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Croquis d'idiotie

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Message  Sith Mer 19 Sep 2012 - 20:57

Je n’ai jamais essayé d’embrasser Dakar, d’en ébaucher l’anatomie. Il en va de même pour tout ce qui touche à la réalité. Il m’a toujours semblé que le monde se dérobe à mon regard, que l’expression ne peut que se perdre dans un puits de mensonge. J’ai bien passé dans cette ville quatorze ans. Mais que sont les années si ce n’est qu’un seul et même état qui ressurgit jour après jour, si l’unique pouvoir imparti ne consiste qu’à savoir éplucher l’une après l’autre les couches qui enveloppent un noyau refusant de se découvrir. Il ne reste plus qu’à se résigner — à perpétuer la monotonie ou à y mettre fin. En ce qui me concerne, j’ai pris mon parti : m’en remettre à chaque pelure détachée, en attendant de toucher le fond, m’étendre sur la surface comme si elle se serait imprégnée de quelques résidus essentiels.
La manière que j’ai d’enjamber ses rues décrit mieux ce rapport étrange qui me lie à Dakar. Ma flânerie n’est pas encombrée d’histoire, se passe de références. Je peux virer d’un boulevard à un autre sans en connaître le nom, ne garder rien de lui sinon l’engourdissement qu’en tirent les mollets. Je flâne comme si je galérais, je regrette toujours de ne pas avoir suivi le sens contraire (d’aller vers la gauche plutôt que vers la droite, d’être attiré par la lumière plutôt que par les ténèbres, réciproquement). C’est peut-être pourquoi je ne fais pas attention aux détails, peut-être pourquoi j’appauvris autant qu’il est possible l’environnement pour donner au chemin la forme d’un sentier menant vers de multiples voies sans caractères propres. Peut-être que oui je tente de me libérer du regret en fixant à toutes les éventualités une même et unique valeur.
En l’an 2000, Dakar sera comme Paris. Je n’ai pas besoin d’être un géographe ou un fin connaisseur pour m’apercevoir que Senghor a eu tort dans cette prédiction. Je n’ai pas besoin de sortir, de consigner, d’opposer les caractéristiques de Dakar à celles des grandes villes. Il me suffit juste de monter sur une terrasse et de prêter attention au spectacle qui s’y joue. Là s’agite l’étendue, toujours en gestation comme l'embouchure, comme le melting pot mousseux de variétés et de contraires. Il faut dire aussi que le quartier qui m’a vu grandir, d’où je jauge Dakar, n’a pas encore vingt ans ; mais ce sont surtout des alentours dont je parle : de l’océan Atlantique recroquevillé contre l’horizon, de la verdure qui assiège le camp militaire Leclerc et le cimetière Saint Lazare et d'innombrables autres bouts de la ville, de l’aéroport si proche que ses sirènes rendent le sommeil impossible aux récents locataires, du trafic routier incessant donnant l’impression de piétiner l'ouïe...
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Message  Modération Mer 19 Sep 2012 - 21:51


Bienvenue sur VOS ECRITS.

Un passage, même court, par ICI, serait apprécié.
Merci.

Modération

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Message  Rebecca Jeu 20 Sep 2012 - 3:01

Une manière de raconter la ville qui en dit probablement aussi long sur le narrateur que sur elle même, ses "terrains vagues", ses contours imprécis, ses impasses peut-être, son mystère, j'aime beaucoup cette façon de faire; en fait ça commence comme une sorte de road movie de l'âme ou plutôt un "city movie"
"Peut-être que oui je tente de me libérer du regret en fixant à toutes les éventualités une même et unique valeur."
J'adore cette phrase, elle m'ouvre un champ immense de réflexion. Et de sentiments contradictoires.
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Message  Invité Jeu 20 Sep 2012 - 7:10

une vraiment très belle écriture, qui emporte étonnamment d'un bout à l'autre de ce texte, sans que l'on se rende compte que le sujet, à la fois précis et intime, n'est a première vue pas si accessible que ça.

on y trouve des tournures, des formulations singulièrement enthousiasmantes.

