Silence

[boudi]

Parfois, comme ce soir, parce que je ne parviens plus à dire, que la parole s'est érodée jusqu'au silence, jusqu'au vide, jusqu'au blanc. Parfois, comme ce soir, je pressens -en buée, fumée, vertige, spasmes- l'existence d'une « langue usée ». Langue intermédiaire entre la langue morte et la langue vivante. Langue épuisée, somnolente dans la bouche des muets. Langue jamais reposée, jamais tranquille, jamais neuve. Langue d'infirmes. Langue de trop tôt, langue couleur de la nuit interdite et du matin maussade. Langue à l'horizon -l'infini- effondré, brisé, courbé comme une prison de signes définitifs, de condamnations définitives, de lois constitutionnelles. Langue de lenteur. Langue administrative. Langue frustrée. Plus jamais langue du tout là-bas exotique, de la peur, des animaux sauvages et de la fuite mais langue dressée, limée, étriquée et descriptive. Langue dépassée, presque oubliée. Langue mortelle, langue maigre mais non pas langue affamée, langue sèche, désertique mais non pas langue assoiffée, mais non pas langue orageuse. Langue incapable d'avouer son désastre, langue terminée, achevée, close et pâle. Langue de bagnards, de bègues et de paralytiques.

Voilà ce soir la langue - usée - que je parle : langue de condamné à mort, d'excommunié. Enfin, langue de banquier ou d'écrivain à succès.

[Invité]

Un texte court qui en dit long. Les répétitions créent l’empâtement et l'angoisse.

[Janis]

Tes textes, je les guette toujours et les lis avec plaisir comme de bonnes surprises, à chaque fois, même quand je les trouve un peu "ratés", ou moins réussis que d'autres.

Un peu trop de langues - même si je comprends l'idée - pour moi, mais quand même des images, des associations inédites, de la fraîcheur, t'as une belle langue tu sais.

[Invité]

Pour moi, le message était clair et ton texte m'a touchée à vif. On y est peut-être plus sensible quand on ne pratique pas le français au quotidien et qu'on se rend compte à chaque retour au pays que des modes linguistiques s'installent qui ne vont pas dans le sens d'un enrichissement.

[Janis]

alors boudi

1°) ne réagis pas trop vite ici, ou alors sur le fil "discussions autour de nos textes", afin de ne point trop occuper la première place aux dépens des autres

(la Modération a déplacé le commentaire en question sur le fil adéquat)

2°) tu l'as posté ce matin !
en général je mets deux ou trois jours avant de commenter, par exemple, faut le temps que ça chemine, de trouver qui que quoi comment. Un de mes poèmes cailloux n'a commencé à recevoir des comm qu'assez tard, et maintenant il en a plein !

3°) donc, je n'aurais qu'un mot : patience ! on est fébriles et inquiets quand on poste un truc, on a hâte et c'est normal, mais on apprend à attendre un peu !

[Invité]

La réflexion m'intéresse, ô combien ! et dans l'ensemble je fais plus qu'y souscrire.
Toutefois, et sur un plan "littéraire", j'aurais peut-être souhaité un développement qui dépasse justement la question, illustre la réflexion. Mais je ne suis pas sûre de ça non plus.

[Invité]

C'est très bon.
J'ajouterais "langue de présentateur(trice) ou d'animateur(trice) télévisuel"
Plus que le banquier ou l'écrivain à succès, qui ne touchent qu'un public restreint, ce sont eux qui imposent cette langue de plus en plus indigente et qui véhiculent les nouveaux poncifs.

[Rebecca]

Je me ferai l'avocat du diable.
La langue n'a pas vocation à être toujours parfaite, idéale, triomphante de tous les aléas de la vie
La langue peut être brisée, limitée, aride, et compassée, fonctionnelle, fatiguée voire épuisée, prétentieuse, ou chatrée, tumorale, gangrenée
la langue est à notre image pauvres humains pas toujours resplendissant d'intelligence de créativité ou d'énergie
la langue est un kaléidoscope
un outil qui libère et emprisonne
le miroir de nos âmes tumultes tueuses

[Invité]

Est-ce que quelqu'un peut avoir du génie tous les jours ?
( quand je te lis, j'ai un peu tendance à le penser... mais je ne vois pas ta poubelle !)
Peut-être est-ce parce qu'ici (entre cuistots, et ça je le dis exprès) on se censure moins qu'ailleurs, on laisse échapper ses petites flatulences sans trop de honte ( qui n'en a pas ?)
Ou alors qu'on aime le côté shabby chic y compris dans le langage, va savoir !
Et aussi, à mon avis, qu'il y a peut-être de l'explosif camouflé dans des coins insoupçonnables...

[Polixène]

Normal aussi, si tu fréquentes dans ton travail ou tes études une langue fossilisée, que tu te sentes un peu poussiéreux!
Allons allons, on s'ébroue un peu au soleil, et hop.

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