A la faveur de la lune

[Phylisse]

A la plume, à la lune, insondable lueur qui coule sur les ailes de la ténèbre, entre les doigts, sur le corps et le coeur attachée, par les mots arrachée, sous la paupière qui se ferme, insondable nocturne dans le dédale d'une vallée engloutie.

A la vie, à la mort, au printemps qui revient, à l'hiver qui se meurt, à d'autres saisons, d'autres ailleurs, dormeur du val, allongé, qui ne prête plus vie qu'à la plume, à la lune, insondable perdition dans les chants qui s'attachent à la corde des larmes, goutte à goutte.

A la pulpe, à ce fruit, perdu, à cet instinct de survie qui habite et palpite la peau, son frisson, sa fleur d'amertume, au printemps qui revient, à la sève qui nourrit, au pétale qui éclate de soleil, à la caresse du vent qui fleure la terre, au sillon creusé, un pas, et puis l'autre, et les lèvres qui s'ouvrent pour dire...

A la plume à la lune, à la vie à la mort, à la pulpe d'un fruit qui dort, quelque part, dans un val où le dormeur n'écrit plus que la nuit...

A la faveur des vents, des marées, des secousses, de la houle et des accalmies à jamais voguant sur le papier trempé d'une main qui, fragile, mouille la trame, penche la plume, et dit, écarlate, intense, creusant le puits, la source, le grenier à grains, grain de plume, de lune, de vie, de mort...

A ce fruit, à sa pulpe, attaché à la branche, à la faveur des vents, des tourments, des rafales musicales couchées dans les blés, flétries par les ans, défroissées, par le printemps...

A la plume, à la lune, insondable déchirure sur le papier trempé de ma mémoire qui se penche, se déhanche, se défait, quand le printemps renaît, de ma plume, à ta lune...

[Invité]

Un texte que l'on aurait pu lire aussi en poésie.
La répétition des mots et expressions, les énumérations, confèrent au texte un rythme, une respiration. Les mots rebondissent, leur sonorité chante :
grenier à grains, grain de plume, de lune...
Et rafales musicales, que tu emploies, résume bien le tout.
Très joli.

[Invité]

Ton écriture, avec de belles formules, comme une noria mélancolique...

[Invité]

Si je suis complètement honnête, je dois avouer que ce qui me dérange toujours un peu dans ce genre de (beau) texte, c'est l'écart entre le travail de l'auteur/e dont on sent que il/elle a mis tant de choses personnelles dans l'écriture, pesé chaque mot ; et la version fragmentée, sûrement souvent superficielle du/de la lecteur/trice.
Bien sûr, c'est vrai de tous les écrits, c'est vrai d'autres formes d'expression artistiques ; je le ressens particulièrement ici, ce texte me fait l'effet d'une concentration d'images choisies, chères à l'auteure, je ne pense pas savoir saisir le même degré d'émotion.
Il n'en reste pas moins que je peux dire combien j'aime le rythme créé par les répétitions, la poésie de certaines images - celles qui, au-delà des mots, dépassent la lecture, se creusent un chemin jusqu'à créer une forme d'émotion. Tu as l'art des mots, Phylisse, l'art d'associer, dérouler et faire virevolter. Et je suis sensible à une douce finesse, l'élégance de ces lignes.

(J'ai bien conscience de la contradiction exprimée dans ce commentaire, j'essaie d'exprimer au mieux mon ressenti, lequel est à mon avis et pour tout un chacun rarement tout l'un ou tout l'autre.)

[Raoulraoul]

Je ne saurais dire mieux et plus subtilement que le commentaire de Easter sur ton texte.
Adresse à la nature... Oui musicalité, et autres... J'ai envie d'extraire ceci ;
Dormeur du val qui ne prête plus vie qu'à la plume....
insondable perdition...
fleur d'amertume...
instinct de survie...
le dormeur du val n'écrit plus que la nuit...
rafales musicales...
insondable déchirure...
mémoire qui se déhanche.
Voilà, j'ai eu envie de puiser un sens, le mien, à l'instant. J'espère que tu me pardonneras. Ton texte, comme une immense gare, traversée de courants d'air, mais d'où aussi tous les départs sont possibles... Merci pour cette partance Phylisse.

