Exo "Les cailloux" : En chemin

[Phylisse]

Un samedi soir, deux heures du matin, retour de soirée dans ma voiture avec ma petite Sandrine qui a l’âge de mon fils. Mère et fille adoptives depuis de nombreuses années, c’est ainsi que nous nous aimons.

Dans les virages un petit bruit se fait entendre. J’y suis habituée et n’y prête plus attention depuis longtemps. Sandrine baisse la tête entre nos deux sièges d’où vient le bruit. Un galet est posé dans une petite cavité creusée dans le plastique de l’habitacle. Elle le prend dans sa main.

“Tu l’as gardé !?
- Oui... Trois ans qu’il est là”

J'ai senti l’émotion dans sa voix. Trois ans que sa mère est morte. Cet été là, un mois après son décès, nous sommes allées nous abriter quelques jours dans les Gorges du Verdon. Lors d’une balade, nous nous étions amusées à faire des ricochets sur l’eau de la rivière. En remontant dans ma voiture, Sandrine avait déposé ce galet à l’endroit même où elle le retrouvait.

Il y a des choses dont je ne sais me séparer. Les cailloux, pierres, galets, coquillages, font partie de ces murmures du passé dont j’aime écouter le chant lorsque je les retrouve là où je les ai posés. Comme la rivière dont le courant au fur et à mesure des années dépose sur la berge le limon qu’en son lit elle a charrié, mon chemin est jonché de ces pierres précieuses à mon souvenir. Images fugaces d’un lieu, d’un être, d’un moment. Et dans cet édifice érigé à la force du souvenir, je suis le petit poucet retrouvant son chemin à la force des émotions rattachées à chacun.

Certaines sont douces au regard, lisses au toucher, d’autres rugueuses, cabossées, grises, colorées, déformées. Un seul point leur est commun : ma main qui les a expatriées. Peut-être qu’un jour, du haut d’un rocher face à la mer, je les rendrai à la terre qui les a façonnées.

[Polixène]

A marquer d'une pierre blanche, ce texte!
Tiens, c'est pas moi qui l'ai écrit? Bizarre...

[Invité]

Ce galet était-il une pierre blanche signifiant que le travail de deuil accompli, Sandrine retrouvait le goût de vivre ?
J'ai bien aimé ce texte sensible et fondé sur une pratique répandue dans toutes les civilisations.

[Invité]

Tendresse et douceur dans ce texte, tout ce que j'aime.

[Invité]

Coquillages ou petits galets, on en a tous, au fond des tiroirs ou au fond des poches. Ils ont un pouvoir évocateur qui nous font fondre, lorsqu'on les redécouvre. Et les jeter serait un sacrilège. C'est tout bonnement impossible.
J'ai aimé ce texte empreint de sensibilité.

[elea]

Joli texte sensible et émouvant, j’ai aimé la pierre souvenir et l’émotion qu’elle dégage.

Quelques broutilles sur la forme :

Sandrine baisse la tête entre nos deux sièges d’où vient le bruit
La phrase est bizarrement tournée pour moi, je ne sais même pas dire pourquoi mais elle a coupé ma lecture.

mon chemin est jonché de ces pierres précieuses à mon souvenir. Images fugaces d’un lieu, d’un être, d’un moment. Et dans cet édifice érigé à la force du souvenir, je suis le petit poucet retrouvant son chemin à la force des émotions rattachées à chacun.
Je crois que ce paragraphe mérite d’être un tout petit peu repris pour ne pas donner l’impression d’étaler une même idée juste à cause de ces redondances.

[Janis]

J'aime aussi, l'écriture est à la fois simple et travaillée, et j'apprécie beaucoup la construction de ce texte, qui part d'une anecdote (lourde de sens) pour aller vers des considérations non pas générales, mais personnelles, et livrent des clefs.

C'est très doux à lire

[Rebecca]

Tu dis bien comment nous insufflons une âme à de modestes objets qui se font le réceptacle de nos souvenirs et émotions. Joli !
Bémol pour moi aussi la phrase "Sandrine baisse la tête entre nos deux sièges d’où vient le bruit", moins bien écrite que le reste qui se lit trés agréablement.

[Phylisse]

"Sandrine baisse la tête entre nos deux sièges d’où vient le bruit"

Elea et Rebecca, cette phrase m'a turlupiné un moment. J'ai tenté de la tourner autrement, mais rien ne me satisfaisait, et là pour le coup depuis que je la relis et que vous avez fait cette remarque j'ai l'impression que Sandrine s'apprête à se faire guillotiner, genre...

Le mieux serait peut-être "Sandrine baisse la tête, cherchant d'où vient le bruit. Un galet...". Finalement la précision "entre les deux sièges" n'est pas indispensable.

mon chemin est jonché de ces pierres précieuses à mon souvenir. Images fugaces d’un lieu, d’un être, d’un moment. Et dans cet édifice érigé à la force du souvenir, je suis le petit poucet retrouvant son chemin à la force des émotions rattachées à chacun.
Je crois que ce paragraphe mérite d’être un tout petit peu repris pour ne pas donner l’impression d’étaler une même idée juste à cause de ces redondances.

Je me suis pourtant relue, mais c'est une fois le texte publié que je me suis aperçue de la répétition de "souvenir". En revanche je n'avais même pas vu "à la force". Tu as raison, il faut que je reprenne ce paragraphe en conservant "ces pierres précieuses à mon souvenir", que j'aime bien.

Merci à tous de vos jolis mots et de votre sensibilité.

J'aimerais parfois avoir une besace pour y mettre tous vos commentaires, ce sont autant de pierres tout aussi précieuses que celles glanées sur d'autres chemins.

Et merci également (on se croirait à la cérémonie des Césars !) à Tizef pour cet exo qui m'a permis d'écrire ces petites choses enfouies qu'un seul mot parfois suffit à faire jaillir.

[Invité]

beaucoup d'émotion, oui. et livrée avec la justesse de la simplicité. un texte personnel qui te ressemble: on y sent tout ce qui se meut par dessous l'air de rien. un texte "comme ça". et quand c'est comme ça, c'est bien et ça touche...

[Chako Noir]

Oui, en effet, cette phrase pourrait être retravaillée, une ou deux autres aussi... Bon, c'est pas ça qui m'a dérangé à la lecture. Dit comme ça, on croirait que quelque chose m'a dérangé à la lecture. En fait pas du tout. C'est très touchant, à la fois attendrissant et poignant, un tout petit morceau qui se savoure méticuleusement. Marqué d'une pierre blanche!

[CROISIC]

Très belle évocation. J'ai été émue.
La fin me plait beaucoup.

[Contenu sponsorisé]