Exo "Vers et prose" d'après Marvejols : Les dieux olympiques

[Frédéric Prunier]

Spoiler:

- Ulysse, je crois que ta mère t’appelle.
- P’tain, c’est pas vrai, si ça continue, je vais louper le départ. Allez-y, je vous rejoins. On se donne rendez-vous au stade ?
Ulysse remonta en quatrième vitesse les escaliers du parc où l’attendait Anticlée.
- Maman, qu’est-ce qu’il y a encore ? Tu sais bien que je suis engagé cette année pour le demi marathon. Le rendez-vous est au stade et j’ai juste le temps de m’y rendre.
- Ulysse. Combien de fois t’ai-je répété de ne pas aller courir tout nu au soleil sans t’enduire d’huile d’olive, tu sais pourtant que tu as la peau fragile. L’année dernière, quand tu es rentré de la course des demi-dieux tu ressemblais à un piment d’Espelette. Je voulais te rappeler aussi de ne pas te fier à ton sens de l’orientation, ta myopie et ta surdité sont un réel handicap pour te repérer dans la nature, ne l’oublie jamais.
- Oui Maman, je sais bien tout cela, te me l’as répété cent fois.
- Bon, dernière chose. Cette année, parmi les concurrents, il y a un petit nouveau, Héraclès. Rappelle-toi bien ce nom. Tu évites de le défier dans les épreuves de force, on raconte qu’il est monstrueux. Et surtout, s’il est devant toi pour le demi marathon, tu ne le suis pas. Compris ? Il est peut-être fort comme un dieu au jeu de la lutte, mais il a un pois chiche à la place du cerveau. Alors si vous vous perdez tous les deux, Homère, seul, sait ce qui pourrait vous arriver.
-Homère ?
- Tu ne le connais pas ? C’est le nouveau secrétaire de ton père. Il me tire aussi les cartes pour me prédire un peu l’avenir.
- Ah bon.
- Autre chose, au javelot, tu évites de te retrouver derrière le fils Pelée
- Le brésilien ?
- Non, le mari de la Thétis. Leur fils Achille s’est inscrit cette année. A l’entraînement, il a failli se transpercer le talon avec sa lance parce qu’il avait le lacs* complètement emmêlé. Celui-là aussi, il est fort comme un dieu, mais bête comme son pied.
- Ne t’inquiète pas, lors des inscriptions, je me suis souvenu de tes conseils. Par exemple, pour la lutte, j’ai choisi mon adversaire, ce sera Périclés. Il me paraît plus attiré par les arts que par les épreuves de force. En plus, avec lui, j’économiserai sur l’huile d’olive, tu n'as pas idée combien il s’en beurre la tartine.
Anticlée sourit tendrement à son fils. Qu'il était mignon et économe. Ulysse savait combien elle était inquiète, comme toute les mamans du monde. Malgré son envie de courir rejoindre ses camarades pour la grande aventure, il lui offrait ces quelques instants de paroles déjà maintes fois rabâchées, pour la rassurer de ses peurs, celles qui n'évitent pas le danger:
- Et pour le javelot, je suis au courant pour la maladresse du petit Achille, j'ai déjà prévu d'éviter de me trouver sur le stade au moment de son lancé. De toute façon, je fais un peu l’impasse sur cette épreuve, je ne peux pas lutter contre Phrygias, ce sera sûrement lui le vainqueur. Je n’ai pas la prétention de manier le dard comme lui. Faut déjà en avoir dans le cuir pour envoyer autant de jus en se tirant sur le javelot (du lac ?) !!! (scuse Marve, j’ai pas pu m’empêcher)
Antiné rougit presque. Ah! Cet Ulysse! Quel esprit! Ses réparties la surprenaient toujours. Elle se demandait parfois si son garçon n'était pas un surdoué. Il faudra qu'elle en parle à Homère. Pendant ce temps, Ulysse continuait à lui racontait toute la stratégie qu'il avait imaginé pour cette année encore, remporter le trophée:
- Je mise beaucoup par contre sur la nouvelle épreuve, l’envoi de la pierre plate. C’est le foyer des jeunes travailleurs qui l’a proposée. Nous avons pu concevoir ce nouveau jeu au mieux de nos intérêts, poids, taille, tout à été pensé et calibré. Comme je fais partie du bureau,j’ai même donné un nom pour désigner ce nouveau sport. J’ai pensé à notre petite chienne « frizbie », c’est joli non ? Mais on hésite avec le chat d’Agamemnon, qui s’appelle « disquette »…

