Exo "Nuit d'Halloween" : Neige en octobre

[Janis]

Elle y croit pas.
Il l'a fait.
Elle est dehors sous la neige, dans son ridicule accoutrement de sorcière, et la porte est fermée. Il ne lui a pas donné de clef. Elle a tout plaqué en deux jours et sa valise est toujours dans l'entrée. Toute une vie à relever la tête, et se retrouver comme dans l'enfance, à quémander, peu d'attention, un peu d'amour, un geste.

À travers les murs de cette espèce de taverne qui lui sert de maison, elle peut entendre ses ronflements tonitruants. Elle le visualise dans le fauteuil, trop bourré pour bouger de là. Elle tambourine à la porte, d'abord doucement, presque timide, puis la colère aidant, de plus en plus fort. Les chiens, deux affreux molosses baveux, se mettent à aboyer. Soudain il apparaît dans l'encadrement de la porte, hirsute, bouffi.
Elle a pourtant un petit choc en le voyant, ce petit choc douloureux qui la fait fondre et sourire bêtement, salut, je suis rentrée.
Putain mais ta gueule, arrête de faire chier !
Il lui envoie sa valise dans les pattes.
Et il referme d'un coup sec.

La neige tombe plus fort, maintenant, plus drue.
Sa silhouette se découpe sur tout ce blanc, simiesque, elle titube, quelle idée les talons, cette valise énorme qu'elle tire, le tissu léger et déchirée qui découvre sa peau, le balais, le nez crochu qu'elle garde parce qu'il tient chaud, comme la perruque filasse et les toiles d'araignées. Mais quelle conne ! Qu'est-ce qu'elle croyait ! Tiens, se dit-elle, cette bonne vieille rage, ça faisait longtemps.

Elle vocifère, sa voix est amortie par l'air ouaté. Une voiture freine à sa hauteur. Un type. Trop gros trop rouge. Cholestérol.
Vous avez besoin d'aide ?
Non.
Je peux juste vous déposer quelque part, vous allez attraper la mort.
L'homme est descendu de la voiture, il est tout près maintenant. Il a cet air gentil, bonasse, cet air apitoyé qui lui donne juste des envies de meurtre. Comme il pose une main sur son bras, elle sent sa force se décupler et lui envoie sa valise dans les tibias. Il s'affaisse, interloqué.

Elle ne réfléchit pas et grimpe dans la voiture, le contact n'est pas coupé, elle n'a qu'à passer la première, desserrer le frein à main et foncer droit devant. Dans le rétroviseur elle aperçoit un instant sa valise échouée dans la neige.

Dans la ville, elle ne ralentit pas. La fête continue, les lanternes oranges, les bougies dans les citrouilles, les enfants qui mangent leurs bonbons pendant que les parents déguisés en divers monstres sirotent des bières sur le vieux port. Elle revoit les franges trop raides de ses garçons, les petits corps tendres et féroces perdus, ils étaient chauds comme des croissants dans le lit le matin entre papa et maman. Mais voilà, au prince elle a préféré l'ogre, tout le monde est redevenu crapaud et il n'y aura pas de seconde chance.

Elle fonce dans le tas, bing, bang, c'est le feu d'artifice, la grande débandade, elle roule sur quelque chose, l'onde des chocs contre la carrosserie, les cris lui vrillent la tête alors elle monte de son dans la voiture et accélère jusqu'au bout du quai. Puis douce sensation verticale. Elle s'enfonce entre les chaluts. Salut tout le monde ! Dommage cette bagnole elle était pas mal, l'a dû lui coûter un bras. Tiens je ne suis pas morte.

Car c'est marée basse et la foule écumante approche en masse compacte, comme un gros nuage noir à l'horizon.

[Invité]

Toujours ce fond de violence, dans tes textes, Janis.
Et la chute, c'est le cas de le dire, couronne le tout, bien qu'elle soit ratée pour l'héroïne. Pas de chance !

[Legone]

Purée : le suicide qui tourne au grotesque. Même pas réussir sa mort. C'est noir et bon et la fin c'est l'épiphanie !