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Message  Invité Jeu 20 Sep 2012 - 9:17

Wahhh, VE vient de rencontrer un nouveau talent ! Bienvenue ici, Sith !
J'aime énormément cette écriture qui sait conjuguer l'intime et le descriptif, qui se présente à travers une médiation géographique, qui image les méandres de sa pensée...
Juste une correction à effectuer ici :
la surface comme si elle se serait s'était imprégnée de quelques résidus essentiels

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Message  Invité Jeu 20 Sep 2012 - 10:14

ah oui, je voulais aussi souligner cette bizarrerie relevée par Coline.

je reviens ajouter, (j'ai omis de le faire tout à l'heure), qu'il se dégage de ces ligne au delà de la poésie, une sensibilité à la fois grave et fraîche. de la dignité, voilà. c'est en même temps sobre et discursif. une maturité certaine s'y exprime, qui, si vous avez l'âge précisé sur votre profil, impose le respect.

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Message  Invité Jeu 20 Sep 2012 - 11:59

Sur le coup, j'ai trouvé ce texte très sérieux, j'aurais aimé de la fantaisie ; puis en relisant, je tombe sur des expressions, des tournures, des idées, qui sont juste ça : fantaisistes, inattendues.
Allora va bene.
Toutefois, j'ai une drôle d'impression d'inachevé, comme si ce texte était un prologue à autre chose.

Cela dit, et pour preuve que je me trompe sûrement et que le texte peut fonctionner tout seul, ça me rappelle un exo d'il y a quelque temps : http://www.vosecrits.com/t8303-exo-ma-ville?highlight=ma+ville

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Message  Invité Jeu 20 Sep 2012 - 12:00

ah, et puis à part le pseudo nouveau, c'est le titre intrigant qui m'a attirée.

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Message  Invité Jeu 20 Sep 2012 - 12:03

je l'ai, en le lisant, effectivement imaginé en tant que fragment isolé d'un tout...?

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Message  Invité Jeu 20 Sep 2012 - 13:46

J'ai beaucoup aimé l'écriture, et puis toutes les pistes de réflexion qu'offre ce texte.

Il me suffit juste de monter sur une terrasse et de prêter attention au spectacle qui s’y joue. Là s’agite l’étendue, toujours en gestation comme l'embouchure, comme le melting pot mousseux de variétés et de contraires.


Cette phrase m'a fait penser à un texte de Churchill observant Londres du haut de je ne sais plus quel monument.( Vague souvenir d'une version anglaise au lycée). Et il me semble bien qu'il tirait de son observation les mêmes réflexions.

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Message  Pascal-Claude Perrault Jeu 20 Sep 2012 - 22:48

Rien à dire. Bonne plume.
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Message  Sith Dim 23 Sep 2012 - 10:12

Spoiler:
Je crois qu’il est impossible que j’émette un jugement sans me compromettre. J’ai l’impression que la page demeure inondée par une trop grande marge d’incertitude et que l’espace, sur lequel il m’est permis d’écrire, reste étroit, précaire. Je constate combien est immense ce que je veux représenter, combien il m’échappe, et je frémis sous ce rapport, face à mon ambition. Ce n’est que pourtant de ce point que je peux débuter pour bégayer, bafouiller, tâtonner. Ce n’est qu’en frémissant en deçà de la lacune que je m’exprime. Je ne peux user que d’un compromis, que d’une façon de faire basse, nécessaire, incontournable.
Je ne peux pas étudier de face Dakar comme un homme de la rue, comme un enfant prodigue. Si je sors, si je prends la ville à bras-le-corps, je m’abandonne à un échec cuisant. Je suis, lors de mes sorties, dans un état de tension tel que je tiens plus à en finir qu’à poursuivre et comprendre. Je ne distingue plus la raison qui m’a poussé dehors, elle devient infime comparée au danger que je soupçonne à tous les coins de la rue. Le désir que j’ai de connaître Dakar m'apparaît alors être une folie. Si je mets un pas à l’extérieur, je risque tout simplement l’abrutissement occasionné par l’insatisfaction que je tire de l’étude des fragments de la ville ; le tout et même les parties que j’ai déjà examinées se replient loin de moi.
Malheureusement le repos ne me réconforte que peu. Il me prend, dans cet état, une envie de renouveler la douloureuse expérience des excursions. Il suffit qu’un rayon de soleil se faufile à travers une fenêtre, que le vent cogne sur un porte pour que ma curiosité soit piquée au vif, que je sente mes relations avec la ville plus fortes, plus obscures que jamais. Et ici, ce qui est à mes yeux incompréhensible et dément, c’est la claustration que je m’inflige, cette espèce d’amputation qui ne vous guérit pas de la gangrène.
Finalement c’est d’une terrasse, au grand air, un logis comme point d’appui, que je m’apaise. La sérénité qu’offre un abri rend plus aisé la contemplation. Fuir devient superflu lorsqu’on est forcé dans ses derniers retranchements. Il m’importe de m’écrouler ; je me contente juste de jouir autant qu’il est possible du panorama, de la ville comme bloc impénétrable. Je suis satisfait de cette prise de vue grossière dont la profondeur ne peut être vivifiée que par l’imagination.