Ulysse, comme à son habitude, perdait toute notion du temps quand il commençait à romancer ses explications. La bonne Anticlée écoutait son fils bouche bée. Elle était tellement heureuse de l'intelligence de son petitou, même si, disait-elle, elle avait bien conscience qu'il était parfois un peu distrait. Elle expliquait ses étourderies par sa myopie et sa surdité. Elle était comme toute les mères. Et même si cette année encore, elle savait déjà qu'il se perdrait pendant la course d'orientation et le demi-marathon, elle lui trouverait toujours une excuse et serait là pour l'attendre et le consoler à son retour.
On entendit au loin les sirènes annoncer le départ imminent de l’épreuve. Ulysse embrassa sa mère, fit un petit signe amical à Homère, le secrétaire de son père, qui tout justement, sortait de la maison pour demander à sa maîtresse s’il pouvait l’aider à l’entretien de son petit ménage (…) Ulysse donc, à l’appel des jeux et de la gloire, disparut bientôt et alla rejoindre en courant son destin.
Anticlée sentit une petite larme couler sur sa joue. Homère s’en émut et s’approcha pour mieux la consoler. En se retournant vers lui, elle regarda vers le petit salon qui se trouvait à l’opposé de la terrasse, là où elle avait pour habitude de broder quelques menus ouvrages.
- Oh ! Mes dieux ! dit-elle affolée. Son arc, il a oublié son arc….

(* le lacs est un lacet de cuir, une sorte de fronde, permettant d’envoyer la lance à plus grande distance. Ce mot désigne aussi différents lacets, collets, garrots..)

[Invité]

Ce texte est un monument d'humour. Bien écrit, en plus !
Pelée, le brésilien ! :-)))

[polgara]

Frédéric, vous êtes génial. j'ai beaucoup ri, puis j'ai ri et enfin j'ai pleuré, mais à chaudes larmes. ce n'est pas constructif comme commentaire. tant pis !

[Invité]

Jubilatoire à plusieurs titres
Le texte en lui même est un petit bijou avec des anachronismes à la Goscinny.
S'y ajoute l'effet de surprise. Tu sors brillamment de ton registre habituel.
Bon, j'arrête de causer car j'ai hâte de le relire.
Merci pour ce bon moment.

[Invité]

Formidable !
Texte hautement savoureux. J'ai bien ri. Merci Frédéric.

[Phylisse]

Excellent !!! Quelle imagination !

J'adore ces transpositions, ce décalage dans le temps avec ses héros dont on connait (ou à peu près) l'histoire. Le récit est à la fois émouvant et drôle, les personnages deviennent vite attachants parce que le lien que tu as créé est évident dans le langage utilisé, j'y étais, j'aurais aimé que ça continue. Une suite ? Non, peut-être pas, l'effet de surprise est formidable, et c'est bien ainsi sûrement.

Très jolie surprise, Frédéric, j'aime décidément beaucoup ce que tu écris en prose.


(ah l'origine du fresbie ! Et ce "Mes Dieux !", je vais le tenter au bureau dès demain, et tant d'autres trouvailles que j'ai aimées)

[Janis]

Ah l'espièglerie !
Moi qui ne goûte guère les longues suites dialoguées, je ne me suis pas ennuyée une minute à te lire, et j'ai souri tout le long.
C'est vrai, la prose te va très bien, et le décalage est fort réussi !

[Rebecca]

Je me marathon marre à ton jubilatoire sens de l'épopée
La mite au logis mythologie version loufoque muscle bien les zygomatiques je confirme

[Invité]

Les dieux des Jeux vous ont inspiré des jeux divers! Syntaxe un peu bridée, humour débridé... Les Jeux sont à l'honneur.

[Pascal-Claude Perrault]

Voilà du Fred Prunier tout craché. De la fantaisie et tout et tout.
M'a bien distrait.
Il semblerait que Frédéric Prunier soit un écrivain... Qui ne produit pas d'écrits vains.

[AliceAlasmartise.]

Un joyeux détournement du texte original !
On rit du début à la fin, et la tendresse d'Anticlée est touchante.

Surtout qu'Ulysse était un peu malpoli sur les bords et sacrément étourdi !

[Contenu sponsorisé]