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La mer en hiver

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Kilis
Kaneohe
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Message  Kaneohe Dim 18 Nov 2012 - 19:29

La mer en hiver



Eva est restée à l’hôtel. Je marche seul sur la digue, sous un inévitable crachin hivernal. Le vent se joue de toutes les protections : il chuinte et éructe, on dirait qu’il parle néerlandais. L’air marin me gifle de ses odeurs. La mer pue, ce matin. Au loin la dune est comme une pauvre colline grise que surmonte un abri rouge, sorte de champignon grotesque. C’est pourtant là que mes pas me portent et, l’instant d’après, c’est l’été.

Te souviens-tu de cet été, il y a quinze ans, Marie ? Comme nous étions jeunes, comme tu étais blonde et combien je nous aimais. Nous regardions la mer en silence, remplis d’espérances et de rêves dont certains seraient assez concrets pour devenir nos projets. Nous regardions avec condescendance les petits vieux qui traînaient leur chiens comme leurs désillusions. Ce ne sera jamais nous, disais-tu, nous qui avions et l’amour et la jeunesse. Et, comme les enfants, nous les avons bâtis ces châteaux de sable. Sauf que nous les croyions plus solides. Je n’ai pas vu venir la vague qui a tout balayé. Piètre surfeur, je me suis noyé en voulant encore y croire. Je t’ai détestée, Marie, autant que j’ai pu t’aimer.

Et puis Eva est passée, avec sa fausse candeur slave et cette jeunesse retrouvée. Parfois le temps arrange les choses, du moins veut-on le croire. Et quand le remède est aussi jeune et sensuel, on aime en abuser. Un jour on pense être guéri et l’on revient sur les lieux de ses premières amours. Mais c’est comme la méthadone, Marie, on substitue une addiction à une autre. On ne guérit jamais de son premier amour.

Comme une ultime marée, Eva s’est laissé couler le long de mon corps. Sa tête reposait un bref instant sur mon ventre. Puis, du revers de la main, elle a écarté cette frange blonde qui a délivré un regard effronté. Ton regard. Ce geste et ce regard n’appartenaient qu’à toi, Marie. Cette fille n’avait rien à faire là, c’était juste une usurpatrice, un ersatz d’amour. La colère et le désespoir m’ont envahi. Je l’ai baisée comme on baise les chiennes de cette espèce et j’ai enfin pu jouir en elle sans peur des conséquences. J’ai enlacé son cou gracile et j’ai lu sur son visage la même incompréhension que sur le mien, le jour où tu m’as quitté.

Eva est morte à ta place, dans cette chambre d’hôtel.
Eva est morte et je t’aime encore.
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Message  Invité Dim 18 Nov 2012 - 23:24

La lecture de votre texte me laisse deux impressions contraires — malheureusement la mauvaise gagne du terrain au fil des relectures.

S'il faut un ordre aux dites impressions, je dirais que je suis d'abord touché. Il y a en effet une certaine langueur dans le retour sur soi, une nostalgie paradoxale et nécessaire qui me plaisent. C'est mélancolique, doux, violent pourtant. L'écriture est droite, de belle tenue, à fleur-de-peau (mais déjà aux premières lectures presque ronflante). Le premier paragraphe est très beau, très juste : le vent qui parle néerlandais, la mer autorisée à puer, la dune n'est pas belle, c'est un champignon grotesque, tout ce qui mène au « pourtant » et qui nous dit sans effets de manche la détestation et l'adoration qu'on porte au(x) souvenir(s). Le souvenir d'un temps jeune que « l'été » accompagne forcément. L'écriture, toujours précise, avec un vocabulaire épuré, entame son travail d'évocation, semble le remplir : il y a des tournures signifiantes, heureuses, d'une simplicité salvatrice (« Comme nous étions jeunes, comme tu étais blonde et combien je nous aimais. » par exemple).

