Exo "Vers et prose" d’après Lyra will : C'est samedi

[Janis]

Il m'énervait.
Depuis deux heures que cette conversation inepte se poursuivait.

T'es où ?
Dans tes yeux
Non, mais je veux dire, en vrai ?
À des kilomètres.
Tu te fous de moi ?
Non ma biche.
Et le pain ? Et le vin ?
Je veux m'errer
contre toi.

Bon, je lui ai dit, tu te magnes, ils vont arriver.
Oui ma biche, je... il y a... pieds blessés...
Et T'ARRÊTE DE M'APPELER MA BICHE OK ?

Et puis
ton allure tremblante

Bon Jo, tu me gonfles, tu te pointes avec le pain et le vin, et tu la fermes, point barre.
Et un peu de bois pour le feu ?
Oh ta gueule.

Après, la soirée a été un fiasco.

Faut dire, je me méfie des gens qui ne boivent pas, ne fument pas
n'avalent pas deux litres de café par jour
ne se disputent jamais en public
ont des enfants qui réussissent
et toujours des mouchoirs sur eux.

Ils sont tout frais dans leur amour après trente ans de vie commune
se présentent enlacés et souriants
quand vous sortez à peine, pas maquillée, de la dispute conjugale
Vous faites bonne figure tandis qu'elle, mince et blonde, non merci pas d'alcool
et lui, ça te gêne si j'ouvre la fenêtre ?
Du tout, j'ai un bon toubib.

Est-ce que es là ?
Eéééh, les pronoms, tu connais ?
Vous dites ?
Rien, il est bourré.
n'importe quoi
Nous réglerons ça plus tard
à coups de hache
c'est toi qui, c'est moi qui
ça va saigner

Puis le plat est brûlé
la cuisine enfumée.
C'est délicieux, dit-elle en tentant de croquer dans le truc carbonisé, tu me donneras la recette ?
C'est simple
tu invites tes voisins avec qui tu n'as aucun atome crochu
à 19h, te disputes avec ton mari qui est à des kilomètres
20 heures ça sonne, tu t'occupes des invités, ça crame
C'est ça la recette.

Ah j'adore l'humour de ta femme !

Quand ils quittent la maison nous poussons un ouf
nous nous serrons brièvement dans les bras l'un de l'autre
grillons quatre ou cinq cigarettes à la suite
encrassant bien toute la maison
nous crachons dans la cour commune
balançons les boutanches vides, du verre partout
puis jetons nos mégots, les brindilles brûlent.

Vers une heure du matin, nous nous rappelons que le petit a classe demain
sans compter les deux heures de colle
Nous nous couchons en médisant
Tard dans le noir, nous persiflons
et c'est bon.

On est dans le lit.
Moi je veux m'errer contre toi
Oh poète de mes deux, je dis, tais-toi et viens là !

Spoiler:

[Lyra will]

Ahahah ! L'audace ! :0)

Arriver à en faire un truc riant et souriant... !

J'aime le "est-ce que es là", et puis l'urgence drôle du texte.
Le relirai demain matin pour la peine :0))

[Invité]

Ah ! L'incompréhension et l'agacement, entre ces deux ! Et puis somme toute, la tendresse, dans le poème comme dans le texte.
Et Janis, tu as réussi à traduire tout cela, tout en ajoutant la couleur particulière de ton univers ( je parle de tes textes en général).
Je relirai sûrement. J'ai aimé.

[Frédéric Prunier]

le poème de lyra flotte comme un point de suspension
et le texte de janis est puissant comme sabre judoka

les deux expriment une émotion
celle du désespoir
d'attraper ce putain de ballon gonflé à l'hélium
attiré par on ne sait pas quel soleil
que pourtant on lui dit qu'il ne l'attendra jamais
mais que y'a pas
faut qu'il y aille quand même


j'ai me les deux

[Phylisse]

C'est audacieux et malin ce que tu as fait, Janis ! Et tu m'as bien fait rire.

C'est complètement, comment dire, à l'inverse ? Et pourtant ça se rejoint. C'est très fort d'avoir su ainsi trouver le point d'accroche d'une situation pour nous offrir deux personnages aussi bruyants que ceux de Lyra sont silencieux, en quelque sorte.

Je ne sais pas si je m'exprime clairement, mais je crois que je ne saurais pas mieux faire ce soir.

Spoiler:

[Lyra will]

Ah oui, tout à fait, ton spoiler Phylisse !
Je m'étais faite la même réflexion.

[polgara]

nous avons d'un côté Lyra tout en délicatesse, finesse, non-dit .... et Janis avec sa hargne, sa violence et sa vision du couple. je pensais lire 2 choses différentes. Alors je m'y suis replongée, et .... oui, ça marche ! je crois que j'ai vu du coup le texte de Lyra d'une autre façon.
La classe, comme souvent avec tes textes.

[Invité]

Je suis fasciné par cette plume à la fois grave et légère qui en dit très long sur les qualités humaines de l'auteur.
Le contraste entre ta volubilité et la réserve de Lyra valorise les deux textes. C'est tout bon.

[Janis]

Il avait pas envie de rester sans ses copains, donc je le remonte et en profite pour remercier.

Je me suis bien amusée à l'écrire !
détournant je l'avoue quelque peu le propos de lyra

et si d'aucunes ont crû me lire en billevesées/causette c'est qu'en effet j'y ai pioché de mes bêtises, et que j'écris comme ça, ici ou ailleurs.

[Rebecca]

Bien vu le passage d'un poème tout en ellipse à un texte qui ne se fait pas prier pour tout révéler de la réalité concrète...
Souvent je pense à écrire une histoire avec un personnage qui dirait certaines choses oralement et entre parenthèses on verrait ses pensées exprimées très differemment. Parce que nous pouvons être la même personne et adopter dans le même temps deux façons différentes de penser et d'énoncer les choses.Tu m'as fait un peu penser à ça.
En mêlant vos textes plus intimement on verrait un personnage qui énonce les choses réalistes d'un point de vue poétique et le contraire. Un double climat . Trés interessant comme démarche, et qui fait réfléchir sur la littérature.
Un plaisir de lecture en tout cas.

[Invité]

L'exercice m'aura permis de découvrir ce beau poème de Lyra. Essayer de se rejoindre malgré les points de suspension, essayer malgré les poings de tension. A condition de s'errer. J'ai bien aimé les deux versions.

[Pascal-Claude Perrault]

Ah... Janis a un certain esprit. De l'esprit tout court, d'ailleurs, et ce talent qui lui permet de produire avec brio une déviation textuelle (euh, pas sexuelle, attention, je n'ai pas dit ça). Pas facile. J'applaudis.

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