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Message  Rebecca Dim 23 Sep 2012 - 18:28

C'est trés agréable à lire.
J'attendrai la suite.
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Message  Invité Dim 23 Sep 2012 - 18:44

c'est très bien exprimé : l'attirance, le magnétisme qu'exerce la ville sur le narrateur ; et cette espèce d'humilité face à son étendue, à ce qu'elle renferme, l'impossibilité de s'en approcher.
Une analyse qui pourrait être une allégorie de quelque chose de plus vaste, de moins bien défini.

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Message  Rebecca Dim 23 Sep 2012 - 18:49

"J’ai l’impression que la page demeure inondée par une trop grande marge d’incertitude et que l’espace, sur lequel il m’est permis d’écrire, reste étroit, précaire. Je constate combien est immense ce que je veux représenter, combien il m’échappe, et je frémis sous ce rapport, face à mon ambition. Ce n’est que pourtant de ce point que je peux débuter pour bégayer, bafouiller, tâtonner"

Le rapport à l'écriture semble concerné tout autant.
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Message  Invité Lun 24 Sep 2012 - 10:28

cette suite, (si elle continue à être intéressante par le fond du propos, du sujet d'une part, et par l'identité textuelle qui se dégage de la forme), me semble contenir des maladresses de tournures. la progression est quant à elle un peu lente.
c'est raccord avec le tâtonnement évoqué, la difficulté à appréhender la question du rapport à Dakar, et en même temps on retrouve un peu les mêmes éléments qu'au début, avec de nouveaux ingrédients ajoutés.

j'aime beaucoup toujours la délicatesse et le soin apporté à la précision, l'affinage.

alors une question me vient, à la lecture de ce second passage: le narrateur se situe t il d'un point de vue européen, ou africain?
et je cherche à me représenter visuellement ses traits, pour pouvoir approcher le texte de plus près...

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Message  Invité Mar 25 Sep 2012 - 11:39

(Sith, merci de ne pas tenir compte des trois dernières lignes de mon précédent commentaire, car j'ai trouvé la réponse à ma question depuis...)

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Message  Sith Sam 29 Sep 2012 - 11:40

Spoiler:


Je suis lassé par l’inspiration, par l’expiration, par l’apnée. Chacun de ces états est un contact, un choc trop subtil pour ne point les confondre.
J’ai le regard lézardé par des traits d’idiotie. A la place de mes yeux, se forme un espace de stupidité.
Je mourrai sans doute asphyxié le jour où le bleu de l’océan ne se distinguera plus de la transparence de l’air. En attendant ce jour, j’ai les narines dans l’expectative, auréolées par je ne sais quoi d’indécis - je respire et pourtant mes poumons sont secs.
Je ne suis ni passif ni actif, je me trouve dans l’entre-deux, souffrant de la passivité comme un être en activité. J’ai tué l’ardeur de l’homme actif et l’insensibilité de celui qui est passif.
Les crampes et autres engourdissements liés à la paralysie sont les seules montagnes que je sais escalader.
Je suis déconcerté par la volonté de l'ouïe de chercher dans les rumeurs venant du désert des festins arrosés de sueur et colorés d’oasis.
La détresse de l’empereur déchu voyant son dernier vassal se démener vers sa perte m’est maintenant familière.

