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La marche d'un voyou

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La marche d'un voyou Empty La marche d'un voyou

Message  Raoulraoul Dim 14 Oct 2012 - 16:11

La marche d’un voyou
Puis la porte s’est refermée lourdement derrière lui.
Il a pensé si fort « Je suis dehors » que peut-être tout seul avait-il parlé. Son corps était droit dans la lumière comme irradié par le soleil, ne sachant où se diriger. La place était déserte. Puis l’homme s’est engagé sur l’avenue Jean Bart, celle qui conduit vers la plage. Sa marche était étonnamment souple. A ses pieds il portait des baskets. Son costume de flanelle à rayures n’était pas de saison. Sa chemise était sans cravate. C’était un homme qui avait vécu longuement en dehors du temps.
Aujourd’hui il affichait un sourire qui se retenait pour ne pas devenir un cri à cause de toute cette liberté sous le soleil. Debout devant la mer, l’homme n’a pas voulu s’asseoir. Il lui semblait que s’asseoir l’aurait à nouveau rendu captif. Alors il a marché sur le sable pendant une durée indéterminée. Ses baskets laissaient l’empreinte d’un homme que rien n’arrêterait plus. Puis la mer trop bleue a fait cligner ses yeux. Il a plissé le front et doucement sans hésitation il est revenu dans le cœur de la ville. Il a traversé le riche quartier des magasins, croisé le regard des belles femmes, sans l’once d’un désir. Dans le quartier des affaires et des banques les self-made-men aux chaussures en croco et aux montres Rollex n’attiraient plus son attention. Même les bagnoles, ah les bagnoles ! Il a jeté un œil sur le pli impeccable de son pantalon et cela l’a réconforté.
Assez vite il s’est retrouvé à la périphérie de la ville. Le boulevard des Fauvettes qu’il connaissait bien. La brasserie faisait toujours l’angle avec la rue de Dunkerque. D’un geste lent il a poussé la porte et a pris place sur les banquettes en skaï. De cet endroit il pouvait observer le patron derrière son bar. Toujours le même. Puis un garçon s’est approché pour prendre la commande. « Un pisco double et bien glacé. » a dit l’homme. Quand le patron a versé le pisco dans le verre il a levé la tête vers le client. Très peu de gens par ici buvait du pisco. Découvrant son client, le patron est devenu blême. Il a saisi le plateau du garçon et lui-même est venu servir le pisco à l’homme.
— Alors maintenant tu es dehors, Holtz ? a marmonné le patron.
— Comme tu vois, mais je ne t’en veux pas, a répliqué l’homme aussitôt comme pour rassurer le patron. Puis il a porté le verre de pisco à ses lèvres avec une gourmandise d’enfant. Après un gorgeon délicieux il a regardé le patron confusément en disant :
— Il y a si longtemps que je n’avais pas bu un pisco si frais.
— C’est ta vieille bouteille Holtz. Personne n’y a touché depuis, tente d’expliquer le patron avec un rictus patibulaire.
— Parfait. Tu peux me le compter sur l’ardoise. Je n’ai pas d’argent.
— C’est offert par la maison, Holtz. Offert, offert ! Tu comprends Holtz ? Ce n’est pas moi qui t’ai dénoncé !
Puis le patron a fait volte face sans pouvoir contrôler le tremblement qui le faisait vaciller en rejoignant le bar. Sans doute Holtz a regretté le frisson de culpabilité qu’il avait suscité chez le patron. Pensivement il a terminé son verre de pisco et a quitté la brasserie, sous l’œil terrorisé du patron.
Le soleil était haut, les gens dans la rue respiraient un air de promenade. Holtz s’est joint à eux avec la même insouciance. Ce n’est qu’aux alentours de l’hippodrome que Holtz s’est surpris à reconnaître l’endroit. Désormais sans plus réfléchir, un souvenir opaque orientait ses pas. Un immeuble modeste se dressa bientôt devant lui. Sans effort il se rappela du numéro de l’escalier et de l’étage. Il a préféré prendre l’escalier pour savourer chaque marche qu’il gravissait, une boule chaude lui rongeant la poitrine au fur et à mesure de son ascension. Avec la fluidité du danseur, il a atteint le palier et le bouton de sonnette qu’il enfonça trois fois de suite. Une femme a ouvert, jeune, mais déjà fanée. Holtz est entré, s’introduisant dans le couloir sans brusquerie. La jeune femme a immédiatement disparu. Dans la cuisine ronflait le tambour d’une machine à laver. Une femme âgée alors est arrivée, imposante et sévère, au fond du couloir. Derrière elle la fille fanée se dissimulait en pleurnichant.
