure voisine, tantôt prêchant sereinement l’abstinence tantôt se livrant frénétiquement à la débauche, ce qui lui avait établi une solide réputation d’homme qui connaissait son affaire.

- Là, Maître, tu ne nieras point. C’est de toi qu’il s’agit !

- C’est possible. A moins que je ne fus le benêt de fils. Ou le cochon de papa. Quelle différence ? Celui qui raconte a tous les droits. Le moine, consulté à l’heure où sereinement il inculquait les rudiments de la pratique tantrique à une jeune étudiante, commença par jeter le contenu de son vase de nuit à la tête du fâcheux. On ne dérange pas ainsi un saint moine dans l’exercice de son sacerdoce.

- Oui, Maître, j’ai remarqué cela : les rois non plus n’aiment pas qu’on les dérange quand ils copulent.

- Je te prie de ne pas te payer ma tête ! Ce saint moine avait sûrement de hautes raisons que tu ignores pour agir de la sorte. Cependant, lorsqu’il eut compris le motif de la visite, il s’empressa de renvoyer l’étudiante à ses chères calligraphies, et suivit ventre à terre le fiston jusqu’à la demeure familiale.

- Où il espérait, outre un spectacle affriolant, le réconfort de quelque délicate collation.

- Il faut avouer que le métier de moine errant nourrissait parfois son homme. Et parfois non. Je me suis donc rendu chez l’antiquaire…

- Cette fois-ci, Maître, ta langue a fourché : tu as dit « je » en parlant du moine.

- C’est ton oreille qui aura fourché. Ou ta cervelle. Bref je me fis présenter les trois donzelles, et tandis qu’on me servait des gâteaux et du thé, je dus reconnaître que s’il n’avait que peu de jugeote, le fiston ne manquait pas de goût. J’avais moi-même les plus grandes difficultés pour me décider à choisir entre trois aussi parfaites créatures.

- Que lui as-tu dit ?

- Rien. J’ai demandé aux filles si l’une d’entre elles était attirée par ce garçon. Les deux premières me rirent au nez, mais la troisième rougit. Je conseillai au fils de désigner celle-là.

- Pourquoi, Maître ?

- Parce qu’elle semblait lui plaire aussi.

- Oui mais c’est au père qu’elle devait plaire, Maître.

- C’est ce qui advint. Aussi en fit il sa servante particulière et sa concubine.

- Et le fils ?

- Il dut s’incliner devant l’autorité paternelle.

- Je n’aime pas la chute de cette histoire, Maître. Et je ne la comprends pas.

- Tu ne comprends jamais rien à rien. C’est ce qui fait ton charme comme disciple. Va donc me chercher la fille.

- Maintenant, j’ai compris, Maître. (il s’incline)
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Message  Invité Mar 28 Aoû 2012 - 9:25

Quelle patte !
Le dialogue est calibré au millimètre.
Pas une pièce de trop ou de moins dans cette mécanique de précision.
Je m'en vais relire illico.
C'est trop bon.

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Message  mentor Mar 28 Aoû 2012 - 9:30


O !

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Message  Invité Mar 28 Aoû 2012 - 16:55

! OÔO ! (j'essaie, par imitation de faire un commentaire constructif :-) ).

Tout ça pour dire que j'ai bien aimé aujourd'hui cette leçon de sagesse "servante maîtresse".
J'avoue que d'autres histoires d'O m'ont parfois un peu ennuyé, mais ici, non, il flotte une légèreté de bon aloi dans l'écriture et le plaisir de l'histoire.

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Message  Invité Mer 29 Aoû 2012 - 18:24

Oh, Ô le roué !
et l'autre, quel co benêt...
comme toujours (souvent), excellente progression.

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Message  Invité Mer 29 Aoû 2012 - 20:25

J'adore ces leçons savoureuses ( douloureuse pour le disciple !)

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Message  Invité Jeu 30 Aoû 2012 - 11:50

Entre la logique et la rouerie imparables de l'un et la naïveté qui finit par se dissiper de l'autre, on a un dialogue bien mené et des plus savoureux.

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Message  Polixène Ven 31 Aoû 2012 - 23:04

Au petit poil, Maître !
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Message  Invité Sam 1 Sep 2012 - 17:35

C'est un exercice ma foi fort bien réussi.
Il semble qu'il s'agisse en effet d'un exercice (mais où en est l'énoncé ?).
C'est simplement bien écrit. Avec toutes les apparences d'un véritable conte drôlatique.

J'ai tout d'abord pensé à Michel de Ghelderode, ce qui est de ma part, amateur de belgitude, un grand compliment.

Je cite de mémoire :

- Jardinier,
- oui Maître
- viens ici
- oui Maître
- tu as gâché toute une plate bande
- oui Maître
- tu vas être pendu
- oui Maître

J'ai donc pensé à quelque chose se rapprochant du grotesque médiéval.

Et puis j'ai saisi que l'on était en Chine, ce qui n'est en fait pas si loin.

Tout de même, j'aimerai bien connaître l'énoncé, si c'est un exercice.

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