*

Même si j’y suis né, je n’ai pas toujours vécu à Dakar. Dix-huit mois après ma naissance, je suis parti vivre les quatre années qui ont suivi à Kaolack. De cette dernière je garde certes des souvenirs, mais je peine à y identifier des états d’âmes, du fait de l’effroi qui me saisit dans cette rétrospective. C’est toujours avec effroi que je vois l’incrédulité contaminer chaque geste passé, que je m’assiste absorber une enfance à la saveur déteinte, que j’essaie de revivre ce qui est irrémédiablement perdu. Mon enfance me revient sous la forme d’une réminiscence, d’une autre vie qui interagit dans le présent sans que je ne sois pleinement conscient. Le passage par lequel j’y retourne est d’une longueur inouïe, j’aurais même qualifié ce parcours de prouesse si je n’étais pas le seul mis en cause, si je n’allais pas de moi à moi, si je ne me voilais pas la face — je le vois mais je ne le crois pas.
J’ai toujours espéré fixer ma vie dans un cadre spatio-temporel adéquat. J’ai toujours voulu me voir comme la progéniture d’un milieu, consciente de la maturité que lui confère les âges. J’ai toujours souhaité avoir en tête une chronologie illustrant, à la manière des schémas qu’on trouve dans les manuels, le cycle de mon développement. Il me manque cet esprit de synthèse qui embrasse les bouts de la vie, cette pendule capable du plus parfait parallélisme entre le passé et le présent, oscillant de l’un vers l’autre indiscernablement. Je n’ai désiré tout compte fait que l’impossible : vivre le passé comme une actualité et me souvenir du présent comme s’il s’était déjà écoulé.
Je me suis rapproché de la tradition comme l’on s'intéresse à une curiosité. Il m’est apparu qu’elle pouvait m’être utile dans ma quête de l’origine, du sentiment d’appartenance à une fratrie. J’ai très tôt su énumérer les noms de mes ancêtres ; à l’école je pouvais tirer une certaine satisfaction à raconter leur histoire. Cependant un gêne persistait lorsque je me mettais dans les rangs, lorsque je récitais ma leçon comme on narre un fait divers. Je n’étais rien d’autre que le témoin fictif d’une affaire dont je ne connaissais que les miettes. Je composais ma partition en me basant sur des résonances très pauvres, en les dénaturant. C’était très peu de chose pour me combler... J’étais déjà déraciné.
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Message  Invité Sam 29 Sep 2012 - 11:48

j'ai buté sur le mot "indiscernablement", que je comprends tout à fait mais qui fait lourd ici je trouve dans la tournure de la phrase.
cependant, j'ai lu ce passage en m'attachant au fond surtout. un sujet fort intéressant à creuser se dessine...qui m'est à la fois distant et familier. je continue à aimer, vraiment!

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Message  Invité Dim 30 Sep 2012 - 13:12

Le passage en italiques me fait l'effet d'être à la fois grandiloquent ("La détresse de l’empereur déchu voyant son dernier vassal se démener vers sa perte m’est maintenant familière.") et trop visiblement binaire dans l'expres​sion(inspiration/expiration ; actif/passif).

Pour le reste, j'ai relevé cette belle sentence : "Je n’ai désiré tout compte fait que l’impossible : vivre le passé comme une actualité et me souvenir du présent comme s’il s’était déjà écoulé."