Mais cette même simplicité, confiante de frôler le cliché habilement, se dédouble en simplicité qui ne se suffit pas, qui ne dépasse pas les lieux-communs malgré sa volonté de les exhiber. « Parfois le temps arrange les choses, du moins veut-on le croire. » : cette phrase est à mon sens révélatrice de cette façon de contrer les complications inutiles ou les artifices, en cela qu'elle reprend une formule populaire et lui oppose sa négation (la douleur perpétue) tout en sachant que cette dernière est elle aussi une idée rebattue. Comme si, finalement, la sagesse de l'émotion et de l'écriture c'était cette évidence, cet aspect visible et quasi proverbial des choses. En définitive, je trouve ce texte pauvre. Il ne parvient pas à masquer sa pauvreté en l'arborant. Votre premier paragraphe, vraiment, ne laissait présager que du bon, mais pour moi une espèce d'impressionnisme véritable s'est laissé bouffer par la facilité. L'évocation, le souvenir, l'intérêt s'en voient ternis, encadrés, déréalisés. L'écriture est sage, le vocabulaire spontané, mais ces atouts deviennent des rouages, et à la beauté du récital équivoque de la mémoire se substitue une forme d'apprêt dont ladite écriture voulait louablement se débarrasser. Le style se veut démystificateur (la mer qui pue et le champignon grotesque du premier paragraphe) mais tombe dans le racolage (« Je l’ai baisée comme on baise les chiennes de cette espèce et j’ai enfin pu jouir en elle sans peur des conséquences »), assaini voire humble mais en devient guindé et cérémonieux dans l'indigence, on le remarque justement dans ce jeu avec le cliché qui laisse la place au cliché lui-même plutôt qu'à la sobriété et à la modestie du regard vrai : « Nous regardions avec condescendance les petits vieux qui traînaient leur chiens comme leurs désillusions. », « Un jour on pense être guéri et l’on revient sur les lieux de ses premières amours. », etc. Les lieux sacrés et imagés du souvenir semblaient prendre bien place (le titre même, avant tout, puis le crachin hivernal, le vent, tout ce qui enjoint cette mélancolie dantesque et aquatique amorcée dans le paragraphe liminaire) puis se banalisent et deviennent précieux dans le même mouvement (« Et, comme les enfants, nous les avons bâtis ces châteaux de sable. Sauf que nous les croyions plus solides. » ; « Je t’ai détestée, Marie, autant que j’ai pu t’aimer ». ; « Puis, du revers de la main, elle a écarté cette frange blonde qui a délivré un regard effronté. Ton regard. Ce geste et ce regard n’appartenaient qu’à toi, Marie. Cette fille n’avait rien à faire là, c’était juste une usurpatrice, un ersatz d’amour. »). La métaphore marine se fait burlesque voire de mauvais goût, détruit complètement sa propre poésie (« Je n’ai pas vu venir la vague qui a tout balayé. Piètre surfeur, je me suis noyé en voulant encore y croire. » ; « Comme une ultime marée, Eva s’est laissé couler le long de mon corps. »). Enfin un ordinaire vernis de sensationnel que j'ai cru percevoir et qui m'a agacé : « Mais c’est comme la méthadone, Marie, on substitue une addiction à une autre. » et « Je l’ai baisée comme on baise les chiennes de cette espèce et j’ai enfin pu jouir en elle sans peur des conséquences. »

Ce n'est, bien entendu, que mon avis. Ce texte possède à mes yeux des qualités avortées. Je suis frustré, en fait, par les paysages qu'il m'a laissés entrevoir pour mieux les saccager aussitôt. La simplicité, support de l'authentique, se révèle un maniérisme, l'exhibition du cliché une incapacité à l'enfreindre, la beau prisme de l'introspection et du retour sur ces deux femmes — différemment désirables mais dont l'une revient comme le ressac originel jusqu'au rejet haineux et total de l'autre, ce succédané — une érosion lente de ce qui me chavirait en germe. D'où la probable violence de ma critique (je ne me relis pas, je m'excuse si je vous ai blessé), qui est une critique déçue.

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Message  Kilis Lun 19 Nov 2012 - 14:59


J’ai eu beaucoup de plaisir à te lire.

. Je suis admirative de la construction du texte.
« Eva est restée à l’hôtel. » Cette première phrase succincte, un constat neutre et quasi anodin. Et cependant combien porteur quand la lecture est achevée. Cette première phrase qui pourrait aussi bien être la dernière. Avouerais-je, oui, que j’aurais même préféré qu’elle le soit ; le mot « morte » concluant le propos de manière réductrice à mon goût, mettant les points sur les i en lieu et place d’un lecteur qui mériterait souvent qu’on lui accorde une liberté plus franche.
« Eva est restée à l’hôtel » donc. Et elle y restera ; parce que.

. La métaphore maritime filée tout au long du texte berce de manière efficace une douleur mouvante et lancinante, en écho d’ un ressac lointain et présent à la fois.

. J’ai trouvé subtile la comparaison « amour/avatar de l’amour » et son reliquat d’amertume.

. La question des « clichés », abordée par lu-k dans son commentaire, ne m’a pour ma part pas du tout dérangée, au contraire ; le narrateur relatant des souvenirs de jeunesse du genre «nous étions jeunes et nous avions alors une vision du monde imprégnée d’idées préconçues » est plutôt bienvenue, je trouve.

