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Mémé Lhirondelle

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Message  Raoulraoul Dim 7 Oct 2012 - 9:36

Mémé Lhirondelle
On gravit la rue du Champ des Oiseaux. On frappe à la porte d’une maison ordinaire. Madame Lhirondelle vient vous ouvrir. C’est le nom de la dame. La soixantaine. Une figure ronde avec des yeux doucement pervenche comme des billes. On rentre dans la cuisine. Il fait très sombre et c’est merveilleusement beau.
Sur la tablette de la cheminée des boîtes en fer, des vieilles photographies, et d’autres bibelots d’aucune valeur. Devant la fenêtre il y a une petite table. Sous la petite table, il y a un cheval de bois à bascule. On regarde le cheval à bascule et on se dit qu’un enfant doit être roi dans cette maison-là.
Un gros poste de TSF trône dans un autre coin de la pièce. Sur la grande table centrale da la cuisine, la lampe du plafond descend très bas. Elle fait sur la toile cirée comme une tache de soleil.
On voit une porte vitrée qui ouvre sur le jardin. On aimerait aller se perdre dans le minuscule jardin. Mais ce n’est pas encore le temps de voyager dans le jardin.
On voit aussi une autre porte. On ne sait pas sur quoi elle s’ouvre puisqu’elle est fermée. C’est une porte de bois que madame Lhirondelle n’ouvre jamais. On se demande pourquoi. On imagine de terrifiantes histoires qui se cachent derrière la porte. On a très peur de découvrir ces histoires.
On préfère grimper l’escalier qui conduit au premier étage. Il y a les chambres. Il y a sûrement la chambre de l’enfant. On voit la chambre mais il n’y a pas d’enfant. On remarque la tapisserie avec de larges plaques d’humidité. Les larges rayures sur la tapisserie font comme les barreaux d’une cage. On contemple le lit en fer avec ses boules dorées. Par les fenêtres on aperçoit les branches des platanes. L’hiver, on dirait des moignons de manchot. Ils frappent aux carreaux gelés.
A l’autre bout du couloir, il y a la chambre de madame Lhirondelle. Elle dort avec son mari. On ne peut s’imaginer comment madame Lhirondelle dort avec son mari. Elle doit envelopper son mari, car madame Lhirondelle enveloppe tout de son amour. Surtout avec ses yeux, qu’elle pose sur vous avec tant de patience. On n’oserait pas rentrer dans la chambre de madame Lhirondelle. Il y a peut être des meubles en bois très massif qui craquent durant la nuit. Comme le vieil escalier qu’on doit redescendre maintenant.
Madame Lhirondelle est penchée au-dessus du bac à vaisselle. Lorsqu’elle frotte les assiettes et les casseroles sa longue jupe sur son gros derrière danse la samba. On est rassuré à la voir ainsi. On comprend que c’est elle qui fait marcher la maison. La modeste maison.
Pour vivre madame Lhirondelle élève des enfants en nourrice. Un enfant arrive du jardin. On lui demande ce qu’il faisait au jardin. Le jardin, c’est une allée de pierres qui se termine dans le fond du jardin. L’allée conduit à une cabane de bois avec un losange découpé dans le haut de la porte. On admire autour les plants de rhubarbes qui déploient leurs feuilles charnues. De chaque côté de l’allée poussent de maigres légumes. Il y a le coin des fraises et des radis. L’enfant surveille si tout le monde se porte bien dans le jardin, sous la pluie, sous le soleil, la nuit quand le froid vient s’allonger dans le jardin, et qu’il écrase le potager jusqu’à l’heure du premier chant des oiseaux. L’enfant revenant du jardin a les mains noires de terre. L’enfant a enfoncé ses doigts dans la terre grasse et longtemps sous ses ongles la terre se rappelle à lui. Madame Lhirondelle ne gronde pas l’enfant. Le jardin c’est le pays d’aventure. C’est le pays où l’enfant pose ses premières questions.
— Pourquoi les limaces continuent-elles à bouger quand on les coupe en plusieurs morceaux ?
Et puis l’enfant va se laver sous le robinet.
Parfois madame Lhirondelle sort de la maison pour faire des courses. L’enfant se retrouve seul. Ou presque. On le surprend en train de savoir ne pas quoi faire. On le voit interroger du regard les objets sur les étagères, au-dessus de la cheminée. Il y a une paire de vases en cuivre brillant. On a dit à l’enfant que c’était des obus de la grande guerre 14-18. Il y a une boîte carrée avec un petit tiroir et une manivelle. C’est un moulin pour moudre le café. Il y a un homme cloué sur une croix. C’est Jésus. Il y a des images avec des ciels tout bleu et des arbres géants au bord de la mer toute verte. Ce sont des cartes postales de pays lointains.