Et ceci :
"C'est toujours avec effroi [...] que je m’assiste absorber une enfance à la saveur déteinte," peu clair et assez maladroit je trouve

Un oubli ici :
"Cependant un gêne persistait lorsque je me mettais dans les rangs,"

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Message  Sith Mar 2 Oct 2012 - 23:16

Spoiler:

Ce qui me frappe dans la tradition, c’est l’emprise qu’ont les défunts sur les vivants, c’est le commerce entretenu avec des fantômes, c’est cette forme d’existence sous le parrainage d’ombres. Les morts ne sont pas morts. Leur épitaphe déborde de leur pierre tombale. Ils assaillent à coups de proverbes la réalité, dictent chacun de nos pas comme si ces dernières étaient des syllabes. C’est pour ton bien, c’est pour ton bien, paraissent-ils dire, nous sommes passés par où tu es passé, nous sommes passés par où tu passeras, écoute-nous. Alors on écoute, peut-être nous sommes-nous brûlés un jour, un de ces jours où la voix ancestrale nous mettait en garde. Alors on écoute car on ne sait rien de la vie, on pourrait bien y passer la prochaine fois, la brûlure pourrait bien être mortelle la prochaine fois. Alors on écoute et nous devenons toute oreille, rien d’autre.
J’ai toujours pris l'enracinement pour une mutilation, pour l’abandon de cette partie de soi qui ne demande qu’à se heurter à la vie sans qu’il n’y ait d’intermédiaires. J’ai contesté la préexistence des défunts à l’aide ma seule chair. Je n’ai fait que sentir, me pincer comme l’on conjure un mauvais rêve. Même si celui-ci demeurait, je sentais mon intériorité intacte, je me sentais moins possédé que mes semblables qui n’hésitaient pas à servir de bouches aux échos. Et pourtant je me remettais en question : ma chair n’avait pas de voix, s’exprimait dans un langage incommunicable, électrique que pour ma seule personne. Je voyais mon entourage sourd, et voila que je découvrais que j’étais muet, que je ne vivais qu’en moi-même. J’avais cette envie pressante de dire, et je me rendais compte que pour m’exprimer il fallait que je meurs, que j’use des artifices qu’avaient légués les morts. Je vivais, oui, mais qui le saurait ; bientôt je quitterais ce monde sans que rien ne reste de moi. Sans doute devais-je être un médium, un spectre pour hanter les âges, pour dire. Sans doute devais-je me désincarner pour ma propre condamnation, et celle des autres.
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Message  Invité Mer 3 Oct 2012 - 8:40

J'aime et approuve cette réflexion sur le rôle des défunts.
J'apprécie aussi et surtout qu'elle soit nuancée en deuxième partie du deuxième paragraphe.
Comme dans les extraits précédents, l'analyse est fine et l'expression subtile, avec des phrases, des expressions bien décochées, par exemple : "je me sentais moins possédé que mes semblables qui n’hésitaient pas à servir de bouches aux échos. " ou "J’ai toujours pris l'enracinement pour une mutilation, pour l’abandon de cette partie de soi qui ne demande qu’à se heurter à la vie sans qu’il n’y ait d’intermédiaires. "
C'est très intéressant à suivre.

Deux petites choses à revoir ici :

J’ai contesté la préexistence des défunts à l’aide ma seule chair.

: ma chair n’avait pas de voix, s’exprimait dans un langage incommunicable, électrique que pour ma seule personne.



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Message  Sith Jeu 11 Oct 2012 - 3:33

Spoiler:


J’ai toujours espéré fixer ma vie dans un cadre spatio-temporel adéquat. J’ai toujours voulu me voir comme la progéniture d’un milieu consciente de la maturité que lui confère les âges. J’ai toujours souhaité avoir en tête une chronologie illustrant, à la manière des schémas qu’on trouve dans les manuels, le cycle de mon développement. Il me manque cet esprit de synthèse qui embrasse les bouts de la vie, cette pendule capable du plus parfait parallélisme entre le passé et le présent, oscillant de l’un vers l’autre indiscernablement. Je n’ai désiré tout compte fait que l’impossible : vivre le passé comme une actualité et me souvenir du présent comme s’il s’était déjà écoulé.
L’effroi ne me quitte plus lorsque ma mémoire essaie de passer outre Dakar, d'atterrir sur Kaolack, la région où s’est déroulée ma prime enfance. Il est sans doute de la nature du calvaire de se cheviller, de se poser sur les yeux comme s’il en était la prunelle - l’ailleurs aussi familier qu’il puisse être ne peut me parvenir que sous la forme d’un mirage. Cramponné à Dakar, sentant encore la balafre qu’elle ne cesse d’approfondir, je songe à retourner sur mes pas, à franchir la lisière qui la sépare de Kaolack. Me parviennent alors des rumeurs aussi réelles que des acouphènes, battant je sais de moi, mais moins réelles que la poigne de Dakar. L’éternité est peut-être du côté du calvaire, prédécesseur et successeur de ma vie pour toujours soumise à la hauteur de Dakar.
Je peine à me résigner, à accepter l’autorité sourde d’une simple ville. Peut-être lui manque-t-il la clarté, l’expression et ces vertus humaines que la tradition fixe pour chaque génération...Peut-être en demande-je trop. Car même à la tradition, je trouve des choses à lui reprocher. Peut-être je n’essaie que de m’affilier à moi-même, que de tendre vers une autonomie impossible.
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Message  Invité Jeu 11 Oct 2012 - 7:37

