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Chroniques du monde souterrain (3) : "Rencart à Châtelet"

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Chroniques du monde souterrain (3) : "Rencart à Châtelet" Empty Chroniques du monde souterrain (3) : "Rencart à Châtelet"

Message  Gobu Lun 3 Sep 2012 - 12:43

CHRONIQUES DU MONDE SOUTERRAIN (3) :

Rencart à Châtelet.

Il se faisait appeler Georges. Comme Braque, Bernanos ou Brassens, des bons gars bien de chez nous et qui ont laissé derrière eux une œuvre bien de chez nous aussi, même s’ils n’ont pas eu que des supporters parmi leurs contemporains, loin s’en faut. Donc il se faisait appeler Georges, comme tous ces grands Français, mais pour le reste y avait pas photo. Même en noir et blanc on pouvait pas confondre. Surtout en noir et blanc, en fait.

Georges était né à Lagos (Nigéria), et même si ce prénom était celui de son baptême – dans sa famille, on fréquente le jour la cathédrale anglicane, mais on honore la nuit les Loas ancestraux de son peuple – il portait un prénom Yoruba, Olu, consacré à Egun, divinité franchement ombrageuse du fer, du feu et des rancunes tenaces. Plus court et nettement plus couleur locale. Même à Paname.

Cela faisait un bon moment qu’il se livrait sans discrétion excessive au commerce de végétaux dotés de propriétés euphorisantes, et plus si. Une marchandise qui circule, et passe à travers pas mal de mains – pas désintéressées – avant de finir en fumée dans les poumons du consommateur, un circuit qui ressemble pas mal à celui de la grande distribution, les gondoles en moins et l’adrénaline en plus. Inutile de dire que le destinataire final fait vivre l’ensemble de la filière. Pas de bol pour lui, mais c’est ainsi que va le commerce.

A la station Châtelet-Les Halles, je devais le rencontrer. A six plombes de l’aprème. Mince de rencart. Déjà, faut savoir que cette station fait plusieurs hectares, et que je ne sais combien de lignes de RER et de métro s’y enchevêtrent dans un joyeux bordel. Je te cause pas de la toile d’araignée, une épeire diadème y retrouverait pas la mouche à merde qu’elle a attrapée pour son souper. Après de laborieuses explications en français de contrebande et en anglais de l’Afrique de l’Ouest, j’avais fini par piger sur quel quai il comptait effectuer sa livraison, étant entendu que j’aurais préparé la némo en coupures usagées tassées dans une grosse enveloppe neuve – un bon conseil : éviter celles qui portent une adresse, surtout la vôtre – comme dans les mauvais polars ou les bons rapports de police.

A dix-huit heures, un quai de la station Châtelet ressemble davantage à l’entrée d’une finale de la Coupe de France qu’à un sentier de grande randonnée au milieu de la nuit. Autant dire qu’on s’y bouscule pire qu’à une caisse d’hypermarché. Pour repérer celui qu’on attend, vaut mieux dominer le populo. Heureusement, je suis grand. C’est déjà ça. Moi, j’étais à l’heure, et même en avance. Une précaution élémentaire qui permet de renifler les embrouilles avant d’entrer dans le vif du sujet. Par contre, Olu était aux abonnés absents. Normal : c’est ça l’Afrique, bro. Rien de surprenant ni de grave, si ce n’est que juste à ce moment, à chaque bout du quai, un fort parti de CRS en tenue complète d’empêcheurs de traficoter en rond n’avait commencé à entrer en action. Bon, ça aussi c’était assez courant, et à condition d’avoir un look présentable et de la jouer profil bas, pas de raison de se faire du mouron. Enfin pas trop.