. J'ai eu un peu de mal avec la formulation « ersatz d’amour » trop explicite. La relation au personnage d’Eva expédiée sans nuance, je veux dire sans ce brin de fragilité qui fissure si désagréablement nos consciences …

Reste que ton écriture est forte, séduisante, ta pensée solide et ta vision intéressante.
Et je me réjouis de te lire à nouveau.
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Message  Lizzie Lun 19 Nov 2012 - 16:10

Disons que malgré une trame qui me parait assez convenue, j’ai trouvé que l’écriture était belle et bien rythmée. Belle parce que le premier paragraphe, avec des images comme « on dirait qu’il parle néerlandais », c’est beau. Ou parlant. Oui, ce n’est pas beau, mais vraiment évocateur. Bravo.

Le deuxième paragraphe est davantage dans le convenu. Le mot surfeur réveille.

Le troisième paragraphe revient à quelque chose de plus « personnel ». L’image de la méthadone, comme le surfeur plus haut, me laisse perplexe : je ne sais pas si je trouve l’intrusion de ce registre « moderne » anachronique ou nécessaire. « On ne guérit jamais de son premier amour. » : pff, oui, mais une telle phrase, dans un texte aussi court, il faut assumer… forcément, elle fait « cliché ».

Les deux derniers paragraphes laissent le lyrisme éclater. J’aime assez. Un peu « too much » pour mon goût, mais bien exprimé. La fin éclaire finement la première phrase, c’est intelligent.

Bref, une lecture agréable mais mitigée : Je crois que c’est le deuxième paragraphe qui pourrait être différent.

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Message  Jano Jeu 22 Nov 2012 - 12:37

Un texte assez prenant qui aurait mérité un développement plus approfondi pour créer davantage une ambiance. Tout est brossé trop vite, on n'a pas le temps de s'immerger suffisamment dans le psychisme du narrateur. Il manque des éléments pour comprendre le dérapage de la fin, quand la raison bascule dans le meurtre. La déception amoureuse a révélé des failles narcissiques, or elles ne sont pas visibles.

De belles fulgurances (« Comme nous étions jeunes, comme tu étais blonde et combien je nous aimais ») qui côtoient par contre des formules largement éculées (« On ne guérit jamais de son premier amour. »)
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Message  Invité Dim 30 Déc 2012 - 17:46

Avis mitigé pour moi aussi. Le début est vraiment très bien. Je partage avec Kilis le plaisir d'une bonne construction du texte.
Mais j'aurais souhaité un peu plus de subtilité dans le basculement qui superpose un amour idéalisé à un amour plus prosaïque.
Et je suis définitivement allergique aux mecs qui baisent des chiennes ( pauv' bêtes, j'appellerais bien la SPA !) fut-ce métaphoriquement.

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Message  Anne Veillac Lun 31 Déc 2012 - 11:36

J'ai d'abord ouvert ce texte à cause du titre. Simple et parlant.

J'ai beaucoup aimé la description de la mer, de la plage, le vent qui parle néerlandais, la mer qui pue. Tout ça paraît si bien vu, si vrai, et ça campe l'ambiance.

Le texte est clair et pourtant je l'ai mal lu. Il m'a fallu lire les commentaires pour comprendre qu'il l'avait tuée. On peut enlacer un cou sans serrer. Il faut dire aussi que j'ai lu trop vite le début. Au lieu de lire qu'Eva était restée à l'hôtel j'ai lu qu'elle était restée à l'hôpital !!! Ca change tout...

Il y a une partie que je trouve ambiguë : Puis, du revers de la main, elle a écarté cette frange blonde qui a délivré un regard effronté. Ton regard. Je me suis demandé si ce n'était pas Eva qui écartait la frange de Marie.

Moi non plus je n'ai pas du tout aimé non plus la comparaison avec une chienne. J'ai trouvé ça très méprisant. Comme si, parmi les femmes il y avait les chiennes et les pures. C'est le genre de petites choses qui peut me faire sortir complètement d'un texte.

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Message  Raoulraoul Mer 2 Jan 2013 - 7:43

Je suis d'accord avec Jano. En somme le premier paragraphe descriptif est bien, quand ça devient introspectif, commentaire, ça déraille, devient confus. Parfois on ne parle mieux de l'essentiel qu'en le taisant ! Le contourner, le suggérer, surtout ne pas l"expliquer.
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Message  Anne Veillac Mer 2 Jan 2013 - 10:39

J'ai repensé à ce texte (il ne laissa pas indifférent). Et je me suis demandé si je l'avais bien compris.
Eva et Marie sont-elles deux personnes différentes ou les deux facettes d'une même personne ?
Quoique ... on peut peut-être lire ce texte comme on veut. C'est comme dans les contes de fée. On peut croire que la mère et la belle-mère sont deux individualités ou comprendre qu'elles ne sont qu'une.
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