Et aussi il y a une porte qui ne s’ouvre jamais. C’est le moment de l’ouvrir, pense l’enfant. Il tourne la poignée. Elle fait le bruit d’une souris qu’on égorge. La porte s’ouvre de quelques millimètres. L’enfant a le temps d’apercevoir un rayon de soleil qui illumine la pièce obscur. Et des odeurs de fruits, de pommes, de fleurs qui s’échappent comme d’un coffre magique. De belles couleurs étincellent dans le rayon de lumière. Il y des trésors entreposés. Mais quels trésors ?
— Hé petit, qu’est-ce que tu fais ?
Une voix a parlé. C’est le mari. Il est assis devant la cheminée. Il est toujours assis devant la cheminée, dans la cuisine. Il est tellement assis à longueur de journées, qu’on pourrait ne plus le voir. Il ne parle pas. Sauf pour dire l’essentiel. L’essentiel selon lui.
— Referme cette porte petit, si mémé te voyait !
L’enfant s’approche du mari.
« Comment il a fait pour me voir ? se demande l’enfant. Mémé m’a dit que pépé il était aveugle. »
L’enfant regarde les yeux du pépé. Deux lamelles blanches sous ses paupières rouges.
— Tu triches pépé ! Quand mémé n’est pas là tu vois très bien !
Le vieil homme rigole. Il saisit la cruche et se remplit un verre de cidre.
— J’entends le monde, mon petit. Et il ne tourne pas bien rond.
— Comment tu fais pour entendre le monde pépé ?
Le vieil homme tend le doigt vers l’escalier. Sous l’escalier un œil vert est allumé.
— C’est de là que j’entends le monde, il dit.
L’enfant sait que sous le renfoncement de l’escalier loge un gros poste. C’est la radio. Le vieil homme tire un couteau de sa poche. Il épluche une pomme qu’il a choisie en tâtonnant dans le panier.
— Qu’est-ce que tu vois encore, pépé ? Dis le moi !
— Le jardin. Quand il fait soleil. Je vois aussi l’odeur des fleurs, et du buis au fond du jardin. — Le buis qui sent fort le pipi ? s’exclame l’enfant. Et la soupe, la soupe de mémé tu la vois aussi ?
— Oui, je la vois, répond tristement le vieil homme.
— Sauf que tu baves, pépé, quand tu manges ! Et les lettres, tu vois les lettres de l’alphabet dans ta soupe ? Moi j’arrive à écrire des mots, avec les lettres dans ma soupe. Toi, tu ne peux pas !
— Hé hé, c’est parce que je ne sais pas écrire mon petit ! Tiens, mange un morceau de pomme.
L’enfant avale le quartier de pomme que le vieil homme a délicatement coupé. Puis après un long silence l’enfant demande timidement :
— Pépé… tu sais ce qu’il y a derrière cette porte ?
— Bien sûr…
Mais le vieil homme ne dit plus rien. Il se tourne vers la TSF, appuie sur le bouton et une chanson suave remplit l’espace de la cuisine : Marjolaine, toi si jolie, Marjolaine le printemps fleurit… Dans une rue pleine de brouillard, un inconnu sur sa guitare… L’enfant fonce sous la petite table devant la fenêtre et enfourche le cheval à bascule. « Hue, hue ! » Il fait un boucan du tonnerre. Caracole à toute allure. Le cheval bascule à se rompre sur le carrelage. L’enfant est plus fier que Zorro, plus intrépide que d’Artagnan, plus héroïque que le chevalier Bayard. Mais un mystère le tourmente, qu’aucune chevauchée ne saura résoudre.
Le soir il mange sa soupe. Madame Lhirondelle a ramené du pain d’épice et du chocolat Poulain. Les bûches flambantes de la cheminée creusent davantage les orbites blanches du vieux mari. On ne dit plus rien. C’est l’heure des informations. L’œil vert de la TSF s’écarquille dans l’ombre sous l’escalier. On va devoir se coucher. On va devoir affronter l’immense solitude de la nuit. On ferme à clé la porte du jardin. On tourne le verrou de la porte sur la rue. On tire les volets de la cuisine. On gravit doucement les escaliers. On emporte une bouillotte chaude à glisser dans le lit.
L’enfant ne s’endort pas. Il compte les rayures de la tapisserie. Le lampadaire de la rue jette une lueur sur les murs. L’ombre remuante des arbres apporte ses fantômes. Il y a d’autres lits vides dans la chambre. Des lits sans enfant. Des lits avec lesquels on ne peut pas causer. Des lits sans chaleur. L’enfant tête sa couverture de laine. L’enfant rêve à son cheval de bois. Il n’a pas oublié de le ranger sous la table. Il lui a chuchoté à l’oreille des secrets. Dans le fond du lit la bouillotte est brûlante. Les pieds se réchauffent, comme sur un petit cœur de caoutchouc. Une mobylette passe au loin. Elle fait un hurlement de loup.
Dans le jardin les légumes et les fleurs se rétractent sous la morsure du gel. Mais madame Lhirondelle demain ira cueillir la rhubarbe pour préparer des confitures. On entend des paroles dans la nuit. On entend seulement les adultes qui se disent la nuit ce qu’ils taisent dans le jour. Monsieur Lhirondelle parle à sa femme avec lenteur.
Il est le seul à voir dans la nuit.