Ils avaient déjà commencé à contrôler l’identité de quelques malchanceux à profil exotique, et même dressé procès-verbal à un chevelu à guitare qui avait eu le malheur de déballer son instrument sans disposer de l’accréditation nécessaire. Bad luck pour eux mais tant mieux pour moi : tant qu’ils chassaient le faciès et asticotaient le manchard, moi j’étais peinard. Of course, je m’étais déguisé en anonyme. Pas question un jour comme ça d’arborer grand feutre blanc, pardessus de rock-star et canne d’ébène à poignée d’argent. Un rencart bizness, c’est pas une virée aux Bains-Douches, te faut pas confondre. Dans ta penderie l’imper couleur de muraille le plus gerbatoire que tu possèdes sélectionneras, par-dessous un polo tue-l’amour sans teinte définie enfileras, un jeans ni trop neuf ni trop usé passeras et aux pieds des godasses assez éculées pour qu’on aie pas envie de les regarder mais cirées juste assez pour pas avoir l’air d’un clodo porteras. En fait, le top du top ce serait de te déguiser en courant d’air. Mes copines m’auraient glavioté à la figure en me voyant et mes potes auraient changé de trottoir à ma venue pour pas être croisés en ma compagnie, mais à la guerre comme à la guerre. Y avait quand même trois kil de zaïroise premium à la clef. Au prix d’ami qu’Olu me la faisait et au tarif argus auquel je la refourguais par 100 g, c’était pas moins de dix mille balles que je me mettais dans la fouille en vingt-quatre heures, sans parler du bonus en matos que je réservais pour nos petites sauteries entre gens de bonne compagnie. Ca valait bien de jouer les gagne-cent-balles le temps d’un rencart à Châtelet.

Et justement, il en finissait pas de tarder, mon rencart. Bon, trente minutes, c’est comme qui dirait le quart d’heure africain et y a rien à redire. Mais je trouvais que la volaille commençait à picorer dangereusement de mon côté, et, en dépit de mon allure passe-partout, je craignais que ces Messieurs de la maison j’t’harponne finissent par trouver zarbi un lascar qui laisse passer rame sur rame sans monter dedans. Un quai de métro, après tout, c’est pas l’endroit idéal pour faire bronzette. S’il pointait pas sa hure dans les cinq minutes, j’étais bien décidé à la jouer cassos et lui dire ma façon de penser au bigo de retour chez moi.

- Alan ! Alaaaan ! I’m cooooming ! Sorry for the delaaaaay !

Olu, faut que je précise, c’est pas le genre soupirs et chuchotements. Déjà, au naturel, il cause bruyant et rigole plein gosier, mais là, il avait braillé suffisamment fort pour que je l’entende bien depuis l’autre bout du quai. Naturellement, tout le monde s’était mis à le regarder, et en premier lieu les poulets qui viraient tous du calot dans sa direction. Mes cheveux, que j’avais pourtant soigneusement calamistrés à la gomina pour faire sérieux, se dressaient vers les néons du plafond. Mais ce qui m’a carrément hérissé en prime les poils du cul, c’est sa tenue. D’accord, en général, les africains, question sape, c’est pas la discrétion qui les étouffe, mais là, franchement, il y était pas allé avec le dos de la main morte, comme aurait dit mon pote Wahdee. Costume en shantoung rouge vif, bibi de même couleur à bande léopard, limace en soie jaune canari et cravetouze en cuir rouge vif aussi, sans parler des pompes en lézard assorties à la chemise, tu l’aurais même vu durant une panne de courant avec des lunettes de soleil sur les yeux. Et justement, pour peaufiner le tableau, il en portait, des lunettes de soleil, mais alors pas le genre civilisé à monture d’écaille, tu penses, mais des énormes façon Georges Clinton en Dr Funkenstein, avec des verres mercure gros comme des miroirs paraboliques de télescope. Toute la station s’y reflétait, à commencer par les CRS qui convergeaient vers lui comme un seul homme. J’aurais voulu m’enfouir dans le béton du quai pour passer inaperçu. En même temps, j’aurais loupé ça pour rien au monde.

Les flics ont commencé à refermer le cercle autour de lui ; je me suis dit ça y est, il est bon pour les poucettes et le séjour de Santé au frais du contribuable. N’importe qui de sensé aurait pris ses jambes à son cou et tenté de la leur jouer à la courette. C’est mal connaître Olu. Il s’est dirigé résolument sur eux en rigolant, la main levée comme s’il allait leur taper dans les paumes. Croyez-le ou non, mais ils se sont écartés avec le sourire aux lèvres pour le laisser passer. Y en même eu un pour lâcher « Putain, la classe, les fringues » compliment qu’il remercia d’un grand coup de chapeau, tandis qu’ils se désintéressaient de lui pour fondre sur un malheureux ado en blouson de cuir qui tentait de s’esbigner en douce avant qu’ils le repèrent.