[Invité]

Pauv chtit sorcière...
Faut dire, elle est pas vraiment fut-fute, se pointer comme ça un soir d'Hallowen !
Mais tu vas fort, lui faire même rater son suicide, c'est carrément de la cruauté mentale !

[Janis]

Janis, tu crains velu, tu fais remonter ton texte !

non mais pour dire oui, je sais, c'est violent et cruel

mais faut pas s'inquiéter : écrire ce genre de trucs (un peu bâclés j'avoue) c'est tout simplement jubilatoire : et gnac ! et paf ! et vlan ! et pan dans les parties du monsieur ! et paf l'autre dinde qui rate son suicide ! et tchac, les sales gosses avec leurs bonbons !

voilà ce que ça me fait à écrire

après, à relire...

[Invité]

délicieux comme une dragée au poivre
merci janis
toujours la grande classe

[Invité]

On sent bien monter la jubilation, la fête est vite balayée...

[Jano]

Allez, encore de la marmaille déguisée qui trépasse ! Décidemment ces pauvres petits en prennent plein la poire dans cet exo, entre les empoisonnements et les écrabouillages.
Serions-nous en train de nous venger inconsciemment de ces diablotins qui nous en font tant voir ?

[Océacide]

Me suis régalée, en plus comme j'ai lu avec plein d'images qui défilaient, j'adore, même si la tiote sorcière me fait peine quand même !

[Phylisse]

Ah Janis, tu me fais rire ! Un petit fond de violence toujours, comme le dit Iris, mais c'est tellement théâtral qu'à chaque fois ça me fait rire ! Parce qu'il y a une énergie qui fait qu'on passe d'une scène à une autre sans avoir le temps de s'apitoyer sur le sort de quiconque.

Et Jano m'a bien fait rire lui aussi avec son commentaire :

Allez, encore de la marmaille déguisée qui trépasse ! Décidemment ces pauvres petits en prennent plein la poire dans cet exo, entre les empoisonnements et les écrabouillages.
Serions-nous en train de nous venger inconsciemment de ces diablotins qui nous en font tant voir ?

Me suis posée la même question....

[Phylisse]

Posé, non ?

[polgara]

encore un très bon texte, saupoudré d'une douce violence.
et le suicide loupé qui fait sourire.
parfait !

[Rebecca]

Je ne suis pas trop enthousiaste sur celui là . Les ellipses m'ont fait sortir de ma lecture car je me posais des questions sur ceci : "Il ne lui a pas donné de clef. Elle a tout plaqué en deux jours et sa valise est toujours dans l'entrée. " "Sur le prince et l'ogre et les enfants dans le lit de papa maman. Je n'ai pas visualisé exactement ce qui s'est passé, l'enchainement des évènements précédant la fuite éperdue , et j'ai du faire un effort pour échafauder le scénario probable.
Du coup j'ai assisté à la fin carambouille en spectatrice un peu abandonnée. J'aurai préféré avoir plus d'éléments pour être moi aussi au volant de la voiture.
Sinon la scène finale m'a fait revenir en mémoire celle de "Thelma et Louise" . Mais ta fin en queue de poison toute aussi cruelle est plus cocasse et plus cynique à la fois.

[Chako Noir]

Oh ben non, pôv' gros monsieur avec sa voiture ou plutôt sans sa voiture... Je suis un peu comme Rebecca sur le début, j'ai eu du mal à comprendre le plaquage en deux jours, le prince et l'ogre, ça va un peu vite... mais on sent bien la jubilation sur la fin, et le cartoonesque suicide raté rend le tout amèrement drôle, mais quand même, je reste un peu partagé.

[Invité]

Un peu trop rapidement écrit (mais efficace) et mal relu :
plus drue (dru)
le tissu léger et déchirée (déchiré)
le balais (balai)
les lanternes oranges (orange, je suppose)
les cris lui vrillent la tête alors elle monte de son : le son
Un doute ici : Elle s'enfonce entre les chaluts (filet en forme de poche dont l'ouverture est maintenue béante, remorqué en mer par un ou deux bateaux). N'y a-t-il pas une confusion entre chaluts et chalutiers ? En plus, à marée basse ?

Malgré tout, un texte lu avec plaisir. Un vrai talent pour la mise en scène.

[Contenu sponsorisé]