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Message  Invité Dim 7 Oct 2012 - 10:54

Belle chute.
Et à part l'histoire du cheval sous la table basse difficile à visualiser, en particulier dans cette phrase : " L’enfant fonce sous la petite table devant la fenêtre et enfourche le cheval à bascule. « Hue, hue ! » " ; et à part l'effet de répétition vraiment trop voyant ici (alors que moins gênant plus loin) : "On voit une porte vitrée qui ouvre sur le jardin. On aimerait aller se perdre dans le minuscule jardin. Mais ce n’est pas encore le temps de voyager dans le jardin. " - à part cela donc tout est bien, très bien, avec de beaux passages :
"Il y a une paire de vases en cuivre brillant. On a dit à l’enfant que c’était des obus de la grande guerre 14-18. Il y a une boîte carrée avec un petit tiroir et une manivelle. C’est un moulin pour moudre le café. Il y a un homme cloué sur une croix. C’est Jésus."
Ou encore : " On ne peut s’imaginer comment madame Lhirondelle dort avec son mari. Elle doit envelopper son mari, car madame Lhirondelle enveloppe tout de son amour. "

Un texte au tissu riche, délicat, nuancé (" Il y a peut être des meubles en bois très massif qui craquent durant la nuit.")
Un texte comme un masque. Des mots pour cacher plus que pour montrer ou dévoiler ; j'ai l'impression que plus on lit, moins on sait, plus l'ambiance est opaque, impénétrable sinon complètement ténébreuse.
"Il est le seul à voir dans la nuit.", eh oui !


-On est rassuré à la voir ainsi. ("de")
-On admire autour les plants de rhubarbes qui déploient leurs feuilles charnues.
-On le surprend en train de savoir ne pas quoi faire. ("de ne pas savoir quoi faire" sonne mieux)
-Il y a des images avec des ciels tout bleu ("des ciels tout bleus")
-L’enfant a le temps d’apercevoir un rayon de soleil qui illumine la pièce obscur. ("obscure")
-Il est tellement assis à longueur de journées,
-— Qu’est-ce que tu vois encore, pépé ? Dis le moi ! ("Dis-le")
-L’enfant tête sa couverture de laine. ("tète")

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Message  Invité Dim 7 Oct 2012 - 11:07

- Sur la grande table centrale da la cuisine,

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Message  Invité Dim 7 Oct 2012 - 17:30

Je trouve ce texte riche d'observation et de tendresse. J'y suis, je m'y vois et j'en suis émue.
Tu nous fais pénétrer dans un intérieur un peu vieillot et modeste.
Tu décris ce milieu d'une façon un peu enfantine, avec les détails adéquats, on ne s'ennuie pas du tout.
Tu nous fais partager ton empathie pour tes personnages, et puis, il y a ce mystère, qui reste entier, de la porte qu'on n'ouvre jamais... J'ai beaucoup aimé tout ça, malgré les coquilles relevées par Easter. Merci pour ce plaisir de lecture.

Toutefois, il me semble que si tu t'étais relu attentivement, tu aurais vu que 15 fois le mot "jardin" (je t"assure, je les ai comptés) dans un texte de cette longueur, c'est un peu beaucoup, non?

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Message  Invité Lun 8 Oct 2012 - 19:42

Ah moi j'aime beaucoup beaucoup ce en train de savoir ne pas quoi faire , qui n'a pas du tout le même sens que de ne pas savoir quoi faire !
Un superbe texte plein de creux et de déliés, où par moment on se demande si (et la répétition du "jardin" n'y est peutêtre pas pour rien...)bref, un texte subtil et vraiment séduisant !

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Message  Invité Mar 9 Oct 2012 - 10:49

j'ai aimé l'atmosphère de ce récit aux couleurs de vieux film des années 70, et aux odeurs d'épices et de potage des anciennes cuisines familiales, comme chez mémé.
c'est à la fois tendre et un peu froid.
le titre est très chouette.

"Je vois aussi l’odeur des fleurs, et du buis au fond du jardin."
"Dans le jardin les légumes et les fleurs se rétractent sous la morsure du gel."

ces tournures me plaisent.

je ne sais pourquoi je retiens de ce tout une impression de manque, le froid que j'ai cité plus haut vient de là, en fait on n'a pas la réponse, c'est peut être pour ça: qu'y a t il derrière la porte. quelque chose plane de pas résolu.
ou alors j'ai mal lu.


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