— Qu’est-ce que tu viens fiche ici ? a glapi la grosse femme.
— Je viens dire bonjour à Anna, a dit Holtz.
— Salopard, tout le monde t’a oublié ici !
— C’est de l’histoire ancienne, tout ça. Maintenant je suis quelqu’un de bien.
Et d’un ton plus tranquille mais résolu il a poursuivi :
— Je veux demander pardon à Anna.
La femme qui pleurait a alors éclaté en sanglots en s’enfuyant dans la cuisine.
— Fous le camp Holtz ! Rien n’a changé en toi ! a beuglé la vieille femme.
— Pourrais-je récupérer mes affaires ? Avoir du linge propre ? a dit précipitamment Holtz. Peut-être le bruit de la machine à laver lui avait-il soufflé cette incongruité.
— On a tout jeté Holtz. Pour Anna tu n’existes plus ! a martelé la vieille, son ombre gigantesque sur les murs du couloir. Anna pleurait toujours dans la cuisine. Le rythme assourdissant de la machine à laver faisait trembler les meubles. Holtz n’avait plus envie de sourire. Une aphasie brutale l’avait pétrifié.
— Ca va mal se terminer pour toi, Holtz ! a grondé alors la vieille, une paire de ciseaux pointus dans le poing, qu’elle brandissait méchamment.
Holtz a reculé cherchant encore Anna dans la cuisine, dont il ne voyait que la longue chevelure grasse et platinée qui lui couvrait le visage. Résigné, il s’est retourné vers la porte et il est parti. Dans l’ascenseur il a senti une partie de lui-même qui le quittait et qui était restée là-haut dans cette cuisine au ronflement de machine et aux cris de femme. Dans le hall d’entrée de l’immeuble il a regardé l’interminable rangée de boîtes aux lettres. Son cœur a sursauté quand sur l’une d’elle il reconnu le nom de « Anna Holtz ».
Puis avec la célérité d’un chat il regagné les allées tièdes de la cité. Hotz pensait aussi que le plus grand malheur était de ne plus espérer au renouveau de l’avenir. Il s’est plongé dans l’admiration de la verdure des arbres et la déambulation paisible des habitants du quartier. Durant l’après-midi il a continué de marcher, s’enfonçant de plus en plus loin dans la banlieue. Les immeubles devenaient impersonnels. Des zones non aménagées aux monticules de terre et débris de toutes sortes fracturaient le paysage. Des îlots de vie ça et là surgissaient comme un besoin de résistance contre la sinistrose qui se répandait dangereusement.
Puis à la tombée de la nuit Hotlz a assisté malgré lui aux minables petits faits divers qui occupaient la population ici. Des gamins en mobylette qui arrachaient le sac d’une femme sur le trottoir, un élève rentrant de l’école se faisant racketter son blouson, et aux abords d’un chantier une bande de garçons qui encerclait une fille seule leur vomissant des injures. Holtz a regardé ces méfaits, se reprochant d’être là à ce moment là. Il croyait lire dans les yeux des passants une accusation irrémédiable qui le condamnait.
La journée était sur le point de s’achever lorsque Hotlz grattant le fond de sa poche trouva quelque monnaie. Cela lui a suffi pour payer le bus qui le ramena vers la ville. Ce matin il avait franchi la lourde porte blindée en criant sa joie d’être dehors. Quand la nuit tombe, ce soir, il est à nouveau devant la même porte. Quel crime avait-il commis aujourd’hui ? Le patron de la brasserie craignait des représailles à cause de son témoignage douteux. Anna rejetait le pardon de son mari. La violence dans les cités était de la responsabilité de tout le monde. Alors Holtz se dit qu’il existait une prison invisible aux murs encore plus épais que celle de l’administration. Une prison en soi, où chacun se renferme, par peur, et la honte de la peur qui se transforme en haine.
C’est à minuit que Hotlz s’est décidé à frapper la porte de la prison. Il a frappé pour y trouver refuge contre les crimes sans faute des hommes. Il a frappé pour que quelqu’un lui ouvre. Une voix nasillarde seulement lui a répondu par l’interphone « Vous êtes libre monsieur Holtz, depuis ce matin. Libre ! Bonne chance monsieur Holtz ».
Alors Holtz cette fois a pris délibérément la direction de la plage, ses baskets à la main, car ses pieds étaient trop meurtris. Il a regardé longuement la mer qui n’était plus qu’un gouffre affreusement noir. Il y entendit mugir les hurlements sans amour d’une femme, qu’il avait pourtant tellement aimée…
Holtz, là, s’est enfin arrêté de marcher.