[Invité]

On ne commente pas les commentaires, sauf pour dire combien celui de Raoulraoul vaut son pesant de poésie ("Ton texte, comme une immense gare, traversée de courants d'air, mais d'où aussi tous les départs sont possibles... Merci pour cette partance Phylisse.")

[Invité]

Aïe ! Je n'aimerais pas te blesser, Phylisse, mais le côté trop écrit, apprêté, de ces mots me jette littéralement hors de l'émotion : je ne vois plus que le travail !

[Phylisse]

Coline, tu ne me blesses pas, n'aie nulle inquiétude. Mais tu m'invites du coup à expliquer ce texte que j'ai hésité à publier, avec dans le même temps l'envie de le faire justement pour savoir comment il pouvait être lu, perçu, ressenti.

C'est un texte qui n'est pas du tout travaillé, et j'ai toujours du mal à écrire cela parce que ça me paraît prétentieux.

Je l'ai écrit d'une seule traite une nuit de pleine lune, comme une lettre, un appel à l'absent... De sa lune, sa nuit, j'imagine qu'il m'observe et moi, parfois, je prends la plume, pour dire...

Je comprends donc volontiers qu'il soit difficile d'entrer dans ces mots là tant ils sont intimes, peut-être d'autant plus lorsque c'est la poésie qui les pose parce que des images se jettent devant mes yeux que je ne peux exprimer autrement.

"Ton texte, comme une immense gare, traversée de courants d'air, mais d'où aussi tous les départs sont possibles... Merci pour cette partance Phylisse."

Raoul, un grand merci à toi pour avoir traversé cet espace de si belle manière. Je retiens ce voyage que tu as fait, ça me touche vraiment parce que ce sont des sensations qui m'invitent à un autre voyage au travers de mes propres mots.

Easter, la contradiction que tu exprimes est justifiée, et je ne peux mieux répondre à celle-ci que ma réponse faite à Coline. Mais au-delà des mots.... "la poésie de certaines images, dépassent la lecture, se creusent un chemin jusqu'à créer une forme d'émotion", je suis bien évidemment très sensible à ta lecture, comme à celles de Chrystie et Iris.

Le rythme, la répétition des mots, à vous lire il me vient une image... Comme une plage sur laquelle sans cesse la vague se meurt et puis revient, tellement vivante...

Merci...

[Janis]

Je voyais pour ma part plutôt justement un texte écrit d'un trait

(d'une part parce que je sais que tu n'aimes pas revenir sur ce que tu écris ;
d'autre part, je me projette : travailler un texte consiste pour moi à gommer le plus possible les effets, la surenchère, tout ça)

Alors oui, c'est un peu "trop" peut-être

mais ça fait naître des images, des souvenirs, ça se partage
c'est très sensuel je trouve
jusque dans le rythme, flux et reflux

Pour dire que j'ai aimé

[RICHARD2]

Entre prose et poésie, joli mélange de douceur musicale. J'ai bien aimé.

[polgara]

voilà un texte que j'avais oublié de commenter alors même que je l'avais lu, lu et relu. Et j'ai complètement fait fi des petits défauts déjà relevés. Je l'ai aimé et avalé d'un trait tel que tu l'as écrit. Malgré le gros travail fourni rendant sa forme particulière, et qui aurait pu paradoxalement me rebuter, ton texte m'est apparu très fluide et d'une exquise sonorité.

[Invité]

" Au clair de la lune, mon ami Pierrot
Prête-moi ta plume pour écrire un mot "
Nous avons tellement entendu ces mots depuis notre naissance que nous n'avons jamais mesuré
ce qu'ils renferment de poésie.
Ton texte me fait l'effet d'une chanson, du développement très poétique de ce début de chanson populaire.
C'est un exemple incontournable de ce que peut être la "prose poétique".
Je le trouve musical, merveilleux. Merci pour ce plaisir de lecture.

[Sahkti]

Une prose poétique élégante, racée même, ce qui ne m'empêche pas de ci de là de trouver quelques mots parfois un brin artificiels. Pas comme si ils étaient là pour faire joli, je ne ressens pas ça en lisant ce texte, mais plutôt l'impression de vouloir trouver un écrin à la hauteur de l'émotion ressentie, quitte à brider quelque peu l'aspect naturel de celle-ci.
Ceci mis à part, j'aime le rythme impulsé au texte par ces variantes répétitives qui ne sont ni trop présentes ni trop laborieuses. Et puis les imaginaires ainsi proposés sont plus que plaisants.

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