Il arrivait sur moi sans hâte, de sa démarche souple, balançant un gros sac Tati dans lequel se trouvait sans aucun doute ma came, et on aurait dit un fauve se dandinant vers sa proie. Olu n’est ni grand ni très gros, mais il est plus musclé qu’une panthère et il a pratiqué la boxe en poids moyen durant des années. Je l’ai vu une fois dévisser la mâchoire d’un fâcheux d’un seul crochet du gauche qui l’a envoyé les quatre fers en l’air sur le macadam. Il a commencé par me saluer à l’africaine, paumes contre paumes.

- Hello, Alan, my friend. Sorry to be late. I was busy this afternoon.
- Salut, Georges – en français je lui donnait toujours son prénom de baptême – c’est pas grave.

Là-dessus, j’ai pensé qu’on allait s’éclipser vers un coin moins mal fréquenté mais compte là-dessus boit de l’eau fraîche. Olu n’a peur de rien, et c’est pas la foule qui va lui coller des vapeurs. Faut dire qu’à Lagos, il avait dû en voir d’autres.

- I’ve got your stuff. First quality, my friend, the best yamba that money can buy. By the way, did you bring the mon ?
- Of course, Olu. You know you can trust me.


J’ai tiré de sous mon imper la grosse enveloppe bourrée de fric, et j’ai cru qu’il allait l’enfouiller et se casser direct, mais macache, il s’est mis à compter les biftons un par un en les humectant d’un doigt mouillé. Moi j’avais la bouche plus sèche qu’une carcasse de scorpion dans le désert, mais aussi étrange que ça puisse paraître, personne ne faisait plus attention à nous, les flics encore moins que les autres. Quand il a eu enfin fini de compter, il a dodeliné du chapeau avec satisfaction et m’a généreusement claqué l’épaule pour sceller le marché.

- Ok, Alan my good friend. See you again at Olaf’s place. God bless you.
- Salut Georges. Egun bless you.

Là il m’a regardé d’un drôle d’air. Faut pas rigoler avec ça.

- Egun always bless me. That’s what for I’m still here…

Plus tard, chez mon pote Olaf, justement, je lui ai demandé comment il avait osé se pointer à un rencart de biz sapé de façon aussi voyante et passer au milieu d’un déploiement policier avec une telle désinvolture.

- Never be afraid. People are like wolves : they smell the fear.

T’avais raison, Olu, c’est le bon sens même. Egun bless you.

GOBU
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Chroniques du monde souterrain (3) : "Rencart à Châtelet" Empty Re: Chroniques du monde souterrain (3) : "Rencart à Châtelet"

Message  Lizzie Lun 3 Sep 2012 - 13:47

ahhhh, excellent.
Rien de constructif à dire.
Ah si, c'est ballot, mais j'ai cru qu'il s'appelait Yoruba, j'ai lu trop vite.
"un bon conseil : éviter celles qui portent une adresse, surtout la vôtre – comme dans les mauvais polars ou les bons rapports de police.": ça m'a bien fait rire. Et puis le reste aussi. Merci !


Lizzie

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Chroniques du monde souterrain (3) : "Rencart à Châtelet" Empty Re: Chroniques du monde souterrain (3) : "Rencart à Châtelet"

Message  Invité Lun 3 Sep 2012 - 16:54

Non, moi non plus rien de constructif à dire, c'est réjouissant et j'aime bien l/rire pour me faire du bien, y a pas de mal à ça.

Juste une remarque concernant l'utilisation répétée de "même si" au début, 3 en quelques lignes ; et une ou deux coquilles ortho mineures ici et là.

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Chroniques du monde souterrain (3) : "Rencart à Châtelet" Empty Re: Chroniques du monde souterrain (3) : "Rencart à Châtelet"

Message  Invité Mar 4 Sep 2012 - 17:50

Les descriptions ( Olu !) les scènes, le style vivant et plein d'humour, tout est bon. Déception d'arriver au bout du texte !

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Chroniques du monde souterrain (3) : "Rencart à Châtelet" Empty Re: Chroniques du monde souterrain (3) : "Rencart à Châtelet"

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