Raoulraoul
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Message  Invité Dim 14 Oct 2012 - 17:53

dernière tranche de "série noire", en suivant les pas de ce personnage finalement pris au piège dans un élan brisé, auquel on peut donner un regard perdu à la Patrick Dewaere.
on comprend la situation dés la première phrase, efficacité impressionnante de l'entrée en matière.
un homme certainement lui aussi jeune et déjà fané, en milieu hostile, mais qui a quelque chose d'enfantin face à cette seconde chance.
alors forcément, c'est cruel.

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Message  Invité Dim 14 Oct 2012 - 20:10

J'aime bien que la première phrase commence par "Puis", ça me plaît beaucoup comme entrée en matière.
On comprend en effet assez vite de quoi il retourne, ça aussi c'est bien, confortable, reposant d'une certaine façon.
Après, et même si je ne suis pas personnellement d'accord, la résignation du personnage est bien rendue, la scène de la fin à la porte de la prison cruelle, violente même dans sa crudité (au sens de brute, sans affèterie).

Sur le plan de la forme, il y a des bricoles et parfois des incertitudes quant aux temps, avec une hésitation entre la passé composé et le passé simple, et aussi le présent dans un ou deux cas.
Voici :

Très peu de gens par ici buvait du pisco. ("buvaient")

— C’est ta vieille bouteille Holtz. Personne n’y a touché depuis, tente d’expliquer le patron avec un rictus patibulaire. (les verbes précédents sont au passé composé)

Sans effort il se rappela du numéro de l’escalier et de l’étage. Il a préféré prendre l’escalier pour savourer chaque marche qu’il gravissait, (ce serait bien d'uniformiser les temps ici + "il se rappela le numéro de l'escalier...)"

Hotz pensait aussi que le plus grand malheur était de ne plus espérer au renouveau de l’avenir. (manque le "l" ; je trouve la bizarre la construction du verbe "espérer" ici peut-être "espérer un renouveau" ?)

se reprochant d’être là à ce moment là. (ce moment-là)

La journée était sur le point de s’achever lorsque Hotlz grattant le fond de sa poche trouva quelque monnaie. Cela lui a suffi pour payer le bus qui le ramena vers la ville. (comme précédemment, choisir entre les deux temps).



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Message  Louis Mer 17 Oct 2012 - 15:57

Un homme peut-il changer ?
Le texte apporte des éléments de réponse à cette question.
Le personnage, Holtz, sort de prison. Il se veut un autre homme. Il pense avoir changé, et n’être plus ce voyou qu’il a été. Je n’est-il pas un autre, comme l’affirmait Rimbaud ?
Sa première démarche est solitaire, sans présence d’autrui, au bord de la mer, dans une seule présence de soleil, de sable et d’eau ; elle est souple, légère, comme délestée du poids d’un passé. La progression sur la plage accomplit dans l’espace son évolution dans le temps : il a changé, il est un autre homme, il est allé de l’avant et poursuivra sa mue résolument : « Ses baskets laissaient l’empreinte d’un homme que rien n’arrêterait plus. »
La confiance dans sa métamorphose et dans cette liberté nouvelle retrouvée, hors des portes de la prison, hors des grilles de son passé, ne se maintient que le temps de sa solitude, elle est ébranlée dès qu’il entre en relation aux autres.