Bonjour, je viens de lire l'ensemble, d'un trait.
Une très belle plume, sans aucun doute, et de belles questions que se pose le narrateur, en prenant appui sur sa ville.
Hélas, je trouve que le poids de Dakar dans le texte n'est pas assez appuyé, presque tout ce qui est dit pourrait être évoqué avec une autre ville, et c'est dommage, parce que le texte, du coup, peut se lasser (c'est mon cas, désolé, tout en reconnaissant que c'est très bien écrit). Il n'y a finalement que le passage sur les morts et les ancêtres, excellent au demeurant, où j'ai trouvé l'Afrique, son essence. Ceci dit, je ne connais pas du tout ni Dakar ni l'Afrique, et je comprends que le texte n'est pas une visite guidée de la ville, n'empêche... Quelques phrases ou quelques termes pour nous faire entrer dans le cadre, ce ne serait pas de refus, monsieur !

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Message  Invité Jeu 11 Oct 2012 - 7:38

pssst, à part ça, je n'aime pas du tout le titre choisi : pourquoi ? Il est tout sauf idiot, ce texte...

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Message  Invité Jeu 11 Oct 2012 - 9:12

je suis toujours charmée par le dense bercement du style élégant (je me répète) de ce croquis.

cependant à la longue, c'est peu être un peu trop introverti au regard de l'action, il y a comme une lenteur à avancer. même si on comprend le poids de tout ce que la mémoire charrie dans son filet, et les questionnement à dénouer au présent. si le rythme reste le même le bercement va endormir.

"espace-temps" me semblerait convenir mieux à la première ligne

tu nous parles de choses profondes dont tu connais les facettes, les méandres, et on te suit parce que tu sais accrocher. mais pour que cela dure, et je dis ça parce que ça m'intéresse, il ne faudrait pas qu'un certain flou s'installe au détriment de précisions concrètes effectivement, qui permettraient au lecteur d'être invité à se sentir plus près en terre étrangère, pour mieux partager le propos.

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Message  Invité Jeu 11 Oct 2012 - 11:51

Très juste la remarque de Vincent concernant l'absence de poids, de réalité de Dakar comme entité propre.
J'ai l'impression que le texte dérive et met de plus en plus l'accent sur le seul narrateur, son malaise, ses questionnements, ses réflexions, et que Dakar ne sert plus finalement que de toile de fond à cette analyse.
Je ne sais pas ce que tu as en tête en rédigeant ce texte, si tu as réfléchi à son aboutissement mais moi en tant que simple lectrice, je me dis qu'il va bientôt falloir introduire de l'action afin que le récit rebondisse, il glisse déjà à mon avis dans une douce torpeur.
Ce qui n'enlève rien à la qualité de l'écriture comme déjà souligné.

Sinon, il me semble que dans les passages précédents, presque au début je crois, avait déjà été évoquée cette notion : "Je n’ai désiré tout compte fait que l’impossible : vivre le passé comme une actualité et me souvenir du présent comme s’il s’était déjà écoulé. "

Côté forme :

"Me parviennent alors des rumeurs aussi réelles que des acouphènes, battant je sais de moi," "je pense que "je sais" devrait être en apposition. Ou peut-être "battant de moi, je sais")
"Peut-être en demande-je trop" ("demandé-je")

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