Madame Mergault

[Nathanaël Zenou]

Flâner dans les rues de son village de campagne l’hiver, lorsque les cheminées embaument l’air de leurs parfums boisés a toujours été une joie pour Madame Mergault. Cette petite dame, sous son lourd pardessus gris, bataillait entre un petit chariot à roulette qu’elle tenait d’une main, son parapluie refermé, qu’on devinait être rouge quadrillé de vert de l’autre et une sorte de gros sac fourre-tout dont les anses lui garrottaient l’épaule. Elle n’était pas belle. À la poste, à la banque, à la caisse du supermarché elle indisposait les autres clients par une odeur de pisse de chat et de chien mouillé. Le tissu épais de son manteau, marbré de poils en tout genre et recouvert de pluches leur évoquait la couche d’un vieux chien paralysé du train arrière piqué à la cortisone plutôt que toute autre vague idée de vêtement. Elle était toujours en sueur, et toujours rouge. Quoique plus sobre que n’importe qui, la majorité la taxait d’être du rang de ces poivrots qui cachent une bouteille de rouge éventé aux quatre coins de leur maison, où le grésillement d’un vieux transistor se mêle aux tintements intermittents de leur goulot contre un verre. Son nez difforme, pivoine se terminait par un poireau, qui lui-même se terminait par un poil torsadé comme la queue d’un petit cochon en tire-bouchon. Elle frappait d’abord par sa petite taille. Parfois, le quidam qui la croisait s’interrogeait sur le pourquoi de la vie de ce petit être. Aimait-elle ? S’attristait-elle ? N’avait-elle jamais brulé du feu de la passion, devant le beau poissonnier qui lui servait son lieu, ou le boulanger qui lui vendait sa miche ? Ou, et plus souvent ce dernier l’ignorait. C’est à peine si l’automobiliste à l’arrêt devant les passages piétons qu’elle empruntait se doutait qu’elle fût là. Il freinait, stoppait et la laissait passer avec un air absent. Ni feinte, ni moquerie. Elle indifférait. Qui pouvait se douter…

[Invité]

Quand j'ai vu le titre, j'ai tout de suite pensé à la belle Isabelle du même nom.
Oulà ! j'ai vite compris que je faisais fausse route.
Portrait réaliste, parfaitement tracé, dans un style concis, épatant !
Ah ! La description du nez !!!
Il manque une virgule après pivoine (fallait bien trouver quelque chose...)
La dernière petite phrase laisse supposer une suite.
Je l'attends avec intérêt. Merci pour ce plaisir de lecture.

[Marchevêque]

Bonjour,

Arf, l'escroc que voilà...
Description du nez absolument fantasbulantesque!
Sinon, on a encore faim quoi ?!

[Invité]

"Qui pouvait se douter..." De ?!
On attend parce que c'est drôlement alléchant (quoique compact) et ne peut qu'être un début prometteur.


un petit chariot à roulettes
Ou, et plus souvent ce dernier l’ignorait. ("Oui" plutôt ? sinon je ne comprends pas)

[Lizzie]

C'est alléchant, je suis d'accord... J'ai aimé lire ce portrait coloré et odorant !

Je vois très bien cette petite dame, la description fonctionne. Attention, peut-être, à ne pas tomber dans le caricatural, à moins que ce ne soit le sens de la suite du texte (le poil sur le poireau, par exemple).
Quelques tournures qui m'arrêtent: "Quoique plus sobre que n’importe qui, la majorité la taxait..." je trouve cette phrase compliquée. "Ou, et plus souvent ce dernier l’ignorait" ? je pense qu'Easter a raison, avec "oui", ça prend sens. "C’est à peine si l’automobiliste à l’arrêt devant les passages piétons qu’elle empruntait se doutait qu’elle fût là. ": je ne sais pas, mais le temps des verbes me parait bizarre ?

[Legone]

Un bon début. On attend la suite. Une fin ouverte qui laisse pas mal de possibilités....

[Raoulraoul]

Excellente description, peut-être sur le motif. Evidemment la suite maintenant réside dans les raisons de vivre de ce petit être ou cancrelat de la société (dirait Dostoïevski). Sujet passionnant.

[Rebecca]

Quels secrets recèle Madame Mergault ?
Doù vient-elle, qui fut-elle, que cache-t-elle derrière ses appâts rances ?
J'ai envie de savoir si sa vie est un roman .

[Invité]

Nathanaël, je reviens sur ta page, voir si tu nous a concocté une suite... Rien.
Pardonne mon insistance. Peut-être n'as-tu jamais eu l'intention de prolonger ce texte,
alors tant pis, mais je trouve dommage d'avoir mis sur pied un aussi formidable portrait
et de le laisser là, à l'abandon.
Ma requête est aussi prétexte à le remonter pour ceux qui ne l'ont pas lu...

[Janis]

Très chouette portrait, qui donne envie
(d'une suite)

[Pussicat]

Sympatoche ce portrait de bout de vieille femme... après les "..." , j'attends moi aussi la suite... avec impatience.
Quoique plus sobre que n’importe qui, la majorité la taxait d’être du rang de ces poivrots
Plus sobre que qui ?
Quelle majorité ?

Le nez, quel nez ! ce n'est pas un nez, c'est un jardin, une cour de ferme !
se terminait par un poireau, qui lui-même se terminait
La répétition du verbe "terminer" aurait pu être évitée par un autre choix comme : planter (correspondance avec poireau) ou trôner.
A bientôt

[Contenu sponsorisé]