En rentrant dans la ville, il se sent délivré du désir d’appropriation des objets de luxe, « chaussures en croco », « rollex » ou « bagnoles » qui le tentaient autrefois. Pas de désir non plus des « belles femmes ». Voilà qui le confirme dans la croyance en son changement.
Mais il va se confronter à son passé et revoit d’anciennes connaissances, et d’abord le patron d’un bar où il va prendre place. L’homme n’a pas changé, « Toujours le même ». A ses yeux, Holz non plus n’a pas changé, il reste le voyou dangereux et menaçant qu’il était autrefois. Le regard terrorisé du patron le renvoie brutalement à son passé de voyou. Sous ce regard, il reste l’homme d’avant la prison. Ses paroles : « je ne t’en veux pas » ne suffisent pas à attester son changement.
Quand plus tard, il cherche à rencontrer sa femme, Anna, même scénario : aux yeux d’Anna, il reste l’homme qu’elle a connu, et qui lui faisait peur. Il a beau clamer : « C’est de l’histoire ancienne, tout ça. Maintenant je suis quelqu’un de bien. », on ne le croit pas.
Il a beau proclamer : « Je veux demander pardon à Anna. », on ne l’écoute pas, et lui assène un jugement irrévocable, sans appel : « Rien n’a changé en toi ! », avant de le chasser.

La mer lui renvoyait l’image de l’ouvert, de l’infinité des possibles, le monde des autres lui renvoie l’image de la fermeture sur le passé, une marche vers un futur, impossible.
Il découvre qu’il n’y a d’existence que sous les yeux des autres, sous leur regard. Que ce regard, comme celui de la Méduse, pétrifie, emprisonne dans une définition. Ainsi, il n’est que son passé de voyou, les possibles à venir lui sont fermés, la liberté de se choisir autre lui est dérobée. Il comprend qu’il ne peut être un autre, qu’il ne peut changer que si les autres reconnaissent ce changement, si les autres le voient autrement.


« Alors Holtz se dit qu’il existait une prison invisible aux murs encore plus épais que celle de l’administration. Une prison en soi, où chacun se renferme, par peur, et la honte de la peur qui se transforme en haine. » Sorti de prison, Holtz se retrouve aux portes d’autres prisons, celles intérieures où chacun est retenu, captif de sa peur, captif de son passé, incapable d’un nouveau regard.

Holtz préfère, au terme de ce premier jour hors des barreaux, la prison administrative d’où il était sorti le matin même, où il lui semblait trouver la liberté de changer, plutôt que ces portes intérieures fermées auxquelles il s’est heurté. Même les grilles de cette prison-là, aux murs administratifs, lui sont fermées pourtant lorsqu’il s’y présente.

Entre deux prisons, l’horizon s’est refermé, immense huis-clos, et Holtz retrouve la mer qui n’est plus qu’ « un gouffre affreusement noir ». Il n’est pas un autre, il n’est plus rien, sans existence au présent, « Pour Anna tu n’existes plus ! », sans avenir, juste chargé d’un passé en lequel il ne se reconnaît plus.
« Holtz, là, s’est enfin arrêté de marcher » figé à jamais, immobilisé pour toujours dans un passé, sans existence, chosifié, grain de sable parmi les grains, sur la plage.

Bravo Raoul encore pour ce bon texte.

P.S. : j'ai l'impression, qu'apès une inspiration trouvée chez Camus ( Premier baiser ), tu trouves ici une inspiration chez Sartre ( Huis-clos ).
Quoi qu'il en soit, je trouve remarquable ta façon de revisiter les grands textes et les grands mythes.



Louis

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Message  Invité Mer 17 Oct 2012 - 20:02

Tu prends ton lecteur à contre pied dès le début avec ce " puis", et ça se confirme : alors qu'on attendrait une certaine frénésie, tu décris le calme de cette promenade en bord de mer, alors qu'on croit une vengeance possible, ton personnage pardonne, et tout du long comme ça... je regrette juste que la fin ne nous offre pas un nouveau retournement surprenant !
J'ai beaucoup aimé.
Une bricole ici :
Sans effort il se rappela du numéro de l’escalier et de l’étage
le numéro ou alors "il se souvint du numéro"

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